Interview de M. Michel Barnier, ministre de l'agriculure et de la pêche, à l'émission "Evropske udalosti" de la chaîne de télévision tchèque "Ceska televize" le 3 septembre 2007, sur la proposition de la Commission européenne de limitation de la production sucrière, et sur la position de la République tchèque concernant la politique agricole commune.

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Média : CESKA TELEVIZE

Texte intégral

Q - Quelle est la position de la France en ce qui concerne les limitations des surfaces pour la betterave ainsi que l'utilisation du sucre dans un but industriel ?
R - Pour répondre à la question du sucre il faut se demander : est-ce qu'on veut une grande politique agricole qui produit pour nourrir, qui exporte, qui soit ambitieuse ? Il me semble, d'une manière générale, que le contexte mondial, notamment de l'alimentation, justifie une grande politique agricole économique européenne entre tous les pays. Tous les pays doivent avoir une place qu'il s'agisse des plus anciens dans l'Union, comme la France, ou des nouveaux, comme la République tchèque, et quelle que soit leur taille.
Dans le monde d'aujourd'hui il faut produire pour nourrir, en produisant avec des moyens de qualité, en faisant attention à la sécurité écologique, que ce soit pour le vin, pour le sucre, ou pour le lait. La Commission européenne a fait des propositions sur le marché du sucre, qui posent des problèmes, pas seulement à la République tchèque mais aussi à la France. Nous avons une économie industrielle, donc pour l'instant nous avons exprimé des réserves. Nous continuerons les discussions avec la Commission pour limiter les conséquences de ces propositions.
Q - La France aussi est touchée par cette politique : est-ce qu'il y a des limitations de la production sucrière, de la production de betteraves ?
R - Ces propositions de la Commission conduiraient à la fermeture d'unités industrielles. Nous sommes effectivement préoccupés, tout en comprenant qu'il faut maîtriser ce marché. Nous voyons chez nous en France des conséquences sérieuses à la fermeture de certaines unités industrielles.
Q - Tandis que chez nous on a déjà commencé cela, on a déjà annulé des plantations de betteraves... Et on nous dit que Eastern Sugar, l'entreprise qui a fermé les raffineries chez nous, l'a fait pour continuer cela en France et ailleurs...
R - Ecoutez, nous pouvons discuter de cela et parler des conséquences chez les uns et chez les autres, mais nous pouvons voir aussi les conséquences chez nous, car il y a une grande tradition de production de betteraves et de production sucrière, et il faut en même temps préserver pour l'Union européenne une capacité moderne de production.
Q - Et maintenant Monsieur le Ministre, une question plutôt gênante et plutôt générale : l'opinion publique tchèque n'aime pas beaucoup la Politique agricole commune de l'Union européenne et on dit chez nous, c'est la tradition, que c'est à cause de la France que l'on conserve cette politique parce que c'est la France qui en profite le plus ...
R - Je connais le sentiment de ceux qui regardent la télévision, qui peuvent se dire "il y a une grande politique agricole et la France la défend". Nous sommes historiquement un grand pays agricole, avec un très grand territoire et beaucoup de productions mais la République tchèque est aussi un pays qui produit, avec des fermes modernes et des petites fermes familiales : donc tout le monde est intéressé. En même temps, il faut voir ce qui se passe dans le monde : nous entrons dans une période où, avec 9 milliards d'habitants sur le globe en 2050, il va falloir produire pour nourrir cette population, produire pour être indépendant sur le plan alimentaire, produire de la manière la plus sûre pour le consommateur et en tenant compte des exigences écologiques. Donc nous avons une grande politique, et je pense qu'il y a besoin d'une grande politique économique européenne pour l'agriculture, qui intéresse la République tchèque et qui intéresse la France.
Je fais observer, à ceux qui s'inquiètent, que la France est contributeur net au budget de l'Europe. Nous donnons beaucoup plus d'argent à l'Union européenne que nous n'en recevons. On reçoit des sommes pour l'agriculture française, qui est une agriculture forte, mais on reçoit beaucoup moins d'argent pour la politique régionale structurelle que par exemple la République tchèque. Mais c'est normal, puisque la République tchèque doit développer ses territoires.
Il y a donc un équilibre, et chacun reçoit de manière équitable, selon son économie. Voilà ce qu'il faut retenir. L'Union européenne, c'est un contrat gagnant-gagnant, il faut bien sûr voir qui reçoit et qui donne, mais il faut voir aussi que l'Union européenne est plus forte grâce à ces grandes politiques économiques.
Q - Pour la dernière question, est-ce que vous pouvez me signaler les points d'accords qui peuvent surgir entre la République tchèque et la France en ce qui concerne les attitudes envers l'Union européenne, et en ce qui concerne la PAC ?
R - Nous entrons dans une période de réflexion sur ce que sera la Politique agricole commune après 2013 et nous allons travailler de manière constructive sur des points d'accord entre nos deux présidences qui vont se suivre entre 2008 et 2009. Des dossiers vont arriver pendant la présidence française et cela va continuer pendant la présidence tchèque : par exemple sur le bien-être animal, la santé animale, la lutte contre les pesticides, problèmes très techniques, mais très importants. Mais plus généralement, nous allons travailler avec le gouvernement tchèque sur le bilan de santé de la Politique agricole commune.