Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, à Télé Liban le 13 septembre 2007, sur la crise libanaise et la fin des ingérences extérieures et le respect de la souveraineté et de l'indépendance de ce pays.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner au Proche-Orient du 10 au 13 septembre 2007 : étape au Liban le 13 à Beyrouth

Texte intégral

Q - (Inaudible)
R - Je ne sais pas, petit élément, grand élément. Vous savez, il y a des petits éléments qu'on appelle les enzymes, qui permettent des réactions. Alors ce sont des éléments déterminants.
Moi, je ne suis pas prétentieux. J'aime ce pays. J'aime les Libanais. J'ai travaillé avec eux, souvent, malheureusement, dans les guerres. Alors si je peux apporter cet élément dont vous parlez, j'ai dit un petit élément positif, je vais m'expliquer là-dessus.
Je considère que la démarche de M. Nabih Berry, le président du Parlement, disant "je retire ce gouvernement d'unité nationale auquel on pensait, pour lequel j'ai essayé d'expliquer aux uns et aux autres ce que je croyais qu'il signifiait" est un très beau geste politique. Cela prouve que M. Nabih Berry est un homme d'Etat. J'ai trouvé cela positif, autant que la réponse qui a été apportée hier soir par les éléments du 14 Mars. Je les ai entendus, j'ai aussi trouvé cela positif. Je vous tends la main, voilà le dialogue, nous sommes prêts. Je vous signale qu'avant La Celle-Saint Cloud, ces hommes et ces femmes ne s'étaient pas parlé depuis 9 mois et qu'ils s'insultaient à la télévision.
D'abord, je vous demande une chose, arrêtez de vous insulter, mes amis libanais, c'est très dommageable. Quand on profère des insultes contre un homme politique, quand on est soi-même un homme politique, on envenime les choses, on crée la tension et les tensions sont mortelles ici. Si j'ai pu apporter cet élément, enfin moi, la France, les autres encore une fois, car vous êtes diplomatiques, très bien, je ne sais pas ce que cela donnera, j'ai le sentiment que les choses, cet aliment de l'un vers l'autre, cet espèce de dialogue accepté, ou quand on dit : "je mets de côté les 51 %, mettez de côté les deux tiers, et nous allons parler des candidats", si par hasard, par chance, par bonheur on arrivait à parler de 3 ou 4 candidats, tous ensemble, eh bien ce serait fait.
Si les élections peuvent se dérouler au terme constitutionnel, à l'endroit voulu, au moment voulu, si on respecte la Constitution, après le Liban sera beaucoup plus fort. Il pourra changer, s'il veut, tous les éléments. Je n'aime pas tellement que cela soit en fonction des communautés religieuses, ce n'est pas mon pays, mais cela ne me plairait pas. Mais c'est comme cela pour le moment. Si vous voulez changer, qu'il y ait des élections à temps. Mais on verra.

Q - Monsieur le Ministre, où en est le dialogue franco-iranien qui s'est entamé sur la question aussi au Liban, sur la crise libanaise et celui-ci était-il compris avec l'assentiment des Etats-Unis. Est-ce que M. Cousseran se rendrait à Téhéran et quand ? Et à Damas aussi et quand ?
R - M. Cousseran s'est déjà rendu à Téhéran à ma demande, avec l'accord du président de la République. Nous ne prenons pas nos directives à Washington. Nous ne demandons pas. Nous prévenons nos alliés, quand cela est nécessaire. Notre politique est indépendante. La politique de la France est indépendante. Elle n'est soumise à personne.
Comment se déroule le dialogue à propos du Liban ? Vous avez raison de le dire, parce qu'il y a un autre très grand problème avec l'Iran, c'est évidemment le problème nucléaire. Mais nous n'en parlerons pas ce soir. Seulement la région est très dangereuse. Je n'ai pas le temps de vous parler de l'Irak. Mais j'en reviens. C'est difficile. Je vous dirai très brutalement : je crois que l'Iran a joué un rôle positif dans le déroulement des derniers mois à propos de l'élection au Liban et de l'éventuelle crise libanaise. Je crois qu'il a été plus positif qu'on ne le pense. Je pense que les Iraniens ont compris. J'ai rencontré les ministres iraniens. Je les ai quelquefois au téléphone, assez souvent même.
Et en ce qui concerne le Liban, je vous le dis, parce que je veux vous dire la vérité, je n'ai aucun intérêt à mentir, surtout pas au Liban, où c'est un sport national. Je pense qu'ils ont compris qu'il fallait que les élections se déroulent selon la règle constitutionnelle, et qu'un président de la République devait être élu entre le 25 septembre et le 24 novembre.
Maintenant, qu'il y ait des arrières-pensées, qu'il y ait des problèmes trop compliqués, vous le comprenez vous-même, bien sûr, il y en a. Voilà je crois avoir été un peu entendu et nous avons parlé avec les Iraniens, avec l'assentiment d'ailleurs de nos amis libanais.

Q - Quel devrait être selon vous, Monsieur le Ministre, le profil ainsi que le rôle, lequel est international du futur président libanais ?
R - Je n'ai pas à choisir, hélas, le président libanais. On ne me demande pas mon avis. Et d'ailleurs je ne vous le donnerai pas. Il y en a que je connais qui le feraient très bien. Je vous dis une chose très sérieuse. Si un candidat, plusieurs candidats se dégagent du dialogue que je souhaite voir s'entamer entre en particulier M. Nabih Berry, c'est-à-dire aussi le 8 mars et le 14 mars, à l'appel de M. Nabih Berry, qui le 25 ouvre le Parlement, et j'espère rencontrera les gens du 14 mars et d'autres avant et qui, j'espère, visitera le Patriarche Sfeir etc..
Si une liste est faite, moi j'approuverais, si on me le demande, parce que je n'ai pas à donner mon avis. C'est vous le pays indépendant et souverain. Vous n'allez pas vous soumettre à la France. Moi je n'ai rien à dire.
J'accepterais avec bonheur qu'il y ait un candidat de consensus. Et s'il y en a plusieurs et que l'on vote, c'est encore mieux. Le profil ? Qu'il ait le sens de l'Etat. Qu'il soit un vrai patriote libanais, qu'il veuille maintenir la souveraineté et l'indépendance de ce pays et respecter les institutions. Cela, c'est capital, sinon ce ne serait pas acceptable, et qu'il se garde des influences extérieures. Si vous trouvez cet oiseau rare, Monsieur, cela peut être une femme, d'ailleurs il n'y a pas beaucoup de candidates femmes, merci d'être là Madame. Donc si cela se passe, alors vous verrez, vous prendrez sur la scène internationale, vous les Libanais, un poids considérable.

Q - Monsieur le Ministre, quel geste exigez-vous exactement de la Syrie. Est-ce que vous trouvez que l'élection présidentielle sera une occasion du dialogue libano-syrien ? Est-ce que la Syrie aura un mot dans cette échéance majeure ?
R - C'est difficile cette question. Difficile question, donc difficile réponse. Aura-t-elle un rôle ? Je souhaite que non. Mais n'exagérons rien. La Syrie est votre voisin. Des liens extrêmement forts, extrêmement tendus, parfois des liens brisés entre les deux pays. Il y aura peut-être une influence. Ce que je souhaite, ce que je demande, ce que j'ai demandé publiquement, que je redemande chez vous ce soir, c'est que la Syrie n'interfère pas dans le processus électoral qui doit se dérouler honnêtement, clairement, de façon transparente sur des candidats choisis. Après, tout est possible.
Nous avons dit, et je le répète, mais c'est la France, tenez cela pour quelque chose d'extérieur à vous. Si la Syrie n'interfère pas dans cette élection, si elle la laisse se dérouler comme il faut, alors la Syrie, je l'ai dit et je répète les mêmes termes, sera étonnée de l'ouverture de la France vers elle.
Maintenant, cela ne vous regarde pas. Nos rapports avec la Syrie ne sont pas suffisants. Ils pourraient s'améliorer. Ils pourraient redevenir normaux, dès lors que la Syrie témoignera visiblement de son appartenance au processus de paix. Qu'elle voudra régler non pas par des moyens brutaux. Mais par la politique, la démocratie, l'élection, elle rejoint la communauté internationale et nous en sommes très contents.

Q - C'est-à-dire l'échéance présidentielle est la clé de l'ouverture sur la Syrie ?
R - Première clé sûrement, Madame. Après, par exemple, il y a un problème ou pas de problème. Je n'en sais rien. Est-ce que la Syrie sera invitée à la conférence internationale ? Voilà.

Q - Monsieur le Ministre, qu'est-ce qui a changé à votre avis le plus entre la politique libanaise de Chirac et celle de Sarkozy ? Qu'est ce qui a le plus changé ? Est-ce qu'il y a un changement dans la continuité bien sûr, la continuité dans ce qu'il y a au Liban, ou à l'indépendance du Liban, le tribunal international, qu'est-ce qui a exactement changé ?
R - Deux choses au moins. La première, un changement de génération. Jacques Chirac avait pour le Liban non seulement de l'admiration mais une grande affection, admiration et affection. Un vrai rapport physique avec ce pays. Je l'ai aussi.
Le président Sarkozy arrive, une autre génération se présente sur la scène internationale. Il a une façon très claire, de parler, très sincère, parfois même peut-être trop sincère, peut-on juger. Moi je ne dis pas cela. Je dis, c'est très bien. Alors, il dit les choses et puis on s'explique.
Il a dit très clairement ce qu'il pensait de la Syrie lors de son discours devant les ambassadeurs. Il l'a dit à propos de l'Iran, il l'a dit à propos de ce qu'on appelle nos amis américains. Nous ne sommes pas inféodés aux Etats-Unis. Ce n'est pas parce que nous avons un rapport différent de celui du président précédent avec les Etats-Unis, que nous sommes d'accord avec eux. Depuis quatre mois que je suis ministre des Affaires étrangères, j'ai eu à m'affronter avec les Etats-Unis très souvent et cela continuera. Cela veut dire se dire la vérité. Je ne suis pas d'accord, je te le dis. Et puis, on voit, on s'arrange, peut-être ou pas. Nous ne sommes pas forcés d'être d'accord. L'Irak, je vous assure, il y a beaucoup de choses à dire.
Et puis la deuxième chose, en dehors de ce rapport de génération, qui sous-entend, bien sûr une affection réelle pour le Liban de la part de Jacques Chirac et je comprends, il y avait un rapport très personnel avec Rafic Hariri. Rafic Hariri a été assassiné dans des circonstances ignobles. Et nous étions partisans, et nous l'avons fait avec les Américains au Conseil de sécurité, de la mise en avant de ce tribunal international qui va continuer.
A part cela, la deuxième raison, c'est peut-être que moi, qui ai ce rapport charnel avec le Liban, qui ai travaillé avec mes mains et dans le sang depuis très longtemps, j'ai aussi ce rapport très sentimental avec votre pays et il se trouve que, par bonheur et par la volonté du président de la République, Nicolas Sarkozy, je suis ministre des Affaires étrangères. Donc, après le Darfour, parce que c'était une urgence, ma première préoccupation fut le Liban et c'est pour cela que je profite de votre hospitalité bien souvent.

Q - Est ce que rien n'a changé dans l'approche du problème syrien ?
R - Oui, nous avons pensé de façon très pragmatique avec, d'abord, une stratégie qui va s'adapter, mais une pensée très simple, un concept évidemment très simple, c'est qu'il faut parler avec les gens qui s'opposent. Il faut les faire se parler. Quand on fait une mission de paix, on parle avec son ennemi, pas avec son ami seulement.
Alors, nous, nous avons conseillé une attitude pragmatique, et c'est pour cela que je vous ai dit, tout à l'heure, que si la Syrie n'interfère pas dans les affaires libanaises, nous sommes tout à fait disposés à avoir une ouverture vers ce pays qui doit occuper ici la place qu'il tient, un rôle évidemment éminent qui ne lui demande pas de changer, non il est là, il doit participer. C'est pour cela que je vous disais à propos de la conférence américaine, si elle a lieu, je pense que la Syrie, si elle respecte ce qui se passe, l'échéance électorale, le 25 septembre et les mois qui suivent, ici au Liban, la Syrie doit participer.

Q - Vous parlez bien d'un rôle au Proche-Orient mais pas au Liban ?
R - Bien sûr au Proche-Orient et pas au Liban, merci de le préciser. Et souvent la Syrie croit qu'elle a un rôle à jouer en permanence au Liban. Je ne le pense pas. Le Liban doit être un pays souverain et indépendant. Mais la Syrie, le respectant, doit retrouver sa place, dans le concert des nations, bien sûr.

Q - Monsieur le Ministre, vous êtes reconnu comme l'homme des missions difficiles pour ne pas dire impossibles. Pensez-vous que le Liban peut être doté d'un statut de neutralité, dit positif, c'est-à-dire garanti par la communauté internationale ? Vu les circonstances régionale et internationale surtout en Irak et en Palestine, est-ce que ce statut aurait empêché que le Liban ne continue d'être le théâtre de confrontations internationales ? Le dernier exemple en date s'est produit il y a quelques jours au Nord de la Syrie, un raid aérien israélien contre une base de missiles irano-syriennes, selon certaines sources américaines qui constituent une mise en garde de l'Etat hébreu à Damas contre un réarmement du Hezbollah, ce qui mettrait le Liban toujours dans l'oeil du cyclone ? Qu'est-ce que vous pensez ?
R - D'abord je ne sais pas si c'est une colonne qui a été bombardée, une base, ce qui s'est passé. J'ai essayé de me renseigner. Il y a en effet des rumeurs à ce propos. Mais ce n'est pas parce qu'il y a eu un bombardement quelque part ou en tout cas un raid aérien, que le Liban doit en pâtir.
Je reviens au début de votre question. Une neutralité libanaise, pourquoi pas ? C'est à vous de la construire, pas à moi. Vous êtes placés dans un endroit dangereux. Mais vous faites toujours la guerre des autres. Cessez de faire la guerre des autres. Il y a assez de raisons de vous faire la guerre entre vous. Alors arrêtez cette proportion. Vous êtes à la fois un exemple formidable et un mauvais exemple, un contre-exemple.
Exemple formidable, ce sont ces communautés, qui si longtemps ont vécu ensemble et qui représentaient le miel et l'absinthe, les cèdres, la mer et la montagne. Maintenant, c'est possible de refaire cette entente, de rétablir des liens harmonieux. Mais pendant très longtemps, parce qu'il y a eu des ingérences extérieures, parce qu'on vous y poussait, on se servait de ces communautés, les unes contre les autres.
Si vous voulez de la neutralité, il faut d'abord faire la neutralité entre vous. Les Libanais, à l'extérieur, j'en ai connu des milliers et vous aussi. Ils s'adorent. A l'extérieur, dans les pays qu'ils fréquentent, la diaspora ne s'assassine pas, jamais, au contraire, elle s'associe en général. Pourquoi sur le terrain, elle se fait si souvent la guerre ? Il y a eu des différences au Liban. Des différences sociales, il y a des problèmes sociaux. Il y a de vraies pauvretés au Liban. Pendant très longtemps, le Sud a été très pauvre, et les Chiites négligés. Je le sais, j'ai travaillé chez eux. Comité des déshérités, dans les années 75, etc... Maintenant, on assiste d'ailleurs, dans l'ensemble du monde arabe à une émergence des Chiites et du chiisme à laquelle on ne s'attendait pas. Il faut traiter toutes ces questions, mais ne pas les traiter par la guerre. Vous voulez de la neutralité, faites la paix entre vous, vous serez complètement neutres. Si vous faisiez la paix, vous seriez les rois du Moyen-Orient.

Q - Monsieur le Ministre, le problème du Liban n'est pas un problème intérieur. Ce sont les ingérences extérieures, et nous sommes depuis plus d'un demi-siècle souffrants. Israël d'un côté, la Syrie de l'autre côté, il y a tous les Arabes qui se disputent sur le terrain libanais. Et le Liban c'est un pays pauvre, petit et faible. Est-ce qu'il y a une possibilité que d'après les dernières résolutions, résolutions 1559 jusqu'à 1701, c'est la communauté internationale qui a pris en charge de défendre les intérêts du Liban, son indépendance, souveraineté, liberté, etc... je vous demande si ce statut là peut être concrétisé par une sorte de principe adopté, neutralité de dispositif, c'est-à-dire garanti par la communauté internationale, et ce sera un exemple pour d'autres pays, Kosovo, Darfour, d'autres régions dans le monde, parce que les pays petits, pauvres et faibles n'ont pas de soutien que la communauté internationale, sinon le Liban sera divisé entre la Syrie et Israël et les Libanais seront une diaspora comme le sont maintenant les Palestiniens et étaient les juifs avant ?
R - D'accord, mais la neutralité cela ne se décrète pas au nom de la communauté internationale. Cela se fait chez soi. Et puis la communauté internationale, Monsieur, quand vous en avez besoin, vous l'appelez avec bonheur. S'il n'y avait pas la FINUL au Sud-Liban qui fait un beau travail n'est-ce pas, dont les Français, les Italiens, les Espagnols qui ont eu évidemment des morts, il y a peu de temps, je crois que cela irait plus mal. Donc, la communauté internationale protège le Liban.
Mais vous avez raison pour le reste. Il y a des ingérences extérieures. La seule façon de les éviter, Monsieur, c'est d'être forts. Et pour cela, il faut être unis. Les communautés libanaises auraient une force considérable à être ensemble et vous ne craindriez aucune des ingérences si vous pouviez faire face ensemble. C'est ensemble que vous êtes forts.
Puis, quant aux pays pauvres, le Liban, j'ai connu plus pauvre. J'ai même connu des gens très riches au Liban. C'est très inégalement réparti. Mais, même ensemble, vous avez une croissance, même dans les guerres, cela a marché. Vous avez une volonté, une inventivité, un dynamisme formidables. Vous seriez tout à fait capables de repousser même les autres.
Mais regardez ce qui s'est passé à Nahr El-Bared. A Nahr El-Bared, finalement, c'est votre armée qui a repoussé, et elle a gagné et elle est très populaire maintenant et c'est l'armée du Liban, avec toutes les composantes, chiites, sunnites, chrétiens, tous sont là. C'est un bon exemple.
Mais si nous n'avions pas les uns et les autres et la communauté internationale, si nous ne vous avions pas aidé à reconstituer à armer à donner du matériel à ces Libanais de l'armée, vous n'auriez pas pu résister. Maintenant elle existe, renforcez-la. C'est un exemple excellent. Et passez-vous de la FINUL. Regardez, pour la première fois, l'armée est descendue au-delà du fleuve Litani. C'était bien.
Donc, vous avez des atouts. Ne croyez pas que vous êtes le jouet des flots. Soyez capables d'élire un président de la République puis, après, vous parlerez de la neutralité. Enfin c'est quand même insensé que vous ne puissiez pas voter ensemble. Vous vous connaissez par coeur, vous vous téléphonez tout le temps. J'ai appris aujourd'hui que M. Fouad Siniora avait appelé M. Nabih Berry pour la première fois depuis je ne sais combien de mois. Tout le monde se parle au Liban. Vous avez des institutions, respectez-les à la date, cela marchera. Voulez-vous que je vous dise, vous m'avez demandé tout à l'heure pourquoi j'avais cette petite espérance, cette petite graine d'espérance, c'est parce que j'ai l'impression que cela va marcher, et si je me trompe, eh bien je pleurerais, que voulez-vous.

Q - Si le président est élu avec la simple majorité, il est reconnu par certains Etats du monde. Est-ce que la France reconnaîtrait un président élu par la simple majorité ?
R - Je n'ai pas réfléchi à cette question, mais honnêtement, je crois, pourquoi pas. Nos présidents, à l'Assemblée, sont élus à la simple majorité, cela ne gêne pas du tout. Cette majorité des deux tiers, j'ai lu la Constitution, permettez-moi de vous dire que vous auriez intérêt à la réécrire parce que ce n'est pas clair. Et vous savez pourquoi elle est intéressante cette Constitution, pourquoi ? Je me souviens des accords de Taëf, nous y avons participé. J'étais déjà ministre, il y longtemps, avec Roland Dumas et François Mitterrand. Cela a été en fait pour que les communautés, les trois grandes communautés se partagent les postes. En attendant il faut la respecter. Il y a les deux tiers au début.
Mais je ne veux pas faire une analyse, d'ailleurs je ne suis pas un constitutionnaliste et je n'ai pas de conseil à vous donner. Simplement, il y a tout et rien du tout. Il y a à la fois le fait, qu'on devrait au premier tour voter au deux tiers, et qu'est ce que cela veut dire, aux deux tiers de quoi ? Des présents, au deux tiers des élus, au deux tiers de la première journée etc.. Donc c'est à vous de voir, quel que soit le mode de scrutin. Si vous voulez mettre de la bonne volonté pour qu'enfin se dégage une neutralité de force et que vous ne fassiez pas la guerre des autres, vous avez de quoi faire, tout le monde sera d'accord avec l'élection d'un président à la majorité au deux tiers. Personnellement, je ne veux pas prendre partie. La majorité suffit.

Q - Mais ce n'est pas la Constitution.
R - Mais si, c'est la Constitution. Encore une fois je ne veux pas discuter de cela.

Q - Vous avez parlé de Nahr El-Bared, est-ce que la France va aider au réarmement de l'armée libanaise, plus particulièrement dans le domaine des postes aériens ?
R - Nous avons beaucoup aidé pendant toute cette période. Tout ce que vous nous avez demandé, nous l'avons fourni, nous n'étions pas les seuls d'ailleurs. Mais l'armée qui a eu besoin et qui a fait des sacrifices importants, et qui a eu beaucoup de blessés et beaucoup de morts, a pu finalement venir à bout de gens qui étaient terriblement retranchés, qui étaient terriblement nocifs et qui étaient prêts à sacrifier leur vie parce que nous l'avons soutenue et nous sommes prêts à continuer de le faire bien entendu.

Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous encouragez l'élection d'un président pour une période transitoire pour deux ans par exemple ?
R - J'ai entendu parler de cela, j'ai discuté avec tout le monde de cette possibilité. Personnellement, je pense que maintenant cela ne s'impose plus. C'est le temps du dialogue. M. Nabih Berry, en retirant la proposition du gouvernement d'union nationale, a ouvert la porte. Il a été sage de le faire. Le 14 mars lui a répondu, tendons la main, écartons nos divergences élémentaires qui tenaient au 51% ou au deux tiers. Parlons des candidats.
Dans le monde entier, les candidats sont élus à la majorité, c'est tout. Si vous voulez faire autrement, faites autrement. Mais soyez d'accord sur les noms. Après vous serez d'accord pour les élire. Si vous vous entendez, supposons au miracle sur un nom, ce sera facile. Tout le monde votera. Si vous vous entendez sur quatre noms, sur cinq noms, sur six noms, après par élimination ce sera fait.
Franchement, vous avez devant vous l'occasion de refaire ce Liban pour vos enfants, pour vos petits-enfants, sinon vous serez toujours le jouet des flots. Ce n'est pas possible c'est un pays trop beau, trop intelligent, trop agréable à vivre quand il est en paix.

Q - Vous avez invité à La Celle Saint-Cloud des organisations de la société civile, est-ce que cela veut dire que la France et l'Union européenne ont commencé la construction de la société civile et non celle des confessions ?
R - Pas construction. Nous avons aidé lorsqu'il s'agissait d'ONG qui demandaient des budgets sur des missions précises. Oui, bien sûr, et en tout cas mon ami Kamel Mohanna et Amel et d'autres organisations. J'ai rencontré à la Celle Saint-Cloud et, la dernière fois, à Beyrouth après La Celle Saint-Cloud, des gens formidables qui étaient auprès des plus démunis dans votre pays et qui étaient vraiment d'un dévouement exceptionnel. Ceux-là il faut les aider bien sûr. Et j'ai salué la campagne qu'ils ont menée. Pour la première fois que la société civile, c'est-à-dire les Libanais, femmes et hommes, familles, enfants, parents ensemble, disent aux hommes politiques aux femmes politiques - il n'y en a pas beaucoup hélas, ce serait peut-être plus doux - aux hommes politiques : "arrangez-vous pour vous mettre d'accord". L'élection, cela se fait avec ses ennemis. Ennemis et amis votent sur des candidatures, ce n'est quand même pas sorcier, ce n'est quand même pas inimaginable de faire cela. Voilà ce qu'ils ont demandé.
Et je vous assure qu'à La Celle Saint-Cloud et aussi à Beyrouth, la voix des Organisations non gouvernementales, des associations et des syndicats était formidable à entendre. C'était des gens très raisonnables, plein de dynamisme et plein d'espérance.

Q - Souhaiteriez-vous dire le mot de la fin, un message aux Libanais ? Nous savons que votre temps est compté ?
R - Je ne sais pas si ce sera le mot de la fin, c'est une expression dangereuse. Mais mon message est simple. Je vous ne demande pas de vous aimer tous. C'est mieux quand on s'aime. C'est un peu prêcheur. C'est un peu trop facile. Mais entendez-vous suffisamment pour faire une amicale pression sur vos députés pour qu'ils comprennent que leur sort, pas seulement leur avenir à eux mais l'avenir de tout le Liban est entre leurs mains au moment où ils auront à voter sur des candidats qu'ils auront choisis. C'est quand même une démarche extrêmement simple qui est l'ABC de la démocratie et le Liban en a absolument besoin. Après, tout est permis, y compris évidemment les divisions politiques qui sont naturelles. Donc, je pense que, ayant vécu tellement de guerres dans ce pays, tellement de violences, tellement de meurtres, - on se souvient, c'était il n'y a pas longtemps -, il ne faut pas recommencer. Comment pourrait-on souhaiter recommencer. Or, vous avez raison de dire qu'on vous pousse à la guerre et que faire la guerre des autres, cela suffit.
Donc, faites la paix chez vous, entre vous et vous verrez vous aurez à faire la paix aussi pour les autres, ce sera contagieux. Il faut absolument que dans ce pays merveilleux les communautés s'entendent suffisamment malgré leur divergence, leur poids historique et les difficultés. C'est uniquement cela que la France veut vous dire comme une amie, et une amie de toutes les communautés. Nous ne choisissons pas. Nous avons été partout. Nous les connaissons bien. Elles méritent un peu que le mauvais sort que certains leur préparent.
Merci.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 septembre 2007