Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, sur ses priorités en matière de défense des droits de l'homme, à Paris le 28 août 2007.

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Circonstance : XVe conférence des ambassadeurs, à Paris du 27 au 29 août 2007

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui est celui-ci : "entre valeurs et intérêts : quelle politique pour la France et pour l'Union européenne ?".
Concilier valeurs et intérêts : c'est tout l'objet de ma fonction de secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'homme.
Mais voilà, les observateurs me présentent souvent comme secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme. La formule me fait quelquefois sursauter. Pour deux raisons :
- d'abord, à cause de sa démesure : s'agirait-il pour moi de porter sur mes épaules toutes les souffrances de la planète et de remédier à chacune d'entre elles ? Quand on a trente ans, c'est une mission bien séduisante que de vouloir sauver le monde. J'avoue que l'envie d'être partout et d'intervenir sur tout me taraude souvent, par conviction, par souci de vouloir bien faire mais aussi parce qu'on peut me reprocher une absence de réaction ou une réaction tardive. Mais je ne crois pas que ce soit ce que le président de la République et le Premier ministre m'ont demandé de faire ;
- ensuite à cause de son ambiguïté : s'agit-il de promouvoir les Droits de l'Homme dans le monde ou les Droits de l'Homme en France ? Je reçois des réclamations concernant le droit au logement, les droits des homosexuels, les droits des sans papiers et tout cela en France. Mais voilà : mon secrétariat d'Etat est rattaché au Quai d'Orsay, sous l'autorité de Bernard Kouchner. Il s'agit donc normalement de promouvoir les Droits de l'Homme à l'étranger. Cela suppose t-il que je me taise si, en France, se produisait une violation grave de certains droits ? Je ne le crois pas.
Mon secrétariat d'Etat est inédit. Il y a bien eu un secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères (Renaud Muselier) et un secrétaire d'Etat aux Droits de l'Homme (Claude Malhuret, rattaché au Premier ministre) : chacun d'entre eux m'a fait part de leurs difficultés de leurs missions si particulières. On imagine aisément que la mienne, fusion de leurs deux portefeuilles, ne sera sans doute pas simple. Mais je l'assume avec conviction et enthousiasme, sous l'autorité de notre président de la République déterminé à placer les Droits de l'Homme au coeur de notre politique étrangère. Et dans la mesure où celle-ci est portée à la fois par le chef de l'Etat, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner et ses deux autres secrétaires d'Etat, Jean-Pierre Jouyet et Jean-Marie Bockel, il nous revient à tous - et pas seulement à moi - de prendre en compte cette donnée dans notre politique extérieure.
Plus spécifiquement, je me sens la gardienne et l'exécutrice de la profession de foi de l'ex-candidat UMP qui déclarait le 28 février dernier : "notre identité démocratique nous destine à promouvoir la liberté et le respect des droits de l'individu dans le monde" ; "valeurs et intérêts, en réalité, se rejoignent. Il faut refuser l'opposition stérile entre réalisme et idéalisme". Et le 6 mai dernier, au soir de sa victoire, il ajoutait : "Je veux lancer un appel à tous ceux qui dans le monde croient aux valeurs de tolérance, de démocratie et d'humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisées dans le monde pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu'ils peuvent compter sur elles".
Sans parler de la tonalité très humaniste de son discours d'hier devant la Conférence des ambassadeurs, comme vous avez pu vous en rendre compte.
Ainsi, dès son entrée en fonctions, Nicolas Sarkozy a voulu mettre en adéquation ses déclarations avec ses gestes, avec l'affaire Ingrid Betancourt par exemple. Il a enregistré un succès éclatant avec la libération des infirmières bulgares et du médecin bulgare d'origine palestinienne.
Bien évidemment, les polémiques qui ont accompagné la libération des infirmières montrent qu'il n'est pas facile de concilier la promotion des Droits de l'Homme et la défense de nos intérêts.
A une échelle plus modeste, c'est-à-dire la mienne, j'expérimente fréquemment cette contradiction dans mes déplacements : il n'est pas facile de réaffirmer l'amitié entre deux peuples et, dans le même temps, d'attirer l'attention de nos interlocuteurs sur la nécessité pour eux de respecter les Droits de l'Homme. Seulement, il me faut bien me jeter à l'eau car, à l'étranger, je me dois de représenter le pays des Droits de l'Homme. Et mon secrétariat d'Etat doit contribuer à faire avancer la cause des Droits de l'Homme.
La difficulté vient également du fait que la France, dans sa volonté de promouvoir les Droits de l'Homme, est souvent accusée d'être arrogante, de donner des leçons, de faire de l'ingérence, de se mêler des affaires des autres. Mais je crois qu'il s'agit là d'un faux procès. Je ne crois pas que nous soyons arrogants. Nous avons un devoir vis-à-vis de l'histoire parce que nous avons été considérés, et nous le sommes toujours, comme le pays des Droits de l'Homme. Ce n'est pas par hasard non plus si c'est à Paris qu'a été adoptée la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, dont nous célébrerons le 60ème anniversaire en 2008. Nous nous devons d'être à la hauteur de cette réputation, quitte quelquefois à être transgressif. Autrement, le risque est grand de renvoyer cette question aux organisations non gouvernementales, à la présidence européenne ou encore aux Nations unies.
Il est vrai toutefois que cette transgression peut nous coûter cher, notamment en termes d'intérêts. C'est l'argument que l'on avance notamment à propos de la Chine. Mais je ne suis pas convaincue par cette position : après tout, les Etats-Unis, tout en concluant des contrats commerciaux avec les Chinois, n'hésitent pas à évoquer la question des prisonniers politiques avec eux. Par ailleurs, je pense que l'on ne peut pas, à un an de la tenue des Jeux olympiques à Pékin, ignorer cette question. Sans vexer, sans blesser, sans humilier, je pense qu'on peut rappeler la Chine à ses droits. Elle sera bientôt la vitrine du monde. De ce fait, elle ne peut se permettre d'offrir une image régressive de l'olympisme. C'est pour cela que j'ai prévu, dans un premier temps, de rencontrer M. Rogge qui préside le CIO, pour qu'il pousse la Chine à faire des efforts substantiels.
Les Français ne comprendraient pas nos silences face à certaines violations des Droits de l'Homme qui les choquent. Notre activisme en la matière doit toutefois se baser sur une méthode. Ainsi, face à une certaine impatience médiatique, il faut savoir rester discret pour être efficace. Je pense par exemple à la Tunisie. Il me semble que, si l'on veut obtenir la libération d'un prisonnier politique comme Maître Abbou, la discrétion doit, dans un premier temps, être de mise. Plutôt que de créer du tapage médiatique pour bien me faire voir et risquer ainsi la vie de ce prisonnier, j'ai d'abord le devoir d'expliquer aux autorités tunisiennes pourquoi l'emprisonnement de cet homme est choquant et nuit à l'image de la Tunisie dans le monde. En procédant ainsi, j'essaie d'éviter de montrer du doigt les autorités tunisiennes, de blesser ou d'insulter, ce qui n'aurait pour résultat que de "braquer" les autorités en question et de prolonger le calvaire du prisonnier. Cette méthode peut s'avérer efficace puisqu'au retour de mon voyage en Tunisie, l'avocat tunisien a été libéré. Si tel n'avait pas été le cas, il aurait été alors temps de prendre l'opinion et les médias à témoin.
La méthode n'interdit pas la fermeté. Je n'accepte pas, par exemple, que les Droits de l'Homme soient remis en cause par certains pays qui considèrent que le développement économique doit primer sur le respect des droits humains ou qui préfèrent le particularisme de leur culture à l'universalité de ces droits. En ce qui me concerne, je ne crois pas du tout à l'approche culturaliste, parce que si j'ai du respect pour les traditions de certains pays, je considère qu'on ne peut résolument pas, au nom de ces traditions, accepter que des femmes soient lapidées pour adultère. On ne peut pas non plus au nom de ces traditions accepter que des femmes s'immolent par le feu après un viol ou pour échapper à un mariage forcé, ou après ledit mariage forcé.
A l'inverse, il est important de ne pas confondre "Droits de l'Homme" et "droit de l'hommisme". La promotion des Droits de l'Homme, ce n'est pas les droits à tout et à n'importe quoi. Pour moi, c'est avant tout le droit à vivre. Et le droit de vivre dans la sécurité et dans la paix. Il ne faut pas brader ce droit élémentaire.
C'est pour cela qu'il faut des principes d'action.
Ainsi, pour éviter cette accusation d'arrogance, dont je vous parlais, ce préjugé d'arrogance qu'on a vis-à-vis de nous, je crois que la France doit être crédible.
Nous ne devons pas bafouiller quand le représentant d'un Etat-voyou nous dit : "Avant de venir nous faire la leçon, balayez d'abord devant votre porte". Alors, balayons devant notre porte. Regardons notre situation intérieure. Après tout, le génie des démocraties comme la nôtre, n'est-il pas qu'elles reconnaissent leur perfectibilité. J'ai donc proposé que notre pays fasse le point sur l'ensemble des condamnations de la France par les institutions internationales, notamment la Cour européenne des Droits de l'Homme.
Ensuite, je pense qu'il est important d'intégrer, comme je vous l'ai annoncé tout à l'heure, la défense des Droits de l'Homme dans notre action diplomatique. Pour cela, il est important, sur le plan organisationnel, de ne pas la marginaliser dans des sous-directions très spécialisées du Quai d'Orsay.
Il est également primordial de mettre fin à ce fossé qu'il y a entre notre activisme à parler des Droits de l'Homme et notre fréquente discrétion sur le plan bilatéral. Ainsi, en déplacement en Moldavie dont l'ambition première, comme vous le savez, est d'intégrer l'Union européenne, j'ai tenu à évaluer la situation des femmes moldaves, notamment celles qui sont victimes des réseaux de traite des femmes. En Libye, une fois que les infirmières bulgares ont été libérées, j'ai tenu à m'exprimer au journal télévisé du soir, pour dire que rien n'est fini et qu'il nous faut penser à ces personnels humanitaires et médicaux, occidentaux ou non, emprisonnés à l'étranger depuis de nombreuses années. De la même manière, les retrouvailles entre la France et le Sénégal ne doivent pas nous faire perdre de vue le fait que le procès d'Hissène Habré doit avoir lieu dans ce pays et qu'il est important que la France, souvent en pointe en matière de justice pénale internationale, aide le Sénégal à trouver les moyens financiers pour l'organisation de ce procès très attendu pas victimes de l'ex-président du Tchad.
Enfin, nous nous devons d'être en contact permanent avec les défenseurs des Droits de l'Homme partout où ils sont. Il est important que nos ambassades soient les avant-postes de la défense des Droits de l'Homme. Pour cela, elles doivent devenir des maisons des Droits de l'Homme afin que les militants des Droits de l'Homme, soucieux de faire part de leurs préoccupations, ne trouvent pas porte close. En France, nous ne devons pas hésiter à élargir nos partenariats à de nouveaux acteurs, très actifs désormais en matière de politique étrangère notamment dans leur dialogue avec les sociétés civiles, tels que les parlementaires ou les collectivités territoriales.
Enfin, je crois qu'il est important de tenir un discours cohérent. Parmi les nombreuses personnalités que j'ai rencontrées depuis ma prise de fonctions, certaines doutent de notre sincérité en matière de défense des Droits de l'Homme : elles dénoncent un système de "deux poids deux mesures", jugeant que la France et l'Union européenne préfèrent être forts avec les faibles et faibles avec les forts. Il est donc important pour nous de rééquilibrer notre politique de promotion de Droits de l'Homme, en alertant autant sur la situation des droits humains dans les pays pauvres que sur celle de pays comme les Etats-Unis ou la Russie.
Pour mettre en oeuvre ces principes et cette méthode, j'ai voulu définir trois priorités de mon action future.
La première concerne les femmes et les enfants qui sont les premières victimes des sociétés archaïques ou des conflits.
La deuxième porte sur la Justice pénale internationale qui permet, grâce à des instruments juridiques de lutte contre l'impunité, de montrer que les Droits de l'Homme ne sont pas que des mots.
Enfin, ma troisième priorité est la liberté d'expression, en particulier la liberté de la presse.
En 2008, deux événements nous permettront de faire le point sur la situation des Droits de l'Homme dans le monde : le 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et la Présidence française de l'Union européenne. Auparavant, dès le 17 octobre prochain, j'organiserai un colloque à Paris sur la doctrine française des Droits de l'Homme. Bien évidemment, l'implication de nos postes à l'étranger sera déterminante pour donner un écho mondial à ces initiatives dont je souhaiterais qu'elles marquent le retour de la France sur le terrain des Droits de l'Homme.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 septembre 2007