Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à RTL le 27 février 2001, sur le désaccord entre les ministres de l'agriculture des Quinze pour l'indemnisation des éleveurs, l'immigration de réfugiés kurdes et l'élargissement de l'Union européenne.

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Texte intégral

O. Mazerolle Le Traité de Nice a été signé dans l'indifférence générale. Sans doute d'abord parce qu'il est incompréhensible pour le commun des mortels et ensuite parce qu'il parle de l'Europe de demain alors que celle d'aujourd'hui n'arrive pas à résoudre ses problèmes. Le désaccord entre ministres de l'Agriculture cette nuit à Bruxelles est grave ?
- "Oui, je pense que l'Europe est passée à côté de ce qui devait être son devoir : aider les agriculteurs français victimes d'une politique de cafouillage au niveau national et au niveau européen. L'Europe n'a pas fait son devoir. Son boulot était d'avoir une agence sanitaire européenne indépendante. Je le réclame depuis longtemps ; on va le faire mais ce n'était pas fait au moment de la crise de la vache folle. Elle est passée à côté de l'indemnisation des agriculteurs. Je dis le mot "indemnisation" parce que je sens que beaucoup de gens montrent les agriculteurs du doigt en ce moment, "ils vont encore recevoir des subventions ! etc..." Ce n'est pas tout à fait cela. Les agriculteurs sont des gens qui travaillent dur, les éleveurs font de la viande de bonne qualité, mais ils se sont retrouvés, à un moment donné, face à une crise qui n'est pas la leur, une sorte de panique politique et médiatique, des mesures autoritaires visant à détruire leurs troupeaux. Et si je vous oblige à vendre votre maison ou une partie de votre terrain, c'est une expropriation ! Il est normal qu'il y ait des indemnités. La question qui se pose est de savoir si ces indemnités auraient dû avoir lieu au niveau européen ou au niveau national. Le ministre de l'Agriculture français a obtenu des mesures nationales. Il eut mieux valu des mesures européennes. C'était la justification même de la PAC."
Ce qui semble plus grave pour l'avenir, c'est qu'il y a un désaccord de fond entre la France et d'autres pays européens qui la montrent du doigt en disant qu'elle a toujours voulu produire plus pour permettre à ses agriculteurs de gagner plus d'argent avec une mauvaise qualité.
- "C'est une autre question. Est-ce qu'il fallait revoir la PAC plus tôt ? Je pense que oui. Il est vrai que l'on a poussé les agriculteurs dans un mode de production qui consistait à encourager à coups de subventions la quantité au prix le plus bas au détriment de la qualité. Aujourd'hui, il faut prendre le virage au niveau européen et national. Il y a aujourd'hui une prise de conscience, il faut donc revoir la PAC. Cela fait partie de toutes les questions qui en ce début de nouveau siècle méritent d'être repensées. Il faut donc repenser la PAC, Il faut repenser l'Europe."
La politique agricole est un gros défi pour la France parce que certains pays européens mettent en cause l'utilité même pour l'Europe d'avoir une politique agricole.
- "Je pense qu'il faudra, pour une part, renationaliser la politique agricole commune, que tout ne se fera pas au niveau européen comme cela a été le cas dans le passé. Il y a une politique d'organisation des marchés au niveau européen, c'est tout à fait nécessaire ; il y a une politique sanitaire..."
La France s'est battue contre la renationalisation !
- "Oui, mais il faudra revoir les choses."
L'immigration : autre psychose pour les Européens qui voient maintenant accoster des cargos avec des malheureux réfugiés à bord.
- "Là encore, on a besoin d'une vrai politique européenne parce que c'est un problème auquel sont confrontés tous les pays européens. Nous avons besoin d'un appareil législatif et judiciaire au niveau de chaque pays et qui soit coordonné au niveau européen. Nous avons besoin de mettre en place des contrôles de police aux frontières, des règles d'expulsion des clandestins, des règles de régularisation harmonisées au niveau européen. Nous avons aussi à faire face à une nouvelle immigration à organiser. Les portes ne peuvent pas être totalement fermées et bien évidemment, elles ne peuvent pas être totalement ouvertes. Entre les deux, nous avons besoin d'une nouvelle régularisation de flux d'immigration."
C'est ce que j'allais vous dire : qu'est-ce qui peut convaincre ces malheureux de ne pas tenter de venir vers des zones de richesses comme l'Europe ?
- "Là, je vous parlais de l'immigration du travail dont nos économies ont besoin et avec des permis limités, un peu à l'américaine, à l'allemande - c'est ce qu'on appelle le système des cartes vertes - au travers de quotas d'immigration négociés au niveau européen. Mais qu'est-ce qui peut empêcher les malheureux du monde entier de ne pas regarder vers les pays prospères ? C'est un défi extraordinaire que ce bateau a mis en évidence mais il y a aussi une poussée migratoire de tous les jours. On a vu le bateau mais on ne voit pas tous les visas de tourisme, tout ce qui se passe chaque jour de façon moins visible. Il y a un problème curieux..."
On continue à bombarder l'Irak, c'est la solution ?
- "J'ai entendu M. Chevènement dire que c'est la faute aux bombardements sur l'Irak. Si l'Irak n'avait pas monté, il y a un peu plus de 10 ans, une opération terroriste contre les Kurdes, rasant 90 % de leurs villages, faisant plusieurs dizaines de milliers de victimes, nous ne serions pas dans cette situation. Il serait important de convoquer au niveau européen une conférence des ministres des Affaires étrangères pour avoir une politique commune européenne sur la question kurde."
C'est mal parti : les Anglais bombardent avec les Américains...
- "Il va falloir régler cette question Kurde, trouver la façon, non pas d'instituer un Etat, mais des régions autonomes qui permettent à des Kurdes de vivre dans la paix, la prospérité, d'éduquer leurs enfants et ne pas être systématiquement obligés de regarder du côté de l'immigration. D'une façon générale, il faut repenser la politique étrangère, en particulier pour la France. Je pense au Maghreb et aux pays africains. Nous avons trop longtemps subventionné les dictateurs, pas assez lutté pour la démocratie dans ces pays alors que c'est une condition essentielle pour la prospérité. Nous avons fermé nos marchés et je crois que là aussi, il faut revoir notre politique étrangère dans un sens plus favorable au développement qui est, à mes yeux, inséparable de la démocratie."
C'est bien de penser tout cela, mais on se demande comment faire puisqu'à Nice on a été incapable - et le Traité le démontre - d'arriver à une procédure de décisions communes qui permettent de surmonter les intérêts ou les égoïsmes nationaux.
- "A Nice, on a fait quelque chose d'important : on a signé le permis d'agrandir l'Europe. La construction de cette nouvelle Europe - l'Europe à 27 ou à 30 - est une tâche extraordinaire. Je pense aux pères fondateurs de l'Europe qui ont reconstruit l'Europe sur les ruines de la seconde Guerre Mondiale. Après la chute du Mur de Berlin, il y a une nouvelle Europe à construire."
Quel désordre en perspective, on n'arrive déjà pas à s'entendre à 15, alors à 27...
- "On ne peut pas faire rentrer l'Europe des 27 dans les institutions pour les Quinze qui ont elles-mêmes du mal à fonctionner. Il faut donc repenser nos institutions. On n'est sans doute pas allé assez loin à Nice, c'est comme ça... C'est pour cela que j'ai dit que j'étais un peu déçu...
Vous y croyez encore ?
- "Oui, bien sûr."
C'est la foi du charbonnier ?
"Non, pas du tout, c'est une nécessité. Nous sommes Européens, avec la perspective de faire vivre 27 pays sur une communauté de destin, sur un continent qui est sans doute le plus riche, le plus talentueux, le plus innovateur. Je suis donc un Européen convaincu mais il faut penser l'Europe autrement. Quand on pensait l'Europe à 6 à 12 ou à 15, on a eu trop souvent tendance à penser l'Europe comme étant un super Etat fédéral, avec un super gouvernement, des super impôts, etc. Cela marche de moins en moins et ça ne marchera pas à 27. Là encore, il faut faire du neuf. Vous voyez que dans tous les domaines un grand remue-méninges nous attend."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 février 2001)