Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au cours de lannée 1998, de nombreuses manifestations organisées tant en métropole quoutre-mer ont marqué le cent cinquantième anniversaire de labolition de lesclavage.
Manifestations populaires ou cérémonies officielles, lhommage fut partout le même et sadressait à tous les abolitionnistes, quelle que soit la couleur de leur peau. Partout sexprimait une exigence, celle de la mémoire, la mémoire dun crime mais aussi la mémoire dune victoire.
La mémoire dun crime et, comme il vous est proposé de le proclamer, un crime contre lHumanité. Qui pourrait en douter ? Le servage fut supprimé en France en 1315. Ce privilège de la Terre des Francs, entendez libres, ne connut pas dexception, sauf et systématiquement pour les Noirs. Crime contre lHumanité, parce quau-delà de son horreur, crime commis contre des innocents, contre ceux qui navaient rien fait, mais à raison de ce quils étaient, à raison de la couleur de leur peau.
La mémoire dun crime, mais aussi la mémoire dune victoire. La mémoire dune victoire, parce que labolition de 1848 fut fille de celle de 1794.
Quatre années avaient séparé la Déclaration des Droits de lHomme et du Citoyen, du décret de la Convention de février 1794, abolissant lesclavage dans toutes les colonies. Quatre années datermoiements et dhésitations où saffrontèrent deux politiques, celle des grands principes et celle des intérêts que venait conforter la force des préjugés.
« Périssent les colonies plutôt que nos principes « , cette apostrophe, prêtée à Robespierre, les esclaves la firent leur, se révoltant partout. Ils obligèrent ainsi lAssemblée révolutionnaire à ratifier ce quà Saint-Domingue, quatre mois plus tôt, avaient dû décréter les commissaires dune République qui navait plus pour la défendre quaffranchis et esclaves révoltés, le groupe « du grief généralisé « comme le dénommait Césaire.
Dès lors, les termes du dilemme étaient posés et posés par les esclaves :
la République, dans ce pays, serait universaliste ou ne serait pas.
Par la force armée, on le sait, Bonaparte rétablit lesclavage ; deux ans plus tard, Napoléon abolissait la République. Mais à Saint-Domingue, le corps expéditionnaire de Leclerc avait échoué. Le flambeau républicain avait changé de mains, et le 1er juillet 1804, lannée du sacre de lEmpereur, naissait la première République noire du monde, celle dHaïti.
1848, Seconde République, seconde abolition, définitive cette fois. Un républicain se souvenait de lHistoire. A Arago qui lui faisait part de ses hésitations devant les conséquences dune émancipation immédiate, Schoelcher rétorquait : « Si lémancipation nest pas décrétée, je recommanderai moi-même aux esclaves de se révolter « .
Mesdames et Messieurs les Députés, les esclaves furent parmi les pères fondateurs oubliés de la République. Aucune considération et aucune violence ne purent arrêter ces hommes qui nacceptèrent jamais le sort qui leur était fait. Leur refus est lune des sources auxquelles puise notre République. Honneur et respect aux esclaves qui refusèrent lesclavage.
Attentat permanent contre lesclave, lesclavage est aussi une souillure pour celui qui en tire profit, pour celui qui le tolère, pour celui qui se tait.
Les habitants de Champagney en Haute-Saône navaient sans doute jamais vu desclaves, mais ils ont protesté, et le firent dès 1789 dans leur cahier de doléances. Leur refus nen est que plus éclatant, et il est, lui aussi, lune des sources auxquelles puise notre République. Honneur et respect à ces pionniers de la dignité de lHomme.
La République, dont nous sommes tous les héritiers, nest pas seulement celle des grands ancêtres. Cest celle que nous ont léguée, ensemble, le nègre marron inconnu et lobscur paysan de Champagney. Nous avons, nous tous, besoin de ces deux histoires qui se rejoignent en 1848. La République se tient à leur confluent.
Comment en faire vivre utilement la mémoire ? Le texte qui est proposé à votre Assemblée proclame solennellement que la traite négrière et lesclavage constituent un crime contre lhumanité. Cette proclamation est faite non au passé, mais au présent, au présent de la mémoire et de la conscience. Un siècle et demi na pas effacé, ne doit pas effacer cette longue tragédie.
Fidèles aux valeurs de la République, héritiers des combats menés par Toussaint Louverture et Louis Delgrès, par labbé Grégoire et Victor Schoelcher, nous sommes et nous demeurons abolitionnistes. Lesclavage na pas disparu de la face de la terre. Parfois ouvertement, plus souvent sous des formes déguisées, il existe encore dans de nombreux pays et constitue un scandale permanent quil faut dénoncer : lenfant contraint au travail, le paysan enchaîné à sa terre, la jeune femme vendue pour lexploitation sexuelle sont les figures modernes de la négation de la dignité humaine.
En faisant aujourdhui cet acte de mémoire, nous devons aussi avoir une claire vision des enjeux et des situations contemporains et avoir à leurs égards la même exigence, aujourdhui comme hier. La dignité de lhomme ne se marchande pas.
Permettez-moi pour conclure de rappeler que ce débat et le vote de votre Assemblée, si importants quils soient dans les quatre départements doutre-mer, ne concernent pas seulement ceux de nos compatriotes qui y vivent ou qui en sont originaires. Ils concernent lensemble de la Nation.
Ne nous méprenons pas sur la portée de ce texte : il ne cherche pas à distinguer, à discriminer au sein de ce qui est uni, à rechercher dans le passé des motifs de querelles, de revendications ou de rancur.
Bien au contraire, il vise à rappeler que la somme de nos histoires individuelles et collectives, a fondé une histoire commune. Par elle et grâce à elle, comme je lavais déjà exprimé, il y a quatre mois devant votre Assemblée, lors du débat dorientation sur loutre-mer, les Français ne sont pas une race, ils sont un peuple.
Cest là lhonneur de notre pays mais plus encore, cest là sa chance, cest là sa force.
Mesdames et Messieurs les Députés, je vous remercie.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr)
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au cours de lannée 1998, de nombreuses manifestations organisées tant en métropole quoutre-mer ont marqué le cent cinquantième anniversaire de labolition de lesclavage.
Manifestations populaires ou cérémonies officielles, lhommage fut partout le même et sadressait à tous les abolitionnistes, quelle que soit la couleur de leur peau. Partout sexprimait une exigence, celle de la mémoire, la mémoire dun crime mais aussi la mémoire dune victoire.
La mémoire dun crime et, comme il vous est proposé de le proclamer, un crime contre lHumanité. Qui pourrait en douter ? Le servage fut supprimé en France en 1315. Ce privilège de la Terre des Francs, entendez libres, ne connut pas dexception, sauf et systématiquement pour les Noirs. Crime contre lHumanité, parce quau-delà de son horreur, crime commis contre des innocents, contre ceux qui navaient rien fait, mais à raison de ce quils étaient, à raison de la couleur de leur peau.
La mémoire dun crime, mais aussi la mémoire dune victoire. La mémoire dune victoire, parce que labolition de 1848 fut fille de celle de 1794.
Quatre années avaient séparé la Déclaration des Droits de lHomme et du Citoyen, du décret de la Convention de février 1794, abolissant lesclavage dans toutes les colonies. Quatre années datermoiements et dhésitations où saffrontèrent deux politiques, celle des grands principes et celle des intérêts que venait conforter la force des préjugés.
« Périssent les colonies plutôt que nos principes « , cette apostrophe, prêtée à Robespierre, les esclaves la firent leur, se révoltant partout. Ils obligèrent ainsi lAssemblée révolutionnaire à ratifier ce quà Saint-Domingue, quatre mois plus tôt, avaient dû décréter les commissaires dune République qui navait plus pour la défendre quaffranchis et esclaves révoltés, le groupe « du grief généralisé « comme le dénommait Césaire.
Dès lors, les termes du dilemme étaient posés et posés par les esclaves :
la République, dans ce pays, serait universaliste ou ne serait pas.
Par la force armée, on le sait, Bonaparte rétablit lesclavage ; deux ans plus tard, Napoléon abolissait la République. Mais à Saint-Domingue, le corps expéditionnaire de Leclerc avait échoué. Le flambeau républicain avait changé de mains, et le 1er juillet 1804, lannée du sacre de lEmpereur, naissait la première République noire du monde, celle dHaïti.
1848, Seconde République, seconde abolition, définitive cette fois. Un républicain se souvenait de lHistoire. A Arago qui lui faisait part de ses hésitations devant les conséquences dune émancipation immédiate, Schoelcher rétorquait : « Si lémancipation nest pas décrétée, je recommanderai moi-même aux esclaves de se révolter « .
Mesdames et Messieurs les Députés, les esclaves furent parmi les pères fondateurs oubliés de la République. Aucune considération et aucune violence ne purent arrêter ces hommes qui nacceptèrent jamais le sort qui leur était fait. Leur refus est lune des sources auxquelles puise notre République. Honneur et respect aux esclaves qui refusèrent lesclavage.
Attentat permanent contre lesclave, lesclavage est aussi une souillure pour celui qui en tire profit, pour celui qui le tolère, pour celui qui se tait.
Les habitants de Champagney en Haute-Saône navaient sans doute jamais vu desclaves, mais ils ont protesté, et le firent dès 1789 dans leur cahier de doléances. Leur refus nen est que plus éclatant, et il est, lui aussi, lune des sources auxquelles puise notre République. Honneur et respect à ces pionniers de la dignité de lHomme.
La République, dont nous sommes tous les héritiers, nest pas seulement celle des grands ancêtres. Cest celle que nous ont léguée, ensemble, le nègre marron inconnu et lobscur paysan de Champagney. Nous avons, nous tous, besoin de ces deux histoires qui se rejoignent en 1848. La République se tient à leur confluent.
Comment en faire vivre utilement la mémoire ? Le texte qui est proposé à votre Assemblée proclame solennellement que la traite négrière et lesclavage constituent un crime contre lhumanité. Cette proclamation est faite non au passé, mais au présent, au présent de la mémoire et de la conscience. Un siècle et demi na pas effacé, ne doit pas effacer cette longue tragédie.
Fidèles aux valeurs de la République, héritiers des combats menés par Toussaint Louverture et Louis Delgrès, par labbé Grégoire et Victor Schoelcher, nous sommes et nous demeurons abolitionnistes. Lesclavage na pas disparu de la face de la terre. Parfois ouvertement, plus souvent sous des formes déguisées, il existe encore dans de nombreux pays et constitue un scandale permanent quil faut dénoncer : lenfant contraint au travail, le paysan enchaîné à sa terre, la jeune femme vendue pour lexploitation sexuelle sont les figures modernes de la négation de la dignité humaine.
En faisant aujourdhui cet acte de mémoire, nous devons aussi avoir une claire vision des enjeux et des situations contemporains et avoir à leurs égards la même exigence, aujourdhui comme hier. La dignité de lhomme ne se marchande pas.
Permettez-moi pour conclure de rappeler que ce débat et le vote de votre Assemblée, si importants quils soient dans les quatre départements doutre-mer, ne concernent pas seulement ceux de nos compatriotes qui y vivent ou qui en sont originaires. Ils concernent lensemble de la Nation.
Ne nous méprenons pas sur la portée de ce texte : il ne cherche pas à distinguer, à discriminer au sein de ce qui est uni, à rechercher dans le passé des motifs de querelles, de revendications ou de rancur.
Bien au contraire, il vise à rappeler que la somme de nos histoires individuelles et collectives, a fondé une histoire commune. Par elle et grâce à elle, comme je lavais déjà exprimé, il y a quatre mois devant votre Assemblée, lors du débat dorientation sur loutre-mer, les Français ne sont pas une race, ils sont un peuple.
Cest là lhonneur de notre pays mais plus encore, cest là sa chance, cest là sa force.
Mesdames et Messieurs les Députés, je vous remercie.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr)