Déclaration de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, sur la lutte contre l'utilisation comme soldats des enfants, à New York le 1er octobre.

Prononcé le 1er octobre 2007

Intervenant(s) : 

Circonstance : 62eme Assemblée générale de l'ONU, à New York du 25 septembre au 3 octobre 2007

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Madame la Directrice adjointe,
Madame la Représentante spéciale,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs, Mesdames,
Chers Amis,
Moins d'un an après la conférence "libérons les enfants de la guerre", qui s'est tenue à Paris en février dernier sous la co-présidence de la France et de l'UNICEF, nous sommes aujourd'hui à nouveau réunis pour évoquer le sort tragique des enfants soldats. Votre participation témoigne de notre détermination commune à continuer à lutter contre ce fléau.
250.000, le chiffre des enfants associés aux groupes et forces armés ne peut que frapper les esprits par son importance. Garçons ou jeunes filles, recrutés de force ou soit disant volontaires, utilisés par un groupe armé, rebelle ou pro-gouvernemental, voire par les forces armées régulières, ils combattent l'arme à la main ou remplissent corvées et missions dangereuses, quand ils ne sont pas réduits à la condition d'esclaves sexuels. Tour à tour victimes et bourreaux, ils baignent dans un climat de violence qui est la négation même de leur enfance.
La vie de ces enfants est la plupart du temps détruite à jamais. Une fois les conflits achevés, leur réinsertion s'avère particulièrement difficile tant en raison des traumatismes subis, que de l'ostracisme dont ils font l'objet. Il est de notre devoir de briser ce cercle vicieux de la violence et de l'indifférence.
Face à l'ampleur et à la gravité de ce drame, qu'avons-nous fait ?
Onze ans après le lancement de l'étude de Graça Machel, document fondateur qui avait mis en lumière la tragique condition des enfants dans les conflits armés, un premier bilan montre que nous ne sommes pas restés les bras croisés.
Au niveau politique, un Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies sur les enfants et les conflits armés a été nommé il y a maintenant dix ans. Il a permis de sensibiliser en profondeur Etats, organisations et programmes. Il veille à ce que notre engagement ne retombe pas. Permettez-moi de saluer le rôle majeur de Mme Coomaraswamy, qui nous a fait l'honneur d'être aujourd'hui présente, et nous exposera un peu plus tard les résultats de la mise à jour de l'Etude Machel.
Nous nous sommes par ailleurs dotés d'un arsenal normatif remarquable.
Le protocole facultatif à la convention sur les droits de l'enfant relatif aux enfants dans les conflits armés, adopté en l'an 2000, et qui représente une avancée significative en matière de prévention, est désormais ratifié par près de 120 Etats. Nous devons oeuvrer à son universalisation et j'exhorte tous les Etats qui ne sont pas encore parties à ce protocole à y adhérer dans les meilleurs délais.
Corollaire de ce volet préventif, le Statut de Rome a érigé en crime de guerre imprescriptible, l'utilisation et le recrutement d'enfants de moins de 15 ans. Mais dénoncer un crime ne suffit pas. Encore faut-il que la lutte contre l'impunité ne soit pas une expression creuse. Tel n'est pas le cas et nous ne pouvons que nous féliciter de l'action déterminante en la matière de la Cour pénale internationale. Faut-il rappeler que le premier procès de la CPI sera celui de Thomas Lubanga, accusé d'avoir recruté dans ses milices des milliers d'enfants. Nous devons renforcer notre soutien à la Cour, et lui permettre en particulier de juger ceux qu'elle a inculpés et qui sont souvent responsables d'exactions visant des enfants, que ce soit en Ouganda ou au Darfour. Arrêter ces suspects est une obligation, (morale mais aussi légale).
Le Conseil de sécurité s'est de son côté mobilisé. Il a encouragé la mise en place sur le terrain d'un très novateur mécanisme de coordination entre agences. Sur la base des informations recueillies par celui-ci, des rapports de la Représentante spéciale du Secrétaire général, et grâce à un dialogue avec les représentants des pays intéressés, le Conseil de sécurité adresse des recommandations précises aux gouvernements mais aussi aux groupes rebelles, afin de prévenir le recrutement d'enfants soldats, d'obtenir leur libération et de faciliter leur réinsertion.
Mon pays, préside le groupe de travail sur les enfants et les conflits armés depuis sa création par le Conseil de sécurité en 2005. Nous sommes très heureux que le groupe de travail ait d'ores et déjà produit des résultats tangibles. Plusieurs groupes rebelles, que ce soient les Karens en Birmanie, les forces nouvelles en Côte d'Ivoire, ou le MLS soudanais, ainsi que des gouvernements ont renoncé, sur ses instances, à recourir aux enfants soldats. A cet égard, je tiens tout particulièrement à saluer les avancées substantielles enregistrées récemment au Tchad et surtout en Côte d'Ivoire.
Je voudrais enfin saluer l'action de l'UNICEF qui a mis au point en 1997 "les Principes du Cap", document clef traçant les grands axes d'action sur le terrain. Surtout, l'UNICEF et les autres agences et programmes des Nations unies, mais aussi de nombreuses organisations non gouvernementales, ont accompli sur le terrain, avec abnégation, un travail primordial. Un seul chiffre permet de mesurer l'immensité de la tâche accomplie : depuis 2001, 95.000 enfants ont pu suivre des programmes de prise en charge ou de réinsertion.
Pourquoi alors organiser cette réunion, me direz-vous ? Que d'autre pouvons-nous faire alors que la mobilisation s'avère déjà réelle et substantielle ?
Cette réunion s'avère tout simplement indispensable parce que ces actions que je viens de décrire n'ont malheureusement pas encore permis d'éradiquer définitivement ce fléau.
L'actualité immédiate, marquée notamment par la réapparition des enfants soldats sur les champs de bataille au Sri Lanka, vient nous rappeler la fragilité des progrès enregistrés. En outre, face à l'immensité des besoins, les ressources demeurent insuffisantes, d'autant plus que les actions de réinsertion sont par définition onéreuses et requièrent un financement de long terme. Enfin, il convient de mieux appréhender les besoins spécifiques des filles en renforçant leur accès aux programmes de réintégration.
Il est par conséquent capital de renforcer notre engagement commun sur le plan politique et financier.
C'est dans ce souci que la France et l'UNICEF ont pris l'initiative en début d'année d'organiser la Conférence ministérielle de Paris. 59 Etats ont alors souscrit aux "Engagements de Paris" et manifesté leur soutien "aux Principes de Paris". Qu'ils en soient chaleureusement remerciés. Notre réunion de ce jour s'inscrit dans le prolongement direct de cet exercice. Elle vise tout d'abord à élargir la reconnaissance internationale à ces deux textes importants. Je ne m'appesantirai pas sur les Principes, qui vous seront présentés par la Directrice exécutive adjointe de l'UNICEF et co-présidente de cette réunion, Mme Hilde Johnson. (Je soulignerai simplement que ces principes constituent une actualisation plus qu'opportune des principes du Cap, mettant l'accent sur la difficile question des jeunes filles, ainsi que sur celles de la justice et des enfants réfugiés ou déplacés.)
Je rappellerai en revanche les principaux éléments des Engagements. En y souscrivant, les Etats s'engagent :
- à mettre un terme à l'utilisation et au recrutement illégaux d'enfants par des groupes ou des forces armés ;
- à chercher à obtenir la libération de tous les enfants soldats sans conditions à tout moment, y compris durant des conflits armés et sans attendre la conclusion d'accords de paix ;
- à lutter contre l'impunité, en poursuivant et en n'amnistiant pas, notamment lors de la conclusion d'accords de paix, ceux qui auraient eu recours aux enfants soldats ;
- à collaborer pleinement avec le mécanisme du Conseil de sécurité et à appliquer les éventuelles sanctions qui seraient prises à l'encontre des parties ;
- à traiter les enfants soldats avant tout comme des victimes, en les soumettant à une justice pour mineurs voire à des procédures non judiciaires et en ne les considérant pas comme déserteurs en cas d'abandon de leur poste ;
- à prendre en compte de manière appropriée l'éventuelle condition d'enfant soldat dans les procédures d'asile et à ne pas refouler un enfant vers un pays où il courrait un risque réel d'être illégalement enrôlé ou utilisé par des forces ou groupes armés ;
- à faire en sorte que les financements en matière de désarmement, de démobilisation et de réintégration, soient d'une durée suffisante pour permettre une véritable réinsertion.
Ce sont donc des engagements forts de nature certes politique, mais allant au-delà des textes antérieurs. Ils sont indispensables si nous voulons bannir la pratique ignominieuse du recrutement illicite d'enfants soldats. J'espère que vous serez nombreux à pouvoir y souscrire à l'occasion de cette réunion.
Nous passerons également en revue aujourd'hui les actions entreprises par les diverses parties prenantes depuis la conférence de Paris. A cet égard, j'ai le plaisir d'annoncer que la France va désormais financer, dans le cadre de sa coopération, des postes d'attachés qui suivront spécialement les questions des enfants dans les conflits armés dans la région des Grands Lacs. Elle va continuer à soutenir les actions de la société civile, notamment des coalitions "Stop the use of child soldiers" et "watchlist on children and armed conflict", dont le rôle capital doit être souligné, ainsi que des programmes de démobilisation tel que le récent projet de l'UNICEF au Tchad.
Je vous propose enfin, en accord avec l'UNICEF, pour maintenir notre mobilisation de mettre sur pied un "Forum de suivi des Engagements de Paris". Il aura vocation à réunir régulièrement sur une base informelle toutes les parties intéressées, à savoir les Etats affectés par cette tragédie, les bailleurs de fonds, qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux, et naturellement la Représentante spéciale du Secrétaire général. Pourront ainsi être plus efficacement mises en oeuvre concrètement les recommandations relatives à la démobilisation et réinsertion des enfants soldats.
Je vous remercie de votre attention et j'ai le plaisir maintenant de donner la parole à la directrice exécutive adjointe de l'UNICEF, Mme Hilde Johnston.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2007