Déclaration de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur la liberté de la presse, la situation économique de la presse écrite et les mesures de soutien à ce secteur, Paris le 13 septembre 2007.

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Circonstance : Dîner de "L'Humanité" à Paris le 13 septembre 2007

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis très heureuse d'être parmi vous ce soir, pour ce rendez-vous important de la rentrée qu'est le dîner de L'Humanité.
Il offre, en effet, chaque année, un temps de réflexion privilégié, précieux, autour d'un sujet qui dépasse les clivages politiques : la situation de la presse, son avenir, dans un contexte en constante évolution, et son nécessaire pluralisme. Je vous remercie de m'avoir invitée à partager vos échanges.
Votre journal L'Humanité, cher Patrick Le Hyaric, est justement l'une des illustrations du pluralisme de la presse française. Je voudrais saluer ce soir l'engagement, le professionnalisme qui sont les vôtres, et qui font vivre, au quotidien, un journal d'opinion qui compte essentiellement sur le soutien de ses lecteurs.
Je crois qu'il n'est jamais anodin de rappeler que la liberté de la presse est tout simplement l'un des fondements de notre démocratie. Elle est née avec la démocratie, elle en a accompagné toutes les avancées, et subi tous les reculs, elle est liée à ses pages les plus sombres comme à ses heures les plus glorieuses.
La loi sur la liberté de la presse - toujours en vigueur - est née avec la IIIe République, et c'est le Conseil National de la Résistance qui a fait de la presse quotidienne l'un des piliers de la reconstruction de la France. Il ne faut donc pas s'étonner de trouver parmi les premiers textes promulgués à la Libération les ordonnances de 1944.
Comme le disait Albert Camus dans le premier éditorial de Combat, le 31 août 1944 : « Nous pensions alors qu'un pays vaut souvent ce que vaut sa presse ».
Nous le pensons tous encore aujourd'hui. La démocratie « irréprochable » qu'appelle de ses voeux le Président de la République, ne peut vivre que par l'existence d'une presse réellement libre et pluraliste.
Ce ne sont pas des mots, mais des principes forts que nous devons tous porter avec une vigilance accrue, à l'heure où la presse s'apprête à relever de nouveaux défis.
Le Président de la République, dans la lettre de mission qu'il m'a adressée le 1er août dernier, m'a assigné un objectif clair : prendre « les dispositions nécessaires pour permettre à la presse quotidienne de sortir de la crise qu'elle traverse depuis des années, en particulier en ce qui concerne le régime de sa distribution et son adaptation à l'univers numérique. » J'en fais une priorité.
L'émergence des nouvelles habitudes de consommation, l'essor toujours accéléré des nouvelles technologies, le développement d'une culture de la gratuité bousculent les repères anciens et nous commandent d'agir pour donner un nouveau souffle à la presse écrite, qui doit trouver une bonne complémentarité avec les autres médias, Internet et télévision. Vous le savez, la question des financements de l'audiovisuel public est actuellement en débat. Aucune décision n'est prise à ce stade, mais je peux vous dire que les équilibres de l'ensemble du secteur des médias seront pris en compte dans les décisions qui seront prises.
La modernisation constitue, à l'évidence, un enjeu primordial, un rendez-vous que la presse doit absolument tenir pour conforter son indépendance économique et son développement futur.
Ce constat, vous l'avez déjà fait et vous engagez le défi d'une redéfinition de votre stratégie industrielle, d'une valorisation de votre savoir-faire, notamment à travers la diversification de vos supports de diffusion. Vous êtes présents sur Internet. Vous êtes présents sur le terrain des gratuits. Vous êtes présents aussi sur le terrain des télévisions locales, dont vous êtes souvent actionnaires, et je me réjouis qu'un accord ait pu être trouvé avec notre appui pour que les chaînes locales puissent être diffusées dès ce matin sur la TNT.
Conscient de sa responsabilité, l'Etat est décidé à accompagner vos efforts.
Il le fait de longue date. En parcourant les annales, j'ai relevé que, déjà, en 1928, Léon Blum écrivait, dans les colonnes du Populaire : « La liberté politique, la paix suppose une presse indépendante et sincère. N'est-ce pas le devoir de l'Etat de garantir la liberté et la paix ? », et de poursuivre : « L'Etat est aujourd'hui le commanditaire de la presse toute entière. Les préférences douanières accordées au papier journal et les tarifs réduits pour les opérations postales représentent une énorme subvention de plus de 100 MF pour les seuls tarifs postaux ».
Cet effort de l'Etat doit être poursuivi. Il faut que l'action publique en faveur de la presse soit à la mesure des enjeux d'aujourd'hui.
Je crois que ce sera le cas pour l'année 2008, compte tenu de l'augmentation du budget que nous allons consacrer à la presse et ce, malgré un environnement économique extrêmement contraint.
Dans le respect des axes fondamentaux de la politique publique conduite jusqu'à aujourd'hui, les mécanismes d'aides existants seront perfectionnés afin que leur efficacité soit encore accrue. Je pense en particulier au fonds d'aide au portage et au fonds d'aide aux quotidiens à faibles ressources de publicité. Je tiens à annoncer à cette occasion la consolidation dans le futur projet de loi de finances des montants des trois fonds visant à garantir le pluralisme de la presse.
Dans le même souci constant d'efficacité et d'adaptation permanente des aides d'Etat aux besoins de la presse, le fonctionnement du fonds de modernisation devrait être optimisé afin de mieux cibler les dossiers les mieux à même de répondre à l'objectif du fonds, c'est-à-dire moderniser le secteur, et ce, en favorisant les demandes entraînant le plus fort effet de levier. Des travaux en ce sens ont été engagés entre la direction du développement des médias et les différents syndicats concernés. Je souhaite qu'ils soient féconds.
La distribution, qu'il s'agisse de la vente au numéro ou par abonnement, constitue un élément essentiel de la reconquête des territoires abandonnés par la presse payante. Il faut développer un raisonnement fondé sur une politique de l'offre. La présence, la visibilité et l'accessibilité sont les conditions premières de la vente de la presse.
Le secteur a collectivement compris cet impératif.
La réflexion sur la vente au numéro a abouti au plan des NMPP « Défi 2010 ». Ce plan s'articule autour de plusieurs axes visant à obtenir une réforme des structures, des gains de productivité, une clarification de l'offre et une meilleure rémunération des diffuseurs. L'Etat sera un partenaire attentif et vigilant de ce plan ambitieux. Il le soutiendra, notamment en portant l'aide à la distribution des quotidiens d'information politique et générale à hauteur de 12 millions d'euros pendant sa période d'exécution. Il s'assurera également que chacun des acteurs du dossier assume sa part de responsabilité.
A cet égard, je suis avec intérêt les expériences d'optimisation du réseau conduites de concert par les deux messageries et l'ensemble des acteurs de la chaîne de la distribution.
Parallèlement à ce chantier, nous souhaitons nous saisir du dossier de la vente par abonnement.
Vous savez que les accords du 22 juillet 2004 prévoient une réunion sous l'égide de l'État, six mois au moins avant la fin de la période couverte par les accords, soit au plus tard le 30 juin 2008. Ceci afin d'examiner les conditions de sortie du système tarifaire et d'aides publiques établi dans le cadre du protocole, compte tenu notamment de l'évolution de l'environnement économique et concurrentiel du marché postal, et d'envisager la mise en place d'un dispositif d'accompagnement spécifique.
Des travaux s'ouvriront donc prochainement afin de préparer cette échéance. Dans cette perspective, je m'apprête à confier à un haut fonctionnaire une mission visant à définir le nouveau cadre économique et juridique de la presse.
En tout état de cause, le soutien public ira en priorité aux titres d'information politique et générale, qui font vivre le débat démocratique.
D'un point de vue technique, il importera, dans un contexte où le monopole de La Poste en matière de transport postal aura vécu, de mettre en place un mécanisme qui permette de verser directement l'aide au pluralisme aux éditeurs « ciblés » en vue de soutenir la diffusion de leurs titres. La réflexion pourra dépasser le seul cadre postal et embrasser l'ensemble des modalités d'acheminement des abonnements, en laissant le soin aux éditeurs de déterminer leur mode de diffusion (portage ou postage) ainsi que leur opérateur.
Aussi, je présenterai donc prochainement un plan en faveur du portage. Ce mode d'acheminement est le plus à même de garantir la fidélisation du lecteur, qui est, nous le savons, l'une des clés pour inverser l'érosion des ventes.
Enfin, nous savons tous que la presse en ligne a besoin d'un taux de TVA réduit. Même si la défense de ce dossier devant les autorités communautaires et auprès des 26 autres Etats membres s'avère une tâche ardue, je m'y attellerai. Je suis persuadée que vous m'y aiderez, en intervenant auprès de vos relais européens.
Voilà ce que je voulais vous dire ce soir : mon souhait que nous travaillions ensemble pour défendre les idéaux auxquels nous sommes tous attachés. La France a besoin d'une presse indépendante, forte, diverse, pluraliste. Parce qu'elle est le lieu de l'information, de la connaissance, du développement de l'esprit critique. Parce qu'elle est une expression de la démocratie en acte. Parce qu'elle constitue un lien social irremplaçable au sein de notre communauté nationale.
Les Français aiment leur presse. Ils lui font confiance, ainsi que l'ont montré les très forts tirages qui ont accompagné les campagnes présidentielle et législative.
A titre personnel, chacun le sait, j'aime l'écrit, et je suis très attachée à la presse. Vous pouvez compter sur mon soutien.Source http://www.culture.gouv.fr, le 18 septembre 2007