Déclaration de Mme Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, sur les rapports locatifs, la répartition des charges entre propriétaires et locataires pour le gardiennage, le nettoyage ou la sécurité des immeubles, ainsi que sur la solvabilisation des locataires les plus modestes, Lyon le 25 septembre 2007.

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Circonstance : Réunion de la Commission nationale de la concertation (CNC) à Lyon le 25 septembre 2007

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Le 6 juillet dernier, vous avez souhaité que la Commission nationale de concertation puisse rencontrer le nouveau ministre du logement et de la ville pour une séance de travail sur les rapports locatifs.
Je réponds aujourd'hui à votre invitation.
Je suis heureuse de vous retrouver dans cette préfecture du Rhône. A la veille des journées de la commune lyonnaise, en 1870, le préfet du Rhône rédigeait un rapport alarmant sur la situation quasi insurrectionnelle qui régnait ici. La cause principale, selon cet honorable serviteur de l'Etat, n'était autre que « l'énormité des loyers ».
L'histoire regorge d'anecdotes sur les relations tumultueuses des locataires et des propriétaires. A croire que cette question est aussi vieille que la civilisation :
Du blocage des loyers parisiens par Louis XIII au découpage par les propriétaires de la capitale, en 14-18, de leurs appartements en multiples « garnis », pour tirer éhontément profit des malheureux réfugiés du nord,
Du journal le « Cri du locataire » à la création en 1909 du syndicat « des anti-vautours », du doux nom d'oiseau dont furent affublés les propriétaires.
... On peut retenir deux leçons :
Tout d'abord, il n'est pas toujours facile d'être locataire.
Ensuite, il n'est pas forcément toujours plus agréable d'être propriétaire.
Et pourtant les uns n'existeraient pas sans les autres. Il faut donc trouver une solution d'équilibre et même, si on le peut, parvenir à un rapport gagnant-gagnant entre les uns et les autres pour reprendre un terme à la mode.
Je crois important de replacer ces rapports dans la situation actuelle du logement.
Aujourd'hui, nous traversons une crise sans précédent. Cette crise n'est pas aussi visible qu'à la fin de la deuxième guerre mondiale. Face à l'ampleur du défi, la solidarité nationale s'était mise en oeuvre naturellement pour relever le défi de la reconstruction. Aujourd'hui, la crise du logement exclut un grand nombre de personnes de tout logement et touche presque tous les Français. La crise est bien là mais elle se répand à bas bruit.
J'ai rencontré de nombreux acteurs qui m'ont fait part de leurs expérience et des réalités du terrain : sur-occupation des logements, loyers très élevés et charges importantes, conditions de logements qui présentent des risques pour la santé des personnes, en particulier des enfants, etc ...
Dans une société où les cursus professionnels sont de moins en moins linéaires, où les vies familiales peuvent connaître des rebondissements, cette insécurité constitue à l'évidence une double peine pour les familles les plus fragiles.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire lors des Réunions de chantier à Lyon, le logement est une chaîne qui part de celui qui n'a pas de logement jusqu'aux cadres supérieurs qui peuvent vivre avec plusieurs résidences. C'est une chaîne en cela qu'on peut changer de logement au cours de sa vie, au gré de son évolution professionnelle. C'est une chaîne en cela que le logement libéré par les uns peut profiter aux autres. Avant tout, je veux que nous soyons tous convaincus, en tant que professionnels du logement mais aussi en tant que citoyens, que c'est donc une affaire de solidarité à laquelle chacun doit prendre sa part.
Nous ne pourrons répondre à cette crise que par une production massive de nouveaux logements ainsi que par un meilleur fonctionnement de la chaîne dans son ensemble. Nous voulons construire 500 000 nouveaux logements par an dont 120 000 logements sociaux. Nous voulons faire de la France un pays de propriétaires avec 70 % de foyers possédant leur résidence.
70 % de propriétaires ? Cela signifie par différence 30% de locataires, ce qui me semble être : bon partage. C'est un équilibre qui évolue au cours de la vie : on loue d'abord, on s'installe ensuite, puis avec la maturité, on accède souvent à la propriété.
Je ne veux pas opposer propriétaires et locataires, locataires du parc public et locataires du parc privé. Et je suis convaincue que c'est cette complémentarité de l'ensemble du parc qui fait la spécificité du modèle français et sa force potentielle.
Vous l'aurez entendu dire, je ne souhaite pas de nouvelle loi qui porterait mon nom. Pas de loi BOUTIN donc ! En revanche, je veux donner un toit à tous. C'est ma plus grande ambition et je mettrai toute ma volonté politique pour y parvenir.
Je chercherai aussi autant que possible à simplifier la complexité des règles afin que nul ne se trouve exclu du logement ou des aides, faute de maîtriser pleinement les méandres juridiques. C'est je l'espère, le résultat auquel devrait conduire le programme de révision générale des politiques publiques actuellement en cours.
Je suis profondément attachée aux grands équilibres de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
Cependant, il faudra bien adapter nos pratiques pour prendre en compte l'évolution de notre environnement et des demandes sociales. Dans ce domaine du rapport entre locataires et bailleurs comme dans bien d'autres, nous savons bien que l'immobilisme ne conduit qu'à accroître les rentes de situation. Or, ce n'est pas le but.
C'est pour cela que nous aurons toujours besoin qu'existe une instance comme la Commission nationale de la concertation dédiée à l'amélioration des rapports locatifs et au sein de laquelle toutes les parties prenantes peuvent mener avec toute sérénité possible des discussions et un dialogue constructif. Cela peut déboucher, le cas échéant, peut déboucher sur des accords collectifs nationaux de location, qui eux-mêmes peuvent être étendus par décret à tous les bailleurs et locataires.
Seul un travail en confiance entre propriétaires et locataires nous permettra de faire vivre notre parc de logements.
Volonté politique, confiance et solidarité : ces trois mots qui fondent mon action comme Ministre du logement et de la ville, ces trois mots guideront aussi mon action dans le domaine particulier des rapports entre les locataires et les bailleurs.
Ma volonté politique portera sur l'évolution du décret sur les charges récupérables afin d'adapter les conditions de prise en charge des frais de gardiennage. Nous devons avoir le courage de toiletter la liste des charges récupérables. Je souhaite aussi vous faire part de ma position relative à la mise en sécurité des ascenseurs.
La solidarité entre les acteurs, dans le dossier qui nous occupe, doit nous encourager à remettre à disposition plus de logements vacants du parc privé en nous appuyant notamment sur la GRL et de meilleures réponses aux personnes dans des habitats indignes ou indécents.
Je me suis exprimée lors de mon discours de clôture de l'USH jeudi dernier.
Je tiens devant votre instance à reprendre ces éléments et les détailler.
J'aborderai successivement avec vous 7 ou 8 points.
En premier lieu, en ce qui concerne la récupération des charges de gardiennage, convenons que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Elle est même absurde ! Un arrêt récent de la Cour de cassation en date du 27 septembre 2006 a confirme que la rémunération des gardiens ne sont pas récupérables auprès des locataires lorsque les deux tâches de surveillance et d'entretien des parties communes des immeubles (ménage et ordures ménagères) ne sont pas assurées dans leur totalité par les gardiens.
Or aujourd'hui, on le sait bien, un gardien assure rarement toutes les tâches de surveillance et d'entretien, contrairement à ce qui pouvait se faire dans les années 1970. Des prestataires extérieurs sont de plus en plus sollicités (société de nettoyage, société de gardiennage et de sécurité, société d'enlèvement des déchets).
Pour autant, cela ne diminue en rien la valeur ajoutée des gardiens parce que nous vivons à une époque - qui le contestera - où l'on a plus que jamais besoin d'une présence dans les immeubles, surtout dans nos quartiers fragiles.
C'est sous cet angle que doivent être analysées les conséquences de l'arrêt de la Cour de Cassation. Les bailleurs, notamment les organismes HLM, dans les quartiers fragiles, sont désormais poussés à privilégier un recours grandissant à des prestataires extérieurs pour la surveillance ou l'évacuation des déchets pour l'ensemble de ces deux tâches, plutôt que de recruter des gardiens d'immeuble, au détriment d'une gestion urbaine et sociale de proximité dont tout le monde connaît l'importance pour la bonne vie collective. L'absence de gardien pénalisera au premier chef les résidents.
C'est la raison pour laquelle, il conviendrait à mon sens qu'une partie au moins des dépenses afférentes soit répercutée en toutes circonstances, même lorsque le gardien n'effectue qu'en partie ces deux tâches.
Je demande qu'une concertation s'engage immédiatement au sein de votre Commission afin de trouver une solution intelligente qui agrée le plus grand nombre.
Je proposerai ensuite au Premier ministre de signer un décret sur la base de ces principes après une nouvelle concertation rapide sur ce texte. Si vous n'êtes pas en mesure de me proposer une solution partagée, je prendrai mes responsabilité et soumettrai directement au Premier ministre un décret à signer qui permette de favoriser le retour des gardiens d'immeuble.
En deuxième lieu, je souhaite également qu'une nouvelle concertation plus large s'ouvre sur la question des charges, sachant que la liste des charges récupérables n'a pas été actualisée depuis 1987 et que de nouvelles demandes sociales se font jour, par exemple en matière de sécurité ou de développement durable.
Dans le cadre du Grenelle de l'Environnement, j'espère que nous trouverons une solution « gagnant-gagnant » sur ce dernier sujet car, faire des économies d'énergie demande des investissements préalables mais peut rapporter en fonctionnement.
En tout état de cause, les locataires devront avoir la certitude que les baisses de charges dont ils bénéficieront sur la durée feront plus que compenser les surcoûts liés aux dépenses initiales.
J'ai déjà eu l'occasion de dire au Premier ministre et à mon collègue Jean-Louis BORLOO. Je serai particulièrement vigilante sur la prise en compte des personnes les plus fragiles. Il ne faudrait pas qu'une nouvelle précarité apparaisse, une précarité « énergétique » cette fois ci. Il n'y aura pas de développement durable qui vaille si nous laissons les plus modestes d'entre nous sur le bord du chemin.
Je vous demande de me faire part des propositions de votre Commission sur une réflexion globale sur la répartition des charges et des loyers dans un délai de 4 mois, soit à la fin janvier 2008.
En troisième lieu, je veux évoquer devant vous la sécurité des ascenseurs qui est évidemment un sujet de préoccupation que nous partageons tous. Nous devons tout faire pour réduire les risques. La loi sur la mise en sécurité des ascenseurs participe à cette démarche de mise en sécurité et de modernisation de notre parc de logements.
La première échéance sur les mises en sécurité des ascenseurs se présente au 3 juillet 2008 : elle correspond aux travaux les plus urgents en termes de sécurité à savoir le verrouillage sécurisé des portes palières, la clôture des gaines et la protection contre les chocs des portes coulissantes. Plusieurs d'entre vous m'ont saisie. Je pense en particulier à Monsieur GIACOMO de la CNL pour me demander de reporter cette première échéance. Il est exact que les entreprises sollicitées pour les travaux ne peuvent répondre dans les délais requis, sauf à demander des prix exorbitants. Les ascensoristes eux-mêmes en conviennent. Je vais donc proposer au Premier ministre de reporter cette première échéance d'environ 18 mois, et donc à la fin 2009.
Je note avec satisfaction que de très nombreux bailleurs se sont déjà mis en ordre de marche pour respecter les obligations correspondant à cette première échéance, en particulier les bailleurs HLM et les SEM.
Le quatrième point, c'est que nous devons remettre sur le marché des logements vacants. Un outil existe : la garantie des risques locatifs, la GRL. Nous devons à présent la rendre vraiment opérationnelle et la diffuser le plus largement possible.
Au-delà, nous devrons même rapidement nous interroger pour savoir si la GRL ne devrait pas être rendue, à terme, obligatoire pour tous les baux, ce qui permettrait de baisser sensiblement les primes d'assurance souscrites par les bailleurs. L'idéal serait, évidemment, de pouvoir un jour se passer du cautionnement solidaire qui est une des causes majeures des difficultés d'accès au logement des plus modestes. On pourrait même envisager l'étalement dans le temps du dépôt de garantie, en concertation avec les associations de bailleurs et de locataires ou, comme c'est déjà le cas en Belgique, son versement sur un compte porteur d'intérêts.
Je souhaite que la GRL qui est effective et monte en puissance dans le parc locatif privé puisse maintenant s'appliquer et se diffuser dans le parc des bailleurs sociaux.
Le cinquième point concerne la solvabilisation des locataires les plus modeste.
Le nouvel indice de révision des loyers, l'IRL, a permis de limiter la progression des prix de location : moins de 3 % de hausse annuelle des loyers privés, contre + 7 à + 8 % si l'indice du coût de la construction (ICC) avait été conservé.
De plus, la loi DALO a décidé l'indexation automatique annuelle au 1er janvier des aides personnelles au logement sur le nouvel IRL. Ceci concerne non seulement les loyers plafonds de l'APL et de l'allocation logement mais aussi les forfaits de charges locatives entrant dans le calcul des aides, ce qui est très important pour protéger les locataires les plus fragiles.
Sachez que je m'opposerai de toute mes forces à toute remise en cause de cette indexation automatique des aides au logement.
Je tiens cependant à vous rassurer. Une telle remise en cause n'est nullement d'actualité.
Le sixième point, c'est qu'au delà des grands équilibres établis par votre commission nationale dans les rapports bailleurs / locataires, nous devons ensuite mettre en oeuvre ces dispositions localement.
Beaucoup de cocontractants établissent des baux justes et équilibrés. Les ADIL n'y sont pas pour rien d'ailleurs, qui conseillent beaucoup de nos concitoyens.
Dans les cas les plus conflictuels, le recours juridictionnel a beau être pénible, il demeure irremplaçable pour les cas complexes. Ajoutons qu'il nous fournit une jurisprudence précieuse pour tracer de grandes lignes d'équilibre, utiles à tous.
Entre les deux, les Commissions départementales de conciliation doivent prendre toute leur place. Ces instances de règlement des conflits entre personnes de bonne volonté sont des outils précieux. Les Directions départementales de l'Equipement en assurent le secrétariat. Je demanderai aux directeurs de s'impliquer personnellement pour assurer leur bon fonctionnement dans tous les départements.
Je souhaite aussi que puissent se développer des accord collectifs locaux de location entre bailleurs et locataires, créés par la loi ENL, dans les domaines de la sécurité et du développement durable. Je crois qu'ils sont encore très peu nombreux aujourd'hui mais ils représentent, à l'évidence, une voie d'avenir.
L'un des derniers points que je souhaite aborder avec vous est un sujet un peu transversal. C'est la lutte contre l'habitat indigne et indécent.
C'est au coeur de nos villes, qu'existent probablement les difficultés les plus criantes. Elles concernent notamment les rapports entre locataires et bailleurs ; sans parler des marchands de sommeil qui exploitent la misère humaine.
La loi portant Engagement national pour le logement a ouvert les Commissions départementales de conciliation aux problèmes de décence. J'encourage donc les DDE, qui assurent leur secrétariat, à être les plus actives possibles pour gérer ces questions.
Je souhaite aussi que soit développé, en cas de litige, le recours par des associations siégeant à votre Commission.
Je tiens à vous dire que mes services - et notamment le pôle habitat indigne dirigée par Madame Nancy BOUCHE à laquelle je rends hommage pour la qualité du travail effectué - se tient à la disposition des associations et des autres partenaires pour dispenser des formations sur ces questions. Un guide grand public doit réalisé avec l'ANIL sur les droits des habitants en habitat indigne. Il complètera par un guide juridique sur le relogement qui doit paraître très prochainement.
Je participerai à la journée nationale du pôle habitat indigne le 27 novembre prochain à Saint-Etienne.
Pour finir, j'aborderai la question de la diversité sociale dans l'habitat. Cette diversité contribue à l'équilibre de nos villes. Elle se construit , petit à petit, à chaque signature de chaque bail. Chacun doit contribuer à cette politique de mixité qui doit se faire à toutes les échelles, du quartier jusqu'à l'immeuble. J'attends avec impatience début octobre le rapport de la conférence de consensus de la HALDE qui a été lancée le 19 juin dernier sur ce sujet.
Je vous remercie.
Source http://www.reunions-de-chantier.org, le 27 septembre 2007