Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à "Europe 1" le 7 novembre 2007, sur la détermination du gouvernement face aux grèves annoncées contre la réforme des régimes spéciaux de retraite, le maintien de l'objectif de 2,5 e croissance et les relations de "complicité" avec le président de la République.

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Texte intégral

Q- Édition spéciale en effet avec le Premier ministre. F. Fillon,
bonjour.
R- Bonjour J.-P. Elkabbach.
Q- Merci d'être sur Europe 1. Et au cours de ce rendez-vous,
évidemment, nous parlerons de tous les sujets qui préoccupent les
Français, avec franchise. D'abord, est-ce qu'il faut que le président
de la République soit absent pour que le Premier ministre soit présent
?
R- J.-P. Elkabbach, d'abord, je me suis exprimé - je le vérifiais ce
matin en venant vous voir - à peu près tous les jours de la semaine
dernière, de manière publique.
Q- Alors comment se fait-il qu'on ne l'entende pas ?
R- Pas sur votre radio, pas sur une radio. Pourquoi ? Parce que... je
viens aujourd'hui, parce que l'actualité le justifie. D'abord parce
qu'on est à six mois de l'élection de N. Sarkozy et de l'installation
du Gouvernement, et beaucoup font le bilan de ces six premiers mois, et
que je pense qu'il est préférable que le Premier ministre vienne le
commenter lui-même, ce bilan...
Q- ... Une sorte d'auto évaluation...
R- Et puis, deuxièmement, parce qu'on est engagé dans une série de
réformes difficiles, avec un certain nombre d'épreuves sociales qui, en
tout cas, sont annoncées...
Q- On va en parler...
R- Et donc je pense qu'il était judicieux que je puisse venir m'
exprimer sur votre antenne aujourd'hui.
Q- Mais ça ne veut pas dire que quand le chat n'est pas là...
R- Non, non, non, l'information circule, même entre Washington et
Paris.
Q- C'est-à-dire, il vous appelle plusieurs fois quand il est absent ?
R- On s'appelle plusieurs fois par jour, effectivement.
Q- Il vous dit ce qu'il fait, est-ce qu'il vous dit ce qu'il dit ?
R- Bien sûr, bien sûr, on parle tous les jours, on réfléchit tous les
jours à la meilleure manière de réagir. On forme une équipe qui est
extrêmement soudée.
Q- Oui. Regardez le titre du Figaro de ce matin, sur cinq colonnes : «
Sarkozy, le temps des épreuves. » Même les épreuves ne sont que pour
lui. On peut dire "tant pis, tant mieux, pour vous", Monsieur le
Premier ministre, ou vous partagez ?
R- Non, on partage tout, simplement, le président de la République
conduit l'action du Gouvernement, c'est le résultat du quinquennat, c'
est aussi le choix fait par N. Sarkozy, en raison de sa personnalité et
en raison de sa manière d'agir. C'est un choix que j'ai partagé depuis
le début, puisque ça fait deux ans que je suis à ses côtés pour
préparer, d'abord l'élection présidentielle, et maintenant, l'action
gouvernementale. Et donc c'est naturel que les Français aient les yeux
rivés sur celui qui incarne leurs espoirs.
Q- Oui, bon, on y reviendra tout à l'heure. Vous avez entendu tout à
l'heure avec moi, et vous souriez, N. Rihouet, dire que la météo de
novembre va être plutôt sombre. Il y a des nuages, brouillards tenaces,
un ciel couvert et une visibilité réduite. Sur le plan social aussi,
pour vous, c'est ça ?
R- Le mois de novembre, c'est assez courant que la visibilité soit
réduite, qu'il y ait des brouillards et qu'il y ait les prémices de l'
hiver. Simplement, nous, on a les yeux rivés sur un objectif. Et cet
objectif, il est extrêmement clair : c'est ce qu'on veut faire de la
France à cinq ans. On veut que dans cinq ans, la France soit dans les
quatre premiers pays européens pour la croissance. On veut que la
France ait atteint le taux de chômage de 5%, qui est atteint par
beaucoup d'autres pays européens. On veut avoir retrouvé l'équilibre
des comptes. Et enfin, on veut - et c'est un engagement du président de
la République - avoir réduit d'un tiers la pauvreté dans notre pays,
voilà. Alors pour nous, les choses sont très claires, et on déroule
notre projet vers cet objectif-là.
Q- Avec quelquefois des heurts, des obstacles. Dans une semaine...
R- Ah ben, ce n'est pas facile...
Q- ...Le 14 novembre sera une journée dure, la CFDT Cheminots se joint
à la grève, qu'avaient décidée sans elle six syndicats. Hier, F.
Chérèque, à votre place, disait : le Gouvernement nous demande de faire
grève. Est-il vrai que vous voulez cette grève ?
R- Bien sûr que non, J.-P. Elkabbach, personne ne peut croire que le
Gouvernement souhaite qu'il y ait une grève nouvelle dans les
transports, qui pénalise des millions de Français. Qu'est-ce qui se
passe sur cette affaire des régimes spéciaux ? En 93, plus de vingt
millions de salariés du régime général sont passés de trente-sept
annuités et demie à quarante, pour tenir compte de l'allongement de la
durée de la vie, et sauver les régimes de retraite par répartition. En
2003, il y a cinq millions de fonctionnaires qui sont passés de trente
-sept annuités et demie à quarante. Bon, eh bien voilà, il reste
500.000 personnes, qui sont ressortissants des régimes spéciaux, qui ne
sont pas des privilégiés, mais qui sont des Français comme les autres,
et qui doivent désormais cotiser quarante annuités.
Q- Et ils résistent. Alors hier, F. Chérèque disait qu'il a écrit, à
plusieurs reprises, à vous, Premier ministre, à X. Bertrand, pour
réclamer des contreparties sur la réforme des régimes spéciaux de
retraite ; les ultimes... enfin, les ultimes, les ultimes contreparties
ou corrections arrivent, arrivent...
R- Absolument, ça fait deux mois qu'on discute. On a élaboré un
document d'orientation, qui a fait l'objet de débats. X. Bertrand a
reçu encore dans les journées d'hier les organisations syndicales, et
il a proposé hier soir un nouveau document, qui est notre ultime
proposition, je le dis tout de suite, il n'y en aura pas d'autres, c'
est la dernière, parce qu'on ne peut pas aller plus loin...
Q- C'est l'ultime avant d'autres ultimes...
R- Non, non, c'est la dernière, on ne peut pas aller plus loin.
Pourquoi ? On propose dans ce document, pour dire les choses
simplement, un engagement pour que les retraites des ressortissants du
régime, des régimes spéciaux ne soient pas réduites à durée de
cotisations égale, c'est-à-dire que quelqu'un qui fait quarante
annuités de cotisations ne doit pas avoir une retraite, une pension
plus basse que celle d'aujourd'hui. Ça n'était pas tout à fait le cas
dans les premières propositions qu'on a faites, c'est le cas
maintenant...
Q- C'est-à-dire, vous les assouplissez, vous tenez compte de ce que
vous entendez...
R- On ira... On les a assouplies...
Q- Mais qu'est-ce qui reste qui n'est pas négociable ?
R- Il reste trois choses qui sont le squelette, l'armature de la
réforme, c'est : le passage à quarante annuités, comme pour la Fonction
publique et pour le régime général, c'est le principe de la décote, et
c'est l'indexation des pensions sur les prix. Ça, ce n'est pas
négociable, parce que ça, c'est l'équité, et puis, c'est l'efficacité.
Si vous voulez sauver le système de retraite par répartition, il faut
que tout le monde y participe. Il ne faut pas qu'il y ait d'un côté des
gens du régime général, qui financent des régimes extrêmement
déficitaires, comme les régimes spéciaux...
Q- Donc le principe, vous maintenez la décote, mais vous l'
assouplissez. Est-ce que vous donnez un délai plus long pour le
déclenchement de la réforme ?
R- On ne donne pas de délai plus long pour le déclenchement de la
réforme. Il y a dans chaque entreprise maintenant un espace de
négociations, sur beaucoup de sujets, sur le rythme d'un certain nombre
de mises en oeuvre de cette réforme. Mais c'est maintenant dans les
entreprises que les choses doivent se passer. X. Bertrand reçoit demain
les responsables des entreprises publiques, il leur donne leur mandat
de négociations, et à partir de demain, la négociation doit s'ouvrir
dans les entreprises. Mais je veux le dire très sereinement, il faut
que chacun comprenne que désormais le Gouvernement est allé jusqu'au
bout de ce qui était possible, et chacun doit prendre ses
responsabilités. En tout cas, nous, nous ne reculerons pas. Et nous ne
reculerons pas pour quatre raisons. D'abord parce que ce serait trahir
nos engagements. Ensuite, parce que ça serait aller contre l'avis de
75% des Français, enfin, d'une immense majorité de Français, qui
souhaitent cette réforme. Enfin, nous ne reculerons pas parce que
reculer, ce serait condamner les régimes spéciaux, qui ne pourraient
plus être financés dans quelques années, et puis, ça serait retourner
dans un immobilisme qui est justement la cause des difficultés que
connaît notre pays.
Q- Donc la réforme des régimes spéciaux - vous le rappelez ce matin -
selon vous, aura lieu, et en même temps, parce que pour vous, c'est un
test, et la garantie que vous pourrez être crédible pour parler de
réformes à venir ?
R- Oui, ce n'est pas un test, c'est une étape dans un processus de
réformes que nous avons engagé, et comme cette étape est considérée par
les Français, à juste titre, comme essentielle, pour des questions d'
équité et de justice sociale, renoncer à cette réforme, ça serait en
réalité renoncer à toute modernisation à venir de notre pays.
Q- F. Fillon, la CGT a choisi une grève illimitée et reconduite jour
après jour, ce qui ne plaisait pas à F. Chérèque, mais il y va. Est-ce
que le Gouvernement se prépare donc à une grève plutôt longue ?
R- Le Gouvernement espère qu'il n'y aura pas de grève longue, que la
sagesse l'emportera...
Q- Cependant...
R- Je pense qu'on ne peut pas dire encore aujourd'hui qui fera grève et
qui ne fera pas grève, car il y a encore des discussions qui vont avoir
lieu jusqu'à la fin de la semaine, notamment sur le nouveau document
que ne connaissait pas encore F. Chérèque hier, et qui lui a été remis.
Mais en tout cas, le Gouvernement est prêt à toutes les éventualités.
Q- Mais fondamentalement, ce matin, vous dites aux Français : il faut
vous attendre à trois, quatre, cinq, huit jours de grève...
R- Non, je ne sais pas...
Q- ...Puisqu'on voit bien que la CGT va faire la jonction avec les
fonctionnaires en grève, et que même les étudiants s'y mettent pour le
20.
R- Oui, enfin, les étudiants, ça n'a évidemment pas de sens, parce que
nous avons fait d'énormes efforts pour l'université. L'université
française est dans une mauvaise posture, elle perd des places dans les
classements internationaux depuis des années. Pour la première fois
depuis vingt cinq ans, on a réussi à débloquer la situation, en faisant
voter un texte sur l'autonomie. Je voudrais vous dire, J.-P. Elkabbach,
qu'aujourd'hui, au moment où on parle, il y a 60 universités françaises
qui ont choisi - choisi, ce n'est pas imposé par le Gouvernement, qui
ont choisi- le statut d'autonomie, que nous avons proposé. On a inscrit
un milliard huit cents millions d'euros de budget supplémentaire pour
l'enseignement supérieur et la recherche, on a augmenté
considérablement les bourses. Et V. Pécresse est en train de discuter
avec les organisations étudiantes d'un sujet très important, qui est la
lutte contre l'échec en licence et en première année. C'est vraiment la
priorité absolue du Gouvernement, l'université...
Q- Mais comment vous pouvez stopper cette contagion, organisée dans les
universités ?
R- Je ne crois pas qu'il y ait de contagion, je pense qu'il y a
quelques mouvements, souvent inspirés par des considérations très
politiques, qui, je le pense, n'auront pas de suites.
Q- Vous ne m'avez pas dit : la grève, c'est trois jours, quatre jours,
cinq jours, vous êtes prêt à huit jours, huit jours...
R- Mais on ne peut pas...
Q- Donc on se prépare...
R- On ne peut pas dire ça, J.-P. Elkabbach, il faut aller jusqu'au bout
de la discussion, il y a encore plusieurs jours devant nous. On discute
tous les jours avec les organisations syndicales. Le débat va s'engager
dans les entreprises maintenant, il y a énormément de sujets qui
peuvent être débattus dans les entreprises. Et donc moi, ce que j'
espère, ce que j'attends, ce que je souhaite, c'est que le plus grand
nombre possible de personnels de ces entreprises, qui sont des
ressortissants des régimes spéciaux, comprennent que cette grève n'a
pas lieu d'être, que les Français ne la comprennent pas, et qu'elle ne
correspond pas à la notion, qui est la nôtre, de la justice sociale et
de l'équité.
Q- Justement, justement, ceux qui disent qu'ils veulent travailler,
est-ce qu'ils auront la garantie de la liberté du travail ?
R- Bien sûr, il faut qu'ils puissent l'avoir, c'est la loi. Et la loi
doit être respectée.
Q- Alors la demande majoritaire des Français, Monsieur le Premier
ministre, c'est que vous puissiez améliorer leur pouvoir d'achat, déjà
à court terme. Et puis, face à l'augmentation continue du prix
du pétrole et ses conséquences sur la vie quotidienne. Quelles
décisions prenez-vous sur le carburant, sur le fioul - vous n'allez pas
nous conseiller d'utiliser seulement le vélo et de mettre des pulls en
laine - qu'est-ce que vous nous proposez ?
R- Bon, il y a plusieurs choses sur le pouvoir d'achat. Il y a d'abord
effectivement l'augmentation des matières premières, des produits
agricoles et du pétrole. L'augmentation du pétrole, il faut bien voir
qu'elle est inexorable. Elle est liée à une quantité de pétrole
disponible, qui est limitée, et à une augmentation de la consommation
mondiale qui est considérable, donc depuis dix ans, le pétrole augmente
de manière inexorable. Proposer aujourd'hui des mesures qui viseraient
à baisser artificiellement le prix de l'essence, le prix du gasoil, c'
est de la démagogie.
Q- La TIPP, vous voulez dire, flottante, c'est de la démagogie...
R- Oui, c'est de la démagogie, parce que la seule décision politique
responsable, c'est celle qui consiste à aider les Français à se rendre
de moins en moins dépendants du pétrole, car de toute façon, quelles
que soient les mesures qui puissent être prises pour telle ou telle
catégorie, pour telle ou telle profession, la question du
renchérissement du prix du pétrole, elle va sans cesse se poser de
façon plus importante.
Q- Et à court terme alors ?
R- C'est pour ça que nous, nous avons engagé une politique, notamment
avec le Grenelle de l'Environnement, pour aider les Français à acheter
des voitures propres, pour stimuler la recherche sur les énergies
renouvelables, mais aussi sur le nucléaire, qui pour nous est
essentiel, d'ailleurs, la France est - vous le savez bien - moins
dépendante du pétrole que beaucoup d'autres pays, pour engager un
effort d'isolation des logements. Voilà, c'est là que l'investissement
doit être fait...
Q- Oui, mais ça, c'est à long terme, mais à moyen terme, mais pour
demain ?
R- Ça peut être à moyen terme...
Q- Qu'est-ce que vous faites pour aider les ménages...
R- Ça peut même être à court terme, s'agissant des véhicules propres ou
de l'isolation des logements. Il n'y a pas d'autre politique
responsable. Alors, après, il y a un deuxième sujet, qui est l'
augmentation du pouvoir d'achat des Français, c'est-à-dire des
salaires. Sur cette question, pourquoi est-ce qu'il y a autant de
tensions sur le pouvoir d'achat ? C'est parce qu'en réalité, depuis une
dizaine d'années, un petit peu moins, les salaires dans notre pays sont
écrasés par les 35 heures. Ça, c'est la vérité...
Q- C'est la faute aux 35 heures, encore ?
R- Bien sûr, parce les 35 heures ont comprimé la masse de travail
disponible dans notre pays, ont comprimé la production et ont abouti à
un écrasement des salaires.
Q- Donc, qu'est-ce que vous faites pour les salaires ?
R- Sur les salaires, il faut d'abord inciter les Français à travailler
plus. C'est l'objet de la loi qui a été votée cet été, qui commence à
se mettre en oeuvre sur les heures supplémentaires. On peut désormais
faire des heures supplémentaires qui sont complètement détaxées.
Deuxièmement, travailler plus c'est réduire le chômage. Je voudrais
vous faire remarquer, J.-P. Elkabbach, qu'en septembre le chômage a
diminué de 1,4 % dans notre pays, ce qui est énorme. On est au niveau
historiquement le plus bas depuis 25 ans, ça c'est encore très élevé.
Q- C'est le fruit du travail de plusieurs années.
R- C'est le fruit du travail de plusieurs années mais ça montre aussi
que les décisions que nous avons prises cet été, contrairement à ce que
la gauche, en particulier, annonçait en permanence, n'ont eu aucune
conséquence négative.
Q- Mais est-ce que vous demandez aux entreprises d'augmenter les
salaires ?
R- Et alors, troisième chose, nous voulons que les entreprises engagent
des négociations salariales tous les ans, ce qu'elles ne font pas
toutes, même beaucoup d'entres elles ne le font plus depuis les 35
heures. Et pour les inciter à engager ces négociations salariales, on
est en train de regarder comment on pourrait moduler les allégements de
charges que les entreprises reçoivent, notamment en raison des 35
heures, en fonction de la réalité de ces négociations sociales qui
doivent avoir lieu tous les ans.
Q- Ce sera une sorte de pression.
R- Une sorte de pression, de simulation.
Q- Ou d'encouragement.
R- D'encouragement ou d'incitation.
Q- Un mot encore avant une pause, sur les prix, est-ce qu'il faut les
faire baisser grâce à la concurrence ? Par exemple, la commission
Attali vous a proposé la suppression de lois Galland et Raffarin, est-
ce que vous le ferez ?
R- Il faut qu'il y ait plus de concurrence et plus de transparence.
Quand on regarde aujourd'hui les prix agricoles à la production et qu'
on regarde les prix sur les étals, on se dit quand même qu'il y a
beaucoup de marges et qu'il faut réussir à comprimer ces marges. Donc,
on va commencer dès le mois de novembre avec une loi qui sera présentée
par L. Chatel sur la réduction, sur la transparence et la suppression
de ce qu'on appelle les marges arrière, et on va continuer en 2008 avec
la révision de la loi Raffarin sur l'implantation des grandes surface.
[Pause]
Q- Invité sur Europe 1, F. Fillon, Premier ministre. Hier, vous avez
conseillé, F. Fillon, à votre majorité UMP d'attacher les ceintures.
Est-ce que ça veut dire que vous n'avez pas l'intention de ralentir ou
de marquer une pause dans la politique Sarkozy/Fillon de réforme ?
R- Non, j'ai présenté devant la majorité, hier, au fond le bilan des
six mois. On a engagé un nombre de réformes considérables depuis six
mois.
Q- Vous voulez dire que ça va continuer, il y aura pause ou pas ?
R- Et ce que je voulais dire à la majorité c'est que si elle n'a pas à
rougir de son bilan depuis six mois, en même temps elle ne peut pas s'
en satisfaire parce qu'on est très loin d'avoir atteint les objectifs
qu'on s'est fixés. Et donc le programme de travail à partir du mois de
novembre et jusqu'à la pause, à l'occasion des élections municipales,
va être considérable, et le Gouvernement a besoin d'avoir une majorité
rassemblée, solidaire derrière lui, et c'est à cette solidarité que j'
ai appelé les députés de la majorité.
Q- Mais pour autant, la meilleure méthode est-elle de lancer toutes les
réformes ensemble en même temps ?
R- Oui, je pense que... pour deux raisons, d'abord parce que la France
a pris trop de retard et le monde ne nous attend plus. J.-P. Elkabbach,
on a vu des pays comme l'Irlande, comme la Grande-Bretagne, comme les
Pays-Bas, passer devant nous en termes de richesse par habitant, ça n'
est pas normal compte tenu des capacités de notre pays, compte tenu de
ses richesses, compte tenu de son génie, donc on a trop de retard, donc
on ne peut pas attendre.
Q- Donc, pas de pause et toutes les réformes en même temps. Mais est-ce
que vous estimez...
R- ... et deuxièmement, on a besoin de rétablir une confiance dans le
système politique. Pourquoi est-ce qu'il y a eu autant de difficultés
dans les vingt dernières années ? Parce que les Français n'avaient plus
aucune confiance dans leurs dirigeants. Pour qu'ils aient confiance, il
faut que les dirigeants tiennent leurs engagements et qu'il y ait des
résultats. Pour qu'il y ait des résultats en termes de croissance, en
termes d'emploi, en termes de lutte contre la pauvreté dans les cinq
ans, il faut que les réformes soient faites maintenant.
Q- Est-ce que pour vous, il n'y a pas de réforme sans confrontation,
sans casse, sans risque ?
R- On essaie de les faire avec le moins de confrontations possible, d'
ailleurs depuis six mois il y a eu, vous l'avez bien noté, très peu de
vraies tensions autour des réformes qu'on a faites, même sur des
réformes très difficiles, je pense à celle de l'université. Maintenant,
il y a quand même des résistances dans notre pays, il y a des mauvaises
habitudes qui ont été prises : des gouvernements qui cédaient en
permanence devant un certain nombre de groupes de pressions...
Q- C'est-à-dire que vous dites : on ne cède pas, on tient ?
R- Il faut se mettre à la place des gens qui veulent, qui luttent pour
maintenir un avantage ou ce qu'ils considèrent comme un avantage
acquis. Ils ont toujours vu les gouvernements céder, donc ils se
disent, « il n'y a pas de raison de ne pas le faire », et au fond c'est
pas à eux qu'il faut jeter la pierre, c'est à ceux qui cédaient, c'est
à ceux qui n'avaient pas le courage d'aller jusqu'au bout des réformes.
Q- Eh bien, on va voir comment vous allez faire !
R- On va le faire, et j'ai déjà démontré dans le passé, J.-P.
Elkabbach, à plusieurs reprises que je n'étais pas du genre à céder.
Q- Le plus réformateur des deux, Sarkozy et vous, c'est qui ?
R- Ah non, ce n'est pas la question ! Le Président de la République c'
est lui qui décide des réformes, c'est lui qui nous demande de les
faire.
Q- D'accord.
R- Simplement, je veux dire que dans le passé, j'ai déjà montré que j'
étais prêt à affronter des crises et même une certaine impopularité.
Q- A chaque conflit social, est-ce qu'il faut s'habituer à voir le
président de la République descendre du train ou du ciel ?
R- Oui, parce que c'est dans son style, c'est dans la nature du rapport
direct qu'il entretient avec les Français, qui lui a sans doute permis
de gagner les élections présidentielles...
Q- ... oui, mais il n'est plus candidat là.
R- Oui, mais enfin ce lien qu'il a créé avec le peuple français, il
veut le maintenir et je ne vois pas pourquoi on s'en offusquerait.
Q- D'autant plus que personne ne pourra ou ne saura l'en empêcher. Mais
un jour ou l'autre, est-ce que ça risque de ne pas tourner mal ? Est-ce
que la place d'un président de la République c'est d'intervenir au
coeur des conflits ?
R- Je pense que dans un quinquennat, avec le rythme extrêmement rapide
qui est celui de la vie politique française aujourd'hui, compte tenu de
l'urgence des réformes, c'est la bonne méthode.
Q- Et les ministres à quoi ils servent ?
R- Les ministres, vous savez, ils travaillent les ministres derrière
parce que...
Q- ... derrière !
R- Oui, derrière.
Q- Avec un temps de retard.
R- Non, il y a un chef devant et des ministres derrière qui font en
sorte que les décisions qui sont prises soient appliquées, soient mises
en oeuvre. Il ne suffit pas que le président de la République se rende
au Guilvinec pour annoncer aux pêcheurs des mesures pour que les
mesures soient mises en oeuvre. Il faut que derrière il y ait des
ministres, il y ait des services, il y ait une administration qui les
mette en place.
Q- D'accord, et si le ministre était allé sur place, le Président n'y
serait pas allé, bon. Le Tchad...
R- Ça n'aurait pas eu le même impact parce que le Président de la
République c'est le Président de la République. Le Tchad, avec la
France ça s'envenime, surtout avec la phrase de N. Sarkozy prononcée au
Guilvinec : « j'irai chercher tous ceux qui restent quoi qu'ils aient
fait au Tchad ».
Q- Est-ce que la France envisage une opération commando ridicule pour
extraire les sixFrançais des prisons ?
R- Bien sûr que non.
Q- Alors, pourquoi le dire ?
R- Bien sûr que non, J.-P. Elkabbach.
Q- Alors, pourquoi le dire ?
R- Vous le dites vous-même. Bon, d'abord, moi je me réjouis que les
journalistes et les hôtesses de l'air espagnoles qui étaient détenus
sans raison aient été libérés, le Président de la République a eu
raison d'aller les chercher. Maintenant, on a sur place des
ressortissants français qui, semble-t-il, ont commis des fautes.
Q- Semble-t-il ?
R- Semble-t-il ont commis des fautes. Je dis semble-t-il parce que...
Q- Semble-t-il ? Vous avez demandé une enquête au ministère...
R- ... Il y a trois enquêtes en cours, en fait, il y a une enquête
judiciaire en France, il y a une enquête judiciaire au Tchad, et puis
moi j'ai demandé une enquête aux services internes, au service du
Ministère de la Défense.
Q- Ça a cafouillé, ça a cafouillé pour vous.
R- En tout cas, on a été trompé, on a été trompé par cette association
qui s'est dissimulée de différentes manières, ce qui déjà en soi est
une faute. Ceci étant, les représentants de cette association sont des
ressortissants français et ils ont droit à la protection de la France,
et ce que N. Sarkozy a dit, hier, au fond, avec ses mots, c'est que la
France leur accorderait une protection totale.
Q- Oui, mais la première étape, est-ce que c'est de laisser les juges
du Tchad indépendants faire leur métier ?
R- Il faut que les juges du Tchad et les juges français, puisque les
deux instances sont ouvertes en même temps, aillent jusqu'au bout des
procédures et débattent ensemble de la meilleure façon de traiter cette
affaire. Naturellement, notre préférence à nous c'est qu'il y ait un
accord entre la justice française et la justice tchadienne pour que les
ressortissants français puissent être jugés en France.
Q- Donc, s'ils viennent en France, ils sont jugés et il y aura un
procès des six ?
Bien sûr, bien sûr.
Q- Le Parti socialiste a adopté le Traité européen de Lisbonne. F.
Hollande qui sera ici demain à 08 h 20 a obtenu un "oui", non sans mal,
mais un "oui". Donc, le traité européen peut être voté au 3/5e des deux
assemblées, à Versailles ?
R- Je le pense, mais vous transmettrez à F. Hollande toutes mes
félicitations quand il viendra demain parce que je pense que le Parti
socialiste a été courageux et vient de prendre une décision qui est une
décision de bon sens, qui est une décision importante pour notre pays.
Il fallait sortir l'Europe de la crise institutionnelle dans laquelle
elle était plongée, pour une part à cause du "non" français, pas
seulement à cause du "non" français, mais ça a joué un rôle évidemment
très, très important. N. Sarkozy s'était engagé à le faire, il avait
proposé cette idée du traité simplifié. Cela avait fait sourire tout le
monde, et notamment le Parti socialiste. Il l'a imposé à travers l'
élection présidentielle et le choix des Français. Et puis il a ensuite
convaincu les autres Européens de l'adopter.
Q- Donc, les 26, donc vous vous dites c'est un succès de tous, y
compris en France.
R- C'est un succès français, c'est un succès pour l'Europe parce qu'
elle sort de la crise et que le Parti socialiste le reconnaisse et
accepte d'accompagner cet effort de sortie de crise, je trouve que c'
est très bien.
Q- Deux mots, aujourd'hui, à Washington, N. Sarkozy s'adresse au
Congrès, ce qui lui est encore impossible devant le Parlement français,
c'est autre chose. Le Président Sarkozy a dîné hier à la
Maison Blanche, il est accueilli là-bas comme l'ami américain, ce qui
n'est pas élogieux en France. Comment vous combinez indépendance et
alliance, Monsieur le Premier ministre ?
R- Oui, mais ce n'est pas élogieux en France, à cause d'une espèce de
pensée unique, que je récuse. Les Américains, c'est un grand peuple, un
grand peuple démocratique, ce sont nos alliés depuis toujours, ils nous
ont deux fois évité, ou en tout cas, sortis de situations
extraordinairement difficiles. Qu'on ait des désaccords avec eux, et on
en a un notamment sur la crise irakienne, ça ne doit pas nous conduire
à nous détester. Or, on était arrivé, avec les Etats-Unis, à une
véritable détestation, il faut se souvenir des manifestations,
organisées aux Etats- Unis contre la France, ce n'était pas un problème
entre le Gouvernement français et le Gouvernement américain, c'était un
problème entre le peuple français et le peuple américain. Il faut
réconcilier ces deux peuples, qui ont énormément de choses en commun.
Et puis en même temps, il faut se dire les choses. Il faut dire
aux Américains qu'on n'approuve pas leur politique en matière d'
environnement, il faut dire aux Américains qu'on n'approuve pas leur
politique en Irak, c'est ce que N. Sarkozy va faire.
Q- On revient en France, et après, on s'en va. Hier, les députés
parlaient beaucoup dans les couloirs de l'Assemblée. C'est l'UMP, A.
Gest, que j'ai retenu, il a eu ces mots : "désormais, il n'y a plus d'
hypocrisie, le patron, c'est le Président. Le Premier ministre fait le
job, il fait marcher le système chaque jour". Et il a ajouté : "Et
puis, qui pourrait aujourd'hui jouer le rôle de F. Fillon ?".
R- Ah ben ça, c'est une question, et il y a sûrement plein de gens qui
seraient capables de le faire, ce n'est pas la question. Mais c'est
vrai que nous sommes revenus à une lecture de la Constitution qui est
honnête, qui est transparente, et qui correspond en réalité à l'esprit
des institutions de la 5ème République. M. Debré se plaignait déjà que
le Général de Gaulle voulait assumer la plénitude de sa fonction et
considérait que le rôle du Premier ministre, c'était de diriger l'
administration...
Q- Mais entre lui et vous, tout à l'heure, D. de Villepin disait : la
clé, c'est la confiance et la complémentarité. Comment vous définissez
votre tandem, je n'ose pas dire votre couple, mais votre tandem ?
R- Complicité totale. Complicité totale. Depuis deux ans, on a
travaillé ensemble, on a bâti notre projet, on le met en oeuvre. Moi,
je considère que le rôle du Premier ministre c'est d'assurer la
coordination de l'équipe gouvernementale, c'est de veiller à la
cohérence...
Q- La coordination...
R- Coordination, c'est de veiller à la cohérence des politiques, et
notamment la cohérence des politiques avec les contraintes financières
qui sont les nôtres. C'est, au fond, de faire en sorte que la machine
gouvernementale soit opérationnelle, et qu'elle puisse réagir sans
délai aux impulsions du président de la République.
Q- J'ai envie de vous demander si vous n'amplifiez pas la tradition qui
fait du titulaire de Matignon l'homme des sacrifices.
R- Enfin, je n'ai pas du tout le sentiment de me sacrifier. Je trouve,
au contraire, que la fonction est passionnante. Je l'exerce en plein
accord avec N. Sarkozy, dans un équilibre des pouvoirs, qui respecte la
prééminence du président de la République. Point à la ligne.
Q- Deux mots, très vite. Premièrement, on n'a pas parlé de la
croissance, parce qu'elle va être mauvaise ou parce que c'est trop tôt
?
R- Je pense que les deux prochains trimestres seront bien meilleurs
qu'on ne l'imaginait jusqu'à maintenant. Je pense que l'objectif de
"tangenter" les 2% de croissance en 2007 est de nouveau réalisable. Et
donc je maintiens les prévisions qui sont les nôtres pour 2008, c'est-
à-dire un taux de croissance aux alentours de 2,5%.
Q- Dernière remarque, Les Echos ne paraissent pas ce matin, ils
manquent. La Tribune dit : la presse économique est en danger. Est-ce
que vous avez une idée, est-ce que vous vous sentez un peu concerné,
est-ce que vous dites : il faut garder l'indépendance économique de la
presse...
R- Bien sûr, on est tous concerné, parce que la pluralité de l'
information est très importante pour le fonctionnement de notre
démocratie. Je pense que la presse a besoin d'argent, elle a besoin d'
investisseurs, mais elle a aussi besoin de liberté, elle a besoin d'
indépendance. Et donc le Gouvernement sera très, très vigilant et très
attentif à ce que l'indépendance, la liberté des rédactions soient
respectées.
Q- Vous avez dit à la majorité : attachez vos ceintures, j'ai l'
impression que vous aussi, en novembre, vous devez attacher la vôtre.
R- Quand on démarre sa voiture, J.-P. Elkabbach, on doit toujours
attacher sa ceinture...
Q- Oui, donc, vous faites démarrer votre voiture ? Vous restez
longtemps ? Enfin, le temps qu'il faut...
R- Ah, ça, c'est le président de la République qui en décidera.
Bonne journée. Merci d'être venu sur Europe 1.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 novembre 2007