Déclarations de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les relations économiques et culturelles entre la France et le Canada, Ottawa le 9 et le 10 juin 1996.

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Circonstance : Voyage de M. Alain Juppé au Canada du 9 au 11 juin 1996

Texte intégral


Allocution prononcée par le Premier ministre, M. Alain Juppé, à son arrivée à l'aéroport d'Ottawa
le 9 juin 1996
Monsieur le Premier ministre,
J'arrive au Canada comme si je me rendais chez un ami. Et je ne parle pas d'une amitié de circonstance. Cela fait quatre siècles qu'une relation singulière relie nos deux rives de l'Atlantique.
Comment embrasser en quelques phrases une si longue période d'intérêts communs et croisés, sinon en utilisant un seul terme, celui de l'amitié.
Trois lignes de force à mon sens ont fondé durablement cette solide amitié qui ne s'est d'ailleurs jamais démentie.
Nos deux pays se reconnaissent dans un système de valeurs universelles, les Droits de l'Homme, qui constituent le socle de nos démocraties.
Ce n'est pas rien. C'est pour nous un choix exigeant et permanent, à l'intérieur comme à l'extérieur de nos deux pays. C'est de lui que procède notre engagement commun dans le cadre des Nations unies sur tous les théâtres de conflit. C'est lui qui nous conduit à soutenir les jeunes démocraties, en Europe de l'Est comme à Haïti ou en Afrique. C'est de lui, enfin, qu'est née la fraternité d'armes de nos troupes en Bosnie. Le Canada s'est engagé dans ce conflit pour les droits des peuples, comme il le fit naguère lorsqu'il lui a paru naturel de venir défendre en Europe la liberté du monde. Nos plages de Normandie, et bien d'autres lieux encore, en conserveront pour toujours la mémoire.
Comme vous, nous avons compris que la paix et la liberté dans le monde ne peuvent s'accomplir en se confinant dans un îlot de prospérité. Nous partageons le même désir de voir s'étendre au monde les bienfaits du développement économique et social grâce à la libéralisation des échanges.
Mais, là aussi, nous nous rejoignons pour exiger des règles, afin que la mondialisation ne se fasse pas au détriment des plus pauvres. Ce souci, qu'on appelle en France la justice sociale, les Canadiens l'appellent, je crois, d'un beau mot : "la compassion", qui n'est pas un comportement affecté, mais bien au contraire un sentiment très fort de solidarité à l'égard des plus malheureux.
Enfin, nous refusons ensemble, Canadiens et Français, d'imaginer un monde dominé par un modèle culturel unique, qui servirait de référence éternelle aux peuples de la planète.
Nous disposons l'un comme l'autre d'un héritage précieux d'expression anglaise et française. Nous en sommes redevables, non seulement aux nôtres, à nos enfants, mais aussi à tous les peuples qui ne se reconnaissent pas dans un monde culturel dominant qui écraserait toutes les spécificités.
Voilà ce que je suis venu dire au Canada. Il était temps qu'un Premier ministre français vienne solennellement réaffirmer les liens qui nous unissent, les responsabilités que nous détenons ensemble et la mission que nous devons exercer en commun.
Nous relations ne s'étaient pas distendues, loin de là, mais il est de fait que nous avons eu plus souvent le plaisir d'accueillir le Premier ministre du Canada en France que l'inverse.
Monsieur le Premier ministre, mes chers amis, la dernière visite d'un Premier ministre français au Canada fut celle de Jacques Chirac. Vous comprendrez aisément le très grand plaisir que j'éprouve, aujourd'hui, à renouer avec la tradition.
Vive le Canada !
Vive la France !
Vive l'amitié franco-canadienne ! .
Toast prononce par le Premier ministre, M. Alain Juppé, au dîner offert par le Premier ministre du canada, M. Jean Chrétien, Ottawa le 9 juin 1996
Monsieur le Premier ministre,
Madame,
En arrivant, il y a quelques heures à Ottawa, j'ai évoqué l'amitié historique qui unit si profondément et si chaleureusement la France et le Canada, et j'ai dit tout le plaisir que j'éprouvais à me rendre dans votre pays, pour la première visite qu'y effectue un Premier ministre français depuis celle du Président Jacques Chirac il y a 9 ans.
Notre amitié traditionnelle trouve ses origines dans l'existence de deux communautés, francophone et anglophone, qui renvoient aux racines françaises et européennes de votre peuple.
Ces deux communautés ont fait de votre immense territoire une vaste terre de liberté, de créativité et de courage, autant de valeurs chères à la France et que nous partageons avec le Canada et tous les Canadiens.
Comme toute véritable amitié, celle qui nous lie a naturellement ses exigences : elle doit être entre nos deux pays une incitation permanente à mieux nous comprendre afin d'agir ensemble, de connivence et d'instinct, dans un monde, certes empli de promesses, mais qui n'est pas encore nécessairement plus sûr et plus accueillant.
Faire de notre amitié un véritable partenariat politique, voilà, Monsieur le Premier ministre, quel serait mon souhait, si vous voulez bien le partager avec moi. Partenariat, tout d'abord, pour renforcer les liens entre l'Europe et le Canada.
Ici ou là, en Amérique du Nord et même au Canada, je sais que l'on émet aujourd'hui quelques doutes sur la légitimité de ces liens et sur leur coût ; soyez certain que, pour nous, Français, il est essentiel que le Canada puisse résister avec énergie à cette tentation de scepticisme.
Nous sommes deux grands peuples convaincus que la sécurité, la paix, la prospérité
dans le monde ne sont pas un don du ciel, mais résultent d'efforts incessants, et d'idées neuves jamais acceptées d'avance.
Vous êtes comme nous convaincus que le monde ne peut vivre en paix si l'Europe ne connaît pas la stabilité.
C'est le sens de l'analyse que nous avons faite conjointement, notamment en Bosnie, où un long chemin reste à parcourir, pour que reviennent définitivement la paix et la stabilité.
Depuis quatre ans déjà, vos forces, aux côtés des nôtres et de celles de nos autres amis, ont contribué de manière décisive à éviter le risque d'embrasement des Balkans. Mais nous devons aller plus loin et voir notamment justice rendue au Tribunal pénal international. Nous nous félicitons du choix de votre compatriote, Madame le Juge Arbour, pour conduire les enquêtes sur les crimes de guerre commis en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Sous notre impulsion conjointe, la communauté internationale a pris conscience que les atrocités commises durant cette tragédie ne sauraient rester impunies.
L'Alliance atlantique, elle l'a montré hier et le démontre en Bosnie aujourd'hui, reste essentielle à notre sécurité commune et à la stabilité du continent européen. Mais elle ne peut plus être seulement l'organisation militaire qu'elle fut, avec succès, pendant presque un demi- siècle.
Elle doit s'adapter au nouveau contexte stratégique. Elle doit répondre au légitime besoin de sécurité des pays d'Europe centrale, tout en prenant en considération les préoccupations de la Russie et des autres états de la CEI.
Elle doit surtout permettre à l'identité européenne de défense de s'y affirmer pleinement, et vous savez que la France y contribue avec force et conviction. La session de l'Alliance atlantique à Berlin lundi dernier a permis de franchir une étape décisive dans cette direction.
Je m'en réjouis, car c'est la voie de la rénovation de l'Alliance qui est ouverte, rénovation sur laquelle nos deux pays partagent une fois encore les mêmes vues.
L'Europe, vous le savez, Monsieur le Premier ministre, est au centre de la politique étrangère française et, chaque jour davantage, au cur de notre politique intérieure.
Nous avons réalisé l'unité de notre marché intérieur, avec la liberté des échanges. C'est une réalité de notre vie quotidienne. Notre commune volonté politique, comme le simple bon sens, exige que nous franchissions maintenant de nouvelles étapes pour affermir l'Union et l'ouvrir aux nations trop longtemps éloignées d'elle.
Pour autant, il ne faudrait pas penser que l'Union veuille se replier sur elle-même ; bien au contraire, elle entend rester, plus que jamais, ouverte au monde : en Méditerranée, au Proche-Orient, en Afrique où elle doit poursuivre son aide et, au-delà, vers les économies émergentes du Pacifique et de l'Amérique latine.
Enfin, et j'ajouterai, surtout, l'Union entend rester le premier interlocuteur politique,
économique, culturel de l'Amérique du Nord. Le Président Jacques Chirac a affirmé cette ambition à Washington, il y a quelques mois. Aujourd'hui, je viens affirmer la même volonté à Ottawa.
J'ai mentionné tout à l'heure la coopération remarquable que nous avons développée ensemble en Bosnie. Un autre domaine, essentiel, celui de la culture, me paraît illustrer le partenariat que nous devons susciter avec plus de vigueur entre Canadiens et Français, et au- delà, entre le Canada et l'Union européenne.
Cette exception culturelle, il nous faut la concrétiser. Non pas dans le souci illusoire et dépassé d'ériger des barrières, mais pour traduire notre volonté positive de maintenir et de développer la richesse dans la diversité des cultures, elles-mêmes garantes d'une authentique démocratie internationale.
Au-delà de sa dimension identitaire, la culture est aussi une activité économique majeure ; son avenir nous préoccupe comme vous. Parlons-en ensemble. Plus largement, définissons ensemble, pour les proposer à nos partenaires, les règles qui permettront de donner aux créations culturelles un statut particulier dans le commerce international, je pense notamment à la réforme des droits d'auteur.
Au-delà du renforcement des liens entre l'Europe et le Canada, il nous faut aussi, Monsieur le Premier ministre, resserrer notre partenariat pour favoriser la sécurité et la démocratie dans le monde.
Comment ne pas nous retrouver sur ce terrain, vous dont le souci du respect des minorités et des droits de la personne est bien connu, et nous, dont l'histoire est liée aux combats pour le respect de ces mêmes droits ?
Je suis frappé, à cet égard, par la similitude, quand ce n'est pas l'identité, de nos vues.
Je vous propose que nous la traduisions sans attendre par des actions diplomatiques communes : - en convainquant les Etats encore réticents de se rallier au projet d' "option zéro essai nucléaire", ce qui permettrait de conclure, dès cette année, la négociation du traité d'interdiction des essais nucléaires, comme nous nous y sommes engagés, - en uvrant ensemble pour faire progresser les autres dossiers du désarmement, comme l'interdiction de l'usage et de la production des mines anti-personnel, à laquelle nous avons adhéré, - en continuant de s'engager ensemble, à Haïti, au-delà des échéances internationales actuellement décidées, pour y soutenir le retour durable de la démocratie.
Enfin, Monsieur le Premier ministre, je voudrais souligner la responsabilité particulière qui découle de notre commune appartenance à la Francophonie.
Afin d'éviter l'éparpillement des efforts qui a trop longtemps caractérisé nos actions, il nous faut désormais mettre en oeuvre l'organisation nouvelle de la Francophonie, dessinée ensemble lors du sommet de Cotonou.
Nous devons aussi définir conjointement des priorités concrètes : l'extension de TV5 aux Etats-Unis en est une qui s'impose à l'évidence, de même que l'encouragement à des productions communes dans le multimédia en langue française, avec le souci d'intégrer les préoccupations de nos autres partenaires francophones du Sud.
Nous devons enfin oeuvrer ensemble pour la promotion de la Francophonie dans les institutions internationales. Il y va de la nature de l'organisation du monde au 21ème siècle.
Veut-on aller vers l'uniformité, ou au contraire vers la diversité ?
Veut-on d'une organisation atone ou des institutions dynamiques et bien vivantes ?
Monsieur le Premier ministre, l'évolution des relations internationales dépend en partie des liens que nous avons tissés et de l'exemplaire coopération qui nous caractérise.
Je souhaite donc lever mon verre à cette amitié, à tous ces partenariats, et au rôle que continueront à jouer nos deux pays sur la scène internationale.
Vive l'amitié franco-canadienne !
Vive le Canada !
Vive la France ! .
Conférence de presse conjointe du Premier ministre, M. Alain Juppé, et du Premier ministre canadien, M. Jean Chrétien, Ottawa le 10 juin 1996
M. Chrétien - (...)
Cette visite a été l'occasion d'avoir plusieurs rencontres et je pense que les relations entre nos deux pays sont au beau fixe en ce moment. Nos discussions ont porté plutôt sur les éléments économiques. Mais nous avons eu aussi l'occasion de faire le tour des problèmes internationaux où la France et le Canada collaborent depuis longtemps, comme en Bosnie et en Haïti. Et je tiens à souligner, à vous tous, que pour moi et mon gouvernement, nous étions très heureux de recevoir la visite du Premier ministre de la France. Nous n'avions pas eu de visite de premier ministre de la France depuis neuf ans. Le dernier qui était venu nous rencontrer est M. Chirac, qui est Président de la République.
Alors je pense que jusqu'à cette date, nous avons eu une excellente réunion et je voudrais vous dire que les rapports entre le Premier ministre et moi-même sont très bons et reflètent exactement les rapports entre nos deux pays.
R - Merci, Monsieur le Premier ministre. Vous savez, en France quand il pleut, on dit souvent : "Mais que fait le gouvernement" ?
Je ne voudrais pas que ces quelques nuages dans le ciel assombrissent une rencontre qui, chacun a pu en juger depuis hier, est placée sous le signe d'une vraie amitié, d'une grande cordialité. Je voudrais vous dire combien ma délégation et moi-même avons été sensibles à la manière dont vous nous avez reçus. Au-delà même du protocole, nous avons senti un vrai mouvement de sympathie qui est, vous le savez, bien réciproque.
Ces visites de Premier ministre à Premier ministre sont, j'allais dire traditionnelles, encore que la tradition ait été interrompue dans le sens français depuis neuf ans... J'espère que nous allons pouvoir reprendre un flux plus régulier. Et comme je l'ai dit à M. Chrétien, je serais très heureux de l'accueillir à Paris dès qu'il le pourra, pour que ces rencontres alternées tiennent un rythme suffisant et à la hauteur de nos ambitions.
Nous avons parlé de beaucoup de sujets, hier soir, ce matin, au cours de nos différentes rencontres. D'abord d'un certain nombre de questions internationales où nous avons pu constater que le plus souvent, pour ne pas dire toujours, les positions du Canada et de la France étaient tout à fait convergentes. Je veux parler de ce qui nous reste à faire en Bosnie, de l'évolution de la situation en Haïti, bien sûr, du dossier du désarmement, et également de la préparation du G7 qui aura lieu à Lyon en France d'ici quelques jours et dont les thèmes prioritaires nous sont chers aux uns et aux autres. Je pense en particulier à toute la dimension de l'aide au développement pour laquelle la France et le Canada sont tout à fait au premier rang.
Nous avons également abordé les questions de relations bilatérales. J'étais, vous le savez, à Saint-Pierre et Miquelon hier - je suis d'ailleurs ici accompagné par le député et le sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon - et j'ai pu voir avec beaucoup de plaisir que nous étions sortis d'une période un peu difficile pour entrer dans une ère de coopération. La dernière commission mixte entre la France et le Canada, qui s'est tenue sur l'avenir de Saint-Pierre-et- Miquelon, a été tout à fait positive et je m'en réjouis.
J'ai confirmé ce que le ministre français du Commerce extérieur, M. Gallant, avait dit ici il y a quelques semaines, et ce que les ministres qui m'accompagnent ont également confirmé, à savoir notre volonté de développer nos relations économiques et commerciales. Elles ne sont pas tout à fait au niveau de nos relations publiques et nous espérons prendre ici, par le jeu de la concurrence et par la qualité de nos produits et de nos entreprises, des parts de marché plus importantes.
Enfin, je n'aurais garde d'oublier la dimension culturelle et linguistique de nos relations.
Je dois vous dire que j'étais un peu ému hier dans ce merveilleux musée des beaux-arts d'Ottawa, au coeur de l'Amérique du Nord, d'entendre réciter des poèmes en français et chanter de merveilleuses chansons en français et de voir que toute l'assistance, qu'elle soit francophone ou anglophone, réagissait avec émotion. Je crois que c'est important. C'est un bien qui nous est commun pour lequel nous nous battons sur la scène internationale et pour lequel nous avons encore beaucoup à faire, notamment dans ce vaste domaine des autoroutes de l'information. Il ne suffit pas d'avoir des autoroutes, il faut aussi avoir des véhicules ou des produits. Et voilà un nouveau, vaste champ de coopération entre la France et le Canada.
Q - Monsieur Juppé, vous parlez d'autoroute de l'information, l'ancêtre de l'autoroute, c'est le train. Et certains lui prédisent même un avenir ici. Le gouvernement fédéral semble plutôt tiède à cette idée. Avez-vous réussi, dans vos discussions avec M. Chrétien, à mettre un peu de chaleur là-dedans ?
R - Nous sommes très chauds. Donc entre le chaud et le tiède, on devrait effectivement réchauffer l'atmosphère. Je sais que le gouvernement canadien, et je pense que j'en parlerai aussi ce soir au Québec, a mis à l'étude cette opération, qui est très importante. Vous connaissez nos performances dans le domaine des liaisons ferroviaires. D'ailleurs, on vient de voir aux Etats-Unis que nous étions capables de convaincre. J'espère donc que ce projet, qui pourrait donner à notre coopération dans bien des domaines une impulsion formidable, pourra progresser. En tout cas, nous y tenons et nous nous battrons en ce sens.
Q - Comment l'entente sur le multimédia pourrait-elle permettre, concrètement, au français de trouver sa place de façon commerciale, active, efficace sur l'inforoute ?
R - Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux demander cela à nos ministres compétents.
Les premiers ministres ne sont compétents sur rien et sur tout à la fois.
Q - Vous insistiez vous-même sur le sujet hier. Avez-vous des choses à nous dire ?
R - J'ai beaucoup insisté sur les accords qui sont en cours de préparation. Je crois qu'on peut leur donner un double contenu : d'abord assurer une plus grande présence des images françaises sur les écrans canadiens. Des projets sont étudiés en ce sens. Pour en citer un très précis : je discutais, hier, de la possibilité d'un accord entre votre câblo-opérateur Cancom et RFO pour la diffusion d'une nouvelle chaîne de télévision.
Nous avons aussi un projet très important qui est celui de TV5 Amérique, que nous allons maintenant faire avancer. Je pense qu'entre nos groupes de multimédias, pour la préparation de produits à injecter sur ces autoroutes de l'information, il y a encore beaucoup à faire.
Voilà trois exemples de ce qui pourrait concrétiser cette ambition.
M. Chrétien - Lorsque nous étions à Cotonou, nous avons discuté de ce problème et le Canada a décidé de faire une participation immédiate. Nous allons aider dix pays, à l'intérieur de la Francophonie, à s'installer sur le système Internet, et nous allons fournir les experts pour donner la formation nécessaire.
Et là, on peut collaborer très étroitement avec les Français, comme nous sommes en Amérique, beaucoup du contenu des autoroutes (...) nous utilisons beaucoup ici, au Canada, pour nos besoins, et de cette façon, nous pouvons aider énormément les pays de la francophonie quant au contenu. Et nous allons travailler dans ce sens avec la France, et surtout mettre ces contenus à la disposition des pays de la francophonie.
Comme vous le savez, ici, au point de vue de l'éducation, au Canada, nous avons réussi, à cause du vaste territoire que nous avons, à avoir un système d'éducation qui permet à Internet d'être dans toutes les écoles canadiennes. Et peut-être que ce système pourrait être utilisé par les pays de la Francophonie de telle façon qu'il puisse avoir un contenu très intéressant, et l'utiliser pour la formation des étudiants des écoles de la Francophonie.
Alors, il y a énormément de collaboration que nous pouvons faire entre la France et le Canada et surtout du fait que nous sommes obligés, ici, de transformer les données américaines (...) qui sont nécessairement en anglais, pour l'utilisation francophone ici au Canada, et le partager avec nos amis de la Francophonie.
R - La vieille ville de Bordeaux a un excellent Web sur Internet, je vous le signale
Monsieur le Premier ministre.
Q - Monsieur Juppé, que pensez-vous des commentaires du Président Chirac qui a déjà dit que cela serait une bonne idée pour la France de reconnaître un Québec souverain ?
R - Je n'ai pas lu de telles déclarations. Vous connaissez notre position dans ce domaine.
Nous avons avec le Québec des relations directes et privilégiées, depuis longtemps. Nous avons bien l'intention de les développer et de les approfondir. C'est ce que je dirai, d'ailleurs, ce soir et demain, à Québec.
Par ailleurs, nous avons d'excellentes relations avec le Canada, ma présence ici l'atteste, et nous n'avons pas l'intention de nous mêler des affaires qui, aujourd'hui, sont des affaires intérieures du Canada. On a formulé cela dans un principe comme seul les diplomates savent les formuler, "non-ingérence et non-indifférence", cela commence à se répéter un peu, mais enfin cela dit bien ce que cela veut dire. Voilà dans quel esprit nous travaillons avec nos amis canadiens et nos amis québécois.
Q - (en anglais
)
R - (en anglais)
M. Chrétien - Et nous sommes ensemble à Haïti. Alors si nous restons, le Premier ministre me dit qu'ils allaient rester, et s'ils s'en vont, on part.
R - A propos de la Bosnie, ce n'est pas tellement à vous à qui je pensais Monsieur le Premier ministre.
Q - Monsieur Chrétien, justement une question sur Haïti. M. Juppé vous a invité hier à
vous engager au-delà de la date limite imposée par les résolutions des Nations unies. Est-ce que vous resterez plus longtemps que la fin juin ou avez-vous pris une décision en ce sens ?
M. Chrétien - Non. Nous n'avons pas pris de décisions à jusqu'à maintenant. Mais nous avons convenu, M. Juppé et moi-même, qu'il serait prématuré pour la communauté internationale de quitter Haïti dès maintenant.
R - Je n'ai pas dit exactement cela. J'ai dit que la poursuite de l'intervention internationale me paraissait souhaitable. Et là encore, la France, qui a une centaine de gendarmes et de policiers sur place, s'associera à la poursuite de cette opération si elle est décidée.
Q - (en anglais)
M. Chrétien - (en anglais)
Q - Quand il y a un conflit au Canada, un différend, on parle ici d'un "irritant".
Monsieur Chrétien, est-ce que vraiment il n'y a aucun "irritant" entre Paris et Ottawa ?
Et deuxièmement, Monsieur Juppé, pensez-vous que ce terme serait utilement "importable" dans le vocabulaire politique français ?
R - M. Chrétien - Bah, il n'y en a pas beaucoup d' "irritants", si on peut employer ce mot, entre la France et le Canada à ce moment-ci. Nous avons couvert tous les sujets et nous avons conclu qu'il n'y en a pas beaucoup, et que nous pouvons travailler sur bien des dossiers ensemble. Alors nous, nous faisons des représentations au gouvernement français pour améliorer certains domaines, et eux nous en font pour améliorer d'autres domaines. Il semble, par exemple, parmi les "irritants", qu'il y avait le problème des fromages. Evidemment, certaines personnes au ministère de la Santé croyaient que les fromages pouvaient causer des problèmes à la santé des Canadiens. Mais ce matin, j'ai eu l'occasion de voir que votre Premier ministre est en très bonne forme et il m'a dit qu'il varie, change de fromage presque tous les jours. Alors ce qui veut dire que sa santé n'a pas été affectée.
Quant à l'Académie française et le mot "irritant", je n'en suis pas membre et je ne sais pas si on peut l'employer ou non, mais l'expert pourrait peut-être être le Premier ministre de la France.
R - Je voudrais simplement ajouter une précision à ce qu'a dit M. Chrétien. En matière de fromage, j'en mange deux fois par jour et généralement au lait cru. Et ce depuis 51 ans pratiquement. Donc vous voyez que cela n'a pas d'effet sur la santé. J'espère avoir convaincu.
Quant à "irritant", vous savez que j'aime la langue française, mais j'ai toujours considéré qu'une langue était quelque chose de vivant et qu'il fallait l'enrichir. Et je suis absolument convaincu qu'après votre voyage au Canada, Mesdames et Messieurs les journalistes français, voilà un terme qui va réapparaître dans le vocabulaire politique en France. Car s'il y a peu "d'irritants" entre nous deux, on pourrait trouver des occasions d' "irritants", une fois revenus à Paris, entre un certain nombre de responsables politiques et moi. Cela, il y en aura certainement.
Q - (inaudible)
R - J'ai quitté Paris il y a 24 heures, donc je suis moins actualisé que vous ne l'êtes.
M. Chrétien : Ici au Canada, on dit "M. le Premier ministre a passé la fin de semaine au Canada" et à Paris cela aurait été le week-end.
Q - Est-ce que la visite d'un Premier ministre français gaulliste à Montréal pourrait avoir un côté "irritant" ?
M. Chrétien - Non. Absolument pas.
Toast prononce par le Premier ministre, M. Alain Juppé, au déjeuner offert au Premier ministre du Canada, M. Jean Chrétien, Ottawa le 10 juin 1996

Monsieur le Premier ministre,
Madame,
Je suis venu à Ottawa avec une grande ambition : porter enfin les relations économiques franco-canadiennes à un niveau digne de deux pays du G7.
Nos échanges atteignent à grand peine 1 % du total de notre commerce extérieur, chez vous comme chez nous.
Nos ministres du commerce extérieur se sont rencontrés en mars dernier. Ils se sont fixé un objectif auquel je souscris pleinement : relancer notre coopération économique dans ses trois aspects : le commerce, l'investissement et les partenariats technologiques.
La France souhaite développer considérablement, d'ici l'an 2000, sa présence sur le marché canadien. C'est dire les progrès que nos entreprises devront accomplir dans votre pays.
Les chefs d'entreprises qui m'accompagnent y sont prêts, et ils sont enthousiastes.
Je vous souhaite, amis Canadiens, la même ambition et la même réussite, en France.
Je suis certain de votre succès.
Mon optimisme repose sur un double constat : le Canada a toujours fasciné les Français et je ne trahirai pas, je pense, la pensée de vos concitoyens en disant que les Canadiens sont restés sentimentalement très attachés à la France et à l'Europe.
Nos deux pays sont résolument tournés vers l'avenir. Nous connaissions vos pôles d'excellence traditionnels, nous découvrons désormais la place que vous avez conquise dans les technologies de demain : les autoroutes de l'information, l'aéronautique, l'espace, les télécommunications.
Je suis convaincu que nous possédons des qualités complémentaires.
Regardez ce que Français et Canadiens réalisent chaque jour ensemble dans le domaine aéronautique ; et demain, le symbole de cette complémentarité technologique pourrait être notre coopération ferroviaire. La technique de la très grande vitesse sur rail a permis au groupe canadien Bombardier et au groupe français Gec-Alsthom de remettre le train à la mode aux Etats-Unis et bientôt, j'en suis persuadé, il en sera de même au Canada.
Pourquoi ne pas conjuguer nos forces, afin d'emporter des marchés à l'exportation, dans les pays émergents et, en particulier, en Europe de l'Est ?
Vous voyez, Monsieur le Premier ministre, que nous avons fait du chemin, depuis
l'exposition universelle et le métro de Montréal ou les projets hydro-électriques de la Baie- James, mais il nous reste encore beaucoup à exploiter et à réaliser.
La transformation de l'économie française est tout aussi remarquable que la vôtre.
Je suis venu vous parler de la France qui gagne. De la France qui invente et qui réussit.
De la France qui aborde l'avenir avec confiance et détermination.
La France occupe dans le monde le 4ème rang en terme de PIB.
Elle est le 4ème exportateur mondial, le 2ème exportateur de services, et le 3ème importateur de marchandises. Où est la France protectionniste, frileuse et repliée sur elle- même, comme on l'entend parfois ?
Vous savez bien qu'il n'en est rien, - puisqu'en 1996, 350 entreprises françaises sont présentes au Canada et heureuses de s'y trouver ; - puisqu'elles font de la France le 5ème investisseur au Canada ; - puisque plus de 120 entreprises canadiennes se sont établies en france ; Il y a de fait une grande communauté d'esprit entre nos entrepreneurs de part et d'autre de l'Atlantique, qui se connaissent, qui s'apprécient et qui aiment travailler ensemble.
Mesdames et Messieurs, j'en viens maintenant à l'Europe dans laquelle, vous le savez, la France joue un rôle déterminant, et j'avoue ne pas comprendre, ici et là, les bouffées d'"euro- pessimisme", qui se manifestent sporadiquement.
L'Union européenne constitue aujourd'hui le premier marché mondial, devant l'ALENA, devant l'APEC, et ce sont plus de 1 200 milliards de dollars canadiens qui sont échangés chaque année entre les 15 partenaires de l'Union européenne !
Alors, où va donc l'Europe ? Ne vous y trompez pas : nous ferons en 1999 l'union
économique et monétaire.
Pourquoi, me direz-vous ? Eh bien parce que la monnaie unique est l'aboutissement du processus de l'intégration de nos économies, ouvert par le Traité de Rome.
Et la France dans tout cela ?
La France constitue votre meilleure porte d'entrée en Europe. Tout comme vous ambitionnez, avec raison, d'être le point d'accès privilégié des Européens dans l'hémisphère américain, je puis vous assurer que vous ne trouverez pas de meilleure implantation en Europe qu'en investissant dans notre pays.
Europe, France, Canada...Il est temps, Monsieur le Premier ministre, de parler des liens transatlantiques.
La France souhaite, comme le Canada, une relance vigoureuse de la relation transatlantique.
Pendant 40 ans, celle-ci s'est fondée sur la sécurité. Les menaces ont changé. Le monde s'est globalisé.
Aujourd'hui, il faut viser une nouvelle approche de la coopération transatlantique entre l'Europe et le Canada, centrée sur un partenariat économique le plus large possible, et favorisé par une vision commune des grands enjeux de notre époque, comme l'est par exemple l'aide au développement des pays les plus pauvres.
N'entrons pas dans les querelles théologiques sur plus ou moins de libre-échange. Le cadre de l'OMC, qui s'applique à tous, est là pour ça. Nous avons comme vous une conception loyale et juste des échanges mondiaux et nous partageons la même volonté de renforcer les règles de conduite commerciale pour assurer l'accès de tous, à tous les marchés.
Il faut aujourd'hui établir un lien économique très fort entre le Canada et l'Europe. C'est là notre intérêt. Une bonne part de la croissance économique mondiale dépend en effet des échanges transatlantiques. Même si l'accent est mis aujourd'hui sur l'Asie et le Pacifique, la réalité est là ; elle s'impose à nous et elle passe par un renforcement de nos relations.
C'est dans ce cadre, Mesdames et Messieurs, que nous pourrons défendre un intérêt commun : la survie de notre identité culturelle. A l'heure des autoroutes de l'information et de la télévision directe, sachons nous appuyer sur les technologies de pointe pour assurer le maintien de cette culture aimée et partagée. Faute de quoi, c'en serait fini des valeurs que nous défendons. Ce serait un drame pour nos sociétés, ce serait aussi un drame pour le reste du monde qui refuse en grande partie un modèle culturel unique ou dominant.
Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs, je voudrais vous avoir donné de la France une image à la fois juste et optimiste : celle d'un pays qui croit à son destin et qui ambitionne d'occuper toute sa place dans le monde.
Nous avons besoin les uns des autres, pour assurer à nos enfants un avenir meilleur.
Nous avons un premier rendez-vous pour y parvenir dans quelques jours à Lyon au sommet du G7, dont la France assure l'organisation, un an après le Canada.
Les difficultés ne manqueront pas. Mais Français et Canadiens aiment à se retrouver pour relever ce genre de défi.
D'un côté, notre vieux pays, façonné par l'histoire ; de l'autre, votre jeune nation, conquise sur l'espace et la nature. Mais, chez vous comme chez nous, le même enthousiasme et la même ambition, le goût de la conquête et de la victoire.
Je vous invite, Monsieur le Premier ministre, à lever votre verre à notre indéfectible amitié, et à former des voeux chaleureux pour la renforcer encore davantage.
Vive le Canada !
Vive la France !.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 août 2002)