Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à France-Inter le 8 octobre 2007, sur la réforme du financement des syndicats et le pouvoir d'achat des fonctionnaires.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
N. Demorand.- Les suites de l'affaire Gautier-Sauvagnac, 15 millions d'euros retirés en liquide, retirés de la caisse de l'Union des industries et métier de la métallurgie. F. Chérèque a dit que la CFDT n'avait pas touché un centime de cet argent. Combien à FO ?
 
R.- Pareil. C'est ce que j'ai déjà dit. Nous ne sommes pas concernés par cette affaire. Même si cela jette une suspicion, et c'est très désagréable, sur le mouvement syndical.
 
Q.- Vous êtes prêt à ouvrir vos livres de comptes, comme l'a proposé Chérèque pour la CFDT ?
 
R.- Mais oui, bien entendu. Nous avons des experts comptables à la confédération. Comment fonctionne le budget d'une confédération ?
 
Q.- Si vous arrivez à l'expliquer là, en quelques mots...
 
R.- Mais ce n'est pas compliqué. A la fois par les cotisations de ses membres et d'autre part par des subventions qui sont des subventions de deux ordres : des subventions publiques pour la formation de militants, pour la formation de conseillers prud'homme et tout cela, c'est voté dans les budgets de l'Etat ; et puis, deuxièmement, dans les organismes paritaires, il y a également des subventions qui sont claires, également, votées par les conseils, notamment, pour la formation des administrateurs par exemple. Voila, ce n'est pas plus compliqué que cela.
 
Q.- Pourquoi toute la presse dit ce matin encore que c'est extrêmement trouble le financement des syndicats en France ?
 
R.- Moi, je ne trouve pas que c'est trouble. Il y a quelques problèmes, je ne les nie pas.
 
Q.- Lesquels ?
 
R.- Je vais vous expliquez. Nous avions écrit, toutes les confédérations, en 2001, au Premier ministre de l'époque - nous avons reconfirmé notre lettre aux Premiers ministres successifs - : il y a un problème dans le secteur privé, par exemple sur des salariés qui sont détachés auprès des organisations. Il y a des conventions parfois avec des entreprises, mais ce que nous demandons d'ailleurs -cela fait des années que nous demandons cela - c'est la possibilité, trois lignes dans le code du travail autorisant par voie d'accord certain détachement de militant dans le secteur privé, comme cela existe dans la fonction publique. A part ce problème, le reste, pourquoi c'est suspicieux ? Parce qu'effectivement, tirer autant d'argent, qui plus est, en liquide, par définition comment voulez vous qu'on sache ou cela aille ? Il n'y a que l'intéressé qui peut le savoir et puis les enquêteurs...
 
Q.- Vous lui demandez de parler rapidement à l'intéressé, monsieur Gautier-Sauvagnac ?
 
R.- C'est à lui de se déterminer, moi, je ne suis pas monsieur Gautier- Sauvagnac, c'est à lui de faire ses choix. Et puis, c'est à la justice, si elle est saisie - apparemment, elle le sera d'après ce que je lis -, de faire son enquête. Mais je trouve cela vraiment désagréable, parce qu'on est en plus dans une période où le mécontentement gronde, on est dans une période où il y a des négociations importantes. Je me souviens, il y a une dizaine d'années, quand on avait eu la bagarre avec le Gouvernement sur le plan Juppé, comme on appelait à l'époque, sur la Sécurité sociale, on avait accusé FO à l'époque, parce que nous présidions la Caisse nationale d'assurance maladie, certains avaient dit - pas tout le monde -, "FO se bat contre le plan Juppé parce qu'elle a un fromage à la Sécu", sous-entendu si on n'avait plus la présidence, on serait mort. Ecoutez, il y a dix ans, plus dix ans qu'on n'a plus la présidence et on s'en porte aussi bien.
 
Q.- Donc vous pensez qu'il y a une instrumentalisation dans cette affaire ?
 
R.- Je n'en sais rien.
 
Q.- L'accusation est importante quand même.
 
R.- Ce n'est pas une accusation.
 
Q.- La remarque ou la coïncidence, c'est vous qui la notez.
 
R.- Je me souviens que cela avait été très désagréable à l'époque de laisser entendre que FO touchait je ne sais quel argent. Et cela a été démontré depuis - on a dû aller en diffamation, etc. - que c'était faux. Donc il y a un doute qui est lancé sur les organisations syndicales, et c'est vraiment désagréable.
 
Q.- Monsieur Gautier-Sauvagnac est négociateur pour le Medef dans un certain nombre de négociations importantes. Est-ce que ces tables rondes, ces négociations pâtissent du nouvel état créé depuis quelques jours ?
 
R.- Qu'il soit fragilisé, tout le monde le comprend d'une certaine manière. Maintenant, ce n'est pas à FO de dire au patronat et au Medef "changez votre délégation", c'est au Medef de prendre ses responsabilités.
 
Q.- Vous voulez tout de même une réforme du financement des syndicats ? Là encore, F. Chérèque la demande et les observateurs, les connaisseurs du monde des syndicats disent qu'il faudrait peut-être s'y mettre quand même.
 
R.- Nous le demandons depuis plusieurs années, je vous dis que nous avons fait une lettre en commun, avec toutes les confédérations, il y a plusieurs années ; cela n'a guère évolué depuis. Et puis notamment sur l'aspect que j'évoquais tout à l'heure pour les salariés détachés du secteur privé. Il faut garantir certaines choses, oui.
 
 
Q.- Mais il n'y a pas de transparence tout de même ?
 
R.- Qu'est-ce que cela veut dire ça, "il n'y a pas de transparence" ?
 
Q.- C'est-à-dire vos règles comptables ne sont pas les mêmes que celles des entreprises par exemple.
 
Le syndicalisme relève d'une loi, qui est une loi de 1884. Ce n'est pas parce qu'elle est plus vieille qu'elle n'est plus bonne, les associations, c'est 1901, c'est quelques années après. Alors, tout ce qui est subventions publiques, oui, il y a des contrôles de la Cour des comptes, etc. Ce n'est pas une question financière la loi de 1884, c'est une question de protection des syndicats et des adhérents des syndicats. C'est la possibilité quelles que soient les situations, en ce moment on est en situation démocratique, mais vous imaginez pendant la guerre, si l'on devait aligner tout, y compris les fichiers, les noms des adhérents, à quoi cela peut conduire ? Donc cette loi de 1884, c'est pour assurer la liberté des adhérents des syndicats. C'est ça le fondement de cette loi, ce n'est pas une question financière, c'est une question de liberté.
 
Q.- Aujourd'hui démarre - deuxième sujet important dans l'actualité - une négociation sur les salaires et le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Quelles sont vos revendications le jour donc où démarrent les discussions ?
 
R.- D'abord, je tiens à signaler que nous rendons public ce matin, une lettre que j'ai adressée au nom de FO au Premier ministre pour lui rappeler que le pouvoir d'achat est une question prioritaire et qu'elle concerne tant le privé que le public et nous faisons toute une série de revendications dans le public et dans le privé ; nous attendons les réponses du Gouvernement. Ceci étant, pour la fonction publique en tant que telle, aujourd'hui, c'est un groupe de travail qui commence sur comment calculer le pouvoir d'achat dans la fonction publique. Entre nous, c'est un vieux débat, cela date depuis vingt ans, dans le public comme dans le privé.
 
Q.- Il y a visiblement un problème de mesure, puisque vous dites que le pouvoir d'achat, s'est érodé et que le Gouvernement dit le contraire.
 
R.- Oui. Parce que nous ne raisonnons pas de la même manière. Le Gouvernement, comme un employeur du privé, lui, il résonne en masse, "voilà ce que cela me coûte". Alors, bien entendu, il intègre tout là-dedans : le salarié qui a eu une promotion, etc. Nous, nous raisonnons par rapport à l'individu, dans le cas présent, la fiche de paye d'un fonctionnaire, comment elle a évolué ? Or ce que nous constatons, notamment sur l'année 2007, c'est qu'il n'y a eu aucune augmentation de l'indice général, c'est-à-dire compensant la hausse des prix, petite augmentation en début d'année, mais au titre de l'année précédente - nous avons les courriers des ministres qui le confirment. Donc, nous disons avant d'entamer une discussion sur comment on calcul le pouvoir d'achat - et entre nous, je dis ce n'est pas nouveau comme débat -, au moins, si l'on veut avoir une discussion sereine, il faut purger l'année 2007, donc ouvrir très rapidement une négociation sur 2007.
 
Q.- Et d'après vous, le rattrapage devrait être de quelle ampleur ?
 
R.- La perte du pouvoir d'achat calculé par les organisations de fonctionnaires depuis 2000, c'est de l'ordre de 6 %. Cela, c'est le contentieux qui existe, mais sur 2007 en tant que tel, il faut une négociation qui s'ouvre sur l'année 2007 si l'on veut entamer sereinement les discussions globales sur le pouvoir d'achat.
 
Q.- Vous pensez que c'est ouvert ?
 
R.- J'avais compris lors d'une entrevue avec monsieur Woerth, il y a quelques semaines, ministre du Budget, qu'il était prêt à examiné le dossier, ce qui n'était pas une garantie. Pour le moment, cela n'a pas bougé. Dans tous les cas, pour le moment, il n'y a eu aucune annonce de négociation sur l'année 2007 avec les fédérations de fonctionnaires.
 
Q.- La rémunération au mérite, des heures supplémentaires éventuelles, est-ce que la clé n'est pas là pour l'augmentation des salaires ?
 
R.- Non. Le Gouvernement a tendance à expliquer aux salariés, du public comme du privé d'ailleurs, "si vous voulez que votre pouvoir d'achat augmente, il y a deux solutions : ou vous bossez plus - c'est l'histoire des heures supplémentaires - ou vous attendez que les prix baisses - c'est tout le problème des marges arrière ou autre. Quant au mérite, j'insiste sur un point : introduire le mérite, c'est le risque d'introduire la rémunération à la tête du client dans la fonction publique, et cela pause un problème pas rapport à la neutralité de la fonction publique et du fonctionnaire. On n'est pas aux Etats-Unis avec un système où quand les politiques changent les fonctionnaires changent, on n'est pas dans qu'ils appellent le "spoil system". Donc nous sommes plus que réservés sur cette notion de salaire au mérite dans la fonction publique, qui peut avoir beaucoup de dérives.
 
Q.- Un dernier mot sur EADS et le rôle de l'Etat. L'Etat savait-il, l'Etat ne savait-il pas ? Dans les deux cas c'est grave, non ?
 
R.- Oui, dans les deux cas d'une certaine manière, c'est grave. Parce que si l'Etat savait, cela veut dire qu'il a couvert des ventes d'actions du groupe Lagardère et le rachat d'une partie par la Caisse des dépôts et consignation. Or ceux qui ont gagné dans l'affaire, c'est le groupe Lagardère, c'est évident, comme d'autres. Je rappelle pour tout le monde que c'est plus de 90 millions d'euros. Ou alors il ne le savait pas, eh bien quand on a une entreprise sous sa tutelle comme la CDC, on devrait savoir !
 
Q.- L. Gallois dit aujourd'hui qu'il faut séparer le débat sur le délit d'initiés et la dimension médiatique qu'il a pris ces derniers jours, de ce qu'est l'entreprise elle-même, à savoir une entreprise en bonne santé, florissante ; vous faites cette distinction ?
 
R.- Lui, il est président d'EADS, il fait son boulot. Mais moi, ce que je considère, c'est que, un, il y a eu des erreurs de stratégie, en termes de stratégie industrielle dans le groupe, y compris sur les gammes de modèles, etc. - premier élément. On a le sentiment, à travers ce qu'écrit l'AMF ou autre, que toute une série de dirigeants de l'entreprise s'étaient plus concentrés sur "comment je vais faire un jackpot" que de développer la stratégie industrielle. Qui plus est, si l'Etat, d'une manière ou d'une autre, a été informé, cela fait beaucoup, et cela pause le problème de l'application du plan Power 8, c'est évident.
 
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 8 octobre 2007