Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec M. Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, sur le développement des relations bilatérales franco-russes, les problèmes du Moyen-Orient, le dossier nucléaire iranien et la menace d'opérations militaires contre l'Iran, le statut du Kosovo, Moscou le 18 septembre 2007.

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Circonstance : Voyage en Russie de Bernard Kouchner les 17 et 18 septembre 2007

Texte intégral

Spassibo Monsieur Lavrov, merci Sergueï. Mon ami Sergueï a été extrêmement précis. Nous avons abordé tous les sujets. Nous n'en avons oublié aucun. Nous avons parlé de nos relations bilatérales et du développement de ces relations bilatérales. Nous avons parlé des problèmes du Moyen-Orient en général
Nous avons dit notre souhait que la Présidence française de l'Union européenne, à partir de juillet 2008, puisse aborder au mieux et renforcer les relations entre, non seulement, la France et la Russie, cela est évident - et nous n'avons pas besoin de cette Présidence -, mais également les relations entre l'Union européenne et la Russie. Nous nous engageons à y consacrer beaucoup d'efforts.
Nous avons parlé des relations de la Russie avec l'OTAN. Nous avons souligné combien il était important que le Conseil OTAN-Russie puisse continuer ses travaux de bonne manière. Nous avons précisé ce que nous entendions par la relation de la France avec l'OTAN et par le renforcement de la politique européenne de défense.
Sur tous ces problèmes de sécurité, nous avons décidé - et nous le ferons - de travailler très fortement, plus encore que nous ne le faisions ensemble, pour que ces problèmes se règlent entre partenaires.
Nous avons, la France et la Russie, un partenariat privilégié qui doit demeurer ce qu'il était et même se développer. Nous l'avons constaté dans tous les domaines, commerciaux et industriels, où nous travaillons très largement et avec beaucoup de bonheur ensemble.
Nous avons parlé des Droits de l'Homme et de la situation au Caucase du Nord, particulièrement, en Tchétchénie. Nous avons également parlé de la situation du Proche-Orient. Nous avons examiné les problèmes que posait le nucléaire allégué, la fabrication alléguée du nucléaire civil et militaire en Iran.
Nous avons abordé presque tous les problèmes bilatéraux avec le souci de comprendre ce qui se passe en Russie. Les transformations de ce pays sont majeures. Elles se sont faites en 15 ans, et 15 ans, ce n'est rien du tout. Il faut comprendre ce qui se passe de positif en Russie ; ce qu'on ne comprend pas toujours de loin.
Nous nous sommes donnés un rendez-vous, lors de l'Assemblée générale des Nations unies, pour continuer ce dialogue qui est nécessaire, extrêmement utile et sympathique.
Q - Monsieur Kouchner, les médias ont indiqué que vous n'avez pas exclu la possibilité d'opérations militaires contre l'Iran. Est-ce que vous n'excluez vraiment pas la possibilité de l'application de la force contre l'Iran pour la solution de cette situation ?
R - J'ai même dit que le pire serait que cet emploi de la force se présente hors de l'ONU. J'ai dit que le pire serait la guerre. A la question : qu'est-ce qui serait le pire ? J'ai répondu : la guerre. Ce qui veut dire que je partage votre sentiment que tout doit être fait pour éviter la guerre. Cela veut dire très clairement - et ce fut ma deuxième phrase, je ne sais pas si les médias mondiaux la citent -, qu'il faut négocier, négocier et négocier sans relâche, sans crainte des rebuffades - c'est un mot français pour dire que, quand cela ne marche pas, il faut continuer quand même.
Par ailleurs, c'est une différence avec mon ami Sergueï, je pense que l'on peut travailler sur des sanctions, sur des sanctions précises, pour montrer le sérieux, pour montrer l'intérêt que nous attachons à la résolution pacifique de ce problème, selon les normes internationales.
Négocier, négocier toujours, c'est ce que nous faisons. Vous savez quelle est l'approche européenne, celle des Allemands, des Anglais et des Français, le E3 rejointe par les Russes, les Américains et les Chinois, de travailler à des négociations. M. Solana l'a fait, il continue. Nous le faisons, chacun de notre côté, c'est cela qu'il faut faire.
Je précise que le pire serait la guerre et, pour l'éviter, il faut continuer le dialogue et se montrer extrêmement ferme sur les éventuelles sanctions. S'il n'y a pas de troisième résolution des Nations unies, nous serons peut-être obligés de les employer. Il n'en est pas question maintenant. Il n'est pas non plus question d'opérations militaires quelconques.
Je reviens de cette région : Irak, puis Israël et Palestine, Jordanie, Egypte et Liban. C'est une situation très tendue là-bas. L'Iran ajoute une incertitude, il faut donc se méfier. Voilà ce que j'ai dit.
Par ailleurs, nous partageons entièrement le sentiment de Sergueï Lavrov qui dit qu'il faut permettre à l'AIEA de vérifier et d'aller sur le terrain. Je suis d'accord avec cela. On ne peut pas faire plus pacifique. Simplement il ne faut pas se voiler la face, la situation est dangereuse, pas seulement à cause de l'Iran, mais parce que la région est dangereuse.
Q - Sur les questions internationales.
R - Nous avons beaucoup parlé des intérêts stratégiques de nos deux pays et des problèmes politiques. Nous avons parlé à la fois des missiles anti-missiles, du bouclier anti-missile, et du Kosovo. J'ai mieux compris, d'ailleurs, la position de la Russie après avoir parlé avec le ministre Lavrov du bouclier anti-missile et des récentes discussions à ce propos.
Nous en avions abondamment parlé entre les ministres des Affaires étrangères des 27 pays de l'Union européenne. Il faut toujours mieux en parler avec tous les protagonistes. Et nous n'avons jamais parlé davantage d'un sujet que du Kosovo avec les 27 ministres de l'Union européenne, quatre discussions de 3 heures chacune.
Je suis d'accord avec Sergueï pour dire que c'est un problème très difficile, à la fois un problème politique, un problème stratégique, un problème moral et un problème juridique.
Vous le savez, c'est la France qui a proposé que la discussion soit prolongée. Nous avions proposé six mois de plus, on a accepté finalement quatre mois de plus. Discussions établies, poursuivies, on peut dire, à la suite du plan Ahtisaari qui reste sur la table, poursuivies avec la Troïka, c'est à dire avec un représentant de l'Union européenne, M. Ischinger, un représentant de la Russie et un représentant des Etats Unis. Cette discussion est en cours.
Nous espérons, le ministre Lavrov et moi-même, que cette discussion aboutira à un consensus entre les deux parties, c'est-à-dire les Serbes et les Albanais du Kosovo. Et nous serions très heureux, nous serons très heureux, que cela se termine au Conseil de sécurité des Nations unies par une approbation d'un accord de consensus. Parce que c'est au Secrétaire général, M. Ban Ki-moon, que la Troïka va remettre son rapport.
Mais j'ai également dit à Sergueï Lavrov que, après toutes ces discussions au sein de l'Union européenne, nous sommes arrivés à un accord sur la nécessité de présenter un front uni à propos du Kosovo. C'est au milieu de l'Europe que cela se passe. L'Europe est concernée, plus encore que la Russie qui n'est pas loin, et les Etats-Unis qui sont un peu plus loin. C'est une question européenne et nous avons besoin, et nous l'aurons, j'en suis sûr, une unité de décision entre les 27 pays de l'Union européenne.
Je suis d'accord avec Sergueï, ce n'est pas un problème d'un mois de plus ou de moins. Il faut absolument, et c'est à eux que je m'adresse à travers vous, que les protagonistes, c'est-à-dire les Serbes, le gouvernement serbe, et les Albanais du Kosovo se rendent compte qu'ils doivent trouver une approche commune.
Q - Sur l'indépendance du Kosovo.
R - J'attends avec impatience la réponse de M. Lavrov à cette dernière question. Moi, ce que je peux vous dire, c'est que ce n'est pas une question d'une journée du 10 décembre ou pas. Il y a des élections prévues en Serbie, et il y a des élections qui sont prévues au Kosovo. Donc, il y a toujours des élections en Europe et c'est très heureux.
Vous savez, on a dit quatre mois, et d'ailleurs, c'est M. Ban Ki-moon qui l'a demandé à la Troïka. Ce n'est pas une question de jours. J'espère qu'ils arriveront à trouver, les deux protagonistes avec la Troïka, un consensus minimum que nous pourrons accepter les uns et les autres. Mais je sais que ce ne sera pas éternel.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2007