Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, à RTL le 18 septembre 2007, sur le projet de loi sur l'immigration, le regroupement familial et sur la proposition de prélèvement d'ADN pour authentifier les liens familiaux.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Votre texte sur l'immigration sera donc examiné aujourd'hui par les députés. 90.000 visas sont distribués, chaque année, pour des raisons de regroupement familial à des personnes étrangères qui en font la demande en France. 11.000 pour l'immigration économique, et vous dites que votre texte a vocation à rééquilibrer les flux migratoires en faveur de l'immigration économique, en expliquant que plusieurs secteurs réclament de la main d'oeuvre étrangère. Vous citez notamment l'hôtellerie, la restauration et on a du mal à comprendre qu'avec 2 millions de chômeurs, il y ait besoin d'immigrants pour tenir ces emplois-là.
 
R.- D'abord, première remarque sur le texte : c'est un texte qui est court, ce n'est pas une cathédrale législative, il est précis, il est concret.
 
Q.- Dix-huit articles.
 
R.- Dix-huit articles, effectivement. Deuxième remarque : il s'agit là d'un engagement de campagne de N. Sarkozy, et finalement, c'est la marque de ce début de quinquennat, c'est la marque voulue N. Sarkozy : les engagements pris pendant la campagne doivent devenir des promesses tenues, et ce sera donc le cas. Troisième réflexion : ce texte, effectivement, concilie deux choses. Il concilie la clarté des objectifs et la protection des personnes. Clarté des objectifs : oui, il y a un déséquilibre, 92.000 titres de séjour accordés au titre du regroupement familial, seulement 11.000 au titre de l'immigration économique, c'est-à-dire 7 % seulement des titres de séjour qui sont accordés. Alors, il existe des secteurs entiers dans lesquels il y a des manques de main d'oeuvre. J'ai réuni au mois de juillet...
 
Q.- Comment est-ce qu'on explique que l'hôtellerie et la restauration ne trouvent...
 
R.- Pas simplement.
 
Q.- Non, mais par exemple... ne trouvent pas de main d'oeuvre et on a besoin de population étrangère ?
 
R.- Parce que la population française n'est pas candidate à exercer certaines de ces fonctions. Les raisons sont multiples, il serait certainement trop long de les expliquer aujourd'hui. Mais c'est pas simplement l'hôtellerie et la restauration, on le trouve naturellement dans le bâtiment, on le trouve dans les travaux publics, on le trouve avec ces futurs gisements d'emploi que sont les services à la personne, on le trouve aussi dans les secteurs d'informatique. Je vous donne simplement un exemple : la France forme chaque année autant d'informaticiens que la seule ville de Bombay en Inde. Vous voyez qu'il y a un déséquilibre. Et puis, il y a aussi un autre exemple, qui est un peu différent mais qui est complémentaire, c'est les mathématiciens. La France était le temple des mathématiciens, aujourd'hui, il y a un déficit de mathématiciens. Donc il y a un déficit de main d'oeuvre qualifiée. Cela veut dire pas forcément diplômée mais qualifiée.
 
Q.- C'est assez extraordinaire d'imaginer ça ! Un réservoir de chômeurs importants, français ou étrangers, en situation régulière, et puis il faut en faire venir d'autres pour occuper des emplois.
 
R.- Oui, mais moi, mon domaine, malheureusement, ce n'est pas l'imagination - A. Duhamel l'a assez bien résumé -, mon domaine, c'est le concret. Donc je suis amené à faire face à cela. J'ai réuni l'ensemble des présidents des branches professionnelles pour qu'ensemble, nous examinions les besoins et on formulera des propositions, notamment au travers d'une carte qui s'appelle "Compétences et Talents" - on aura l'occasion d'en parler - mais qui est une carte ciblée. Le deuxième aspect de ce projet de loi, c'est un aspect très important, c'est la protection des personnes. Qu'est-ce que ça veut dire la protection des personnes ? Cela veut dire que nous n'acceptons plus qu'il y ait, demain, des candidats à l'immigration qui arrivent sur notre territoire sans, par exemple, connaître quelques éléments de notre langue. On va proposer un test qui sera un test très court, c'est un test de quinze minutes. S'il n'est pas satisfaisant, le candidat à l'immigration pourra suivre un stage de deux mois. Parce que la réalité est simple : un immigré qui arrive sur notre territoire, qui ne dit pas un mot - généralement, dans le cadre du regroupement familial, ce sont les femmes - cela veut dire qu'elles ne peuvent pas dialoguer avec ses voisins, ça veut dire qu'elle ne peut pas faire ses courses, ça veut dire qu'elle ne peut pas comprendre les mécanismes scolaires qui sont les nôtres. Cela veut dire naturellement qu'elle ne peut pas trouver un emploi. La langue c'est le meilleur vecteur de l'intégration. C'est pour cela que c'est aussi un texte protecteur. Garder des objectifs, protection des personnes.
 
Q.- Donc, durcissement des conditions de regroupement familial. Vous connaissez A. Marchetto ?
 
R.- Non.
 
Q.- Il est secrétaire du conseil pontifical au Vatican et il a dit, hier...
 
R.- Oui, j'ai vu sa dépêche, je ne connaissais pas de nom, je me souviens du statut.
 
Q.- Monseigneur A. Marchetto qui dit : "Il ne faut pas entraver la réunion des véritables familles". C'est embêtant quand on a le Vatican contre soi.
 
R.- C'est un résumé... D'abord, je vais vous dire, moi, par tempérament, j'entends tous les avis et je reçois tous ceux qui sont concernés par ces questions. Et j'ai donc reçu naturellement l'ensemble des associations - et Dieu sait qu'il y en a, Dieu sait qu'elles sont diverses -, mais j'ai reçu aussi les responsables, naturellement, des églises. J'ai reçu un pasteur, j'ai reçu Monseigneur Barbarin, moi, je suis ouvert à la discussion. Je dis simplement : il y a une réalité, il y a un déséquilibre dans notre pays et ma mission c'est qu'il y ait davantage d'équilibre. Pourquoi faut-il davantage d'équilibre ? Parce que notre société est une société d'équilibre et qu'il faut en préserver sa cohésion.
 
Q.- Ce qui fait polémique, c'est le test ADN adopté en commission des lois. Les demandeurs doivent prouver - pourraient prouver - leur filiation en passant un test ADN. Soutenez-vous cet amendement ?
 
R.- Première réflexion, c'est un amendement parlementaire. Et vous êtes vous-même tant attaché à la modernisation de la vie démocratique - A. Duhamel aussi - qu'il ne faut pas pousser des cris d'orfraie dès lors que, précisément, le Parlement joue son rôle. Son rôle c'est d'imaginer, c'est de proposer et c'est donc parfaitement inscrit dans le cadre d'une démocratie moderne.
 
Q.- Est-ce que c'est un bon amendement ? Je suis surtout attaché aux réponses aux questions : est-ce que c'est un bon amendement ?
 
R.- Mais je dis que c'est sain d'abord pour la démocratie.
 
Q.- J'ai compris. Mais est-ce que c'est un bon amendement ?
 
R.- Sur le fond - ça, c'était sur la forme -, je crois qu'il y a trois questions. A quoi cela servirait-il ? Cela servirait, en cas de doute sur l'authenticité des documents administratifs - et le rapport d'A. Gouteyron, sénateur, souligne qu'il y a 20 % à 30 % de ces documents qui sont sans doute douteux -, eh bien le candidat à l'immigration, il peut ainsi, par un test ADN, accélérer les procédures.
 
Q.- Donc, c'est un bon amendement ?
 
R.- Attendez. Deuxième élément : est-ce que cela serait obligatoire ? La réponse est non. Troisième réflexion : est-ce que nous serions isolés en Europe ? Non, la réalité, c'est qu'il y a douze pays d'Europe qui le font ou qui vont le faire.
 
Q.- Donc, vous soutenez cet amendement ?
 
R.- Donc cela veut dire que j'entends aussi ceux qui émettent des réserves, et j'ai un principe simple : par respect du Parlement, j'attends que le débat se déroule. Je vous le dis, la décision ne précède pas les débats mais doit lui succéder.
 
Q.- F. Amara, secrétaire d'Etat à la Politique de la ville, a dit dimanche : "Ce test ADN, ça me heurte en tant que fille d'immigrée". Elle siège avec vous au Gouvernement. Que lui répondez-vous ?
 
 
R.- Mais moi, cela ne me choque pas puisque ce n'est pas un texte, une proposition gouvernementale. F. Amara, membre d'un gouvernement, donne un sentiment sur une proposition qui est d'origine parlementaire. Je le dis simplement : il y a une condition...
 
Q.- C'est subtil la politique !
 
R.-  ...Et je le dis à tout le monde : il ne doit pas y avoir de débats interdits ni de sujets tabous.
 
Q.- L'autre aspect de la politique que vous menez, ce sont les reconduites à la frontière. N. Sarkozy vous a fixé l'objectif de reconduire 25.000 personnes à la frontière cette année. 11.800 l'étaient seulement à la fin juillet, vous tiendrez votre objectif ?
 
R.- Tout d'abord, je voudrais rappeler un principe simple, c'est que la France a le droit de choisir qui elle veut accueillir sur notre territoire. Deuxièmement, les objectifs...
 
Q.- Vous tiendrez l'objectif ?
 
R.-...Les objectifs d'expulsion, ce sont naturellement des objectifs mais c'est un signal qui est adressé. Cela veut dire tout simplement qu'un immigré en situation illégale sur notre territoire a vocation d'être reconduit dans son pays d'origine. Mais simultanément, cela veut dire aussi qu'un immigré en situation légale, c'est-à-dire qui parle notre langue, respecte nos lois, partage nos valeurs, cherche un travail ou a un travail, eh bien lui, doit bénéficier d'un effort d'intégration. Monsieur Aphatie, même si cela ne vous plaît peut-être pas totalement, ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre.
 
Q.- Vous tiendrez l'objectif ?
 
R.- Tout sera fait pour atteindre cet objectif. Mais on ne peut pas réduire la politique d'immigration à simplement cet aspect-là. La politique d'immigration, c'est la lutte contre le travail illégal, c'est la lutte contre les marchands de sommeil, c'est la politique du co-développement, c'est tout ça...
 
Q.- B. Kouchner, au Grand Jury : "Je n'aime pas cette histoire de chiffres. C'est un traitement humain qu'il faut".
 
R.- Il a raison sur un point bien précis, c'est que pour moi, ces chiffres ne signifient pas que les individus doivent être traités comme des numéros. J'essaie d'appliquer la politique qui est la mienne avec le maximum d'humanité mais aussi d'efficacité.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2007