Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, à France 2 le 10 octobre 2007, sur la politique d'immigration du gouvernement et sur l'ouverture politique.

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Média : France 2

Texte intégral


Bonjour à tous, bonjour J.-M. Bockel.
Bonjour.
Q- Vous êtes resté trente ans au Parti socialiste, vous êtes aujourd'hui un des principaux ministres de l'ouverture, et l'ouverture on en parle, on en reparle beaucoup depuis hier, depuis que F. Amara a trouvé « dégueulasse » l'instrumentalisation des immigrés à propos du fameux test ADN. Comment vous jugez la déclaration de F. Amara ?
R- Moi, je ne suis pas d'accord avec elle parce que je pense qu'au-delà de l'amendement ADN qui était certainement... dont aurait pu se passer parce qu'il brouille le message, je pense que c'est une bonne loi, c'est une loi que j'attendais.
Q- Mais sur l'amendement ADN vous êtes contre ?
R- Je ne suis pas contre, je considère que l'amendement n'a pas à être diabolisé, on a dit beaucoup de choses qui étaient quand même très éloignées de la réalité de ce qu'il est aujourd'hui, quand on voit les aspects pratiques utiles. Mais à partir du moment où une démarche comme celle-là brouille complètement le message, je dis que c'est un petit peu dommage.
Q- Il ne fallait pas le faire pour vous ?
R- S'il y avait la machine à remonter le temps, il est certain - d'ailleurs le Gouvernement n'a pas déposé cet amendement - on aurait pu s'en passer, ça n'aurait rien enlevé à cette loi. Mais cela dit, cet amendement ne me fait pas sauter au plafond. Par contre, s'agissant de Fadela, au delà de ce point de désaccord que nous pouvons avoir, je tiens à dire que lorsque avec son franc-parler elle défend au Conseil des ministres le plan banlieue, tout le monde applaudit et à juste titre. Eh ben, cette personne, elle est elle-même, elle est entière, on ne peut pas la couper en morceaux, il faut la prendre telle qu'elle est, et croyez-moi pour le Gouvernement, la présence de Fadela c'est un plus.
Q- Il y a quand même beaucoup de députés de la majorité qui sont choqués parce que c'est un amendement qui vient justement de la majorité. Est-ce que là il n'y a pas une limite, une des limites de l'ouverture, justement ?
R- Je dirais plus largement, je pense - et en tout cas ça été ma motivation, moi qui, comme vous l'avez dit, viens du PS, a essayé de faire vivre au sein du PS une ligne politique sociale libérale sans être entendu- je pense que le Président c'est d'abord un réformateur proche de cette ligne sociale libérale, et qu'une partie de sa majorité, une partie de l'UMP, n'est pas forcément sur cette ligne. Vous avez des gens très conservateurs, vous avez des ultra-libéraux. Les ministres d'ouverture et ce qu'ils peuvent symboliser c'est aussi non seulement une manière, je dirais de transcender des frontières politiques - ce que les Français attendent - mais c'est aussi une manière de s'appuyer dans cette politique de réformes sur des gens venus de l'autre rive et qui sont peut-être plus motivés encore que d'autres à ce que les réformes réussissent.
Q- Ce que vous voulez dire, c'est que les ministres d'ouverture sont là pour faire passer des réformes plutôt de gauche, peut-être, qui ne passeraient pas avec les députés de la majorité, c'est ça ?
R- Moi, je dis simplement que tous les pays d'Europe qui ont su se réformer - et la France on voit bien qu'elle a besoin de le faire -, l'ont fait essentiellement d'ailleurs souvent avec des gouvernements de gauche dans une démarche sociale libérale, c'est-à-dire d'équilibre entre à la fois le dynamisme économique, des éléments de solidarité, de responsabilité. Bon, c'est aujourd'hui, je dirais le bon moyen de faire avancer un pays et nous sommes un certain nombre, et moi j'essaie à mon modeste niveau de le faire, à incarner à gauche sans succès, c'est le problème du PS aujourd'hui, cette ligne. Le Président Sarkozy l'a compris, je le sens quand je compare les textes, le texte que j'avais présenté au Congrès du PS il y a deux ans en faisant moins de 1 % des voix et son programme de réformes, c'est pas très éloigné.
Q- Vous êtes plus proche de N. Sarkozy que du Parti socialiste aujourd'hui, c'est ça ?
R- Ah, ça c'est clair ! C'est clair que pendant la campagne que j'ai fait loyalement de S. Royal, très souvent ça me rappelait l'époque Jospin. Malgré le grand respect que j'ai pour Jospin, que ce soit sur les 35 heures, sur les questions de sécurité, les questions d'immigration déjà, je me suis dit : « mais c'est pas possible qu'on ne voit pas la réalité du pays, qu'on ne veuille pas réformer ces questions ». Avec N. Sarkozy, je peux bien sûr avoir des points de désaccord, une histoire différente, mais je me sens, c'est vrai, en tout cas en ce moment, beaucoup plus en phase.
Q- Je reviens un instant sur F. Amara. Quand vous étiez au PS, vous avez longtemps été proche de J.-P. Chevènement.
R- Oui !
Q- Et J.-P. Chevènement disait qu' « un ministre quand il n'est pas d'accord, il ferme sa gueule ou il démissionne ». Est-ce que F. Amara doit démissionner ?
R- Alors, d'abord Chevènement reste mon ami, et Jean-Pierre, en fait, parlait de solidarité gouvernementale, et il évoquait les choses majeures. Il est parti sur des désaccords majeurs. On n'est pas avec Fadela dans ce cas de figure. Je pense que Fadela doit rester...
Q- ... le terme qu'elle a employé était fort.
R- Je pense que ce serait une perte que Fadela avec tout le travail qu'elle s'apprête à faire sur les banlieues...une des raisons pour lesquelles moi j'ai rejoint ce Gouvernement, une des raisons pour lesquelles je suis allié de cette majorité, c'est que pendant la crise des banlieues, j'ai considéré que pour qu'on surmonte cette difficulté qui est quand même un élément majeur de cohésion sociale et nationale, on en aurait pour une génération et donc plusieurs majorités successives, et qu'il fallait donc savoir se rassembler. Le Président Sarkozy le fait avec des gens comme Fadela que j'ai connue avant qu'elle ne soit au Gouvernement, quand elle était militante de son association « Ni putes ni soumises », elle est venue à Mulhouse, je peux vous dire qu'elle a fait un tabac, c'est quelqu'un qui est...
Q- ... donc, malgré ce qu'elle a dit, elle peut rester au Gouvernement, pas de problème.
R- Pour moi, elle a exercé sa liberté de parole mais elle respecte la solidarité gouvernementale. Donc de mon modeste point de vue, elle doit rester.
Q- Ce matin, la police a fait évacuer de mal-logés qui campaient du côté de la Place de la Bourse, à Paris. Ca aussi vous l'approuvez ?
R- Je suis souvent dans ma ville confronté, puisque je suis une ville d'immigration, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je pense que pour l'immigration redevienne davantage un plus, une chance, il faut qu'on ait une politique d'immigration à la fois ferme et généreuse, il faut qu'on ait par voie de conséquence une vraie politique d'intégration. J'ai été confronté à des occupations, chaque fois on essaie de trouver des solutions humaines, un traitement au cas par cas, mais il y a des moments où on ne peut pas faire autrement. Et ceux qui protestent, à condition de le faire humainement, moi encore récemment j'ai été amené à le faire en trouvant des solutions individuelles pour chaque personne, mais ceux qui disent qu'il est inacceptable à un moment ou à un autre, quand on est arrivé au bout de toutes les discussions, de procéder à une expulsion, qu'ils me disent ce qu'il faut faire.
Q- Sur ce dossier, c'est R. Yade qui était montée au créneau, elle aussi. Cela ne fait pas beaucoup de couacs dans le Gouvernement ?
R- Je disais qu'il faut... il y a la manière de faire les choses, il faut savoir garder sa capacité d'indignation aussi. Il y a une grande différence, moi je le vois chez moi avec les camps de Roms, entre des manières brutales parfois de faire des choses et des manières correctes, humaines, qui prennent plus de temps, qui se font dans le respect du droit, mais il faut à un moment donné quand même le faire.
Q- Vous allez créer un nouveau parti qui s'appelle "Gauche moderne" L'idée c'est quoi ? C'est de siphonner le Parti socialiste ?
R- Non, ce serait prétentieux, mais aujourd'hui il y a comme moi beaucoup de gens venus du PS ou proches du PS qui ne se retrouvent pas dans cette crise d'identité de la gauche, cette incapacité du PS à se rénover, qui considèrent qu'il y a un moment de réforme possible de notre pays, qui partagent peu ou prou les idées sociales libérales que je porte depuis quelques années, et surtout qui considèrent que si on veut peser il faut être uni, il faut être capable au-delà de personnalités qui sont au Gouvernement ou dans des villes dans une formation politique, de réfléchir, de proposer, voire de critiquer, pas forcément tout de suite sur la place publique. Je peux vous dire qu'il y a beaucoup, beaucoup de personnes qui s'intéressent à cette démarche un peu partout.
Q- Vous avez des noms ?
R- D'autant que nous gardons...
Q- ... pas encore de nom ?
R- ... pas encore de nom, j'en ai mais je ne veux pas les dire, je les dirai. Nous gardons nos valeurs de gauche, nous gardons notre identité, notre liberté, nous ne sommes pas à l'UMP, je n'irai jamais à l'UMP, mais nous sommes des alliés loyaux et je pense que, y compris au niveau des municipales, nous pourrons faire un travail utile.
Merci J.-M. Bockel.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 octobre 2007