Texte intégral
Q - Vous êtes l'un des symboles de l'ouverture sarkozyste. Trouvez-vous sain et efficace qu'elle continue, alors que les socialistes parlent de "débauchage"?
R - Quand on regarde l'histoire de la Ve République, tous les grands chefs d'Etat ont pratiqué l'ouverture : le général de Gaulle en 1958, puis Giscard d'Estaing, en 1974, quand il a fait appel à Françoise Giroud, une femme de gauche, et à JJSS, enfin François Mitterrand, en 1981, avec Michel Jobert, et en 1988, avec notamment Durieux, Rausch et Pelletier...
Q - A l'instar de Jacques Chirac que vous ne citez pas?
R - On ne peut pas dire qu'en 1995, il ait pratiqué l'ouverture puisqu'il n'y avait même pas de balladuriens dans son gouvernement... Ne parlons même pas de 2002. Je pense que dans un monde en plein bouleversement, où la France doit faire face à des défis démographiques, économiques, de sécurité internationale, il est important de susciter l'adhésion la plus large possible des volontés et des talents. La majorité des Français adhère à cette évolution. Ceux qui craignent cette bouffée d'air frais et préfèrent le repli manquent de confiance dans ce pays.
Q - Si le gouvernement s'ouvre à d'autres socialistes, pensez-vous que Nicolas Sarkozy doit faire appel à des "éléphants", style Jack Lang, à des électrons libres, comme Claude Allègre, dont on évoque beaucoup l'entrée au gouvernement ou à des jeunes, type Manuel Valls ?
R - Ce sera le choix du président. A titre personnel, je pense que les plus libres et les plus compétents apportent plus de valeur ajoutée.
Q - Avez-vous gardé votre carte du PS ?
R - J'ai pris ma carte du PS avant les dernières élections. Ils me l'ont laissée.
Q - Vous faisiez partie des "Gracques" entre les deux tours de la présidentielle, c'est-à-dire des partisans de l'alliance entre les socialistes et les centro-bayrouistes. Vous vous retrouvez aujourd'hui dans le gouvernement Sarkozy. Expliquez le sens de votre adhésion?
R - L'approche des Gracques entre les deux tours, celle d'un rapprochement des réformistes et des socio-démocrates, était préconisée aussi par Ségolène Royal. Elle n'a pas fait l'unanimité au PS. J'en ai pris acte. Nicolas Sarkozy m'a demandé de m'occuper de l'Europe. J'ai constaté que ce n'est un enjeu ni de droite ni de gauche, mais qu'il répond à un impératif national. J'observe qu'il s'est lancé dans une politique de réforme que les Gracques appelaient de leurs voeux. Je remarque que l'homme a l'énergie nécessaire pour les mener à bien et qu'il est loin de la caricature de l'ultralibéral qu'on avait dessinée de lui.
Q - Concernant l'affaire EADS, vous avez dit que si les délits d'initiés sont avérés, c'est "extrêmement grave". Pourquoi, lorsque vous étiez directeur adjoint du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, n'avez-vous pas prévu de légiférer et, au minimum, de taxer les stock-options ?
R - La gauche n'avait pas pris la dimension de la mécanique infernale dans laquelle nous entraînaient les stock-options. Ce que l'on a considéré comme la panacée de l'intéressement à long terme, favorable à la bonne marche de l'entreprise, s'est révélé être un système inadapté car mal contrôlé. Je pense qu'il faut à l'avenir obliger les détenteurs à les conserver entre trois et cinq ans, et les taxer comme les actions.
Q - L'autre scandale concerne la Caisse des dépôts. Vous avez été directeur du Trésor. Expliquez-nous comment cette institution publique a pu acheter au plus haut 2,25 % du capital d'EADS appartenant au groupe Lagardère (propriétaire de Paris Match) sans demander le feu vert de son actionnaire, l'Etat ? Qui est le pilote dans l'avion Etat ?
R - Mon sentiment est que la Caisse des dépôts, conformément à son statut, a pu acheter cette participation dans EADS sans en référer à l'Etat. Mon successeur à la direction du Trésor dit qu'il n'avait pas été informé de cette opération. J'ai tendance à le croire, car j'ai fait la même expérience dans d'autres opérations. La vérité est que l'Etat est représenté au conseil de surveillance de la Caisse des dépôts par le directeur du Trésor ou un adjoint. Et que ces derniers sont informés, parfois a priori, d'autres fois concomitamment, et souvent a posteriori des prises de participation de la Caisse. Cela semble avoir été le cas pour EADS.
Q - C'est gravissime! Que va faire Nicolas Sarkozy ?
R - C'est très grave car au bout du compte, l'épargnant français est spolié. La direction du Trésor a toujours demandé que les prises de participation de la Caisse soient contrôlées. Le directeur général de l'époque a agi conformément à un statut qui date de 1816, et qui n'a pas été prévu pour des investissements dans EADS, pas plus que dans Accor, Véolia ou des filiales de Bouygues. Il faut rapidement modifier ce statut et prévoir une nouvelle gouvernance. L'important c'est que le contrôle soit renforcé a priori, que ce soit par la voie parlementaire ou par un conseil d'administration, où siègent des personnalités indépendantes et des représentants de l'Etat. Il reviendra au Premier ministre, le moment venu, de faire des propositions.
Q - Depuis quatre mois, vous avez passé quarante jours à Bruxelles, à Luxembourg ou à Strasbourg, auprès des institutions européennes. Quelle est la valeur ajoutée d'un ministre d'ouverture sur l'Europe?
R - Cette valeur ajoutée est triple. La première est une préoccupation constante de défense des services publics. Exemple: j'ai, avec Hervé Novelli, obtenu que la libération des services postaux soit reportée après 2011 pour être compatible avec nos contraintes d'aménagement du territoire. La deuxième est une sensibilité aiguë à la politique industrielle de la France: je me bats donc pour que face au géant Gazprom, nos opérateurs conservent à la fois la production et la distribution de l'énergie, deux services que Bruxelles souhaite séparer. Et puis mon expérience au sein de l'Etat me dicte un devoir de respect de nos engagements européens en matière de réduction du déficit budgétaire, et de la dette.
Q - Mais Nicolas Sarkozy a déjà relâché la pression en disant à nos partenaires que nous respecterions nos engagements, non pas en 2010 mais en 2012.
R - 2010 était une proposition du précédent gouvernement et nous ferons tout pour la tenir. Cette date n'avait pas été sollicitée par la Commission européenne. C'est plus facile de s'engager pour un gouvernement sortant que pour un gouvernement entrant. La situation des finances publiques que nous avons trouvée nous oblige au réalisme.
Q - Vous êtes sévère pour le gouvernement Villepin. Il n'empêche, comment la France, qui prend la présidence de l'Union européenne au deuxième semestre 2008, va-t-elle justifier son très mauvais rang européen dans l'assainissement de ses finances publiques?
R - Le pacte de stabilité et de croissance signé en mars 2005 par les chefs d'Etat européen, prévoit que lorsqu'un pays fait des réformes structurelles importantes, il bénéficie de temps et d'assouplissement pour remplir ses objectifs. L'Allemagne de Gerhardt Schröder puis d'Angela Merkel en a largement profité pour se réformer. Il est normal que la France de Nicolas Sarkozy en bénéficie à son tour. Mais bien sûr nous devons respecter nos engagements et bien gérer nos finances publiques. C'est l'intérêt de tous.
Q - L'axe franco-allemand a jusqu'ici été le moteur de la construction européenne. Il semble grippé. La chancelière, Angela Merkel, se montre exaspérée par les déclarations de Nicolas Sarkozy, tant sur le nucléaire allemand que sur l'indépendance de la BCE. Vous êtes inquiet ?
R - La coopération franco-allemande a toujours été difficile. Il suffit de se reporter au tout début des relations entre Helmut Kohl et François Mitterrand, ou entre Gerhard Schröder et Jacques Chirac. Il y a un nouveau gouvernement en France. Il y a en face un gouvernement de coalition dans un Etat fédéral. Les prises de décision sont différentes. Les tempéraments des deux chefs d'Etat ne sont pas les mêmes. Il est normal qu'il y ait des ajustements. D'autant que beaucoup de dossiers ont déjà été résolus grâce à une bonne coopération. Je citerai le Traité simplifié, l'avenir européen d'EADS, ou l'annonce d'un texte commun sur la nécessité d'une meilleure transparence financière mondiale. J'ajoute que la coopération franco-allemande ne peut pas être la même dans une Europe à 27 que dans une à 15 ou à 6. Elle doit être ouverte à d'autres partenaires. C'est pour cela que le président de la République déploie tant de volonté pour assurer la présence française en Europe centrale et de l'Est.
Q - Mais pour revenir à nos liens avec l'Allemagne, nos différends sur le nucléaire et l'euro sont quand même très lourds ?
R - Concernant le nucléaire, c'est simple. Nous disons à nos amis allemands : nous sommes ouverts à un partenariat avec vous, mais à condition que vous réfléchissiez au futur de l'industrie nucléaire chez vous. De même nous disons à nos partenaires européens, vous ne pouvez pas demander à la France de libéraliser tout son marché de l'énergie, notamment nucléaire, alors que nous sommes les seuls à assumer la responsabilité de construction de nouvelles centrales. L'Europe doit s'interroger sur ce que doivent être ses capacités nucléaires dans le cadre de la réduction des gaz à effet de serre, qui est l'un des principaux défis à venir de l'Europe.
Q - Et le différend franco-allemand sur l'indépendance de la BCE et la valeur de l'euro ?
R - Nos cultures sont différentes. La priorité de la France est d'assurer la croissance. Pour des raisons historiques, l'Allemagne est plus centrée sur la stabilité des prix. Nous demandons le respect du Traité, rien que le Traité, tout le Traité. Nous respectons l'indépendance de la BCE. Nous disons que Jean-Claude Trichet a raison d'appeler à la prudence quand on parle de taux de change entre les monnaies. Mais nous appelons à un renforcement du dialogue de la BCE avec l'Eurogroupe, fut-ce dans un cadre discret. Quand M. Trichet, à juste titre, dit que les dépenses publiques en France pèsent 53 % du PIB, que les prélèvements obligatoires pèsent 45 %, et que la France n'a pas pour autant une plus forte croissance que ses voisins, je suis d'accord avec lui, mais que je sache, la BCE n'a aucun mandat pour parler de la situation budgétaire des Etats membres. Nous lui disons en retour que nous avons le droit de dialoguer avec lui sur ce qui touche à la croissance de la zone euro.
Q - L'euro fort, c'est la faute du dollar ou de la BCE ?
R - Le grand responsable est le dollar, à cause du déficit extérieur des paiements courants. Mais il est évident que la différence de taux d'intérêts entre l'Europe et les Etats-Unis contribue à valoriser l'euro. C'est une constatation, pas un jugement.
Q - Vous vous êtes dit proche de DSK économiquement et de François Hollande, affectivement. Est-ce toujours le cas ?
R - C'est vrai pour DSK. C'est aussi vrai pour François Hollande et Ségolène Royal.
Q - Vous vous êtes donc réconcilié avec Mme Royal?
R - Je l'espère. Il est vrai que j'ai pu avoir avec elle quelques incompréhensions. Je la connais depuis trente ans. Elle a connu des épreuves. J'ai beaucoup de respect pour son courage, son coeur, son intelligence et pour la vision qu'elle a de la réforme de la gauche. Tout ce qu'elle a dit sur le mérite, la reconnaissance du travail, la nécessité d'accroître l'activité en France, la reconnaissance de l'économie de marché n'a pas suffisamment été pris au compte au sein du PS. Elle m'a paru proche de DSK. Malheureusement, la jonction ne s'est pas faite en temps voulu.
Q - Vous semblez conquis par Nicolas Sarkozy. Vous lui trouvez-vous quelques défauts ?
R - Il a beaucoup d'énergie, une vision pour le pays. Il est très chaleureux, même s'il ne profite pas de nos très bons vins... ce qui est un vrai défaut lorsqu'on voyage avec lui.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2007
R - Quand on regarde l'histoire de la Ve République, tous les grands chefs d'Etat ont pratiqué l'ouverture : le général de Gaulle en 1958, puis Giscard d'Estaing, en 1974, quand il a fait appel à Françoise Giroud, une femme de gauche, et à JJSS, enfin François Mitterrand, en 1981, avec Michel Jobert, et en 1988, avec notamment Durieux, Rausch et Pelletier...
Q - A l'instar de Jacques Chirac que vous ne citez pas?
R - On ne peut pas dire qu'en 1995, il ait pratiqué l'ouverture puisqu'il n'y avait même pas de balladuriens dans son gouvernement... Ne parlons même pas de 2002. Je pense que dans un monde en plein bouleversement, où la France doit faire face à des défis démographiques, économiques, de sécurité internationale, il est important de susciter l'adhésion la plus large possible des volontés et des talents. La majorité des Français adhère à cette évolution. Ceux qui craignent cette bouffée d'air frais et préfèrent le repli manquent de confiance dans ce pays.
Q - Si le gouvernement s'ouvre à d'autres socialistes, pensez-vous que Nicolas Sarkozy doit faire appel à des "éléphants", style Jack Lang, à des électrons libres, comme Claude Allègre, dont on évoque beaucoup l'entrée au gouvernement ou à des jeunes, type Manuel Valls ?
R - Ce sera le choix du président. A titre personnel, je pense que les plus libres et les plus compétents apportent plus de valeur ajoutée.
Q - Avez-vous gardé votre carte du PS ?
R - J'ai pris ma carte du PS avant les dernières élections. Ils me l'ont laissée.
Q - Vous faisiez partie des "Gracques" entre les deux tours de la présidentielle, c'est-à-dire des partisans de l'alliance entre les socialistes et les centro-bayrouistes. Vous vous retrouvez aujourd'hui dans le gouvernement Sarkozy. Expliquez le sens de votre adhésion?
R - L'approche des Gracques entre les deux tours, celle d'un rapprochement des réformistes et des socio-démocrates, était préconisée aussi par Ségolène Royal. Elle n'a pas fait l'unanimité au PS. J'en ai pris acte. Nicolas Sarkozy m'a demandé de m'occuper de l'Europe. J'ai constaté que ce n'est un enjeu ni de droite ni de gauche, mais qu'il répond à un impératif national. J'observe qu'il s'est lancé dans une politique de réforme que les Gracques appelaient de leurs voeux. Je remarque que l'homme a l'énergie nécessaire pour les mener à bien et qu'il est loin de la caricature de l'ultralibéral qu'on avait dessinée de lui.
Q - Concernant l'affaire EADS, vous avez dit que si les délits d'initiés sont avérés, c'est "extrêmement grave". Pourquoi, lorsque vous étiez directeur adjoint du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, n'avez-vous pas prévu de légiférer et, au minimum, de taxer les stock-options ?
R - La gauche n'avait pas pris la dimension de la mécanique infernale dans laquelle nous entraînaient les stock-options. Ce que l'on a considéré comme la panacée de l'intéressement à long terme, favorable à la bonne marche de l'entreprise, s'est révélé être un système inadapté car mal contrôlé. Je pense qu'il faut à l'avenir obliger les détenteurs à les conserver entre trois et cinq ans, et les taxer comme les actions.
Q - L'autre scandale concerne la Caisse des dépôts. Vous avez été directeur du Trésor. Expliquez-nous comment cette institution publique a pu acheter au plus haut 2,25 % du capital d'EADS appartenant au groupe Lagardère (propriétaire de Paris Match) sans demander le feu vert de son actionnaire, l'Etat ? Qui est le pilote dans l'avion Etat ?
R - Mon sentiment est que la Caisse des dépôts, conformément à son statut, a pu acheter cette participation dans EADS sans en référer à l'Etat. Mon successeur à la direction du Trésor dit qu'il n'avait pas été informé de cette opération. J'ai tendance à le croire, car j'ai fait la même expérience dans d'autres opérations. La vérité est que l'Etat est représenté au conseil de surveillance de la Caisse des dépôts par le directeur du Trésor ou un adjoint. Et que ces derniers sont informés, parfois a priori, d'autres fois concomitamment, et souvent a posteriori des prises de participation de la Caisse. Cela semble avoir été le cas pour EADS.
Q - C'est gravissime! Que va faire Nicolas Sarkozy ?
R - C'est très grave car au bout du compte, l'épargnant français est spolié. La direction du Trésor a toujours demandé que les prises de participation de la Caisse soient contrôlées. Le directeur général de l'époque a agi conformément à un statut qui date de 1816, et qui n'a pas été prévu pour des investissements dans EADS, pas plus que dans Accor, Véolia ou des filiales de Bouygues. Il faut rapidement modifier ce statut et prévoir une nouvelle gouvernance. L'important c'est que le contrôle soit renforcé a priori, que ce soit par la voie parlementaire ou par un conseil d'administration, où siègent des personnalités indépendantes et des représentants de l'Etat. Il reviendra au Premier ministre, le moment venu, de faire des propositions.
Q - Depuis quatre mois, vous avez passé quarante jours à Bruxelles, à Luxembourg ou à Strasbourg, auprès des institutions européennes. Quelle est la valeur ajoutée d'un ministre d'ouverture sur l'Europe?
R - Cette valeur ajoutée est triple. La première est une préoccupation constante de défense des services publics. Exemple: j'ai, avec Hervé Novelli, obtenu que la libération des services postaux soit reportée après 2011 pour être compatible avec nos contraintes d'aménagement du territoire. La deuxième est une sensibilité aiguë à la politique industrielle de la France: je me bats donc pour que face au géant Gazprom, nos opérateurs conservent à la fois la production et la distribution de l'énergie, deux services que Bruxelles souhaite séparer. Et puis mon expérience au sein de l'Etat me dicte un devoir de respect de nos engagements européens en matière de réduction du déficit budgétaire, et de la dette.
Q - Mais Nicolas Sarkozy a déjà relâché la pression en disant à nos partenaires que nous respecterions nos engagements, non pas en 2010 mais en 2012.
R - 2010 était une proposition du précédent gouvernement et nous ferons tout pour la tenir. Cette date n'avait pas été sollicitée par la Commission européenne. C'est plus facile de s'engager pour un gouvernement sortant que pour un gouvernement entrant. La situation des finances publiques que nous avons trouvée nous oblige au réalisme.
Q - Vous êtes sévère pour le gouvernement Villepin. Il n'empêche, comment la France, qui prend la présidence de l'Union européenne au deuxième semestre 2008, va-t-elle justifier son très mauvais rang européen dans l'assainissement de ses finances publiques?
R - Le pacte de stabilité et de croissance signé en mars 2005 par les chefs d'Etat européen, prévoit que lorsqu'un pays fait des réformes structurelles importantes, il bénéficie de temps et d'assouplissement pour remplir ses objectifs. L'Allemagne de Gerhardt Schröder puis d'Angela Merkel en a largement profité pour se réformer. Il est normal que la France de Nicolas Sarkozy en bénéficie à son tour. Mais bien sûr nous devons respecter nos engagements et bien gérer nos finances publiques. C'est l'intérêt de tous.
Q - L'axe franco-allemand a jusqu'ici été le moteur de la construction européenne. Il semble grippé. La chancelière, Angela Merkel, se montre exaspérée par les déclarations de Nicolas Sarkozy, tant sur le nucléaire allemand que sur l'indépendance de la BCE. Vous êtes inquiet ?
R - La coopération franco-allemande a toujours été difficile. Il suffit de se reporter au tout début des relations entre Helmut Kohl et François Mitterrand, ou entre Gerhard Schröder et Jacques Chirac. Il y a un nouveau gouvernement en France. Il y a en face un gouvernement de coalition dans un Etat fédéral. Les prises de décision sont différentes. Les tempéraments des deux chefs d'Etat ne sont pas les mêmes. Il est normal qu'il y ait des ajustements. D'autant que beaucoup de dossiers ont déjà été résolus grâce à une bonne coopération. Je citerai le Traité simplifié, l'avenir européen d'EADS, ou l'annonce d'un texte commun sur la nécessité d'une meilleure transparence financière mondiale. J'ajoute que la coopération franco-allemande ne peut pas être la même dans une Europe à 27 que dans une à 15 ou à 6. Elle doit être ouverte à d'autres partenaires. C'est pour cela que le président de la République déploie tant de volonté pour assurer la présence française en Europe centrale et de l'Est.
Q - Mais pour revenir à nos liens avec l'Allemagne, nos différends sur le nucléaire et l'euro sont quand même très lourds ?
R - Concernant le nucléaire, c'est simple. Nous disons à nos amis allemands : nous sommes ouverts à un partenariat avec vous, mais à condition que vous réfléchissiez au futur de l'industrie nucléaire chez vous. De même nous disons à nos partenaires européens, vous ne pouvez pas demander à la France de libéraliser tout son marché de l'énergie, notamment nucléaire, alors que nous sommes les seuls à assumer la responsabilité de construction de nouvelles centrales. L'Europe doit s'interroger sur ce que doivent être ses capacités nucléaires dans le cadre de la réduction des gaz à effet de serre, qui est l'un des principaux défis à venir de l'Europe.
Q - Et le différend franco-allemand sur l'indépendance de la BCE et la valeur de l'euro ?
R - Nos cultures sont différentes. La priorité de la France est d'assurer la croissance. Pour des raisons historiques, l'Allemagne est plus centrée sur la stabilité des prix. Nous demandons le respect du Traité, rien que le Traité, tout le Traité. Nous respectons l'indépendance de la BCE. Nous disons que Jean-Claude Trichet a raison d'appeler à la prudence quand on parle de taux de change entre les monnaies. Mais nous appelons à un renforcement du dialogue de la BCE avec l'Eurogroupe, fut-ce dans un cadre discret. Quand M. Trichet, à juste titre, dit que les dépenses publiques en France pèsent 53 % du PIB, que les prélèvements obligatoires pèsent 45 %, et que la France n'a pas pour autant une plus forte croissance que ses voisins, je suis d'accord avec lui, mais que je sache, la BCE n'a aucun mandat pour parler de la situation budgétaire des Etats membres. Nous lui disons en retour que nous avons le droit de dialoguer avec lui sur ce qui touche à la croissance de la zone euro.
Q - L'euro fort, c'est la faute du dollar ou de la BCE ?
R - Le grand responsable est le dollar, à cause du déficit extérieur des paiements courants. Mais il est évident que la différence de taux d'intérêts entre l'Europe et les Etats-Unis contribue à valoriser l'euro. C'est une constatation, pas un jugement.
Q - Vous vous êtes dit proche de DSK économiquement et de François Hollande, affectivement. Est-ce toujours le cas ?
R - C'est vrai pour DSK. C'est aussi vrai pour François Hollande et Ségolène Royal.
Q - Vous vous êtes donc réconcilié avec Mme Royal?
R - Je l'espère. Il est vrai que j'ai pu avoir avec elle quelques incompréhensions. Je la connais depuis trente ans. Elle a connu des épreuves. J'ai beaucoup de respect pour son courage, son coeur, son intelligence et pour la vision qu'elle a de la réforme de la gauche. Tout ce qu'elle a dit sur le mérite, la reconnaissance du travail, la nécessité d'accroître l'activité en France, la reconnaissance de l'économie de marché n'a pas suffisamment été pris au compte au sein du PS. Elle m'a paru proche de DSK. Malheureusement, la jonction ne s'est pas faite en temps voulu.
Q - Vous semblez conquis par Nicolas Sarkozy. Vous lui trouvez-vous quelques défauts ?
R - Il a beaucoup d'énergie, une vision pour le pays. Il est très chaleureux, même s'il ne profite pas de nos très bons vins... ce qui est un vrai défaut lorsqu'on voyage avec lui.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2007