Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- J. Pradel, animateur : V. Pécresse avec J.-P. Elkabbach, un entretien à suivre en vidéo également sur Europe.fr. Pour parler des bourses, des universités, des étudiants qui attendent et qui scrutent vos propos, V. Pécresse bonjour. Bonjour. La loi sur l'immigration va retourner à l'Assemblée nationale pour son adoption définitive. A l'aube, les sénateurs ont voté la loi avec l'amendement contesté et, cette fois, corrigé. Ministre de la Recherche, est-ce que vous approuvez cet amendement qui autorise les tests ADN, et je dirais d'abord l'amendement tel qu'il était à l'origine ?
R.- Vous savez aussi que je suis non seulement ministre de la Recherche, mais aussi l'ancien rapporteur de la loi bioéthique à l'Assemblée nationale en 2003. Donc moi, j'étais très réservée sur cet amendement parce que je vois bien ce qu'il peut apporter aux étrangers, notamment dans les pays en guerre qui n'ont plus d'état civil. Si c'est leur donner la possibilité de faire la preuve...
Q.- Donc à l'origine, vous étiez contre ?
R.- Je trouvais qu'il y avait des aspects positifs, qui étaient de pouvoir faire preuve d'une filiation sans état civil, mais j'étais très réservée parce que pour moi, les tests ADN pour la filiation paternelle, ça n'est pas possible, ça n'est pas l'esprit de la loi bioéthique. La paternité est sociale, elle n'est pas biologique...
Q.- Est-ce que vous avez été consultée, au moment où ça a été lancé ?
R.- Nous en avons parlé avec B. Hortefeux. Oui, je lui ai dit mes réticences. Et moi ce que je pense, c'est que l'amendement adopté par le Sénat cette nuit est un amendement qui va dans le bon sens. Parce qu'il apporte des garanties sur deux points : d'abord l'intervention du juge qui donne des garanties en terme de libertés publiques - les tests ne seront prescrits que si c'est utile aux étrangers -, et en plus, il n'autorise ces tests que pour la filiation maternelle, or la filiation maternelle ne pose pas de problème éthique.
Q.- Donc, heureusement qu'il y a les sénateurs pour transformer l'amendement et qui n'est plus ce qu'il était ?
R.- Non, mais ça s'appelle la démocratie, ça s'appelle le travail parlementaire.
Q.- Le Comité d'Ethique que vous connaissez, autorité indépendante, est plutôt contre. Il a estimé hier soir qu'inscrire dans la loi une identification biologique réservée aux seuls étrangers contredit l'esprit de la loi et conduirait furtivement à généraliser les identifications génétiques.
R.- Alors je crois que là-dessus, l'intervention du juge donne des garanties de protection des libertés publiques importantes, et puis surtout je crois qu'un outil scientifique n'est pas par nature bon ou mauvais, c'est l'usage qu'on en fait qui est bon ou mauvais et les garanties éthiques qu'on donne. Et là, en l'occurrence, là où je diffère de l'avis du Conseil national d'Ethique, c'est que je considère que si... Les étrangers sont dans une situation différente : ils veulent faire venir leurs enfants en France, ils doivent apporter la preuve de la filiation et par tous moyens. Et quand ils n'ont pas d'état civil parce qu'ils ont été détruits par la guerre, parce qu'il n'existe plus, eh bien ! Il faut peut-être leur donner cette possibilité de preuve supplémentaire, je pense que ça les place dans une situation différente.
Q.- Mais vous savez que la perception publique de l'amendement est très négative.
R.- Oui, mais je crois que là encore - vraiment je le dis - un outil scientifique est un outil scientifique, il n'est pas bon ou mauvais par nature.
Q.- Le président D. Sicard, du Comité d'Ethique, sera demain chez D. Souchier à partir de 9 heures. Aujourd'hui, vous allez rendre visite à Toulouse, là dans quelques instants, à l'association « Sauvez la recherche ». Vous savez qu'elle a lancé une pétition contre cet amendement, qu'elle rejette les tests sur l'amendement ADN. Qu'est-ce que vous allez lui dire ? Ce que vous voulez dire là ?
R.- Exactement.
Q.- Vous ne pensez pas que vous allez être rejetée, à moins que vous ayez le goût du risque ?
R.- Non parce que... d'abord parce que j'ai été la rapporteur de la loi bioéthique, donc ils savent bien que ces sujets d'éthique me sont chers et ils savent que je considère la science comme devant toujours avoir une conscience.
Q.- A Toulouse, les chercheurs ont prévu aussi de vous interroger sur l'avenir des OGM en France. Est-ce qu'il faut continuer, sous contrôle, l'expérimentation des OGM ?
R.- Vous savez que dans le cadre du "Grenelle de l'Environnement", toutes les questions environnementales sont posées. Sur les OGM, la question est très simple : on ne sait pas, on est dans une zone grise de la science. Et moi, la position de mon ministère et la mienne profondément, c'est de dire « quand on ne sait pas, la seule démarche qui vaille c'est la démarche scientifique ». Une démarche qui est fondée sur le questionnement, l'expérimentation. Ça ne veut pas dire que les scientifiques ne se trompent jamais, mais ça veut dire que quand on ne sait pas, la seule démarche possible c'est la science. Et, j'ajoute que c'est une question d'indépendance nationale, parce que si jamais nous arrêtions la recherche sur des sujets aussi répandus - parce que maintenant, il faut savoir qu'un grand nombre de pays et notamment de pays en développement, utilisent ces OGM, les commercialisent - si nous arrêtions la recherche sur les OGM, eh bien ! Nous ne serions plus en mesure d'assurer cette indépendance.
Q.- Donc il faut continuer à expérimenter ?
R.- Il faut continuer la recherche sur les OGM, mais je crois que c'est la position du Gouvernement. ...
Q.- Et ne pas céder à J. Bové, à ses amis et à ses détracteurs ?
R.- Non, mais je crois surtout qu'il ne faut pas faire un amalgame entre tous les OGM. Chaque plante OGM est un cas particulier, il faut envisager l'adoption d'une loi protectrice. L'exemple allemand est un très bon exemple de ce qu'il faut sans doute faire, et je crois que J.-L. Borloo et N. Kosciusko-Morizet sont sur cette ligne aussi.
Q.- V. Pécresse, la loi votée cet été encourage les universités à devenir autonomes. Est-ce que l'on sait déjà combien d'entre elles ont réclamé, à ce jour, leur autonomie ?
R.- J'ai plus de la moitié des universités qui m'ont d'ores et déjà répondues, parce que j'ai envoyé un questionnaire à tous les présidents pour leur demander s'ils étaient prêts à passer rapidement à l'autonomie. Alors plus de la moitié ont déjà répondu, mais ce qui est très important, c'est que je crois que les universités se sont emparées très vite de cet outil de l'autonomie. D'ici la fin du mois d'octobre, 20 universités auront voté une nouvelle configuration des conseils d'administration, elles auront modifié leurs statuts pour prendre...
Q.- Applicables dès cette rentrée ?
R.- Applicables dès cette rentrée, elles vont ensuite élire les nouveaux conseils d'administration...
Q.- Une vingtaine, c'est-à-dire à peu près le quart...
R.- Le quart.
Q.- Puisqu'il y a 80, 85 universités...
R.- Exactement.
Q.- Et alors, l'autonomie elle-même...
R.- Alors l'autonomie elle-même. 2008 est une année de transition pour préparer les universités à acquérir cette autonomie, et moi je me fixe comme objectif, et c'est très ambitieux, que là encore, une vingtaine d'universités dès le 1er janvier 2009 puissent être complètement autonomes.
Q.- Et des universités autonomes, V. Pécresse, est-ce que c'est moins d'échecs... Ah ben ! Tout le... Pour les étudiants.
R.- Tout l'objectif est effectivement la réussite des étudiants, pourquoi ? Parce que l'autonomie va s'accompagner de critères d'évaluation, c'est-à-dire qu'on ne va plus financer les universités sur des critères j'allais dire un peu automatiques, genre le nombre de m² et le nombre d'étudiants, mais on leur demande dans la loi de publier des statistiques...
Q.- Des résultats comme vous dites...
R.- De publier des statistiques de débouchés, des statistiques de poursuites d'étude, des statistiques sur le redoublement, et donc on va financer les universités d'une manière différente, les piloter d'une manière différente en fonction de la réussite, de cet objectif de réussite.
Q.- Est-ce qu'elles auront les moyens suffisants pour se développer, pour survivre ou est-ce qu'elles devront développer, comme il y a une sorte de crainte qui monte, le financement privé et le mécénat ?
R.- Alors il y a un engagement très fort du président de la République confirmé par le Premier ministre, c'est augmenter de 50 % le budget de l'université en 5 ans. Et ce premier budget 2008 est un budget tout à fait inédit, puisqu'on a 1,8 milliards d'euros d'augmentation. Par étudiant...
Q.- Mais vous savez en même temps ce qu'on vous répond, que c'est insuffisant...
R.- C'est une première étape dans un engagement qui est à 5 ans...
Q.- C'est-à-dire l'an prochain, il y aura combien...
R.- Monsieur Elkabbach...
Q.- L'an prochain ça sera à combien, ça sera en augmentation ?
R.- Ça sera le même montant, c'est les engagements du Président...
Q.- Oui, 1,8 milliard.
R.- Mais concrètement, très concrètement, 405 euros par an, par étudiant de plus en 2008, 405 ! Cela veut dire que c'est un effort colossal...
Q.- Et il faut dire - c'est J.-R. Pitte, dans un débat intéressant du Figaro ce matin avec B. Julliard, président de l'Unef, qui rappellent - que la France débourse 6.500 euros seulement par étudiant et par an en moyenne dans les universités, beaucoup moins dans les filières littéraires et juridiques, et il estime c'est une somme insignifiante par rapport à ce qui se fait à l'étranger.
R.- Il faut que J.-R. Pitte, pour lequel j'ai beaucoup d'estime, actualise ses chiffres. On était l'année dernière à pas loin de 7.000 euros par étudiant, et l'année prochaine, on sera à 7.375 euros. Donc on rattrape évidemment un retard qui est considérable, il faut que l'Etat continue son effort mais il faut aussi, et vous en avez parlé, que les universités apprennent à se tourner vers des fonds privés. Moi, je n'ai pas de tabous dans ce domaine, et même si le financement de l'université aujourd'hui est quasiment à 100 %, je crois qu'il faut développer ces nouveaux partenariats, ces fondations parce que...
Q.- Dans l'indépendance de l'université ?
R.- Mais bien sûr...
Q.- Vis-à-vis des entreprises, des grands groupes qui pourraient leur demander...
R.- Mais bien sûr. Indépendance pédagogique !
Q.-...Autre chose en contrepartie.
R.- Indépendance pédagogique, parce que les diplômes restent évidemment des diplômes nationaux, les programmes restent nationaux, les jurys restent des jurys académiques. Mais néanmoins, je pense qu'il faut vraiment nouer ces partenariats, que tout l'argent privé, y compris l'argent des personnes physiques parce que les anciens étudiants doivent aussi verser de l'argent dans l'université, tout le mécénat possible. La loi de cet été leur permet, avec des défiscalisations très importantes, de financer l'université, tout l'argent doit s'investir dans l'éducation de nos enfants.
Q.- Autre chose - vous êtes passionnée -, une des grandes peurs dès la rentrée en fac pour les étudiants, c'est plus de la moitié des étudiants qui commencent, savent qu'ils finiront sur le carreau, qu'ils n'entreront pas en 2ème année. Et c'est J.-R. Pitte, président de Paris Sorbonne, il explique que chez lui, il y a plus de 72 % d'échecs. Est-ce qu'il y a un remède « Pécresse » ?
R.- Alors ça va être le grand chantier de 2008, la réussite en licence. C'est un chantier que les syndicats étudiants m'ont demandé d'ouvrir dès mon arrivée. Je crois que c'est le chantier absolument prioritaire. Alors il y a 3 aspects dans ce chantier : il y a d'abord la question de l'orientation des lycéens, il faut orienter les lycéens vers les filières dans lesquelles ils ont des chances de réussite compte tenu de leur cursus...
Q.- Ça commence avant le bac ?
R.- Ça commence dès la 1ère ...
Q.- Ça commence dès l'enseignement primaire, d'ailleurs.
R.- Ça commence dès la 1ère, en tout cas on fera ça avec X. Darcos en lien, et ça s'appelle « l'orientation active », on le mettra en place dès cette année. Ensuite, il y a la question de la 1ère année que vous avez posée. Moi je crois - mais nous allons concerter sur cette question et lancer une grande concertation nationale sur cette question - je crois que la 1ère année, il faudrait la baptiser « l'année fondamentale ». Aujourd'hui, il y a trop de spécialisations à l'université, et cette spécialisation est prématurée...
Q.- Alors, si c'est une année fondamentale, qu'est-ce qu'on fait ? Parce que c'est vrai que c'est une sélection à l'envers : on échoue en 1ère année, en 2ème ça ne va pas très bien, et puis en fin de compte on n'y arrive pas.
R.- L'année fondamentale, pourquoi ? Parce que je vous dis, la spécialisation est prématurée. Alors ça donne quoi ? Ça donne des littéraires qui n'ont plus les bases de mathématiques, ça donne des scientifiques qui perdent l'expression écrite. Il faut qu'on ait dans cette année beaucoup plus de méthodes, des fondamentaux, de l'anglais, des langues, des technologies de l'information. Il faut repenser la conception même de cette première année qui est aussi une première année où on a le droit de s'être égaré, d'avoir choisi une mauvaise filière. Donc, on doit être accompagné, "tutoré", réorienté éventuellement...
Q.- Les profs sont d'accord pour jouer les tuteurs ?
R.- Ecoutez, en tout cas, on a le Conseil national de l'Enseignement supérieur et de la Recherche qui a présenté un rapport, qui est un rapport extrêmement intéressant. L'Institut nous en présentera un autre. Tout le monde se passionne pour cette notion de 1ère année à l'université, et compte tenu des enjeux, je crois que c'est très important. J'ajoute qu'il y a un dernier volet de ce chantier « Réussir », qui est la professionnalisation. Et moi je le dis, dans tous les cursus, il faut de la professionnalisation, et la professionnalisation ce n'est pas une rustine qu'on met en 3ème année de licence, où on apprend aux jeunes à rédiger un CV, à passer un entretien d'embauche, la professionnalisation ça commence dès la 1ère année.
Q.- C'est extraordinaire ! Quand on arrive dans un ministère, on a l'impression qu'il faut lancer des chantiers et tout faire repartir de zéro, comme si rien n'avait existé avant !
R.- Ecoutez, je ne suis pas du tout dans cette optique-là, au contraire. Moi, je suis vraiment pour le changement concret, et toutes les mesures que je peux faire passer, je les fais passer y compris sur les jeunes doctorants et jeunes chercheurs où j'ai beaucoup transformé les choses.
Q.- Est-ce qu'un jour, peut-être bientôt, il ne faudra pas moduler le montant des bourses en fonction du travail de l'étudiant, de ses résultats et même de son mérite ?
R.- Ecoutez, J.-P. Elkabbach, vous venez de mettre le doigt sur l'un des éléments de la réforme des bourses que nous portons cette année, puisque dès le 1er janvier, il y aura des bourses au mérite qui seront attribuées sur critères sociaux à tous les enfants des familles non imposables, qui sont les lauréats des diplômes universitaires : des BTS, des IUT, des licences, et ce sera 200 euros par mois qui leur seront donnés pour la poursuite de leurs études.
Q.- Parce que vous avez B. Julliard qui vous rappelle que la sélection profite avant tout aux jeunes issus des familles favorisées, c'est d'autant plus tragique, dit-il, que l'école n'arrive pas à diminuer les inégalités sociales.
R.- Oui, et la réforme des bourses est un instrument très puissant dans ce domaine, parce que quand on ne sait pas prévoir ses revenus, du coup on s'autolimite dans ses ambitions et on n'ose pas aller à l'université.
Q.- Alors à partir de lundi - je le dis très vite devant J. Pradel - pendant une semaine les Français vont fêter la science, histoire de rapprocher les chercheurs du public. Et c'est vrai que dans certains domaines, les chercheurs français ont de l'avance : en mathématiques, en biologie, en imagerie et fonctionnement du cerveau et dans les nanotechnologies. Derrière remarque ou question à V. Pécresse : C. Allègre, il devrait ou il veut entrer dans le prochain Gouvernement. Est-ce que vous avez besoin de lui à côté de vous ?
R.- Tout à fait. Mais vous savez que C. Allègre s'était vu proposer mon ministère, c'est lui qui a refusé...
Q.- D'accord, dans un premier temps. Mais maintenant, vous dites « tout à fait », c'est-à-dire qu'il y a une place de secrétaire d'Etat, de ministre délégué...
R.- Oh non ! Ça ne serait pas à la hauteur de son expérience. Non, je pense que C. Allègre... enfin en tout cas, nous travaillons énormément ensemble. Sur la question de la réforme de l'université, nous avons beaucoup travaillé ensemble. C'est quelqu'un qui est très précieux pour la science.
Q.- C. Allègre, V. Pécresse a besoin de vous, voilà.
R.- Mais il le sait, il le sait.
Q.- Donc, vous avez des contacts fréquents, c'est bien de nous le révéler.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 octobre 2007
R.- Vous savez aussi que je suis non seulement ministre de la Recherche, mais aussi l'ancien rapporteur de la loi bioéthique à l'Assemblée nationale en 2003. Donc moi, j'étais très réservée sur cet amendement parce que je vois bien ce qu'il peut apporter aux étrangers, notamment dans les pays en guerre qui n'ont plus d'état civil. Si c'est leur donner la possibilité de faire la preuve...
Q.- Donc à l'origine, vous étiez contre ?
R.- Je trouvais qu'il y avait des aspects positifs, qui étaient de pouvoir faire preuve d'une filiation sans état civil, mais j'étais très réservée parce que pour moi, les tests ADN pour la filiation paternelle, ça n'est pas possible, ça n'est pas l'esprit de la loi bioéthique. La paternité est sociale, elle n'est pas biologique...
Q.- Est-ce que vous avez été consultée, au moment où ça a été lancé ?
R.- Nous en avons parlé avec B. Hortefeux. Oui, je lui ai dit mes réticences. Et moi ce que je pense, c'est que l'amendement adopté par le Sénat cette nuit est un amendement qui va dans le bon sens. Parce qu'il apporte des garanties sur deux points : d'abord l'intervention du juge qui donne des garanties en terme de libertés publiques - les tests ne seront prescrits que si c'est utile aux étrangers -, et en plus, il n'autorise ces tests que pour la filiation maternelle, or la filiation maternelle ne pose pas de problème éthique.
Q.- Donc, heureusement qu'il y a les sénateurs pour transformer l'amendement et qui n'est plus ce qu'il était ?
R.- Non, mais ça s'appelle la démocratie, ça s'appelle le travail parlementaire.
Q.- Le Comité d'Ethique que vous connaissez, autorité indépendante, est plutôt contre. Il a estimé hier soir qu'inscrire dans la loi une identification biologique réservée aux seuls étrangers contredit l'esprit de la loi et conduirait furtivement à généraliser les identifications génétiques.
R.- Alors je crois que là-dessus, l'intervention du juge donne des garanties de protection des libertés publiques importantes, et puis surtout je crois qu'un outil scientifique n'est pas par nature bon ou mauvais, c'est l'usage qu'on en fait qui est bon ou mauvais et les garanties éthiques qu'on donne. Et là, en l'occurrence, là où je diffère de l'avis du Conseil national d'Ethique, c'est que je considère que si... Les étrangers sont dans une situation différente : ils veulent faire venir leurs enfants en France, ils doivent apporter la preuve de la filiation et par tous moyens. Et quand ils n'ont pas d'état civil parce qu'ils ont été détruits par la guerre, parce qu'il n'existe plus, eh bien ! Il faut peut-être leur donner cette possibilité de preuve supplémentaire, je pense que ça les place dans une situation différente.
Q.- Mais vous savez que la perception publique de l'amendement est très négative.
R.- Oui, mais je crois que là encore - vraiment je le dis - un outil scientifique est un outil scientifique, il n'est pas bon ou mauvais par nature.
Q.- Le président D. Sicard, du Comité d'Ethique, sera demain chez D. Souchier à partir de 9 heures. Aujourd'hui, vous allez rendre visite à Toulouse, là dans quelques instants, à l'association « Sauvez la recherche ». Vous savez qu'elle a lancé une pétition contre cet amendement, qu'elle rejette les tests sur l'amendement ADN. Qu'est-ce que vous allez lui dire ? Ce que vous voulez dire là ?
R.- Exactement.
Q.- Vous ne pensez pas que vous allez être rejetée, à moins que vous ayez le goût du risque ?
R.- Non parce que... d'abord parce que j'ai été la rapporteur de la loi bioéthique, donc ils savent bien que ces sujets d'éthique me sont chers et ils savent que je considère la science comme devant toujours avoir une conscience.
Q.- A Toulouse, les chercheurs ont prévu aussi de vous interroger sur l'avenir des OGM en France. Est-ce qu'il faut continuer, sous contrôle, l'expérimentation des OGM ?
R.- Vous savez que dans le cadre du "Grenelle de l'Environnement", toutes les questions environnementales sont posées. Sur les OGM, la question est très simple : on ne sait pas, on est dans une zone grise de la science. Et moi, la position de mon ministère et la mienne profondément, c'est de dire « quand on ne sait pas, la seule démarche qui vaille c'est la démarche scientifique ». Une démarche qui est fondée sur le questionnement, l'expérimentation. Ça ne veut pas dire que les scientifiques ne se trompent jamais, mais ça veut dire que quand on ne sait pas, la seule démarche possible c'est la science. Et, j'ajoute que c'est une question d'indépendance nationale, parce que si jamais nous arrêtions la recherche sur des sujets aussi répandus - parce que maintenant, il faut savoir qu'un grand nombre de pays et notamment de pays en développement, utilisent ces OGM, les commercialisent - si nous arrêtions la recherche sur les OGM, eh bien ! Nous ne serions plus en mesure d'assurer cette indépendance.
Q.- Donc il faut continuer à expérimenter ?
R.- Il faut continuer la recherche sur les OGM, mais je crois que c'est la position du Gouvernement. ...
Q.- Et ne pas céder à J. Bové, à ses amis et à ses détracteurs ?
R.- Non, mais je crois surtout qu'il ne faut pas faire un amalgame entre tous les OGM. Chaque plante OGM est un cas particulier, il faut envisager l'adoption d'une loi protectrice. L'exemple allemand est un très bon exemple de ce qu'il faut sans doute faire, et je crois que J.-L. Borloo et N. Kosciusko-Morizet sont sur cette ligne aussi.
Q.- V. Pécresse, la loi votée cet été encourage les universités à devenir autonomes. Est-ce que l'on sait déjà combien d'entre elles ont réclamé, à ce jour, leur autonomie ?
R.- J'ai plus de la moitié des universités qui m'ont d'ores et déjà répondues, parce que j'ai envoyé un questionnaire à tous les présidents pour leur demander s'ils étaient prêts à passer rapidement à l'autonomie. Alors plus de la moitié ont déjà répondu, mais ce qui est très important, c'est que je crois que les universités se sont emparées très vite de cet outil de l'autonomie. D'ici la fin du mois d'octobre, 20 universités auront voté une nouvelle configuration des conseils d'administration, elles auront modifié leurs statuts pour prendre...
Q.- Applicables dès cette rentrée ?
R.- Applicables dès cette rentrée, elles vont ensuite élire les nouveaux conseils d'administration...
Q.- Une vingtaine, c'est-à-dire à peu près le quart...
R.- Le quart.
Q.- Puisqu'il y a 80, 85 universités...
R.- Exactement.
Q.- Et alors, l'autonomie elle-même...
R.- Alors l'autonomie elle-même. 2008 est une année de transition pour préparer les universités à acquérir cette autonomie, et moi je me fixe comme objectif, et c'est très ambitieux, que là encore, une vingtaine d'universités dès le 1er janvier 2009 puissent être complètement autonomes.
Q.- Et des universités autonomes, V. Pécresse, est-ce que c'est moins d'échecs... Ah ben ! Tout le... Pour les étudiants.
R.- Tout l'objectif est effectivement la réussite des étudiants, pourquoi ? Parce que l'autonomie va s'accompagner de critères d'évaluation, c'est-à-dire qu'on ne va plus financer les universités sur des critères j'allais dire un peu automatiques, genre le nombre de m² et le nombre d'étudiants, mais on leur demande dans la loi de publier des statistiques...
Q.- Des résultats comme vous dites...
R.- De publier des statistiques de débouchés, des statistiques de poursuites d'étude, des statistiques sur le redoublement, et donc on va financer les universités d'une manière différente, les piloter d'une manière différente en fonction de la réussite, de cet objectif de réussite.
Q.- Est-ce qu'elles auront les moyens suffisants pour se développer, pour survivre ou est-ce qu'elles devront développer, comme il y a une sorte de crainte qui monte, le financement privé et le mécénat ?
R.- Alors il y a un engagement très fort du président de la République confirmé par le Premier ministre, c'est augmenter de 50 % le budget de l'université en 5 ans. Et ce premier budget 2008 est un budget tout à fait inédit, puisqu'on a 1,8 milliards d'euros d'augmentation. Par étudiant...
Q.- Mais vous savez en même temps ce qu'on vous répond, que c'est insuffisant...
R.- C'est une première étape dans un engagement qui est à 5 ans...
Q.- C'est-à-dire l'an prochain, il y aura combien...
R.- Monsieur Elkabbach...
Q.- L'an prochain ça sera à combien, ça sera en augmentation ?
R.- Ça sera le même montant, c'est les engagements du Président...
Q.- Oui, 1,8 milliard.
R.- Mais concrètement, très concrètement, 405 euros par an, par étudiant de plus en 2008, 405 ! Cela veut dire que c'est un effort colossal...
Q.- Et il faut dire - c'est J.-R. Pitte, dans un débat intéressant du Figaro ce matin avec B. Julliard, président de l'Unef, qui rappellent - que la France débourse 6.500 euros seulement par étudiant et par an en moyenne dans les universités, beaucoup moins dans les filières littéraires et juridiques, et il estime c'est une somme insignifiante par rapport à ce qui se fait à l'étranger.
R.- Il faut que J.-R. Pitte, pour lequel j'ai beaucoup d'estime, actualise ses chiffres. On était l'année dernière à pas loin de 7.000 euros par étudiant, et l'année prochaine, on sera à 7.375 euros. Donc on rattrape évidemment un retard qui est considérable, il faut que l'Etat continue son effort mais il faut aussi, et vous en avez parlé, que les universités apprennent à se tourner vers des fonds privés. Moi, je n'ai pas de tabous dans ce domaine, et même si le financement de l'université aujourd'hui est quasiment à 100 %, je crois qu'il faut développer ces nouveaux partenariats, ces fondations parce que...
Q.- Dans l'indépendance de l'université ?
R.- Mais bien sûr...
Q.- Vis-à-vis des entreprises, des grands groupes qui pourraient leur demander...
R.- Mais bien sûr. Indépendance pédagogique !
Q.-...Autre chose en contrepartie.
R.- Indépendance pédagogique, parce que les diplômes restent évidemment des diplômes nationaux, les programmes restent nationaux, les jurys restent des jurys académiques. Mais néanmoins, je pense qu'il faut vraiment nouer ces partenariats, que tout l'argent privé, y compris l'argent des personnes physiques parce que les anciens étudiants doivent aussi verser de l'argent dans l'université, tout le mécénat possible. La loi de cet été leur permet, avec des défiscalisations très importantes, de financer l'université, tout l'argent doit s'investir dans l'éducation de nos enfants.
Q.- Autre chose - vous êtes passionnée -, une des grandes peurs dès la rentrée en fac pour les étudiants, c'est plus de la moitié des étudiants qui commencent, savent qu'ils finiront sur le carreau, qu'ils n'entreront pas en 2ème année. Et c'est J.-R. Pitte, président de Paris Sorbonne, il explique que chez lui, il y a plus de 72 % d'échecs. Est-ce qu'il y a un remède « Pécresse » ?
R.- Alors ça va être le grand chantier de 2008, la réussite en licence. C'est un chantier que les syndicats étudiants m'ont demandé d'ouvrir dès mon arrivée. Je crois que c'est le chantier absolument prioritaire. Alors il y a 3 aspects dans ce chantier : il y a d'abord la question de l'orientation des lycéens, il faut orienter les lycéens vers les filières dans lesquelles ils ont des chances de réussite compte tenu de leur cursus...
Q.- Ça commence avant le bac ?
R.- Ça commence dès la 1ère ...
Q.- Ça commence dès l'enseignement primaire, d'ailleurs.
R.- Ça commence dès la 1ère, en tout cas on fera ça avec X. Darcos en lien, et ça s'appelle « l'orientation active », on le mettra en place dès cette année. Ensuite, il y a la question de la 1ère année que vous avez posée. Moi je crois - mais nous allons concerter sur cette question et lancer une grande concertation nationale sur cette question - je crois que la 1ère année, il faudrait la baptiser « l'année fondamentale ». Aujourd'hui, il y a trop de spécialisations à l'université, et cette spécialisation est prématurée...
Q.- Alors, si c'est une année fondamentale, qu'est-ce qu'on fait ? Parce que c'est vrai que c'est une sélection à l'envers : on échoue en 1ère année, en 2ème ça ne va pas très bien, et puis en fin de compte on n'y arrive pas.
R.- L'année fondamentale, pourquoi ? Parce que je vous dis, la spécialisation est prématurée. Alors ça donne quoi ? Ça donne des littéraires qui n'ont plus les bases de mathématiques, ça donne des scientifiques qui perdent l'expression écrite. Il faut qu'on ait dans cette année beaucoup plus de méthodes, des fondamentaux, de l'anglais, des langues, des technologies de l'information. Il faut repenser la conception même de cette première année qui est aussi une première année où on a le droit de s'être égaré, d'avoir choisi une mauvaise filière. Donc, on doit être accompagné, "tutoré", réorienté éventuellement...
Q.- Les profs sont d'accord pour jouer les tuteurs ?
R.- Ecoutez, en tout cas, on a le Conseil national de l'Enseignement supérieur et de la Recherche qui a présenté un rapport, qui est un rapport extrêmement intéressant. L'Institut nous en présentera un autre. Tout le monde se passionne pour cette notion de 1ère année à l'université, et compte tenu des enjeux, je crois que c'est très important. J'ajoute qu'il y a un dernier volet de ce chantier « Réussir », qui est la professionnalisation. Et moi je le dis, dans tous les cursus, il faut de la professionnalisation, et la professionnalisation ce n'est pas une rustine qu'on met en 3ème année de licence, où on apprend aux jeunes à rédiger un CV, à passer un entretien d'embauche, la professionnalisation ça commence dès la 1ère année.
Q.- C'est extraordinaire ! Quand on arrive dans un ministère, on a l'impression qu'il faut lancer des chantiers et tout faire repartir de zéro, comme si rien n'avait existé avant !
R.- Ecoutez, je ne suis pas du tout dans cette optique-là, au contraire. Moi, je suis vraiment pour le changement concret, et toutes les mesures que je peux faire passer, je les fais passer y compris sur les jeunes doctorants et jeunes chercheurs où j'ai beaucoup transformé les choses.
Q.- Est-ce qu'un jour, peut-être bientôt, il ne faudra pas moduler le montant des bourses en fonction du travail de l'étudiant, de ses résultats et même de son mérite ?
R.- Ecoutez, J.-P. Elkabbach, vous venez de mettre le doigt sur l'un des éléments de la réforme des bourses que nous portons cette année, puisque dès le 1er janvier, il y aura des bourses au mérite qui seront attribuées sur critères sociaux à tous les enfants des familles non imposables, qui sont les lauréats des diplômes universitaires : des BTS, des IUT, des licences, et ce sera 200 euros par mois qui leur seront donnés pour la poursuite de leurs études.
Q.- Parce que vous avez B. Julliard qui vous rappelle que la sélection profite avant tout aux jeunes issus des familles favorisées, c'est d'autant plus tragique, dit-il, que l'école n'arrive pas à diminuer les inégalités sociales.
R.- Oui, et la réforme des bourses est un instrument très puissant dans ce domaine, parce que quand on ne sait pas prévoir ses revenus, du coup on s'autolimite dans ses ambitions et on n'ose pas aller à l'université.
Q.- Alors à partir de lundi - je le dis très vite devant J. Pradel - pendant une semaine les Français vont fêter la science, histoire de rapprocher les chercheurs du public. Et c'est vrai que dans certains domaines, les chercheurs français ont de l'avance : en mathématiques, en biologie, en imagerie et fonctionnement du cerveau et dans les nanotechnologies. Derrière remarque ou question à V. Pécresse : C. Allègre, il devrait ou il veut entrer dans le prochain Gouvernement. Est-ce que vous avez besoin de lui à côté de vous ?
R.- Tout à fait. Mais vous savez que C. Allègre s'était vu proposer mon ministère, c'est lui qui a refusé...
Q.- D'accord, dans un premier temps. Mais maintenant, vous dites « tout à fait », c'est-à-dire qu'il y a une place de secrétaire d'Etat, de ministre délégué...
R.- Oh non ! Ça ne serait pas à la hauteur de son expérience. Non, je pense que C. Allègre... enfin en tout cas, nous travaillons énormément ensemble. Sur la question de la réforme de l'université, nous avons beaucoup travaillé ensemble. C'est quelqu'un qui est très précieux pour la science.
Q.- C. Allègre, V. Pécresse a besoin de vous, voilà.
R.- Mais il le sait, il le sait.
Q.- Donc, vous avez des contacts fréquents, c'est bien de nous le révéler.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 octobre 2007