Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans l'"Express" du 28 janvier 1999, sur l'importance de la diplomatie française dans les relations internationales, la composition du Conseil de sécurité de l'ONU, les relations avec les Etats-Unis et la nécessité de former des étudiants étrangers pour augmenter le rayonnement de la France.

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Texte intégral

Q - A qui attribuez-vous la responsabilité du massacre découvert samedi ?
R - La présidence de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) s'est dit convaincue, hier lundi, que ces atrocités avaient été commises par la police et l'armée yougoslaves. L'OSCE et Mme Arbour, le procureur du Tribunal pénal international, essaient d'en savoir plus. Je note que les Yougoslaves ont affirmé vouloir faire eux-mêmes une enquête.

Q - Si les auteurs sont découverts et pris, auront-ils des comptes à rendre devant le Tribunal pénal international ?
R - Il le faut. La compétence du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a été étendue au Kossovo par la résolution 1207 du Conseil de sécurité des Nations unies. Comme le Premier ministre l'a dit dimanche, les responsables de cet acte barbare doivent savoir qu'ils auront à répondre de leurs crimes.

Q - Peut-on dire que Slobodan Milosevic ne respecte pas ses " engagements " ?
R - Il en respecte certains, et en viole d'autres. Le 13 octobre dernier, M. Milosevic a pris plusieurs engagements : la réduction des forces de sécurité serbes au niveau du début de la crise, l'acceptation d'un dispositif de vérification au sol (assuré par une mission de l'OSCE) et dans les airs (assuré par l'OTAN) ; la relance du processus de négociation politique. Surtout, M. Milosevic s'était engagé, dès juin dernier, à résoudre cette crise par des moyens politiques, et à ne pas entreprendre d'actions répressives contre la population.

Q - On est loin du compte...
R - Il est clair que le manque de retenue et la violence dont font preuve les forces serbes et yougoslaves, même si c'est en réponse à des provocations, violent les engagements pris. Il faut cependant relever aussi que l'UCK (Armée de libération du Kossovo), qui avait annoncé un cessez-le-feu en octobre dernier, n'a pas non plus respecté cet engagement, et a intensifié ces dernières semaines sa politique d'attentats.

Q - Un autre mot que celui d' " impuissance " permet-il de qualifier le bilan global des Occidentaux ?
R - Si vous préconisez l'envoi au Kossovo d'un corps expéditionnaire occidental comprenant des milliers de soldats français, dites-le plus clairement !... Nous avons déjà réalisé et maintenu l'unité du Groupe de contact depuis le début de la crise, résorbé la crise humanitaire de l'automne dernier, déployé une mission de l'OSCE afin de vérifier les engagements du président Milosevic et permettre l'amorce d'une négociation politique, mis en place une force d'extraction... Nous avions jusqu'ici contenu les tensions. Le Groupe de contact a défini ce que pourrait être une autonomie substantielle.
...
Q - Et cela n'a pas suffi...
R - Ce qui manque encore, c'est que les deux parties acceptent de négocier à partir des ces éléments. Ibrahim Rugova l'accepte, mais les Kossovars proches de l'UCK s'y refusent. Belgrade l'accepte, mais compromet toute avancée par la violence de la répression. Le dernier mot n'est pas dit.

Q - Y a-t-il un risque de guerre ?
R - Oui, plusieurs risques. Si la négociation ne commence pas, si le statu quo se perpétue et si les actions antiguérilla se développent, la guérilla prendra de plus en plus d'ampleur au Kossovo, et cet engrenage échappera à tout contrôle. Risque aussi si les partisans d'une " grande Albanie " essaient d'appliquer leur programme avec les conséquences à prévoir sur la stabilité dé l'Albanie, sur celle du Monténégro et de la Macédoine (dont un quart environ de la population est d'origine albanaise). A partir de là, aucune contagion, aucun élargissement ne seraient exclus.

Q - Que faire ?
R - Pour conjurer ces risques, nous devons réussir à imposer notre volonté à ceux des Serbes et des Kossovars qui sont déterminés à rendre impossible toute solution politique, et ont recouru pour cela à la violence des attentats comme à la répression, quoi qu'il en coûte à la population kossovar. Pour déjouer ce calcul, enrayer cet engrenage, faire reculer l'horreur, dégager une vraie politique d'avenir, des pressions convergentes du monde entier sur les deux parties sont nécessaires et urgentes pour qu'elles reviennent au cessez-le-feu, et acceptent de négocier sur la base de l'autonomie substantielle...

Q - Et si les événements s'accélèrent...
R - Ce qui ne changera pas, c'est la détermination de la France. Il reste peu de temps. La France fera tout pour que les pressions aboutissent Faute de quoi, il faudrait reconsidérer l'ensemble de la question.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)