Texte intégral
Q - Cent jours au Quai d'Orsay, vous ne regrettez rien ?
R - Je ne regrette rien. J'avance.
Q - Etes-vous un ministre des Affaires étrangères heureux ?
R - Je suis un ministre presque complètement heureux. Le Quai d'Orsay, c'est une maison lourde, mais exaltante.
Q - Comment peut-on aller aujourd'hui à Bagdad, au coeur d'un pays sous les bombes, sans gilet pare-balles ?
R - Je ne mets de gilet pare-balles que quand mes interlocuteurs en ont. Là, c'était donc exclu puisque mon homologue irakien n'allait pas en porter. C'est sa vie quotidienne.
Q - Bagdad, ce doit être impressionnant...
R - Disons qu'aller à Bagdad c'est impressionnant, et j'espère, utile.
Q - Parce qu'il se joue là-bas des choses décisives ?
R - Oui, mais on ne le savait pas puisqu'on ne voulait plus y aller. On ne s'intéressait qu'aux Américains. Intéressons-nous aux Irakiens. L'un de mes proches, qui parle l'arabe, a entendu, lors de mon séjour, ce que se disaient deux responsables irakiens : "il nous rend l'honneur".
Q - Parce que vous les preniez au sérieux ?
R - Pas seulement cela ! On les a sortis de leur ostracisme et de leur tête-à-tête avec les Américains.
Q - Qu'avez-vous appris sur place ?
R - La nécessité pour la France d'être présente dans les crises. La tentation de la France, c'était de se détourner du problème et de le laisser aller au comble de l'horreur, bref au fond de l'impasse. Or, nous dépendons tous de ce qui va sa passer dans cette région du monde. Et puis je n'oublie pas les Irakiens. On prétend que j'aurais été pour la guerre. Faux. Ma position, c'était : ni la guerre ni Saddam, et j'en appelais à la solution par l'ONU. A Bagdad, j'ai rappelé plusieurs foIs que nous n'avions pas été d'accord avec l'entreprise américaine et, surtout, avec la manière dont elle a été menée. Nous n'avons pas changé.
Q - Que peut proposer la France ?
D'abord, je n'ai jamais proposé une conférence entre Irakiens. Je ne suis pas assez naïf pour cela. Pour les Libanais, que j'ai réunis à la Celle Saint-Cloud, c'était différent : ils ne se parlaient plus depuis un an ! Je souhaite, pour commencer, que les ministres et les populations d'Europe s'intéressent à nouveau à l'Irak. L'Irak, c'est aussi notre affaire.
Q - Prévoyez-vous d'aller prochainement à Damas ?
R - Nous avons toujours dit que, si la Syrie ne fait pas obstacle à la souveraineté du Liban et aux élections présidentielles libanaises, qui doivent se dérouler entre le 24 septembre et le 24 novembre, alors l'ouverture de la France à l'égard de Damas serait spectaculaire. Mais, pour cela, il nous fait des garanties. Quand il y a une crise, le rôle de la France, c'est d'être présente. Car chaque fois c'est un peu du destin du monde qui se joue. Au Quai d'Orsay, j'entends incarner la rencontre - longtemps conflictuelle - entre l'humanitaire et la diplomatie traditionnelle. Dans les crises, nous savons nous débrouiller, pas seuls bien entendu. Et surtout pas en ignorant l'ennemi. Seuls les gens bornés ne parlent pas à leurs ennemis.
Q - Irez-vous en Iran ?
R - Pourquoi pas, si c'est utile pour la paix ? A l'égard de l'Iran, nous voulons être fermes car il y aurait grand danger si ce pays se dotait de l'arme atomique. Nous négocierons à fond tout en nous préparant à accentuer la pression, si nécessaire.
Q - Où en sont, aujourd'hui, les relations franco-américaines ?
R - J'ai d'excellentes relations avec Condoleezza Rice. Même si les Républicains sont parfois un peu "rudes". Oui, nous sommes amis avec les Américains. Oui, ce sont nos alliés. Mais nous ne sommes pas toujours d'accord avec eux et nous le leur disons. Cela dit, nous ne cultivons pas l'anti-américanisme comme fondement de notre politique. Cela, c'est peut-être un petit changement.
Q - Où en sont vos relations avec l'Afrique ?
R - Je suis un vieux de la vieille. J'étais avec François Mitterrand sur les plages de La Baule quand il a fallu le convaincre de faire son fameux discours sur la démocratie en Afrique. Eh bien, cela a marché. Nous avons notre place en Afrique. Nous avons une manière d'être, d'écouter, de procéder, de vivre avec les Africains : il faut préserver ces relations-là, cette culture commune. Je me bats pour avoir une marge de manoeuvre un peu plus importante pour le développement. Car ce n'est pas en fermant notre porte que l'on empêchera les pauvres de venir chez nous, mais en jouant à fond la carte du développement.
Q - Est-ce grave que vous ayez été tenu à l'écart de la libération des infirmières bulgares ?
R - Quand un président de la République, élu au suffrage universel et avec quel score, veut prendre en mains un dossier, il le prend. Moi, des dossiers, je n'en manque pas. Je pense, par exemple, au drame du Darfour pour lequel j'ai organisé une conférence de tous les pays concernés à Paris. Le Darfour où, après la résolution votée à l'unanimité au Conseil de sécurité des Nations unies, les soldats de l'ONU seront là à partir d'octobre. Cela sert à quelque chose, la diplomatie de la France ! Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy, comme il l'avait promis, s'est occupé du dossier des infirmières.
Q - Et le rôle de Cécilia Sarkozy dans tout cela ?
R - Oui, elle a joué un grand rôle, et cela a réussi. Félicitations. Je me souviens des missions que Danielle Mitterrand et moi avons accomplies naguères au Kurdistan irakien en passant les frontières. Nous allions témoigner des ravages de l'arme chimique utilisée à Halabja. Nous avons même été les cibles d'un attentat de Saddam Hussein, qui a fait dix-huit morts. Ce qu'a fait Cécilia n'est peut-être pas conforme aux habitudes, mais que vaut le conformisme au regard d'une libération d'otages ? Le PS n'a-t-il rien d'autre à se mettre sous la dent ? On libère les infirmières, comme le monde entier est tenté de le faire et on nous le reprocherait presque ! Que le Parti socialiste demande aux infirmières ce qu'elles pensent de Cécilia Sarkozy !
Q - Mme Sarkozy doit-elle être entendue par la commission d'enquête parlementaire ?
R - C'est son affaire. Quant à moi, je serai entendu.
Q - Nicolas Sarkozy a dit vendredi : "j'irai chercher Ingrid Betancourt aussi". Elle serait donc toujours vivante ?
R - Nous espérons recueillir des preuves de vie. Dans cette affaire, nous sommes acharnés, mais il y a des milliers de prisonniers des Farc en Colombie, dit-on, dont certains détenus depuis dix ans. En Amérique latine, certains groupes sont des résidus du guévarisme, d'une lutte armée complètement obsolète. Ils se battent pour changer le monde. C'est très compliqué.
Q - Que vous inspire aujourd'hui le PS ?
R - La situation du PS m'attriste. Mais il est probablement nécessaire que le PS en passe par cette phase saumâtre et peu exaltante pour qu'une gauche responsable puisse se ressaisir. Je leur souhaite bonne chance. J'espère que cela se passera bien à La Rochelle. Mais vous savez pourquoi tant d'hommes et de femmes se détournent du PS ? Parce qu'on leur a menti trop souvent. Pourtant, ce n'est pas faute qu'un certain nombre de gens - dont j'étais - ait indiqué les pistes à suivre. J'ai parlé ou écrit sur la social-démocratie, mais on a maintenant vingt ans de retard. Il faut changer de vocabulaire comme de logiciel. Demandez aux socialistes européens ce qu'ils pensent de leurs camarades français : les bras leur en tombent ! L'involution du PS, ils n'y comprennent rien. On y est presque considéré comme un traître quand on pense d'abord au pays, et pas à l'idéologie. Je vais en Irak pour les Irakiens qui meurent par milliers, et pour nous, pour l'avenir de nos enfants et ils protestent, exigeant qu'on ne fasse rien ! Pourtant, on aurait besoin d'une gauche forte, d'une alternative. Moi, j'en ai marre de la critique permanente. Je ne dis pas cela parce que je suis dans le gouvernement Fillon. Avant, je le disais déjà, je l'écrivais partout. Oui, j'en ai marre de la fausse guéguerre civile. J'en ai marre qu'on fasse la tronche en permanence et que, dans le dossier libyen, on ne parle presque pas des victimes, des infirmières bulgares ou des enfants libyens malades du sida.
Q - Comment expliquez-vous que vous soyez, à en croire les sondages, si populaire ?
R - Peut-être parce que parle comme ça ! ... Peut-être parce que les gens en ont assez des monomaniaques et m'estiment sincère. Ces arrogants qui nous font en permanence la leçon, qu'ont-ils fait de leur vie ? Veulent-ils absolument continuer à perdre ? Quand comprendront-ils que les mutations des Français les prennent de vitesse en permanence ?
Q - Vous considérez-vous toujours comme socialiste ?
R - Bien sûr ! ... Et c'est ainsi que Nicolas Sarkozy me présente toujours. Je reste social-démocrate. Il faut, cela va de soi, une opposition, mais il était temps que ce pays bouge. Or, enfin, il bouge.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 août 2007
R - Je ne regrette rien. J'avance.
Q - Etes-vous un ministre des Affaires étrangères heureux ?
R - Je suis un ministre presque complètement heureux. Le Quai d'Orsay, c'est une maison lourde, mais exaltante.
Q - Comment peut-on aller aujourd'hui à Bagdad, au coeur d'un pays sous les bombes, sans gilet pare-balles ?
R - Je ne mets de gilet pare-balles que quand mes interlocuteurs en ont. Là, c'était donc exclu puisque mon homologue irakien n'allait pas en porter. C'est sa vie quotidienne.
Q - Bagdad, ce doit être impressionnant...
R - Disons qu'aller à Bagdad c'est impressionnant, et j'espère, utile.
Q - Parce qu'il se joue là-bas des choses décisives ?
R - Oui, mais on ne le savait pas puisqu'on ne voulait plus y aller. On ne s'intéressait qu'aux Américains. Intéressons-nous aux Irakiens. L'un de mes proches, qui parle l'arabe, a entendu, lors de mon séjour, ce que se disaient deux responsables irakiens : "il nous rend l'honneur".
Q - Parce que vous les preniez au sérieux ?
R - Pas seulement cela ! On les a sortis de leur ostracisme et de leur tête-à-tête avec les Américains.
Q - Qu'avez-vous appris sur place ?
R - La nécessité pour la France d'être présente dans les crises. La tentation de la France, c'était de se détourner du problème et de le laisser aller au comble de l'horreur, bref au fond de l'impasse. Or, nous dépendons tous de ce qui va sa passer dans cette région du monde. Et puis je n'oublie pas les Irakiens. On prétend que j'aurais été pour la guerre. Faux. Ma position, c'était : ni la guerre ni Saddam, et j'en appelais à la solution par l'ONU. A Bagdad, j'ai rappelé plusieurs foIs que nous n'avions pas été d'accord avec l'entreprise américaine et, surtout, avec la manière dont elle a été menée. Nous n'avons pas changé.
Q - Que peut proposer la France ?
D'abord, je n'ai jamais proposé une conférence entre Irakiens. Je ne suis pas assez naïf pour cela. Pour les Libanais, que j'ai réunis à la Celle Saint-Cloud, c'était différent : ils ne se parlaient plus depuis un an ! Je souhaite, pour commencer, que les ministres et les populations d'Europe s'intéressent à nouveau à l'Irak. L'Irak, c'est aussi notre affaire.
Q - Prévoyez-vous d'aller prochainement à Damas ?
R - Nous avons toujours dit que, si la Syrie ne fait pas obstacle à la souveraineté du Liban et aux élections présidentielles libanaises, qui doivent se dérouler entre le 24 septembre et le 24 novembre, alors l'ouverture de la France à l'égard de Damas serait spectaculaire. Mais, pour cela, il nous fait des garanties. Quand il y a une crise, le rôle de la France, c'est d'être présente. Car chaque fois c'est un peu du destin du monde qui se joue. Au Quai d'Orsay, j'entends incarner la rencontre - longtemps conflictuelle - entre l'humanitaire et la diplomatie traditionnelle. Dans les crises, nous savons nous débrouiller, pas seuls bien entendu. Et surtout pas en ignorant l'ennemi. Seuls les gens bornés ne parlent pas à leurs ennemis.
Q - Irez-vous en Iran ?
R - Pourquoi pas, si c'est utile pour la paix ? A l'égard de l'Iran, nous voulons être fermes car il y aurait grand danger si ce pays se dotait de l'arme atomique. Nous négocierons à fond tout en nous préparant à accentuer la pression, si nécessaire.
Q - Où en sont, aujourd'hui, les relations franco-américaines ?
R - J'ai d'excellentes relations avec Condoleezza Rice. Même si les Républicains sont parfois un peu "rudes". Oui, nous sommes amis avec les Américains. Oui, ce sont nos alliés. Mais nous ne sommes pas toujours d'accord avec eux et nous le leur disons. Cela dit, nous ne cultivons pas l'anti-américanisme comme fondement de notre politique. Cela, c'est peut-être un petit changement.
Q - Où en sont vos relations avec l'Afrique ?
R - Je suis un vieux de la vieille. J'étais avec François Mitterrand sur les plages de La Baule quand il a fallu le convaincre de faire son fameux discours sur la démocratie en Afrique. Eh bien, cela a marché. Nous avons notre place en Afrique. Nous avons une manière d'être, d'écouter, de procéder, de vivre avec les Africains : il faut préserver ces relations-là, cette culture commune. Je me bats pour avoir une marge de manoeuvre un peu plus importante pour le développement. Car ce n'est pas en fermant notre porte que l'on empêchera les pauvres de venir chez nous, mais en jouant à fond la carte du développement.
Q - Est-ce grave que vous ayez été tenu à l'écart de la libération des infirmières bulgares ?
R - Quand un président de la République, élu au suffrage universel et avec quel score, veut prendre en mains un dossier, il le prend. Moi, des dossiers, je n'en manque pas. Je pense, par exemple, au drame du Darfour pour lequel j'ai organisé une conférence de tous les pays concernés à Paris. Le Darfour où, après la résolution votée à l'unanimité au Conseil de sécurité des Nations unies, les soldats de l'ONU seront là à partir d'octobre. Cela sert à quelque chose, la diplomatie de la France ! Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy, comme il l'avait promis, s'est occupé du dossier des infirmières.
Q - Et le rôle de Cécilia Sarkozy dans tout cela ?
R - Oui, elle a joué un grand rôle, et cela a réussi. Félicitations. Je me souviens des missions que Danielle Mitterrand et moi avons accomplies naguères au Kurdistan irakien en passant les frontières. Nous allions témoigner des ravages de l'arme chimique utilisée à Halabja. Nous avons même été les cibles d'un attentat de Saddam Hussein, qui a fait dix-huit morts. Ce qu'a fait Cécilia n'est peut-être pas conforme aux habitudes, mais que vaut le conformisme au regard d'une libération d'otages ? Le PS n'a-t-il rien d'autre à se mettre sous la dent ? On libère les infirmières, comme le monde entier est tenté de le faire et on nous le reprocherait presque ! Que le Parti socialiste demande aux infirmières ce qu'elles pensent de Cécilia Sarkozy !
Q - Mme Sarkozy doit-elle être entendue par la commission d'enquête parlementaire ?
R - C'est son affaire. Quant à moi, je serai entendu.
Q - Nicolas Sarkozy a dit vendredi : "j'irai chercher Ingrid Betancourt aussi". Elle serait donc toujours vivante ?
R - Nous espérons recueillir des preuves de vie. Dans cette affaire, nous sommes acharnés, mais il y a des milliers de prisonniers des Farc en Colombie, dit-on, dont certains détenus depuis dix ans. En Amérique latine, certains groupes sont des résidus du guévarisme, d'une lutte armée complètement obsolète. Ils se battent pour changer le monde. C'est très compliqué.
Q - Que vous inspire aujourd'hui le PS ?
R - La situation du PS m'attriste. Mais il est probablement nécessaire que le PS en passe par cette phase saumâtre et peu exaltante pour qu'une gauche responsable puisse se ressaisir. Je leur souhaite bonne chance. J'espère que cela se passera bien à La Rochelle. Mais vous savez pourquoi tant d'hommes et de femmes se détournent du PS ? Parce qu'on leur a menti trop souvent. Pourtant, ce n'est pas faute qu'un certain nombre de gens - dont j'étais - ait indiqué les pistes à suivre. J'ai parlé ou écrit sur la social-démocratie, mais on a maintenant vingt ans de retard. Il faut changer de vocabulaire comme de logiciel. Demandez aux socialistes européens ce qu'ils pensent de leurs camarades français : les bras leur en tombent ! L'involution du PS, ils n'y comprennent rien. On y est presque considéré comme un traître quand on pense d'abord au pays, et pas à l'idéologie. Je vais en Irak pour les Irakiens qui meurent par milliers, et pour nous, pour l'avenir de nos enfants et ils protestent, exigeant qu'on ne fasse rien ! Pourtant, on aurait besoin d'une gauche forte, d'une alternative. Moi, j'en ai marre de la critique permanente. Je ne dis pas cela parce que je suis dans le gouvernement Fillon. Avant, je le disais déjà, je l'écrivais partout. Oui, j'en ai marre de la fausse guéguerre civile. J'en ai marre qu'on fasse la tronche en permanence et que, dans le dossier libyen, on ne parle presque pas des victimes, des infirmières bulgares ou des enfants libyens malades du sida.
Q - Comment expliquez-vous que vous soyez, à en croire les sondages, si populaire ?
R - Peut-être parce que parle comme ça ! ... Peut-être parce que les gens en ont assez des monomaniaques et m'estiment sincère. Ces arrogants qui nous font en permanence la leçon, qu'ont-ils fait de leur vie ? Veulent-ils absolument continuer à perdre ? Quand comprendront-ils que les mutations des Français les prennent de vitesse en permanence ?
Q - Vous considérez-vous toujours comme socialiste ?
R - Bien sûr ! ... Et c'est ainsi que Nicolas Sarkozy me présente toujours. Je reste social-démocrate. Il faut, cela va de soi, une opposition, mais il était temps que ce pays bouge. Or, enfin, il bouge.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 août 2007