Entretien de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, dans "Aujourd'hui en France" du 24 juillet 2007, sur ses priorités en faveur des droits de l'homme en France et dans le monde.

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Média : Aujourd'hui en France

Texte intégral

Q - Est-il difficile d'être chargée des Droits de l'Homme au Quai d'Orsay ?
R - La mission dont j'ai la charge ne s'arrête pas aux seuls Droits de l'Homme. Il s'agit d'un secrétariat d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme. Cette double mission n'est pas facile. Mais, face aux violations des Droits de l'Homme, ce qui est important pour moi, c'est de savoir dire non.
Q - Mais les trois quarts de la planète ne sont pas concernés par les Droits de l'Homme. Quand des visiteurs viennent à Paris, soupesez-vous chaque fois l'opportunité de les rencontrer ?
R - A Paris ou ailleurs, je me poserai systématiquement la question. A ce propos, je ne suis pas d'accord avec vous : le monde entier est et doit être concerné par les Droits de l'Homme. Ces droits sont universels. Le général de Gaulle ne disait-il pas que "la seule querelle qui vaille est celle de l'homme" ? Je veux que, sur le terrain des Droits de l'Homme, chacun sache que la France est de retour. Qu'elle n'a jamais cessé d'être la patrie des Droits de l'Homme. Je veux être ambitieuse pour mon pays : la France, les Français le méritent.
Q - Qui est fréquentable et qui ne l'est pas ?
R - Sur le plan moral et personnel, c'est une vraie question. Mais, sur le plan politique, il faut être capable de parler à tout le monde. Au fond, ce qui est important, ce n'est pas à qui on parle, mais ce qu'on est capable de dire en face.
Q - Le président a rencontré le Congolais Sassou Nguesso, le Gabonais Omar Bongo ou le Tunisien Zine Ben Ali. Mais vous-même avez refusé de voir Sassou à Paris...
R - Il est normal que le président de la République le rencontre : il est dans son rôle pour assurer la continuité des relations entre la France et les autres Etats. En ce qui concerne le président du Congo, j'ai estimé qu'une rencontre dans un hôtel parisien n'était pas le moyen le mieux adapté pour parler Droits de l'Homme avec lui.
Q - A propos de la Tunisie, certains vous reprochent d'avoir rencontré l'un des ministres de Ben Ali...
R - Je ne vois pas ce qu'il y a de scandaleux à parler des Droits de l'Homme avec les autorités d'un pays - c'est même le coeur de ma mission - à partir du moment où je m'entretiens aussi avec la vice-présidente de la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme. Si je ne devais parler qu'à des représentants d'Etats irréprochables sur le plan des Droits de l'Homme, alors quel intérêt ?
Q - A quoi pourra-t-on juger votre réussite ?
R - Si je parviens à faire en sorte que les Droits de l'Homme soient au coeur de notre diplomatie, j'aurai rempli ma mission. Concrètement, je viens d'apprendre qu'à l'étranger, certains défenseurs des Droits de l'Homme se plaignaient de ne pas être reçus par nos ambassadeurs. Ce n'est pas acceptable. J'ai immédiatement demandé aux ambassadeurs concernés de les recevoir pour entendre ce qu'ils avaient à dire. Je veux que nos ambassades deviennent des maisons des Droits de l'Homme et que les opprimés du monde entier puissent y trouver une oreille attentive. Je voudrais également qu'en 2008, la Présidence française de l'Union européenne soit l'occasion pour nous, Français, de porter haut et fort les valeurs des Droits de l'Homme. C'est aussi très important que la France donne au 60e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, en 2008, tout l'éclat qu'il mérite, partout dans le monde. J'ai d'ailleurs proposé que Simone Veil en préside le comité d'organisation.
Q - Quelles sont vos priorités en matière de Droits de l'Homme ?
R - 1. Les enfants d'abord. Leur innocence doit être protégée. Les enfants ne doivent pas vivre des vies d'adultes, surtout quand ces vies sont des cauchemars comme ceux que vivent les enfants victimes de maltraitance, d'enlèvements, de mines antipersonnel ou d'enrôlement comme soldats. 2. Les droits des femmes, car les Droits de l'Homme sont d'abord ceux de la femme. 3. La justice pénale internationale, pour montrer que les Droits de l'Homme ne sont pas que des mots. Dans son prochain déplacement au Sénégal où je l'accompagne, j'ai sensibilisé le président à cette question. Il est important que la France dise quelque chose sur le procès de l'ex-président tchadien : nous devons aider le Sénégal, qui a courageusement décidé de tenir le procès de Hissène Habré sur son sol, à organiser ce procès pour que les victimes tchadiennes obtiennent enfin justice. 4. Le thème de la liberté de la presse. Je veux qu'on profite de la tenue des Jeux olympiques à Pékin pour demander aux autorités chinoises d'agir vraiment, ce qui n'est pas incompatible avec la défense de nos intérêts là-bas. Après tout, les Etats-Unis arrivent très bien à parler à la fois Droits de l'Homme et affaires avec les Chinois !
Q - Vous allez pratiquer l'ingérence dans ces pays ?
R - Il ne s'agit pas d'ingérence. Dans le système multilatéral, les Etats ne vivent pas en autarcie. Mais il faut en finir avec ce que certains appellent l'arrogance française. Nous ne pouvons raisonnablement pas faire des reproches aux autres si nous ne balayons pas devant notre porte. C'est pourquoi, je vais demander qu'on recense l'ensemble des condamnations de la France par la Cour européenne des Droits de l'Homme : je veux savoir pourquoi on a été condamné et quelles réponses on a apporté à ces condamnations. C'est le génie des démocraties de reconnaître leur perfectibilité. Une fois que cela sera fait, je veux faire savoir que si la France ne doit plus donner des leçons au monde, elle a un message à porter.
Q - Parmi les quatre ministres du Quai, vous êtes la seule à ne pas venir de la gauche. Comment vous situez-vous ?
R - Nous avons tous nos différences, mais nous avons tous les quatre en commun d'avoir été nommés par un président et un Premier ministre de droite. Il est séduisant de vouloir réunir la gauche et la droite pour représenter la France à l'extérieur. On peut dégager un certain consensus sur la politique étrangère. Les Droits de l'Homme, en tout cas, ne sont ni de droite ni de gauche.
Q - Comment avez-vous vécu votre premier 14 Juillet au gouvernement ?
R - Avec beaucoup d'émotion. Quand j'étais enfant, je venais suivre le défilé avec mes soeurs. Alors, être dans la tribune du gouvernement aux côtés de responsables européens pour célébrer une fête nationale, c'était vraiment une intense émotion.
Q - Et les cérémonies du Vel'd'Hiv' dimanche ?
R - J'ai tenu à participer aux cérémonies parce qu'en tant que secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme, il me semblait important d'être au coeur de la souffrance humaine et de son souvenir pour mesurer l'importance de défendre aujourd'hui, et plus que jamais, les Droits de l'Homme. Sur un plan personnel, les chants de Talila, qui est l'ex-compagne de mon beau-père, lui-même chanteur yiddish, m'ont bouleversée. D'autant qu'il y a quelques jours Simone Veil et moi sommes convenues de nous rendre prochainement à Auschwitz.
Q - Vous sentez-vous représentante des minorités ?
R - Non. La question ne se pose pas quand on représente la France, et la France est diverse. C'est bien comme cela. Quand je rencontre Tzipi Livni ou Ban Ki-moon, ils me parlent en tant que française, ils ne se préoccupent pas de savoir si je suis issue de l'immigration ou de ce que vous appelez les minorités visibles. Il faut une certaine banalisation : si on pointe systématiquement du doigt la couleur de peau de quelqu'un, on l'enferme dans une espèce de tyrannie communautaire qui empêche d'agir. Je dois réussir cette mission pour que tous les responsables politiques de gauche comme de droite accordent leur confiance aux minorités sans que cela provoque de psychodrame national. Derrière mon cas personnel, il y a un d??fi collectif à relever.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2007