Déclaration de M. Alain Savary, ministre de l'éducation nationale, sur les collèges, Paris le 1er février 1983.

Prononcé le 1er février 1983

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Un mois après avoir rappelé les objectifs de la rénovation progressive du système éducatif que j'ai engagée, je fais cette déclaration sur les collèges qui témoigne ainsi de la volonté du gouvernement de tenir les engagements pris devant le pays.
Cette rénovation concerne l'ensemble du système éducatif qui fait l'objet depuis dix-huit mois de nombreux travaux. J'ai souhaité assurer leur cohérence en évitant toute décision rapide ou ponctuelle dans un domaine qui se prête si mal à la précipitation des propos ou à la juxtaposition des perspectives.
La rénovation de notre système éducatif est nécessaire pour mieux répondre aux aspirations de toute la population française et pour donner aux acteurs de l'éducation de ce pays la possibilité d'assurer pleinement leurs responsabilités en respectant la diversité des approches.
Dans cet ensemble, les collèges occupent une place singulière. Ils ont été le lieu privilégié des réformes de structures qui se sont succédées depuis la guerre. Ils témoignent aujourd'hui encore de cette histoire et de la patience qu'il convient d'avoir dans le domaine éducatif : le collège unique qui est un objectif explicite depuis 1936 est encore à faire. C'est à ce niveau que se manifestent le plus clairement les problèmes que pose la prise en charge de tous les enfants de la classe d'âge en leur offrant d'égales possibilités de formation. C'est là que l'on rencontre les très grandes différences de niveaux des élèves, les difficultés d'adaptation de beaucoup d'entre eux, la sélection souvent précoce que le système leur impose, le sentiment d'impuissance de nombreux enseignants et l'inquiétude des parents. La France n'a pas encore réussi à faire la synthèse de ce que furent les cours complémentaires et le primaire supérieur d'une part et le premier cycle des lycées de l'autre. La dimension sociale de ce problème est claire, et la situation actuelle des collèges est en partie liée au mouvement nécessaire de démocratisation de l'enseignement : tous les pays comparables en témoignent. Elle est ainsi aggravée dans le cas de la France par l'application brutale de la réforme issue de la loi de 1975, qui est intervenue sans que l'on ait prévu avec rigueur les moyens convenables pour instaurer progressivement un collège unique que l'on s'est contenté de proclamer.
Dans ce contexte, la mission que j'ai confiée à l'automne 1981 au professeur LEGRAND était difficile et je le remercie vivement aujourd'hui de l'avoir acceptée et d'avoir consacré autant de temps, d'énergie et d'intelligence à ce travail, dont les résultats me permettent aujourd'hui de vous faire connaître ma politique dans ce domaine. Mes remerciements s'adressent également à l'équipe qu'il a réunie près de lui et à tous ceux qui, aux niveaux national et départemental, ont contribué à la réflexion. Si ce rapport bien sûr n'engage que quelques-uns, il n'en est pas moins le résultat d'un travail collectif d'autant plus nécessaire que les passions étaient vives et le sujet complexe. Aucune réforme des collèges n'a jamais été préparée de cette manière. Il faut le souligner.
Après que ce rapport m'a été remis, j'ai souhaité attendre pour arrêter mes décisions de connaître les résultats des travaux de mes services, qui n'ont pas ménagé leur peine, les avis des différentes organisations représentatives et les réactions de l'opinion sur un sujet qui concerne tous les citoyens.
C'est donc à partir de ce rapport, de ces travaux, de ces avis et de ces réactions que je fais aujourd'hui connaître les orientations que j'ai retenues pour le collège. Cette déclaration s'adresse en premier lieu aux enseignants, aux parents et aux élèves sans l'appui desquels aucun changement n'est évidemment possible.
La rénovation des collèges que je leur propose a les objectifs suivants :
1. permettre à tous les élèves, au terme du collège, de faire des choix ouverts pour leur formation et leur vie professionnelle ultérieure ;
2. adapter les collèges aux changements rapides qui caractérisent nos sociétés ;
3. donner plus de responsabilités aux différents acteurs de l'éducation ;
4. offrir aux enseignants les moyens de mieux assurer leur tâche.
Le premier objectif, qui est le plus important, est aussi le plus difficile à atteindre. Je ne dis pas cela pour reculer les échéances mais parce qu'il me semble préférable de mesurer toutes les difficultés d'une tâche dont les dimensions sociologiques, structurelles et pédagogiques sont complexes plutôt que de faire comme si tout dépendait d'une nouvelle loi et de textes réglementaires. Le collège pour tous est l'ambition et l'oeuvre de générations. De toute reconnaissance des obstacles et de notre respect du temps dépendra le succès de l'entreprise.
Le système français est malheureusement connu pour la précocité de ses orientations. Plus une orientation est précoce, plus elle est subie, plus elle a de chances d'être négative, plus elle est socialement marquée. La première tâche est de transformer progressivement le collège en un lieu d'éducation des choix. C'est une tâche difficile qui ne suppose pas seulement de profondes modifications de contenus et de méthodes d'enseignement. Elle suppose aussi la reconnaissance de la diversité et de l'égale dignité des talents. Une des propositions les plus fécondes du rapport qui m'a été remis porte sur la création d'un enseignement qui tienne réellement compte des différences des élèves. Le collège d'aujourd'hui dénonce trop souvent ce que les élèves ne savent pas faire sans tenter de promouvoir ce dont ils sont capables. Il faut veiller à ne rien perdre des richesses potentielles que recèlent chez tous l'enfance et la jeunesse. C'est une ambition immense et nécessaire.
Le second objectif est permanent mais il a une actualité singulière dans un monde en transformation rapide où l'investissement éducatif est probablement l'élément clé de l'avenir. Le collège doit répondre à sa façon aux nouvelles exigences culturelles de la société et aux exigences professionnelles du pays. L'élévation du niveau culturel de tous doit être une perspective dès le collège, je dirai même dès l'école élémentaire. Et si le collège doit devenir un lieu d'éducation des choix ultérieurs, notamment sur le plan professionnel, il convient que ces formations futures reposent sur une maîtrise suffisante des langages fondamentaux. Le progrès technique et l'évolution de l'organisation du travail exigeront dans l'avenir des qualifications élevées et une capacité d'adaptation nouvelle. En outre, il ne suffit pas d'affirmer que le système éducatif doit assurer à chacun une qualification professionnelle. Il est de la responsabilité du collège d'en tirer des conséquences.
Dans cette perspective, je voudrais marquer l'intérêt que notre système éducatif doit porter aux domaines suivants :
1. L'apprentissage et la maîtrise de la langue et de l'expression. L'école et le collège ont dans ce domaine un effort important à fournir, qu'il ne faut pas attendre des seules heures de français. La langue est un bien commun, dont tous les enseignants doivent se sentir garants, et dont on sait bien que l'apprentissage n'est pas du même ordre que celui des autres domaines d'enseignement. Je demande instamment à tous les enseignants, quelle que soit leur spécialité, d'avoir le souci permanent de la langue. Contrairement à ce que certains pensent, il ne s'agit pas là d'un voeu que la tradition adresse à la modernité, il s'agit d'une exigence de la modernité elle-même.
2. Le développement des enseignements scientifiques et techniques. La science et la technologie constituent la réalité de notre environnement quotidien. C'est aussi la réalité de l'environnement des élèves. Ce n'est pas encore la réalité du collège qui a, notamment dans le domaine de la culture technique, élément majeur de la culture moderne, un retard très important, qui explique, au moins partiellement, des orientations trop souvent négatives vers les formations techniques même à des niveaux élevés du système éducatif. Le gouvernement a clairement affirmé l'importance qu'il accordait à la science et à la technologie. II s'agit là d'un choix d'avenir qui a des effets directs sur le système éducatif.
3. L'utilisation systématique dans les collèges des nouveaux outils que le progrès technique met à la disposition de l'enseignement. Depuis plus d'un an, le plan informatique a été élargi et très sensiblement accéléré. L'objectif a été clairement affirmé de donner à tous les élèves la maîtrise de l'utilisation des moyens de communication contemporains (informatique, audiovisuel, télématique). Cet objectif doit être atteint dans des délais aussi rapprochés que possible. Les nouvelles technologies permettent d'ailleurs de développer cette pédagogie centrée sur l'élève et ses acquis que je souhaite promouvoir.
4. L'apprentissage de la sociabilité et de l'autonomie. Le collège ne doit pas seulement transmettre des savoirs, il doit aussi proposer des valeurs. Au-delà de l'enseignement il y a un devoir d'éducation. Une société démocratique qui garantit les libertés individuelles n'est possible que si chaque citoyen assume sa part de responsabilités et est capable d'initiative. C'est aussi une vérité moderne dans un monde où l'Etat pourra de plus en plus difficilement jouer le rôle d'Etat-Providence et où, s'il le pouvait, il n'en serait pas moins vrai que les citoyens doivent prendre en charge leur avenir.
5. La préparation, dès le jeune âge, à la formation permanente, qui est une des idées les plus fécondes du monde contemporain. La formation donnée au collège doit avoir cette perspective. L'évolution rapide des professions et l'exigence de formation et d'enrichissement personnels rendront nécessaire le recours à une formation étalée sur toute la vie. II faut y préparer les élèves en leur donnant le goût d'apprendre et les moyens d'organiser leur travail personnel.
Le troisième objectif concerne la décentralisation du système éducatif c'est-à-dire la façon dont il faut accompagner l'effort que le gouvernement tout entier a engagé dans ce domaine. Dans le cas de l'Éducation nationale, cet effort est nécessaire pour deux raisons essentielles :
- La première est le choix d'une plus grande responsabilité de tous les acteurs de l'éducation. Le ministère de l'Éducation nationale est souvent perçu comme un système fortement hiérarchisé et centralisé. Cette perception n'est pas fausse. Il en résulte une trop faible responsabilité de tous les échelons.
- La seconde raison est d'une nature différente : la complexité du système éducatif est aujourd'hui telle que des progrès qualitatifs importants ne peuvent plus être attendus de la seule application rigoureuse de consignes nationales comme au temps de Jules FERRY.
Les travaux qui m'ont été remis ouvrent des perspectives intéressantes dans ce domaine et cohérentes avec le rapport de Luc SOUBRE sur la décentralisation et la démocratisation des établissements scolaires. Il faut donner de nouvelles responsabilités aux établissements et de nouvelles structures pour les exercer. Dans cette perspective je voudrais dire aux parents que je souhaite, à l'occasion de cette rénovation des collèges, qu'ils puissent être plus présents dans les établissements scolaires non seulement pour être pleinement informés de ce qui s'y fait mais aussi pour participer à certaines activités éducatives. Je reviendrai sur ce point.
Le quatrième objectif dépasse le cadre du collège. La difficulté du métier d'enseignant est insuffisamment perçue à un moment où les exigences de la société vis-à-vis de l'enseignement sont très fortes. Il appartient au ministre de l'Éducation nationale de permettre une meilleure compréhension réciproque. Ce problème général a une acuité particulière au niveau des collèges dont les enseignants ressentent vivement les contradictions actuelles. Je comprends donc l'inquiétude qu'ils peuvent ressentir au seuil de changements sur lesquels ils sont mal informés, dont l'intérêt ne leur a pas été suffisamment démontré et dont ils ne mesurent pas les effets sur leur activité. Il y a, sous certains désaccords que je ne sous-estime pas, une volonté de ne pas se voir imposer un système nouveau, avant d'avoir pu émettre un avis sur ce système. Ceci est d'autant plus légitime que les enseignants se trouvent depuis des années au terme d'une chaîne hiérarchique qui transmet périodiquement des instructions dont les raisons leur demeurent obscures. Je répondrai donc à leur souci. Il faut être convaincu que rien ne changera dans les établissements sans les enseignants même s'ils ne doivent pas à eux seuls décider de l'avenir du système éducatif. Les enseignants du collège, avec l'expérience quotidienne de la classe, font assez généralement le diagnostic que nous pouvons tous faire. Ils souhaitent, pour parler simplement, que les choses changent. C'est ce que je veux moi-même et c'est pourquoi je leur demande d'examiner avec sérénité le projet que j'expose aujourd'hui. Après cet examen, le dialogue peut s'engager sur des bases connues et on sait que j'y suis prêt.
De mon côté, je considère qu'il est de ma responsabilité de leur donner les moyens de mieux assumer leur tâche et, en tout premier lieu, de les former de façon plus complète au métier difficile qu'ils exercent aujourd'hui.
Voici donc les objectifs généraux de la rénovation des collèges que j'entreprends. Je voudrais parler maintenant des orientations plus concrètes que j'ai retenues :
1. La première concerne de nouvelles possibilités d'organisations internes des collèges. Le rapport LEGRAND propose une structure assez précise qui consiste, à partir d'ensembles d'environ 80 à 100 élèves à constituer des groupes de niveau homogène dans certaines matières et des divisions hétérogènes dans les autres. Cette structure a plusieurs mérites : le premier est d'avoir été longtemps expérimentée, le second de permettre un enseignement qui peut s'adapter aux différences des élèves, le troisième de pouvoir évoluer en fonction des performances observées. Par ailleurs, les élèves sont, la plus grande partie de la semaine, dans une même division ce qui leur permet d'avoir les relations régulières et la permanence dont ils ont besoin. C'est en raison de ces mérites que cette structure me semble constituer une possibilité nouvelle d'organisation pour les établissements. Il me semble utile cependant de souligner que cette organisation, qui est complexe, requiert impérativement une formation, le travail collectif des enseignants et un suivi patient et méthodique des élèves. Je voudrais dire aussi que ce n'est pas le nouveau dogme du ministère, que d'autres solutions peuvent être adoptées en fonction des réalités locales, à la condition expresse de ne pas reconstituer de filières ségrégatives. La proposition qui est faite doit d'abord permettre à tous les établissements d'engager une réflexion collective sur le groupement des élèves, d'ouvrir d'autres possibilités que celle de la classe traditionnelle, et d'imaginer un lieu d'exercice de la responsabilité des enseignants vis-à-vis des élèves.
2. La seconde orientation concerne le service des enseignants. On imagine trop souvent que la seule tâche des enseignants consiste à faire des cours. Tous les enseignants savent qu'il n'en est rien et que leur métier comporte d'autres responsabilités. Il est bon de le dire clairement en insistant sur l'importance du travail collectif des enseignants qui ont la responsabilité des mêmes élèves et sur l'intérêt d'une aide plus individuelle que celle qu'autorise la classe. Un certain nombre d'enseignants ont déjà adopté ces pratiques et reconnu leur intérêt. Mais ceci devra connaître un développement plus étendu. Je crois utile de m'arrêter quelque peu sur le tutorat, dont la nature exacte est mieux saisie dans les pays anglo-saxons, pour lesquels c'est une réalité de l'enseignement à tous les niveaux. Pour me faire bien comprendre, je voudrais d'abord dire ce que le tutorat n'est pas. Ce n'est évidemment pas une direction de conscience, incompatible avec le respect de la laïcité du service public. Ce n'est pas non plus une assistance, contraire à la volonté de développer l'autonomie des élèves. Ce n'est pas enfin une manière de dire aux enseignants que la transmission de connaissances n'a guère d'importance et que ce sont les relations affectives qui seules comptent. Cela n'aurait aucun sens. La première raison d'être du tutorat est pédagogique : il doit permettre de suivre de façon individuelle l'évolution de chaque élève dans un système éducatif centré sur l'enfant et sur l'adolescent. La dimension affective, qu'il serait absurde de nier, est d'ailleurs présente dans l'enseignement lui-même et je ne pense pas que les enseignants me contrediront sur ce point. Je retiens donc les propositions qui m'ont été faites dans ce domaine en exprimant toutefois une réserve sur le choix des tuteurs par les élèves et en ajoutant que je suis prêt à parler de l'articulation des différentes tâches, des modalités précises d'application. Je ne cherche pas, ici non plus la rigidité, mais je veux en revanche que l'on prenne cette orientation au sérieux. Indépendamment de toute autre mesure, le travail collectif des enseignants et l'exercice du tutorat pourraient avoir des effets importants sur la démocratisation des collèges. Ceux qui le pratiquent déjà peuvent en témoigner. La synthèse de notre premier cycle, qui a tant tardé à se faire, apparaît ainsi plus proche. Une des premières conditions est naturellement de définir désormais les services des enseignants en fonction du niveau d'enseignement et non des corps d'origine.
3. La troisième orientation concerne l'équilibre des activités proposées aux élèves du collège. Elle touche deux problèmes assez différents mais que les élèves relient volontiers parce qu'ils en ressentent les conséquences de façon très semblable : il s'agit des rythmes scolaires d'une part et de l'équilibre des matières enseignées de l'autre.
Pour ce qui concerne les rythmes scolaires, on sait que la semaine du collégien français est trop longue en temps d'enseignement, trop monotone dans les activités qui sont proposées, trop mal articulées avec la vie des élèves à l'extérieur du collège et avec le travail personnel. J'envisage donc de diminuer l'horaire hebdomadaire de cours, de faire une place plus importante aux activités extérieures à l'enseignement, de développer le rôle des associations - notamment les associations sportives et culturelles - et de donner des fonctions plus claires aux surveillants dont je souhaite revoir le recrutement dans cette perspective. Cette redéfinition de la surveillance me semble nécessaire en particulier pour faire revivre les études surveillées, apprendre aux élèves à maîtriser leur travail et plus largement leur temps scolaire. En matière de pédagogie, les méthodes sont souvent aussi importantes que les connaissances. J'ajoute qu'elles ont la vie plus longue. Ceci me semble surtout nécessaire pour les élèves qui ne trouvent pas dans leur famille les conditions d'un travail personnel fructueux.
Pour ce qui concerne l'équilibre des matières enseignées, il est proposé deux choses nouvelles par rapport à la situation actuelle ; augmenter en premier lieu la place qui est faite aux enseignements artistiques et aux activités sportives. Pour ce qui est des enseignements artistiques cette proposition est cohérente avec la volonté du gouvernement, souvent affirmée, et qui donne lieu depuis déjà plusieurs mois à une collaboration de l'Éducation nationale avec le ministère de la Culture. La situation actuelle des enseignements artistiques, due à une longue négligence des pouvoirs publics, ne permet pas de tenir pour immédiat l'objectif des trois heures hebdomadaires. Il y a à cela une raison simple : même si le ministère de l'Éducation nationale disposait dans les années à venir de nombreuses créations de postes, les capacités de recrutement, en musique notamment, sont trop limitées pour le permettre rapidement. Je retiens cependant l'objectif. Je m'engage en outre, dès maintenant, à poursuivre l'effort déjà entrepris pour l'agrégation et le CAPES et à prendre des mesures significatives pour développer les chorales et les ensembles instrumentaux, créer des ateliers d'arts plastiques, intensifier la formation continue des enseignants et ouvrir plus largement les établissements scolaires aux intervenants extérieurs dans des conditions que je définirai.
Quant aux activités sportives, j'ai déjà fait connaître mon souci de voir leur statut mieux affirmé dans l'Éducation nationale et leur place confortée dans l'horaire hebdomadaire des élèves. C'est une dimension fondamentale des rythmes scolaires dont j'entreprends l'examen. L'objectif des trois heures hebdomadaires pour les collèges est en vue pour la rentrée 1983. Les étudiants formés et les candidats aux concours de recrutement existent en grand nombre, contrairement à la situation que l'on observe en musique. Je reconnais donc la nécessité de faire un effort supplémentaire à moyen terme, et rappelle avec vigueur le rôle de l'association sportive dans l'enrichissement de la vie scolaire.
La seconde proposition du rapport concerne la création dès la 6ème, pour tous les élèves, d'un enseignement de trois heures, permettant au collège de prendre en compte le fait technologique, tant dans la démarche pédagogique qu'il autorise, que dans les contenus qu'il permet d'aborder. Cette proposition, vous le mesurez tous, est d'une grande importance. Elle est aussi difficile à mettre en oeuvre dans un pays peu préparé à donner à la dimension technique de la culture la place qui lui revient. Malgré cet obstacle, que je ne sous-estime pas, je crois l'enjeu suffisamment important pour engager un grand effort en ce sens. L'enseignement qui est proposé devrait en effet permettre une orientation plus éclairée des élèves, introduire une matière qui fait appel à de nombreuses disciplines, développer des talents et des curiosités que le système actuel met insuffisamment en valeur et faire enfin à la technologie la place qui lui revient dans l'enseignement dispensé à tous les élèves. Les conditions de la réussite, c'est-à-dire de la création d'un enseignement de même statut que le français et les mathématiques, sont, je le répète, difficiles. C'est pourquoi je compte réunir dès maintenant les avis nécessaires pour définir le contenu précis de cet enseignement et la formation conséquente des professeurs. Je souhaite également que cette orientation permette de faire appel à des professionnels dans un cadre contractuel.
J'ai noté que le rapport, avec le souci de ne pas augmenter les heures d'enseignement des élèves, propose de réduire d'une heure hebdomadaire le français. Cette proposition, qui peut surprendre, ne me semble pas déraisonnable à partir du moment où chaque enseignant se sent responsable de la langue et où les groupes de niveau permettent un enseignement adapté aux différents acquis des élèves. Je préfère cependant à cette solution une formule plus souple qui consiste à demander aux établissements de faire des choix en fonction de la population scolaire étant entendu, comme je l'ai dit précédemment, que les heures hebdomadaires de cours doivent être diminuées. Cette formule présente l'avantage de donner des responsabilités aux établissements la matière et de rompre avec ce que l'on peut appeler la « sacralité horaire », cette idée fausse selon laquelle les résultats d'un enseignement sont directement liés à leur densité.
4. La quatrième orientation concerne précisément les nouvelles responsabilités des établissements et des enseignants. Les conseils d'établissement, dont je suis maintenant en mesure de revoir la composition, ne doivent plus seulement, ni même essentiellement, débattre des moyens financiers dont les collèges disposent : ils doivent élaborer les projets de l'établissement, c'est-à-dire sa politique. Ceci suppose une définition claire des objectifs poursuivis et une évaluation régulière des résultats obtenus. Le rapport de Louis LEGRAND propose aussi de donner aux enseignants certaines responsabilités au sein de nouvelles structures. Cette proposition est cohérente avec la nouvelle conception du service et de l'organisation interne des collèges qui est avancée. Je l'examinerai mais je veux qu'il soit clair que la rénovation que je propose ne se limite pas à la création de nouvelles structures qui ne sont qu'un moyen de travailler autrement. Je veux aussi éviter que les collèges soient touchés par une maladie bien connue de la bureaucratie qui s'appelle la réunionite. Il faudra donc adopter la solution qui paraîtra la plus efficace et la plus propice à un véritable travail collectif. Un certain nombre d'établissements sont déjà engagés dans cette voie depuis la création des zones prioritaires. Les responsabilités nouvelles qui seront celles des établissements s'exerceront avec les familles dont la participation à la réflexion mais aussi à la décision doit être reconnue dans un climat d'information et de libre expression, mais aussi avec les élus locaux. Le projet de loi portant transfert de compétences, qui sera débattu bientôt devant le Parlement, ouvre en effet des perspectives importantes pour tout ce qui concerne les activités culturelles et sportives.
5. La cinquième orientation concerne le nouveau mode d'élaboration des contenus d'enseignement. Il faut substituer aux rivalités dont les disciplines trop cloisonnées sont aujourd'hui le théâtre, une perspective plus globale de formation et affirmer que l'acquisition des connaissances est fondamentale dans la mesure où elle porte non sur des formes mais sur des activités. La réforme de l'Inspection générale que j'ai récemment fait connaître va dans ce sens. Il faut en outre définir un cadre national à partir duquel les adaptations locales et que je crois fort nécessaires peuvent se faire. J'envisage dès la fin de ce mois la création de commissions permanentes qui vont réexaminer les contenus d'enseignement avec le souci de déterminer des objectifs, qui pourraient être atteints par différentes voies, à différents rythmes, de penser les relations entre les différentes matières et de donner aux élèves des connaissances peut-être moins nombreuses mais plus solides, mieux articulées et plus méthodiquement présentées. Ces commissions comprendront des enseignants, des chercheurs, des inspecteurs, et feront appel à des compétences extérieures.
J'en viens maintenant aux trois derniers points qui me semblent essentiels : l'orientation, la formation des enseignants et les relations nouvelles qui doivent se nouer entre le collège et l'école.
Pour ce qui est de l'orientation, ce terme revêt aujourd'hui une acception négative que traduisent bien les collégiens quand ils disent, dans leur langage, qu'ils sont « orientés ». La signification est celle d'un départ du collège, départ subi et non voulu, parfois même arrêté en fonction de critères administratifs, extérieurs aux performances des élèves. J'ai engagé à la rentrée dernière un mouvement fort différent en soumettant l'orientation en fin de 5ème à l'accord des familles. Cette décision est d'une grande portée puisque, sans instaurer le collège pour tous qui exige une action autrement complexe, elle indique clairement que ce collège est désormais notre horizon, même s'il ne peut s'agir du collège actuel dont la capacité à accueillir tous les élèves est problématique. Les propositions de Louis LEGRAND sont donc cohérentes avec l'action que j'ai engagée. Le but poursuivi est de permettre à l'ensemble de la classe d'âge de faire au terme du collège des choix d'orientation ouverts pour leur formation et leur vie personnelle ultérieure. Cette perspective a au moins quatre conséquences directes : la première est que l'Éducation nationale prolonge l'offre de formation initiale jusqu'à 18 ans, la seconde que le collège de demain ne sera ni uniforme, ni ségrégatif, mais qu'il sera diversifié, la troisième que l'orientation des élèves devient une tâche permanente du collège en fonction de goûts et d'aptitudes qui les uns et les autres, doivent être développés et perçus dans une perspective d'évolution. La quatrième qu'il n'est guère possible de penser une politique pour le collège indépendamment d'un second cycle rénové. Ces conséquences mériteraient, à elles seules, toute une déclaration et j'expliquerai plus longuement ma politique dans ce domaine dans les mois qui viennent. Je voudrais seulement que l'on comprenne aujourd'hui l'ampleur des changements qui doivent se produire au sein des collèges pour que tous les élèves puissent y être accueillis utilement. Chacun doit prendre conscience de la tâche à accomplir et y participer de façon active en ayant une vision d'ensemble du problème qu'il s'agit de traiter. Dans la période qui s'ouvre l'orientation volontaire sera maintenue vers les LEP qui devront collaborer avec les collèges pour cette rénovation. Des conventions entre les deux types d'établissements pourront être passées pour des activités communes. En outre la réflexion qui est conduite sur le second cycle sera enrichie des orientations que je donne aujourd'hui aux collèges. Les classes de CPPN, qui bénéficient déjà de mesures spécifiques depuis la dernière rentrée, seront progressivement résorbées. Quant aux sections d'éducation spécialisée je n'envisage pas leur suppression parce que je crois que les élèves qui y sont accueillis en retirent souvent un bénéfice qu'ils trouveraient difficilement dans un collège même rénové. Je souhaite cependant que l'admission dans ces classes soit plus rigoureusement contrôlée en fonction de l'intérêt des enfants, que les élèves qui s'y trouvent aient des activités communes avec ceux des collèges, et que la collaboration des sections d'éducation spécialisée avec les autres structures de formation professionnelle permette un véritable projet de formation et une meilleure insertion professionnelle. Je prendrai des mesures en ce sens très prochainement.
Pour ce qui concerne la formation des enseignants, je suis maintenant en mesure, avec les travaux d'André de PERETTI et de Louis LEGRAND, d'engager sur une base solide les discussions qui s'imposent avec les représentants des personnels d'une part et les départements ministériels concernés d'autre part. Ces discussions auront pour base la déclaration que j'ai faite le 19 mars 1982 sur la formation des personnels de l'Éducation nationale et les conclusions que je tire des travaux de la commission sur les collèges. Je souhaite prendre des décisions sur ce dossier avant la fin de cette année scolaire. Les orientations que je viens de donner aux collèges doivent être inscrites dans la formation des enseignants.
J'en viens maintenant aux nouvelles relations qui doivent s'instaurer entre les écoles et les collèges. Il est vrai qu'on ne saurait attendre une réforme de l'école élémentaire pour engager celle du collège. L'école pourrait alors se tourner vers les familles et la responsabilité de l'ensemble du système éducatif serait dégagée. Cette logique ne peut être la mienne et je ne pense pas qu'elle soit vraiment celle des collèges. Le problème de la réussite des élèves doit être celui de tous les enseignants, des instituteurs aux professeurs de lycée. Ils partagent tous cette immense tâche. Ceci veut dire en particulier que l'école élémentaire doit aussi se mettre en question, qu'elle doit regarder en face ce que chacun sait aujourd'hui et que toutes les statistiques démontrent : les trajectoires scolaires les plus difficiles commencent très tôt ;, un élève qui a redoublé le cours préparatoire n'a pratiquement aucune chance de passer le baccalauréat ou même d'entrer en seconde. La rénovation des collèges doit donc être située dans un ensemble. Une politique de prévention de l'échec scolaire doit être définie en même temps pour les écoles.
Des mesures efficaces doivent notamment être prises dans le domaine de l'apprentissage de la lecture en développant la formation et l'information sur la diversité des méthodes actuelles et en donnant le goût de la lecture dès le plus jeune âge. Certaines écoles font dans ce domaine une remarquable utilisation de leur bibliothèque qui joue un rôle central dans l'établissement. Le travail collectif qui est demandé aux enseignants du collège serait également très profitable aux instituteurs pour comparer leurs méthodes et leurs objectifs. Il faut aussi et c'est un point essentiel à mes yeux, développer les relations entre les deux types d'établissement. Le passage en 6ème ne doit pas être pour l'enfant l'entrée dans un autre monde comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui. Les modèles pédagogiques dominants de l'école et du collège sont encore trop éloignés si bien que les élèves sont parfois désorientés. Dans le système éducatif que je souhaite promouvoir, le dialogue des deux niveaux d'enseignement, est indispensable. Je retiens dans l'immédiat les mesures suivantes :
1 - La définition d'une méthode de travail entre les professeurs de collèges et les instituteurs au moins au niveau du cours moyen et de la 6ème. Ce travail ne sera efficace que si chacun est convaincu d'avoir quelque chose à apprendre de l'autre et non pas à l'autre.
2 - La mise en place de stages de formation continue communs sur des thèmes correspondant aux besoins exprimés par les enseignants eux-mêmes.
3 - L'association permanente de l'école élémentaire à tous les travaux des commissions qui seront chargées des contenus d'enseignement.
Je souhaite maintenant décrire la stratégie que je compte adopter pour mettre en place cette rénovation des collèges. De ce point de vue il y a des leçons à tirer des précédentes réformes. On compte en effet une quarantaine de réformes ou de projets de réformes depuis 1945 dans un ministère que l'on dit souvent immobile. On observe également un certain scepticisme de l'opinion sur l'intérêt ou la portée de ces réformes. Ce scepticisme est en partie injuste : l'effort de la France dans le domaine éducatif a été remarquable depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il est aussi en partie justifié : l'expérience montre que les réformes n'atteignent pas tous leurs objectifs, ou qu'elles ne les atteignent pas dans des délais raisonnables, ou qu'elles connaissent d'importantes dérives ou même qu'elles ont parfois des résultats contraires à ceux que l'on attendait.
Je souhaite tirer les leçons qui conviennent de cette expérience. Ces leçons sont les suivantes :
. ne pas imposer une réforme arrêtée dans le détail au niveau central ;
. ne pas croire que les problèmes se résolvent avec des textes quand ils se résolvent avec des hommes ;
. prévoir les dérives et les effets pervers inhérents à toute réforme plutôt que de les subir ;
. préparer la phase d'extension par une première période de réalisation limitée, méthodiquement suivie qui pourrait commencer en 1984 et qui se fera avec des équipes volontaires;
. mettre en place un dispositif d'observation, d'évaluation et de régulation ;
. faire prendre en charge cette rénovation par l'Éducation nationale toute entière et d'abord par les enseignants. L'attente de nouvelles consignes est la première pierre d'achoppement des réformes de l'Éducation nationale. Je m'adresse à des acteurs, pas à de simples exécutants.
Dans l'immédiat voici ce que je compte faire :
1. Définit une politique d'information sur ce qui est proposé. Cette déclaration sera largement diffusée dans les établissements ainsi qu'une synthèse des analyses et propositions contenues dans le rapport qui m'a été remis. En outre, la direction des collèges est chargée de l'organisation de deux journées d'information et de réflexion collective dont l'une se tiendra début mars et l'autre en mai. La première sera consacrée aux conclusions de M. LEGRAND et à la politique générale que j'ai arrêtée après avoir pris connaissance de son rapport ; la seconde portera sur l'organisation de la prochaine année scolaire et la définition des conditions d'une première phase de réalisation. Je souhaite aussi, de façon plus ambitieuse, mettre en place à l'occasion de cette rénovation une nouvelle politique d'information utilisant les supports écrits et audiovisuels qui permette des relations plus directes entre le ministère et ses administrés.
2. Organiser dès maintenant, avec les missions académiques à la formation, une action de formation continue pour les établissements qui se porteront volontaires. Je souhaite en effet suivre sur ce point la recommandation du rapport et engager le mouvement avec ceux qui ont manifesté ou qui manifesteront dans les prochains mois leur volonté et leur capacité de mettre en oeuvre ce que je propose. Il faut instaurer à cette occasion des relations de type contractuel et définir un cahier des charges pour être assuré de réunir les conditions les plus favorables à la réussite.
3. Développer dès maintenant avec l'aide de la recherche pédagogique des instruments adaptés aux nouvelles orientations que je viens de décrire (analyse des besoins des élèves, organisation des ensembles, techniques d'évaluation formative...).
4. Mobiliser tous les personnels du ministère à tous les échelons en créant des instances d'observation, d'évaluation et de régulation. Ceci pour éviter de transformer l'incitation que je souhaite donner aux collèges en une série de directives que le système par habitude et par commodité risque de produire.
5. Demander au gouvernement dès le budget 1984 les moyens nécessaires à la première étape de cette rénovation.
J'ouvre ainsi un processus long et complexe, une démarche progressive et décentralisée dont les différentes étapes feront l'objet d'explications mais aussi de discussions avec tous les intéressés et d'abord avec les organisations représentatives. Ces explications et ces discussions commenceront dans le courant de ce mois.
Je souhaiterais achever cette déclaration en rappelant l'importance de l'enjeu. Il s'agit en effet de construire l'avenir de notre jeunesse, et donc de notre pays. Cette action est, pour nous, aujourd'hui, une impérieuse nécessité. Elle ne sera conduite à son terme que si tous les acteurs présents autour des collèges - personnels, parents, élèves eux-mêmes - prennent conscience de l'objectif et conjuguent leurs efforts, sans relâche pour l'atteindre. C'est à leur concours à tous que je fais appel, avec confiance.
Agir est toujours difficile, mais l'inaction est sans espoir.