Interivew de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "Canal Plus" le 27 août 2007, sur le rôle des ministres sous la présidence de Nicolas Sarkozy et sur les nécessaires réformes structurelles pour la fonction publique.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

N. Iannetta.- Nous allons recevoir un ministre qui est sur le pont de l'actualité, Monsieur le ministre, E. Woerth, bonjour. Vous êtes ministre du Budget et de la Fonction publique. Je dis que vous êtes sur le pont de l'actualité parce que vos deux casquettes (si je puis dire) sont celles qui vont nous intéresser beaucoup en cette rentrée. Votre patron hier, F. Fillon, a fait sa rentrée médiatique sur TF1, d'abord vous l'avez trouvé comment ?

R.- Je l'ai trouvé très bon, mais ce n'est pas de la langue de bois, je l'ai trouvé très bon parce que je l'ai trouvé extrêmement serein, enfin, une forme de roc, quelque chose de très solide, et en même temps très tourné vers l'action.

Q.- Il faut l'être, quand on est Premier ministre de N. Sarkozy ?

R.- Oui, oui, Premier ministre de N. Sarkozy, c'est une certitude parce qu'il faut beaucoup agir et beaucoup tenter de changer les choses. Donc, cela demande une énergie absolument considérable, et en même temps c'est formidable, c'est comme ça qu'il faut faire son métier. Et puis en même temps Matignon lui-même, le rôle de Premier ministre en France est un rôle très complexe parce que tout vient sur Matignon à un moment donné, alors évidemment aujourd'hui avec une direction de l'Elysée extrêmement précise, nette, quotidienne. Et c'est ce qui fait que c'est une équipe, comme il l'a dit, je pense très efficace et reconnue par les Français aujourd'hui...

Q.- Cheville ouvrière, il a parlé de lui en terme de cheville ouvrière, donc quand on est Premier ministre et qu'on est cheville ouvrière, du coup quand on et ministre, on est quoi ?

R.- On collabore à la cheville ouvrière de l'ensemble du gouvernement, vous savez c'est un tout. Et d'ailleurs, je ne crois pas qu'on puisse gouverner en étant uniquement ministre sur son secteur et se désintéresser de ce qui se passe ailleurs. Ce n'est pas du tout le cas parce que si on veut gagner le point de croissance supplémentaire, c'est ce que le président de la République...

Q.- Le fameux point de croissance !

R.-...a souvent indiqué pendant sa campagne, évidemment aujourd'hui c'est ce que nous essayons de mettre en oeuvre. Il faut utiliser tous les outils disponibles. Cela va de l'Education nationale au droit du travail en passant par des mesures économiques et bien d'autres choses encore. Donc, c'est un sujet pluridisciplinaire, donc c'est nécessairement l'affaire du Président et du Premier ministre...

Q.- On va parler de ce point de croissance : comment le conquérir ? Vous venez de parler par exemple de l'Education nationale et on est en semaine de rentrée des classes pour les élèves qui font la rentrée de 4 jours, officiellement ce sera la semaine prochaine. 11.000 postes de fonctionnaires - ça, ça vous concerne - dans l'Education nationale en moins ; vous avez vu le rapport ce matin, un rapport accablant : "L'école au piquet" titre Libération, rapport accablant pour 40 % des élèves de primaire qui arrivent en 6ème sans avoir les connaissances de base. Evidemment les syndicats d'enseignants pointent les effectifs d'élèves qui augmentent et les effectifs proportionnels de professeurs qui diminuent, qu'est-ce que vous leur répondez ?

R.- Vous savez, des rapports... comme je n'ai pas vu ce rapport spécifiquement - et X. Darcos le commentera peut-être - mais je pense qu'il y a souvent des rapports comme ça sur l'école. On a une bonne école en France, globalement on peut en être évidemment satisfait. Cela dit, à partir du moment où on a dit ça, on n'a pas tout dit, il y a évidemment des zones d'ombre. Et il faut qu'on les traite et il faut aussi que les enfants sortent du système scolaire avec un métier, sortent du système scolaire avec les bagages nécessaires qui sont amenés par la nation d'une manière équitable entre tous, et c'est ça la réalité des choses. Donc on a un côté, une machine Education nationale qui est une machine très importante...

Q.- "Un mammouth", disait C. Allègre.

R.- Non, non, je ne me permettrai pas de dire ça, mais en tout cas une machine très huilée, une machine dans laquelle on a beaucoup investi depuis de nombreuses années, et puis en même temps des résultats qui ne sont pas toujours à la hauteur de ce qu'on peut en attendre. Donc, il faut réfléchir ensemble avec l'Education nationale, et je crois que c'est vrai pour d'autres sujets, mais c'est vrai tout particulièrement là-dessus parce que les professeurs... et puis pas que les professeurs, l'ensemble des personnels de l'Education nationale, c'est près de 50 %, pas tout à fait mais près de 50 % des fonctionnaires. Ce sont des budgets considérables (et à juste titre) que l'Etat consacre aux fonctionnaires, mais aussi et surtout à l'Education nationale, c'est le premier budget de la nation, il faut que le service rendu, l'efficacité soient au rendez-vous. C'est pour cela que je pense que ce sont des mesures structurelles, il faut sortir uniquement de la logique de moyens...

Q.- T. Joubert : Et ce sera aussi efficace avec moins de fonctionnaires dans l'Education nationale ?

R.- Oui parce que... bien sûr, on peut évidemment réduire le nombre de fonctionnaire. D'une manière générale, d'une manière générale, les salaires des fonctionnaires, c'est presque 40 % du montant du budget. On est en déficit, tout le monde le sait, un déficit qui se creuse, donc il faut bien sûr réfléchir à tout et réfléchir aussi à la masse salariale. Mais ce n'est pas suffisant une fois qu'on a dit ça. Il ne faut pas avoir uniquement une logique de moyens, c'est vrai pour l'Education nationale, je ne dis pas que les moyens, ce n'est pas important, je ne dis pas ça, il faut des moyens évidemment, mais il faut adapter justement les moyens aux missions que l'on désire remplir. Et donc, il faut une réflexion sur les missions, c'est ce qu'on fait aujourd'hui avec ce qu'on appelle "la révision générale des politiques publiques", c'est-à-dire qu'on regarde toutes les politiques publiques avec l'Elysée, avec Matignon et l'ensemble des ministres, on regarde toutes les politiques publiques. Et d'ici le mois d'avril, on fera en sorte qu'on puisse, sur chaque politique publique, se poser la question de son efficacité et des moyens qui lui sont consacrés. C'est de l'intérêt général, c'est de l'intérêt national que de faire cela. Et moins de fonctionnaires, ça veut dire aussi des fonctionnaires mieux rémunérés, et Dieu sait que c'est un sujet...

Q.- On va y venir parce que F. Fillon l'a dit clairement hier soir. Il a dit : "ils sont mal considérés, ils éprouvent un véritable mal-être, on va certes réduire le nombre de fonctionnaires mais en contrepartie, il faut mieux considérer ces gens-là". Alors peut-être que c'était une petite pierre dans le jardin d'A. Santini qui, on s'en souvient cet été, avait fait preuve de sarcasme selon les syndicats par rapport aux fonctionnaires : ils sont trop nombreux, etc. Est-ce que vous, qui avez prôné un dialogue apaisé avec les syndicats, vous allez leur annoncer - demain notamment, vous rencontrez J.-C. Mailly de Force ouvrière - qui vont être augmentés enfin ?

R.- Non, avec A. Santini... enfin la façon de traiter, de travailler avec les fonctionnaires, c'est d'abord du respect, du respect pour le travail des agents publics. Il y a des élus, il y a des agents publics, on est au service du public. Et puis aussi, un dialogue constructif, enfin responsable avec l'ensemble des fédérations de fonctionnaires, ça c'est un point essentiel. Il faut aussi qu'on se dise les choses, on ne peut pas en France comme ça, depuis si longtemps, avoir des dialogues qui ne conduisent à rien, c'est-à-dire en fait l'absence de dialogue. Il n'y a pas d'accord salarial dans la Fonction publique depuis 1998 ; je veux dire que cela pose quand même un certain nombre de difficultés...

Q.- Enfin en même temps, quand on...

R.- Quand on dit quelque chose...

Q.-...dit "crocodile empaillé" pour l'indice des fonctionnaires, ce fameux indice que les fonctionnaires considèrent comme la pierre angulaire de leur rémunération ...

R.- A. Santini ne visait pas les fonctionnaires, il visait un outil, un instrument ; donc, la question n'est pas là...

Q.- Enfin, vous comprenez qu'ils l'aient mal pris.

R.- L'état d'esprit...

Q.- Ils l'ont mal pris, c'est un peu normal...

R.- Non, écoutez, on va laisser ça, c'était l'été et on va passer maintenant à la rentrée. Notre volonté, avec A. Santini, c'est évidemment avoir une vision respectueuse, mais surtout de parler des choses, il faut qu'on parle des choses. C'est pour cela qu'on va animer et mettre en oeuvre quatre cycles de discussions. Un cycle de discussion sur le pouvoir d'achat, je ne veux pas qu'on puisse à un moment donné considérer qu'on met un sujet sous le tapis, ce n'est pas le cas, il faut aborder les choses mais il faut les aborder vraiment. Il ne faut pas uniquement aborder les sujets sous un petit angle...

Q.- Mais E. Woerth, est-ce que vous avez les moyens d'augmenter les fonctionnaires ?

R.- Oui, nous avons... mais bien sûr, nous avons les moyens au fur et à mesure du temps de consacrer plus d'argent, mais aussi peut-être plus de temps, de formation...

Q.- Au mérite ou pas par exemple, est-ce qu'on peut envisager...

R.- A l'ensemble de la Fonction publique, mais sur le temps et en face de réformes structurelles. Vous voyez, vous ne pouvez pas... Si vous versez un peu d'eau sur du sable, il ne poussera rien. Donc, la France a besoin de réformes structurelles, de réformes de fond, et les fonctionnaires sont les premiers acteurs de ces réformes de fond en ce qui concerne l'Etat...

Q.- Est-ce qu'on peut envisager, pour les fonctionnaires par exemple une rémunération ou des primes au mérite, puisque F. Fillon dit que certains d'entre eux ne se sentent pas considérés comme ils devraient l'être, est-ce qu'on peut parler d'une rémunération au mérite ?

R.- D'abord ça existe, il y a évidemment un système de primes extrêmement compliqué. En réalité la Fonction publique, depuis quasiment le statut de 1946, n'a cessé de se compliquer, et d'ailleurs souvent les fonctionnaires eux-mêmes ont du mal à comprendre les textes qui régissent leur propre situation individuelle parce que ça s'est empilé. Il faut simplifier tout cela et il faut évidemment qu'il y ait des modes de rémunération qui soient des modes de rémunération globaux, pour un indice par exemple, c'est-à-dire qui touchent tout le monde à un moment donné, quel que soit ce qu'il fait ou quelles que soient ses responsabilités ou ses propres résultats personnels. Et puis il faut à côté des systèmes de rémunération qui prennent en compte les résultats de chaque individu ou de chaque service lorsqu'on ne peut pas individualiser un résultat. Il faut vraiment qu'on se mette d'accord là-dessus, il faut qu'on ait un dialogue responsable. On ne peut pas au fur et à mesure se jeter des chiffres à la tête, à la figure sans y croire. Quand les fonctionnaires disent "on a baissé le pouvoir d'achat", quand les gouvernements...

Q.- De 6 % depuis l'an 2000...

R.- Mais ça reste, si vous voulez...

Q.- Ils ont perdu 6 % de pouvoir d'achat

R.- Je ne vais pas faire de débat chiffré, mais il y a d'autres chiffres aussi. Quand on prend l'ensemble de la rémunération moyenne d'un fonctionnaire, il n'a pas perdu en pouvoir d'achat par exemple l'année dernière, on peut remonter longtemps. Moi, je ne veux pas rentrer dans ce type de débat parce qu'en réalité, on perd beaucoup de temps et d'énergie même sur le diagnostic. Ce n'est pas normal qu'on ne soit pas d'accord sur le diagnostic, il faut qu'on puisse revenir à un dialogue très constructif, c'est l'intérêt de l'employeur qu'est le gouvernement, qui n'est pas que le gouvernement, qui sont aussi... les hôpitaux par exemple pour la Fonction publique hospitalière ou les collectivités locales, les villes, toutes les communes, tous les départements et puis bien entendu les fonctionnaires qui font aujourd'hui marcher l'Etat.

Q.- T. Joubert : Et vous allez vous parler bientôt avec les fonctionnaires ?

R.- Oui, on se retrouve... Je vois, avec A. Santini, J.-C. Mailly bientôt, on voit tous les responsables... je veux dire, on rencontrera la CGT bientôt, j'ai rencontré déjà FO, donc on verra comme ça au fur et à mesure... CFDT... donc on verra au fur et à mesure du temps bien sûr tous les responsables nationaux. Et puis j'ai rencontré, dès que je suis rentré en fonction, les responsables des fédérations de fonctionnaires en eux-mêmes, A. Santini aussi, on les a vus individuellement, on les verra collectivement. Et on lance à partir du mois d'octobre ces quatre cycles de dialogue, un cycle sur les valeurs de la Fonction publique : comment, c'est quoi être agent public aujourd'hui ? Ça fait 10, 20 ans, 30 ans qu'on ne réfléchit pas à ça, c'est quoi, c'est compliqué comme réponse, notamment en le liant avec la qualité du service public, le pouvoir d'achat, le dialogue social et aussi les conditions de travail, tous ces sujets vont être mis sur la table dans un esprit constructif. Il faut que l'esprit soit constructif des deux côtés, mais moi je n'ai aucun doute que ça se passera comme ça.

Q.- Ça, c'était pour votre casquette de ministre de la Fonction publique. Pour le ministre du Budget, on vous recevra pour ce budget 2008 qui s'annonce très serré. Merci beaucoup d'avoir été notre invité ce matin.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 août 2007