Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à RTL le 28 août 2007, sur la rentrée sociale, les suppressions de postes de fonctionnaires et le pouvoir d'achat des salariés.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
J.-M. Aphatie.- Bonjour, B. Thibault. On dit souvent : ce sera chaud à la rentrée ! Alors, ce sera chaud, cette année ?
 
R.- Ce sera chaud ? Les prévisions météo, je ne suis pas un spécialiste ! Maintenant, s'agissant de la météo sociale, il faut se garder soit de pronostiquer le froid ou le chaud. Je crois que les événements, par le passé, ont montré que, alors qu'on s'attendait à des climats parfois très calmes, dans un environnement qui ne laissait pas à penser que les choses allaient se tendre, on pouvait voir qu'au fil des semaines et au fil des mois, on arrivait à des situations très, très tendues.
 
Q.- Vous dites cela parce que l'environnement politique est assez serein. Aujourd'hui. N. Sarkozy - on le disait, hier, sur RTL, c'était un sondage Sofres - voit son action approuvée par 71% des Français. Alors, c'est dur dans ces conditions-là pour un syndicat sans doute de lutter contre les projets s'il ne les aime pas...
 
R.- Permettez-moi de dire qu'en examinant cette étude, je pense que ces appréciations très largement positives portent davantage sur le comportement du nouveau Président de la République plutôt que sur les actes concrets, parce que vous avez sans doute remarqué que lorsque la question était posée de savoir comment était appréciée la politique en matière de pouvoir d'achat, d'emploi, des questions relatives au travail, à la fiscalité, voire à l'enseignement, là les avis étaient,au contraire ,très contradictoires, voire même très critiques. 68 % qui jugent l'action négative en matière de pouvoir d'achat, c'est un score qui n'est pas particulièrement honorable après quelques semaines de gouvernement.
 
Q.- Vous allez pouvoir en parler avec N. Sarkozy puisque vous le voyez, cette semaine ?
 
R.- Je l'espère. C'est à sa demande. Je dois le voir tout à fait prochainement et comme il l'a fait déjà avec d'autres représentants syndicaux, je pense qu'il va vouloir avoir un échange sur les aspects principaux de cette rentrée.
 
Q.- Et tout à fait prochainement : c'est tout à fait prochainement ?
 
R.- C'est tout à fait prochainement.
 
Q.- C'est-à-dire : demain, dit la rumeur ? Oui. On verra bien.
 
R.- Et peut-être que lui-même ne maîtrise pas totalement son agenda de jour en jour. Mais ça va se faire prochainement.
 
Q.- Sur TF1, dimanche soir, F. Fillon, Premier ministre, vous a proposé un marché. Il dit : "que la Fonction publique, que les fonctionnaires acceptent les suppressions de poste que nous prévoyons en 2008 - 22.700 suppressions de poste - et nous verrons, de notre côté, comment augmenter le pouvoir d'achat. Alors, ce marché, il vous paraît bon à conclure ?
 
R.- Je pense que le Premier ministre commence à enregistrer les critiques qui sont faites aussi sur ces annonces de suppressions d'emploi des fonctionnaires. Là aussi, vous avez vu que les enquêtes montraient qu'une majorité de Français n'étaient pas a priori très favorables parce qu'il est difficile pour le gouvernement de montrer que dans tous les domaines les plus divers, les plus variés, l'action publique, l'action politique, la présence de l'Etat va être de plus en plus forte, y compris sur des sujets de société ou des événements parfois dramatiques qui peuvent préoccuper nos concitoyens ou valoir des commentaires, et en même temps dire que ceux qui incarnent l'Etat, la présence publique, le contrôle, l'intervention, les fonctionnaires notamment, vont être de moins en moins nombreux. C'est difficile de prétendre tout et son contraire, en tout cas avec des moyens de plus en plus réduits. On ne peut pas prétendre avoir une meilleure justice avec moins de fonctionnaires dans l'ensemble du dispositif de justice.
 
Q.- Mais il vous propose un marché : suppression de postes et on voit pour le pouvoir d'achat.
 
R.- Oui mais en même temps, on ne peut pas nous dire : on va supprimer très peu de postes des fonctionnaires et laisser entendre, par exemple, que pour augmenter le salaire des fonctionnaires comme il faut augmenter le salaire de l'ensemble des salariés de notre pays, nous allons nous contenter de redistribuer la moitié de la masse salariale des postes de fonctionnaires supprimés sur l'ensemble du reste de la Fonction publique, ça va représenter une augmentation de quel niveau ? De l'ordre de la baguette de pain qui fait d'ailleurs l'actualité, à cause de l'augmentation de son coût. On n'est pas du tout dans les proportions au niveau des revendications exprimées par les fonctionnaires, comme les autres salariés, quant à la nécessité de revaloriser les salaires. Il y a une conférence qui est prévue par le gouvernement. Je crois qu'il y a déjà une obligation de résultats pour le gouvernement avant la convocation de cette conférence, normalement mi-octobre.
 
Q.- A quoi va servir la conférence, alors ?
 
R.- Que le gouvernement se dise qu'il est dans l'obligation de produire des résultats à la date de cette conférence.
 
Q.- Dans le journal La Croix, ce matin, A. Santini, qui est secrétaire d'Etat à la Fonction publique, parle du "régime des fonctionnaires" comme, je le cite, une sorte de "régime spécial", et il pense notamment au fait que les pensions des fonctionnaires quand ils partent à la retraite, sont calculées sur les six derniers mois, alors que dans le secteur privé, c'est sur les 25 dernières années. Est-ce qu'il faut là aussi consentir quelques sacrifices parce que l'équilibre des régimes de retraite le réclament ?
 
R.- Cette modification qui remonte déjà de nombreuses années, des modalités de calcul des droits à pension dont les salariés du privé ont été les premières victimes en faisant référence aux 25 meilleures années, compte tenu de la précarité...
 
Q.- Réforme Balladur en 94.
 
R.- Réforme Balladur... Compte tenu de la précarité grandissante dans l'emploi a comme conséquence de dégrader le niveau des pensions versées. Et moi, je pense que dans le prochain rendez-vous retraite qui va être de plus en plus d'actualité, il va falloir remettre à plat, réexaminer ce qu'est l'évolution des retraites dans notre pays. Alors, j'entends bien un certain nombre de responsables politiques - ce n'est pas très nouveau - comme patronaux, nous dire : il faut que l'on poursuive sur l'alignement des moins bonnes conditions de droit à la retraite, nous pensons qu'il va falloir remettre le dossier retraite à plat dans son ensemble pour l'ensemble des salariés.
 
Q.- C'est l'équilibre financier qui ne permettra sans doute pas de revenir sur certaines dispositions ?
 
R.- Oui alors, je vous propose de réécouter les commentaires politiques, les discours politiques de la période réforme Balladur, réforme Fillon où à l'époque, on nous expliquait qu'il fallait accepter ces réformes. C'était le prix à payer pour assurer la pérennité du système de retraite par répartitions. Et quelques années après, on s'aperçoit que ce n'est absolument pas le cas.
 
Q.- Chérèque de la CFDT, Mailly de FO, Van Craeynest de la CGC, seront tous à l'université d'été du MEDEF. Et vous, vous n'y serez pas, Bernard Thibault. Pourquoi ?
 
R.- Non, j'étais invité. J'ai décliné l'invitation.
 
Q.- Vous n'avez pas le temps ?
 
R.- Non, ce n'est pas une question de temps, c'est une question de choix, soyons...
 
Q.- Alors, le Medef n'est pas fréquentable ?
 
R.- Si, bien sûr. On n'est pas dans une négociation. Il s'agit d'une université du Medef, c'est-à-dire une séance à la fois de travail et de promotion de l'organisation patronale. Elle va d'ailleurs pouvoir bénéficier d'une promotion au plus haut niveau puisque M. Sarkozy va faire l'honneur, une nouvelle fois...
 
Q.- Mais c'est bien de se parler, c'est bien d'y aller.
 
R.-... de participer aux universités du Medef. Oui, je ne suis pas sûr que le lieu pour prononcer un discours sur la politique économique ou annoncer des mesures sur le pouvoir d'achat des salariés soit forcément un lieu idéal. Mais là, c'est le choix du Président de la République.
 
Q.- En tout cas, vous, vous n'y allez pas. Le Medef, pour vous, c'est pas fréquentable ?
 
R.- Non, mais je ne pense pas que ça empêchera le Medef de vivre et pour ce qui nous concerne, je me consacre, nous nous consacrons dans les prochains jours, à nous tourner vers les salariés. Nous avons des rendez-vous importants dans les toutes prochaines semaines.
 
Q.- Les fédérations de cheminots menacent de mener des actions pour protester contre les services minimum. En pleine Coupe du Monde de Rugby, ce serait sage ça, Bernard Thibault ?
 
R.- Le climat pendant la Coupe du Monde de rugby ne dépend pas que de nous. Si nous sommes entendus et il y a un certain nombre de réunions qui doivent avoir lieu, notamment des discussions s'agissant de l'application de cette loi, contestée sur le service minimum, s'il y a précipitation de la loi...
 
Q.- Mais elle est votée, la loi ?
 
R.-... Oui, mais s'il y a précipitation de la part des interlocuteurs...
 
Q.- La loi s'impose à tous, Bernard Thibault.
 
R.- Vous savez qu'il y a bien des lois qui sont d'application à géométrie variable dans notre pays.
 
Q.- Malheureusement !
 
R.- Elles ne sont pas toutes suivies...
 
Q.- Mais quand elles sont votées, si elles s'appliquent, ce n'est pas mal non plus !
 
R.- Elles ne sont pas toutes suivies avec autant de pugnacité par les pouvoirs publics.
 
Q.- Alors, s'il y a grève pendant la Coupe du Monde ?
 
R.- S'il y a provocation de la part des employeurs, c'est-à-dire de profiter de cette séquence au motif qu'il y a la Coupe du Monde, pour imposer dans les entreprises de transport, des mesures qui ont déjà été contestées, il ne faudra pas s'étonner qu'il y ait des complications, qu'il y ait ou pas la Coupe du Monde. Ceci dit, vis-à-vis de l'épreuve sportive pour qu'il n'y ait aucun quiproquo de notre part, je suis, nous sommes des supporters de l'Equipe de France comme beaucoup de nos concitoyens. Mais ça n'est pas nous qui choisissons les échéances. S'il y a des mauvaises mesures dans cette séquence, Coupe du Monde ou pas, nous serons dans l'obligation de respecter nos engagements et nos responsabilités syndicales.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 août 2007