Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, à France Info le 13 septembre 2007, sur son voyage au Groenland, le réchauffement climatique, la protection des espèces menacées et la mise en place du Grenelle de l'environnement.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- Vous rentrez tout juste du Groenland, un voyage éclair, 24 heures, qui a fait beaucoup parlé, beaucoup décrié aussi. Franchement, que voit-on en 24 heures ? Est-ce que ce n'est un peu rapide, est-ce que ce n'est pas de l'affichage ?
 
R.- Quand les scientifiques français, qui font partie des meilleurs du monde, vous disent : "il faut vraiment aller voir pour se rendre compte de ce qui se passe pour arrêter les dénis de réalité" ; quand vous avez les parlementaires français, on a des parlementaires pour qu'ils se rendent compte physiquement, quand A. Merkel va sur place quinze jours, trois semaines avant pour les mêmes raisons que M. Barroso... Vous savez, tant que vous n'avez pas vu cette banquise qui s'est réduite de moitié de 1990 à aujourd'hui, 8 millions de kilomètres carrés, 4 millions de kilomètres carrés aujourd'hui... Vous savez que c'est le frigidaire du monde, vous avez un rapport de l'UICN qui sort aujourd'hui sur les espèces menacées...
 
Q.- On en parlait dans le journal il y a quelques minutes effectivement.
 
R.- Elles sont menacées, pourquoi, comment ? Elles sont menacées parce qu'on a un problème de réchauffement climatique, elles sont menacées à cause de nos modes de vie.
 
Q.- Mais sur le rythme, 24 heures, que voit-on en 24 heures ? C'est pour copier un peu le rythme Sarkozy ?
 
R.- Vous ne trouvez pas que sortir des bureaux, aller sur place, voir cette énorme banquise qui rentre dans la mer, parce que vous le voyez physiquement, il y a un endroit où c'est complètement plat, et puis, tout à coup, vous avez comme une espèce volcan froid qui gratte au fond de la terre, cette espèce de violence et vous avez tous ces scientifiques qui vous montrent physiquement comment cela se passe. Les images cela sert à ça, se rendre compte sur place, vous savez, quand vous allez dans une usine, quand vous allez dans une exposition, quand vous rencontrez des gens, quand vous rentrez dans l'habitat des gens pour discuter avec eux, c'est complètement inutile ? Sortir de son bureau, aller dans la réalité, cela me paraît crucial. Aller au pôle nord, regarder ce qui se passe - j'ai croisé une expédition française, qui était assez géniale, avec deux handicapés qui étaient dans des conditions extrêmes - il faut que ce soit un petit peu abîmé ? Je ne suis pas convaincu. Mais si on parlait d'une bonne nouvelle sur l'environnement ?
 
Q.- On va y venir. Mais quand vous dites que c'est important de sortir de son bureau, c'est pourquoi ? Vous vous sentez, d'après ce que j'ai lu en tout cas, un peu à l'étroit dans votre ministère, qui est quand même un super ministère !
 
R.- Comment ça à l'étroit ?! Je suis face au plus grand, au seul vrai défi du siècle ! Est-ce que vous réalisez sérieusement, au lieu de faire des petits commentaires, comme ça ? Est-ce que vous réalisez sérieusement, que le réchauffement...
 
Q.- Je lis la presse...
 
R.- Ben oui, mais être journaliste ce n'est pas juste raconter ce que raconte les autres. Est-ce que vous réalisez sérieusement que sur le réchauffement climatique, tous les modèles des scientifiques qui annoncent trois degrés, en gros, dans le siècle qui vient - or trois degrés, c'est comme votre température - est-ce que vous réalisez que nous sommes malheureusement en avance sur tous les modèles ? Quand je dis en avance, c'est une situation plus dégradée. Sur la biodiversité, toutes les prévisions sont dépassées ; l'UICN vient de donner la liste des espèces menacées, les ressources halieutiques, en gros la pêche, la mer, on est à 40 % des espèces menacés ; les terres arables pour l'agriculture, par l'urbanisation de la planète, ces sols qui sont de plus en plus épuisés... La situation est plus grave qui prévu. On voit bien que la dégradation objective des conditions sur la terre va plus vite, or on a la capacité de changer la donne, et la bonne nouvelle d'aujourd'hui...
 
Q.-...C'est la couche d'ozone.
 
R.- C'est la couche d'ozone. C'est vingt ans...
 
Q.- C'est Montréal. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire quoi ? Qu'en vingt ans, on arrive à faire bouger les choses quand on travaille ensemble ?
 
R.- Non, c'est quand il y a une prise de conscience. Parce que là, tout d'un coup, des scientifiques, comme pour le pôle nord, qui ont pris les gens pour leur dire : "attendez, venez voir ! Vous croyez que la vie sur terre est normale, eh bien vous êtes protégés, il n'y a que quinze kilomètres d'air au-dessus de vous, et puis après, il y a un petit tissu de soie autour, le fait qu'il y ait la vie sur terre est une incongruité à l'échelle de la stratosphère, donc attention, cette couche est en train d'éclater". Et là, tout le monde a bien compris ; il y a eu un protocole il y a vingt ans, on a interdit les CFC, en l'occurrence un certain nombre de produits, il y a eu une prise de conscience individuelle des gens, une vraie action internationale, et vingt ans après, elle est en train de se reconstituer, elle sera complètement reconstituée dans quelques années.
 
Q.- Cela veut dire qu'il faire pareil, par exemple, pour Kyoto, prendre exemple sur ce qui s'est fait à Montréal ?
 
R.- Absolument, bien sûr.
 
Q.- Fédérer les énergies ?
 
R.- Bien sûr. D'ailleurs, j'ai envoyé une équipe, parce que l'on se réunit à nouveau à Montréal en ce moment, j'ai envoyé une équipe hier pour voir les produits de substitution qui ont été mis en place au lieu et place de ce CFC interdit il y a vingt ans, pour essayer d'accélérer... S'il n'y avait pas eu cela, d'abord, la couche d'ozone serait mal, et en plus, le réchauffement climatique se serait encore très largement accéléré. Et puis, il y a l'autre nouvelle de la journée, si j'ose dire, ce sont les espèces menacées.
 
Q.- Oui, on en a parlé dans le journal, la liste s'est encore allongée.
 
R.- C'est 141. La France est dans la liste, il faut dire que l'on a des territoires extraordinaires de biodiversité que sont la Réunion, la Guadeloupe, Maurice (sic), la Guyane, la Polynésie et la Nouvelle Calédonie, et dans le cadre du Grenelle, il est clair qu'il va être proposé un programme exceptionnel pour ces territoires au titre de la biodiversité et de l'autonomie d'énergie.
 
Q.- Vous parlez du Grenelle justement ; des réunions sont en cours, des groupes ont été constitués. Vous avez quand même reçu des courriers, la encore, d'inquiétudes de certaines associations qui disent : est-ce qu'il n'y a pas une impréparation suspecte de la part du Gouvernement. Que leur répondez-vous ?
 
R.- Le Grenelle, ce n'est pas l'affaire du Gouvernement. C'est la première fois, dans le monde, qu'un pays dit à toutes les parties prenantes - syndicats, patronat, agriculteurs, ONG, villes, régions, départements - "il y a un sujet qui nous dépasse tous, aucun d'en nous, aucune des fonctions n'est capable de la traiter tout seul. Mettons nous autour de la table, mettez-vous autour de la table, voyons des positions apparemment contradictoires, essayons de bâtir des projets ensemble". Cela ne se fera pas sans difficultés, sans tensions, sans conflits peut-être même parfois, mais si l'on a la volonté, vraiment, de sortir des programmes qui nous permettent d'avancer considérablement, il faudra bien trouver des accords et aller de l'avant.
 
Q.- Il y a des sujets difficiles, délicats, celui des OGM par exemple.
 
R.- Oui, mais ce n'est pas le seul.
 
Q.- Vous pensez pouvoir mettre en place un moratoire, comme s'est demandé ?
 
R.- Ce n'est pas le seul sujet.
 
Q.- C'en est un mais il y en a beaucoup...
 
R.- Les OGM, ce sont les OGM pharmaceutiques, c'est la science, c'est plein de choses, et puis, il y a un OGM commercial particulier.
 
Q.- Sur les cultures de plein champ...
 
R.- Là, je suis convaincu que l'on va trouver des accords. Ce n'est pas là que les sujets sont les plus compliqués, bizarrement, c'est sur comment fait-on, vous et moi, tous les jours, qui avons un bulletin de vote, quand on veut acheter, choisir un produit durable et pas un produit jetable, c'est ça la vraie question, comment passe-t-on à l'acte ? C'est votre affaire, c'est l'affaire des pros, industriels, c'est l'affaire du Gouvernement, c'est l'affaire des ONG, c'est l'affaire du consommateur et des citoyens, des villes, l'organisation, les tramways, bref. C'est vertigineux parce que c'est tout notre modèle. Vous savez, j'ai fait à peu près le tour du monde depuis que je suis en poste. Ce qui me frappe le plus, c'est que tout le monde est en gros d'accord pour dire qu'il y a un vrai péril, un vrai danger, mais à chaque fois qu'il faut choisir entre le sauvetage de la planète et la pression sociale ou économique, comme on ne sait pas trop comment faire, ce n'est pas le sauvetage de la planète qui est choisi au plan international. Donc on est face à un énorme défi. Je pars à Prague, tout à l'heure, pour organiser une conférence française, parce que la France va présider l'Union européenne. Donc on est face à un truc qu'on va savoir régler comme la couche d'ozone, mais il faut vraiment s'y mettre.
 
Q.- Il y a un dossier donc on parle moins en ce moment, c'est celui de l'EPR à Flamanville. Il y a du retard, est-ce que c'est politique ? Comment se fait-il, par exemple, que la procédure de grand chantier n'ait pas encore été lancée ?
 
R.- Franchement, il faut poser la question à EDF. Vous m'apprenez quelque chose. Est-ce que je peux piquer un coup de gueule ?
 
Q.- Je vous en prie.
 
R.- Sur un point : les eaux usées, les stations d'épuration françaises.
 
Q.- Une décision qui doit être rendue demain.
 
R.- On a dix ou quinze ans de retard, condamnés par la Commission européenne. Demain, je vais à Arcachon pour en inaugurer une qui est exemplaire dans le bassin d'Arcachon mais je vais commencer à dire ce que je pense sur les 88 stations qui sont hors des normes françaises ; c'est profondément inacceptable, et d'ici la fin de l'année, si les procédures n'ont pas démarré, on commencera à expliquer sur place à et physiquement à la population ce qui se passe.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2007