Interview de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, dans "Libération" le 1er décembre 2000, sur l'évolution des négociations de l'OMC en vue d'équilibrer la libéralisation par une plus grande régulation et l'implication des pays les plus pauvres.

Prononcé le 1er décembre 2000

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Q - Un an après le fiasco de Seattle, quel bilan tirez-vous ?
R - Désormais, aucune négociation ne pourra se dérouler de la même manière. Seattle devait permettre de trouver un accord sur les sujets du prochain cycle de négociations. Nous avons échoué. Mais je n'ai pas vécu cette réunion comme un fiasco. L'Union européenne a maintenu sa cohésion autour de ses positions. C'était essentiel. Mais Seattle a aussi mis en évidence le malaise des pays pauvres dans un débat étriqué sur la mondialisation. L'OMC, organisation jeune, a compris qu'elle devait ouvrir ses discussions commerciales à la société civile, aux parlementaires et aux ONG.
Q - Mais le désir de lancer un Seattle bis reste pour l'instant incantatoire ?
R - L'OMC s'est engagée après Seattle à restaurer la confiance, notamment en direction des pays en développement. A leur demande, des discussions sur la mise en oeuvre des accords de Marrakech ont été ouvertes. La France et l'Europe ont nourri le débat sur le fonctionnement de l'OMC, pour qu'elle soit plus transparente, plus ouverte et plus citoyenne. En un an, nous n'avons pas perdu notre temps : j'en veux pour preuve l'adhésion imminente de la Chine à l'OMC et la réunion Afrique-OMC de Libreville début novembre.
Q - Pourquoi le lancement d'un nouveau cycle est-il essentiel ?
R - Parce que nous vivons encore sur les acquis des cycles précédents, qui ont joué un rôle primordial dans le développement du commerce mondial et de la croissance. Mais nous avons besoin d'équilibrer la libéralisation par plus de régulation et par une meilleure répartition des fruits de la croissance. Seul un cycle de négociations peut le permettre. A quelle date sera-t-il lancé ? On y verra plus clair en 2001.
Q - Mais comment concilier davantage de libéralisation et de mondialisation à visage humain ?
R - J'ai la conviction profonde que nous pouvons agir sur la mondialisation pour lui donner le visage du progrès. Je veux qu'elle soit celle des savoirs partagés, et pas seulement celle des profits rapatriés. La mondialisation a besoin de régulation. On doit notamment y inclure l'environnement, la concurrence et les normes sociales. L'ouverture commerciale doit être équitable et se faire en faveur des pays les plus pauvres et les moins avancés. L'accès aux marchés pour les produits de ces pays doit être plus ouvert. Parallèlement, il faut accepter l'idée d'une plus grande progressivité de l'abaissement des barrières douanières pour les économies les plus vulnérables qui doivent mieux s'armer pour les supporter. Il s'agit aussi de favoriser les investissements directs étrangers et d'améliorer les règles de la concurrence.
Q - Comment sortir de l'ambiguïté du discours des pays du Nord qui militent d'un côté pour une ouverture toujours plus large, et de l'autre conservent leurs barrières douanières sur le textile et l'agriculture vis-à-vis des pays du Sud et diminuent leur aide publique au développement ?
R - C'est vrai, il y a parfois un décalage entre les discours généreux et les pratiques plus réalistes. Mais il faut tordre le cou à certaines idées reçues : le marché européen est totalement ouvert aux produits industriels, et donc aussi aux produits textiles et de l'habillement, ainsi que de la pêche des 49 pays les moins avancés, les PMA. Il faut aller plus loin et pousser d'autres pays industrialisés à nous emboîter le pas. Quant à l'aide publique ou à l'allégement de la dette, la France n'a pas à rougir : elle est de loin la plus grande contributrice au niveau européen.
Q - Partagez-vous le précepte de l'OMC selon lequel l'ouverture des frontières favorise la croissance, qui favorise le développement ?
R - Cela ne suffit pas ! La croissance mondiale a bénéficié en valeur absolue à l'ensemble des pays, y compris les plus pauvres. Mais les écarts se creusent : l'Afrique est passée de 5 % des échanges internationaux dans les années 70 à 1,8% aujourd'hui. Je refuse que l'Afrique soit laissée au bord de la route. L'OMC a besoin de l'Afrique et l'Afrique a besoin de l'OMC.
Q - Prônez-vous le retour de politiques régulationnistes ?
R - "Politiques régulationnistes" : le mot a quelque chose d'effrayant. Mais s'il s'agit de donner des règles à l'économie globalisée pour refuser le dumping social comme le dumping écologique, s'il s'agit d'impliquer le privé dans la prévention des crises financières ou de juguler le blanchiment de l'argent, alors je réponds oui, sans hésiter. Face aux marchés préoccupés de profits immédiats, le politique doit être l'architecte du long terme. C'est d'ailleurs dans cette optique que la France avait appelé à la création de l'OMC en 1994. Attention à ne pas se tromper de combat : l'alternative à l'OMC, c'est la loi de la jungle.
(source http://www.France-diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2000)