Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "France Inter" le 2 août 2007, sur le vote du projet de loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat (paquet fiscal), son financement par la réduction des dépenses publiques, sur une nouvelle forme de marché du travail.

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Média : France Inter

Texte intégral

T. Steiner.- Bonjour C. Lagarde... Vous êtes contente de la note que vous donne Le Parisien ce matin : 15 sur 20 ! Vous êtes la meilleure élève du Gouvernement.

R.- Je n'accorde pas beaucoup d'importance au classement et il m'est arrivé une fois d'être classée 5ème par le Wall Street Journal. Mon fils, quand je lui ai annoncé la nouvelle, m'a dit : "ah bon, c'est tout, 5ème ?". Donc je ne me fais pas d'illusion sur les classements, ils changent !

Q.- C. Lagarde, ça y est vous allez pouvoir partir en vacances ; le projet de loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat a été définitivement adopté par le Parlement. C'était un texte difficile à défendre ce fameux paquet fiscal ?

R.- C'était un texte difficile, mais en même temps exaltant, parce qu'il est vraiment synonyme de ce que l'on veut incarner très vite. C'est-à-dire les valeurs du travail, le choc de la confiance, la nécessité de réengager la croissance et de desserrer un certain nombre de freins et tout ça autour de la vie complète de l'individu. Je rappelle qu'il y a une mesure pour les étudiants, qui permet de les exonérer d'impôts sur tous les travaux qu'ils effectuent pendant l'année, en même temps qu'ils font leurs études, jusqu'à concurrence de trois SMIC. Une mesure très importante, emblématique et qui concentre plus de 40% du financement de cette loi sur les heures supplémentaires, qui permet aux salariés d'être payés, si j'ose dire en brut de brut. C'est-à-dire qu'il y a, à la fois, pas de cotisation employé et il n'y a pas d'impôt sur les heures supplémentaires. Et puis une mesure importante qui concerne 95% des foyers français, qui exonère de droits de succession, en particulier une exonération à mon avis fondamental, puisque le conjoint survivant, qu'il soit marié ou pacsé ne paiera pas de droits de succession au moment du décès de son conjoint ou de son compagnon. Bien sûr le bouclier fiscal, redescendu à 50% et puis la possibilité pour ceux qui sont redevables de l'ISF d'investir dans des petites et moyennes entreprises ou d'investir dans des fondations pour la recherche.

Q.- Voilà, alors quand même, il y a eu, y compris au sein de la majorité quelques grincements de dents sur les allègements fiscaux pour les plus aisés ; c'était "le Président l'avait promis, il fallait le faire", c'est ça ?

R.- Il y avait de toute façon le principe selon lequel les promesses faites seront des promesses tenues et des engagements que le Gouvernement met en oeuvre, ça c'est indéniable. C'est plus que cela, c'est aussi un signal que l'on donne hors de France, en particulier à ceux des contribuables qui souhaitaient un petit peu échapper à l'impôt français, au motif qu'il aurait été trop élevé, beaucoup plus élevé que la moyenne européenne. On leur dit "non ce n'est pas le cas". Avec un bouclier fiscal à 50 %, avec l'inclusion de toutes les impositions directes pour le calcul du bouclier, la France est véritablement un lieu attractif vers lequel vous pouvez revenir et sur lequel vous devez rester. Et dans lequel, vous pouvez très clairement investir de manière profitable.

Q.- C'est ce qui vous faisait dire que 93 % du paquet fiscal concerne des mesures bénéficiant à tous et les 7 % restants c'est le signal.

R.- Tout à fait, tout à fait. J'ai oublié dans les mesures bénéficiant à tous, le crédit d'impôt dont bénéficient ceux qui s'endettent pour acheter leur résidence principale.

Q.- Les mesures du paquet fiscal, c'est les heures supplémentaires notamment, c'est la mise en musique du fameux slogan : « Travailler plus pour gagner plus ». Combien d'heures sup., combien d'argent en plus pour les ménages ?

R.- Ça cela va dépendre, évidemment : un, du travail disponible et deux, de la décision des employeurs d'offrir des heures supplémentaires. Je crois qu'aujourd'hui il y a une véritable demande des employeurs dans les entreprises pour plus de flexibilité, plus de souplesse et pour recourir à du travail supplémentaire. Alors par exemple un salarié qui va travailler quatre heures par semaine en heure supplémentaire, et donc qui au lieu de faire 35 heures fera 39 heures, eh bien verra sa feuille de paie à la fin du mois majorée d'à peu près 1.400 euros supplémentaires c'est important.

Q.- C. Lagarde, comment faites vous pour financer les 10 milliards et plus du paquet fiscal, accorder des rallonges à la Justice et à l'Enseignement supérieur, garder le budget 2008 égal en volume à celui de 2007 et faire passer le déficit de 2,5 % du PIB cette année à 2,3 % l'an prochain ? Vous faites rentrer Harry Potter au Gouvernement ?

R.- Non, d'abord le déficit envisagé pour cette année est en principe de 2,4 et pas de 2,5. Et notre engagement pour l'année prochaine dans le cadre du budget qui est en cours de finalisation maintenant, ce sera 2,3. Alors vous avez raison, on dépense d'un côté des sommes très importantes pour ce choc de confiance, pour la croissance, pour l'emploi et en même temps on a des engagements de rigueur, en particulier vis-à-vis de nos partenaires européens. Donc cela nécessite forcément de faire des économies et cela nécessite une rigueur impérative dans tous les secteurs. C'est pour ça que, premièrement, il va y avoir une revue générale de toutes les politiques publiques, c'est un exercice qui a commencé déjà et qui consiste, pour le Secrétariat général du gouvernement avec un certain nombre de conseils autour d'eux, à examiner chacune des politiques publiques dans tous les domaines : l'emploi, la culture, les affaires sociales, le logement, tout va être passé au peigne fin, pour vérifier que les dépenses sont opportunes et que chaque euro, engagé pour la France est un euro bien pesé et est un euro bien utilisé - ça c'est la première série de mesures. Deuxième série de mesures, qui ont déjà partiellement annoncées, c'est celles qu'avait pris le candidat à la présidence de la République, maintenant président de la République, N. Sarkozy, qui était de ne pas remplacer tous les fonctionnaires qui partaient en retraite. Et on est aujourd'hui, vous le savez sur un remplacement, légèrement réduit par rapport à l'engagement qui avait été pris, tout simplement, parce que, en particulier dans le domaine de l'Education nationale, il n'était pas possible de procéder exactement à l'engagement pris qui était de ne pas remplacer un sur deux départs.

Q.- Et là, ce sera un sur trois en moyenne. C'est vraiment un problème technique ou c'est pour ne pas avoir les syndicats sur le dos à la rentrée, les fonctionnaires dans la rue ?

R.- Non, c'est vraiment un problème technique parce que... enfin moi je ne suis pas le ministre de l'Education nationale et X. Darcos vous expliquerait cela beaucoup mieux que moi. Mais quand on met en place à la fois, l'école après l'école, ce qui est engagement pris par le président de la République, pour que les enfants puissent avoir un accompagnement scolaire, après la journée à l'école ou au lycée, quand on s'engage à maintenir une grande qualité de service dans l'Education nationale, il n'est pas possible aujourd'hui, compte tenu des départs, de ne remplacer qu'un sur deux. Donc c'est pour cette raison essentiellement et je crois, dans ce ministère-là en particulier que l'engagement va être revu à la baisse, tout simplement pour assurer la qualité technique et tenir l'engagement par ailleurs de l'école après l'école.

Q.- Bon, la réduction des déficits reste une priorité, pas forcément la priorité ?

R.- C'est à la fois, si vous voulez, l'ambition de la réforme et l'exigence de la rigueur - c'est une jolie formule. Mais cela veut dire que nous devons tenir nos engagements, parce que tout simplement, payer ses dettes c'est s'enrichir. Quand vous diminuez le passif, vous vous enrichissez et c'est l'engagement que nous avons à l'égard de nos partenaires européens, c'est celui que le président de la République a réaffirmé lors de la dernière réunion de l'Eurogroupe lorsqu'il est venu à Bruxelles avec moi, et nous devons tenir cet engagement, c'est un impératif. La France était trop endettée, elle est encore aujourd'hui trop endettée, nous devons continuer sur ce chemin de vertu et de rigueur. En même temps, cela nous permettra de répondre à cette exigence. Il faut mettre en place les réformes qui libèrent la croissance et qui permettent à la France de créer de la valeur et d'être à la hauteur du rôle qu'elle peut jouer dans le monde.

Q.- Madame le ministre, vous fondez vos calculs sur une hypothèse de croissance à 2,5 % l'an prochain, c'est ça ?

R.- Oui, tout à fait !

Q.- Et plus si affinité bien sûr. N. Sarkozy et F. Fillon ont chargé J. Attali de présider la Commission sur les freins à la croissance ; il rendra sa copie en novembre. Vous n'en avez pas déjà plein les armoires des rapports ?

R.- J'ai rencontré J. Attali hier et on a eu une très bonne réunion de travail. Il y a des rapports plein les armoires ! Donc, il faut faire, un, une synthèse de ce qui existe, le tri de ce qui est bon et surtout l'évaluation de ce qui peut véritablement être mis en oeuvre, parce que c'est ça qui va compter. De la réflexion, des rapports, on sait faire. Maintenant, ce qu'il faut c'est véritablement délivrer, c'est-à-dire mettre en oeuvre, exécuter celles des mesures qui vont être le plus rapidement efficaces et qui seront vraiment des accélérateurs de croissance, des accélérateurs de création d'emploi et des développeurs de pouvoir d'achat.

Q.- Les chiffres du chômage pour le mois de juin sont bons, 8 %. Quels sont les freins qui restent à faire sauter si on veut parvenir au plein emploi d'ici 2012 ?

R.- Première observation, les chiffres sont bons et surtout ce qui m'importe, parce que les chiffres, on les verra évoluer au fil de telle appréciation, de telle définition, de telle requalification, ici ou là. Ce qui m'importe moi beaucoup, c'est la tendance : c'est que depuis plus de deux ans, on est tendanciellement, systématiquement dans un mouvement de baisse du chômage et d'augmentation des créations d'emploi marchand, ça c'est fondamental ! Deuxième observation, cela affecte tout le monde, c'est-à-dire, les salariés seniors et les salariés juniors. Il va falloir que l'on continue à véritablement mettre l'accent sur ces deux moments de la vie, quand les jeunes entrent...

Q.- Poursuivre les efforts !

R.- Alors poursuivre les efforts et peut-être essayer de les coupler, moi je crois beaucoup à la vertu de la transmission des savoirs par les anciens et de la formation des jeunes. On a un immense problème de formation professionnelle à l'entrée et pendant toute la vie active. Il faut impérativement qu'on essaye de coupler formation professionnelle, lutte contre le chômage de manière plus efficace en reliant les deux bouts de la chaîne, à la fois les jeunes et les anciens, puisque c'est là qu'on a les plus forts taux de chômage.

Q.- Et réfléchir quand même a davantage de souplesse sur le marché du travail ?

R.- Ça c'est un impératif, c'est un impératif, et vous savez ce n'est pas de l'ultra libéralisme, ce n'est pas du jusqu'auboutisme, c'est simplement l'observation que je tire de tous les entretiens que j'ai eus, avec tous les investisseurs étrangers susceptibles d'investir dans le monde. Tous ont dit la même chose : la France formidable, mais rigidité excessive du marché du travail d'une part, charges excessives - mais bon, ça, on le dit un peu pour tous les pays et à chaque fois qu'on est un investisseur, on trouve toujours qu'on paye trop et nous aussi, on trouve tous qu'on paie évidemment trop d'impôts. Mais la rigidité sur le marché du travail, c'est l'antienne qui est répétée systématiquement. Donc je crois que sans remettre en cause les droits, sans remettre en cause les contributions et sans dévaloriser d'une quelconque manière le travail, ceux qui le font et ceux qui représentent les salariés, il faut impérativement qu'on amène de la flexibilité, en même temps que de la sécurité.

Q.- Le contrat unique, fait partie de la lettre de mission que vous a remise N. Sarkozy. Vous avancez comment sur ce dossier ? Prudemment !

R.- Sur toutes les questions concernant l'emploi, ma démarche sera la suivante, et on a déjà commencé : j'ai rencontré les partenaires sociaux, nous avons évoqué les différents chantiers qui m'ont été confiés ; ils ont eux même entamé depuis le 4 juillet une négociation avec les organisations patronales. Et moi, ce que je souhaite, c'est laisser les négociations prendre. Les laisser faire un certain nombre de propositions et si possible aboutir à des conclusions. Si tout cela ne fonctionne pas, à ce moment-là, je reprendrai la main et, dans le cadre d'un cycle de discussions que nous allons avoir sur les questions, en particulier d'emploi, eh bien si les partenaires sociaux n'étaient pas parvenus à trouver un accord sur tous les points qui m'ont été confiés, dans ma lettre de mission, à ce moment-là, je ferai des propositions au Parlement.

Q.- Cela se situe où sur le calendrier ça ?

R.- Ce sera à la fin de l'année.

Q.- Vous faites les magasins quelquefois le dimanche ?

R.- Si je pouvais le faire, je le ferais volontiers.

Q.- Vous souhaitez que la question de l'ouverture dominicale soit tranchée, ou vous pensez que le système actuel des dérogations peut convenir encore, être assoupli peut-être ?

R.- Moi je crois que c'est un des exemples où on doit probablement appliquer une méthode de flexibilité et de souplesse. C'est-à-dire que toutes les zones de chalandise ne sont pas les mêmes, toutes les agglomérations ne se ressemblent pas. Et que vous viviez dans une ville de 40.000 habitants ou dans une ville de 200.000 ou dans une grande ville comme Paris, votre besoin de consommer va être différent. La faculté des commerçants d'offrir des produits va être différente et le rôle joué par le commerçant sera différent. Donc je ne pense pas que l'on puisse avoir une règle absolument généralisée et je crois beaucoup aux vertus, un : des systèmes de dérogation intelligents, deux, au rôle joué par le représentant de l'Etat dans les collectivités. Je pense que le préfet, en particulier peut jouer un rôle important, puisqu'il apprécie beaucoup mieux les exigences locales. C'est un des points qu'avec J. Attali nous allons évidemment pouvoir évoquer, enfin que lui va traiter bien sûr dans son projet et dont je me saisirai ensuite.

Q.- Vous partez en vacances Madame le Ministre ?

R.- Oui, je vais partir demain soir,

Q.- C'est vrai que vous avez consigne de l'Elysée de ne pas couper vos portables ?

R.- (Rires). Il faut qu'on soit joignable dans l'heure.

Q.- C. Lagarde, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, bonnes vacances et merci d'être passée nous voir ce matin sur France Inter.