Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Tout ce que j'ai entendu ce matin me conforte dans l'idée que la mission sur le cinéma et le droit de la concurrence que j'ai confiée, avec Christine Lagarde, à Anne Perrot et Jean-Pierre Leclerc, ne vise pas à répondre à des problèmes purement conjoncturels. Elle pose une vraie question de fond. Nous devons aujourd'hui examiner ce qui, dans le droit de la concurrence, peut être vraiment efficace pour résoudre certains problèmes que rencontre le secteur du cinéma, et au contraire, ce qui doit faire l'objet de la création d'un droit sectoriel, soit pour répondre à un problème que ne peut pas résoudre le droit commun, notamment par la régulation a priori, soit pour inventer des règles vraiment adaptées aux spécificités du cinéma.
L'Etat a en cela une responsabilité éminente. Il doit jouer pleinement son rôle de régulateur. Ainsi, depuis cinq mois que j'exerce le mandat qui m'a été confié, j'ai engagé trois actions à mon sens prioritaires, qui sont autant d'interventions fortes dans l'économie de la culture. Elles concernent le cinéma, mais ont valeur d'exemple pour tout le secteur.
La première - la plus urgente et la plus fondamentale à mes yeux - consiste a réaffirmer haut et fort le caractère essentiel du droit de propriété littéraire et artistique dans l'économie de la culture, comme l'un des instruments majeurs de la liberté de création : c'est tout le sens de l'action que j'ai entreprise avec la mission Olivennes contre la piraterie sur Internet et pour le développement de l'offre légale.
C'est le sujet que vous évoquerez cet après-midi. Parallèlement, et parce que l'intervention de l'Etat doit être aussi financière, j'ai décidé de revaloriser en priorité toutes les aides en direction des auteurs (écriture, développement, innovation).
La seconde action, en phase avec nos préoccupations de cette matinée, est cette mission dont je viens de parler, sur les relations entre le droit de la concurrence et l'économie du cinéma. J'avais, lors d'un premier contact avec les organisations professionnelles du cinéma en juin dernier, clairement manifesté mon intention de m'engager dans cette voie. Comme sur le sujet du droit d'auteur, je vous rappelle que le Président de la République, dans son programme pour la culture avait évoqué l'idée d'un « statut dérogatoire » au règles de la concurrence pour le cinéma. Par ailleurs, une décision de mai 2007 du Conseil de la concurrence a invalidé en partie le « code de bonne conduite sur les pratiques promotionnelles des salles de cinéma », laissant le secteur sans outil de régulation des pratiques tarifaires. Cela avait été pourtant encouragé en son temps par les pouvoirs publics, preuve s'il en est d'une divergence de fond entre l'autorité de concurrence chargée d'appliquer le droit et la politique publique menée en faveur du cinéma.
Depuis, les conflits qui ont surgi sur les cartes illimitées, sur la concurrence entre exploitants de salles ainsi que les problèmes persistants sur le fonctionnement du marché (calendrier de sortie des films, rotation trop rapide de ceux -ci), et le débat sur les pratiques tarifaires et la transparence n'ont rendu que plus urgente et indispensable la réflexion sur une régulation de la concurrence adaptée aux spécificités de ce marché. Cette régulation doit pouvoir fournir d'efficaces réponses à ces questions sans dénaturer les principes sur lesquels repose la politique publique en faveur du cinéma.
Je tiens a rappeler - car c'est un point fondamental - que j'ai souhaité lancer ces deux missions conjointement avec ma collègue Christine Lagarde. Nous devons entamer en cette matière un dialogue constructif avec l'administration des finances, gardienne des règles de la concurrence, pour construire de nouvelles règles et non nourrir une logique stérile d'opposition frontale, qui a trop souvent primé.
Le troisième chantier, dont j'ai souhaité qu'il soit lancé par le CNC, consiste à mesurer l'impact de nos aides publiques, notamment les aides à la production, qui ont progressé de près de 60% ces quatre dernières années, alors même qu'une partie de la production se trouve en situation de fragilité persistante.
Au-delà de la priorité accordée aux aides en amont de la production, comme je viens de le rappeler, je pense qu'au vu des constats qui auront été dressés par le CNC et qui feront l'objet d'un large débat public, il faudra réorienter ou accentuer certaines aides, afin de privilégier la diversité, sans tomber dans l'écueil du saupoudrage.
Ce rappel n'a qu'un seul objet, affirmer clairement les objectifs qui sont les miens aujourd'hui : assurer la liberté de création, fournir aux créateurs les moyens de cette création, et offrir bien évidemment au public les conditions d'accès optimales aux biens culturels, non comme consommateurs, mais comme spectateurs ou amateurs, ce qui est radicalement différent.
Il nous revient ensemble - et vous pourrez compter sur la force de mon engagement et de ma résolution sur ce point - non pas d'extraire l'économie du cinéma du droit de la concurrence, mais d'inventer des règles propres, compatibles avec ces objectifs.
C'est ce que l'on appelle un droit sectoriel et c'est à nous de l'édifier. Il a déjà été ébauché, et je regrette à cet égard que le médiateur du cinéma, qui est un très bon exemple de dispositif adapté aux particularités du cinéma, ne soit pas là pour témoigner et nous livrer le fruit de son expérience. C'est à de telles institutions que je pense pour rénover les conditions d'application du droit de la concurrence au secteur du cinéma.
Il nous faut innover, créer un nouveau droit. Je ne dis pas que cela sera facile, parce qu'il faudra, comme pour les aides d'Etat, le rendre compatible avec le droit européen. Nous devons aujourd'hui amplifier le discours vis-à-vis de Bruxelles sur un statut dérogatoire au droit de la concurrence. Nous avons été les premiers à construire une loi sur le cinéma unique en son genre, à mettre en place un système d'aides sophistiqué, ambitieux, complet. Soyons les premiers aussi à adapter le droit de la concurrence pour permettre le développement de la création cinématographique. Si nous réussissons, peut-être ferons-nous exemple, dans ce domaine aussi.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 7 novembre 2007