Interview de M. Bernard van Craeynest, président de la CFE CGC à France 2 le 20 septembre 2007, sur la réforme de la fonction publique, notamment l'avancement au mérite, la prime au départ des agents et le pouvoir d'achat des fonctionnaires.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
 
F. Laborde.- On va parler évidemment de toutes ces dispositions qui ont été annoncées par le Président N. Sarkozy, et que vous avez suivies. Vous avez, comme les autres responsables syndicaux, été reçu par le président de la République. Vous avait-il prévenu d'ailleurs de l'ampleur des réformes qu'il comptait annoncer ?
 
R.- Oui, effectivement. L'avantage avec le Président Sarkozy, c'est qu'on se parle très clairement. On voit bien qu'il veut aller vite, il attend des résultats. Le problème c'est de définir la méthode, parce qu'on voit bien qu'il écoute attentivement, il découvre en partie le monde du travail - il est avocat, il n'a jamais été dans l'entreprise - et j'ai eu, à l'occasion de quatre entretiens de lui expliquer qu'il y a, dans ce pays, une partie du salariat qui est décisive pour la performance de l'entreprise, de notre économie, ce sont précisément ...
 
Q.- Ce sont les cadres ?
 
R.-...Les ingénieurs, les techniciens, les informaticiens...
 
Q.- Tous ceux que vous représentez.
 
R.-...Les consultants, les commerciaux. Et J'observe qu'il ne tient pas compte de ce que je lui demande pour faire en sorte que ces salariés qui, eux, n'ont pas de souci, de dogme sur les 35 heures - ils travaillent largement plus que les 35 heures -, ils souhaitent simplement non pas travailler plus mais travailler mieux. Parce que eux sont soumis au stress, à la pression du marché, du résultat, des clients. Et lorsque je lui ai demandé, au mois de mai dernier, que le fameux slogan "la défiscalisation des heures supplémentaires", se traduise concrètement, également, pour ces catégories, il m'a écouté, il m'a dit : "oui, cela s'adressera également aux cadres". Le résultat, on l'a vu au mois de juillet avec la loi qui a été adoptée : nous n'avons rien vu venir pour ces catégories, en dehors du fait de leur demander de travailler toujours plus, mais sans autant gagner plus.
 
Q.- En même temps, sur les 35 heures, les cadres en ont plutôt profités, enfin bénéficiés, ils ont eu des RTT, des jours de repos supplémentaires accordés. Ce n'était pas si mal ?
 
R.- Il y a quelques jours de repos supplémentaires accordés. L'ennui, c'est que, si l'on suit le Président Sarkozy, c'est qu'il faudrait toujours travailler plus, c'est-à-dire pas tarder à abandonner ses congés payés ! Je vois le problème de santé au travail dans ce pays ; vous savez que nous sommes le pays qui est le plus gros consommateur de médicaments, eh bien précisément, on a des soucis de financement de notre protection sociale. Commençons par définir où nous voulons aller, comment nous voulons y aller, et peut-être que nous retrouverons un climat de confiance qui nous permettra d'être un peu moins consommateurs de médicaments et un peu plus confiants en l'avenir.
 
Q.- Quelle est la position de la CGC concernant la réforme de la fonction publique qu'il entend mener ? Il y a beaucoup de choses dans ce qu'il a annoncé, c'est-à-dire l'avancement au mérite, éventuellement une prime au départ, un pécule pour partir, il y a le choix entre le statut du privé ou du public, il y a le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Dans toutes ces mesures, est-ce qu'il y a des choses auxquelles vous dites oui et d'autres auxquelles vous dites non ?
 
R.- Je voudrais déjà savoir si on veut privatiser la fonction publique. Est-ce que l'Education nationale, la fonction publique hospitalière doivent être entièrement privatisées demain ? Le problème, on sait qu'on a besoin d'améliorer le niveau de formation de tous nos jeunes, on sait que la population vieillit et qu'il y aura des besoins de soins supplémentaires ; est-ce qu'on va améliorer la qualité des soins aux patients, est-ce qu'on va améliorer les conditions de travail et les rémunérations des infirmières, des aides-soignantes, des médecins qui travaillent dans les hôpitaux, aux urgences ? Nous ne sommes pas contre le fait d'envisager une rémunération au mérite, à condition que ce ne soit pas une façon de mettre en place des parts variables, aléatoires, de salaire.
 
Q.- Vous voulez quoi ? Des critères ? Qui doit juger, des critères clairs ?
 
R.- Il faut déjà qu'on définisse clairement quelle partie de la rémunération on va affecter au mérite, qu'on définisse clairement les objectifs pour qualifier, quantifier ce mérite, et que ce ne soit pas à la tête du client.
 
Q.- Et que ce ne soit pas forcément le chef du service qui décide ?
 
R.- Et qu'il y ait des possibilités de recours et que l'on vérifie tout cela, et que les représentants du personnel, les organisations syndicales puissent vérifier que tout cela se fait en parfaite transparence et objectivité.
 
Q.- Mais sur le fond, la CGC n'est pas contre une modernisation de la fonction publique ?
 
R.- Absolument pas. Mais je pense même que les fonctionnaires le souhaitent. Vous savez, ce sont les catégories qui sont au contact de toutes les misères du monde : les policiers, le secteur hospitalier ils voient toute la détresse...
 
Q.- L'éducation nationale...
 
R.- Toutes les difficultés de notre population, et ils aimeraient être un peu plus soutenus qu'ils le sont aujourd'hui. Et ce n'est pas une question de public ou de privé. J'observe que le Président Sarkozy, qui était ministre de l'Intérieur, a par exemple signé en 2004 un bel accord pour les policiers, sauf qu'aujourd'hui, quand je vois que pour les officiers, on leur propose de rémunérer les heures supplémentaires à 9,20 euros, et qu'on n'a pas forcément les moyens d'atteindre les objectifs ambitieux de l'accord de 2004, je pose simplement la question. C'est très bien de pointer l'horizon mais moi, quand on parle d'horizon, je ne regarde pas le doigt, je regarde si l'horizon est éclairé ou si nous avons de gros nuages noirs.
 
Q.- Ce qui prouve que vous avez appris des préceptes de la sagesse chinoise. Passons maintenant aux régimes spéciaux et à la retraite : vous êtes donc patron de la CNAV.
 
R.- Ce n'est pas moi, c'est ma collègue de [inaud.].
 
Q.- Les régimes spéciaux cela coûte à peu près, entre quoi 6 milliards... ?
 
R.-...10 milliards d'euros par an qui sont...
 
Q.- Vous, vous dites 10 milliards ?
 
R.- Oui, cela finance le déficit démographique, puisque vous savez qu'il y a 1,1 million de retraités pour seulement 500.000 actifs qui cotisent. Aujourd'hui, c'est alimenté par le budget de l'Etat. Le souci, au-delà de tout cela, je ne suis pas persuadé qu'il y aurait demain 70 ou 75 % de Français qui se déclarent aussi fervents réformateurs des régimes spéciaux si, comme cela a été fait en 2004 pour EDF-GDF, on adosse la SNCF, la RATP, La Poste au régime général, et si l'on fait porter cela sur les effectifs du privé. Il faut que l'Etat continue à financer ce déséquilibre démographique.
 
Q.- Et concrètement, pour EDF, comment cela se passe ?
 
R.- Cela c'est passé en 2004. On a déterminé une soulte. Cela a été l'objet d'une négociation homérique avec Bercy, pour précisément que les salariés du privé ne soient pas amener à supporter l'adossement des salariés des d'EDF-GDF au régime général.
 
Q.- Donc cela veut dire que c'est EDF-GDF qui paie une partie des retraites directement au régime général ?
 
R.- Exactement, avec une partie du budget de l'Etat, également, qui a été transférée.
 
Q.- A hauteur de combien ?
 
R.- De l'ordre de 700 millions d'euros par an.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 septembre 2007