Texte intégral
Q - Sur le dossier tchadien.
R - Je suis ici pour parler de la Birmanie. Je suis loin de la France. Je ne veux pas parler d'un dossier que je connais, certes, mais qui pour le moment ne m'empêche pas de m'intéresser d'abord à ce qui se passe en Birmanie depuis très longtemps et malheureusement pour encore longtemps. Ce n'est pas ma vision de l'humanitaire que l'on puisse agir sans règle, sans le respect d'une certaine déontologie, mais aussi sans règles élémentaires dans un pays qui n'est pas le nôtre. Ce n'est pas non plus ma conception de l'humanitaire que d'attaquer le gouvernement pour de mauvaises raisons. Les organisations non-gouvernementales ne sont pas gouvernementales. Et heureusement, elles sont libres, parfois, malheureusement aussi. Voilà ce que je peux vous en dire.
Q - Vous avez dit ce matin qu'il était impossible d'envisager un changement abrupt de régime en Birmanie. En même temps la colère est immense dans ce pays et de nombreux Birmans pensent que Than Shwe a commis une erreur impardonnable en faisant charger des moines. Pensez-vous qu'à terme Than Shwe devra céder sa place ?
R - Ce n'est pas la question. La colère, nous la possédons, pas autant que les Birmans, vous comprendrez. Mais nous avons été terriblement choqués et depuis des années, pas simplement parce qu'on a vu des images. C'est un problème qui dure, qui est compliqué et qui regarde avant tout, si l'on veut agir, non pas notre bonne conscience, vu de loin, mais surtout les pays de l'ASEAN. Et c'est pourquoi je parcours, je rencontre les responsables, aussi bien birmans, l'opposition birmane, que les responsables de Singapour, de Thaïlande, demain de Chine. C'est illusoire de penser que demain le gouvernement va chuter alors qu'il a, dans le sang, brisé les manifestations. Et on a vu ces moines, pieds nus dans la rue, qui étaient maltraités, plus que maltraités, emprisonnés. On ne sait même pas le nombre des victimes. Bien sûr, l'indignation est grande, mais l'indignation, cela ne suffit pas.
Toute la différence, c'est entre la bonne conscience parce que l'on s'indigne et le fait qu'on agisse, avec qui et comment. C'est pourquoi, pour le moment, ce qui est certain, c'est qu'il faut soutenir la mission d'Ibrahim Gambari. La France, soyons-en fiers, a été la première, parce que nous étions président du Conseil de sécurité, à traiter imparfaitement, une affaire qui est une affaire intérieure.
Moi, je suis un militant de l'ingérence. Je veux qu'on s'occupe du malheur des autres. Mais nous n'allons pas changer les règles comme cela. Nous avons déjà gagné beaucoup parce qu'il y a eu une déclaration, une petite déclaration du président du Conseil de sécurité, et parce que nous avons pu envoyer M. Gambari. Il faut soutenir sa mission. Et, si on peut, l'élargir.
Cela, ce n'est pas raisonnable. Ce sera formidable. Le raisonnable, c'était de se dire : "après tout ce régime, il y a longtemps qu'il existe, et il va continuer". Non, nous ne voulons pas cela. Nous ne voulons pas, et nous ne pouvons pas, sans les pays de la région, sans la participation des Birmans, modifier ce régime. Il le faut. Mais les Birmans, comment les aider, c'est cela mon problème, notre problème.
Je pense qu'il faut appliquer des sanctions. Nous sommes partisans des sanctions. Nous avons développé des sanctions, nous avons même dit : Total sera, lui-même, et pas seulement Total, mais son homologue, si j'ose dire, birman, Moge, frappé : plus d'investissements pour le moment. Nous l'avons fait. Nous continuons. Nous avons développé avec l'Union européenne des sanctions sur le bois, sur les pierres précieuses. Cela prendra des mois. Est-ce que c'est suffisant ? Non, je pense qu'il faut faire des sanctions et plus encore. Alors le plus, c'est ce que je cherche ici.
Q - Attendez-vous des résultats concrets de la mission que doit entamer dans quelques jours M. Gambari ?
R - D'abord, s'il retourne en Birmanie, c'est déjà un résultat concret. On peut toujours être plus royaliste que le roi. Il le faut d'ailleurs. C'est ce que font les hommes libres et les organisations non-gouvernementales. Il faut que cela continue parce que c'est déjà un petit miracle. Maintenant, ce miracle doit persister. Il faut lui donner un caractère, j'espère, permanent, je le dis avec précaution. Essayons, et cela ne peut se faire qu'avec l'appui des pays de l'ASEAN et aussi, bien sûr, de la Chine et de l'Inde.
Q - Sur l'Iran, qu'allez-vous demander aux autorités chinoises demain ?
R - Sur l'Iran, ce n'est vraiment pas mon problème immédiat. Si on peut aborder ce problème, bien sûr, je le ferai. Mais j'ai beaucoup parlé sur l'Iran avec le ministère des Affaires étrangères déjà et nous avons ensemble, concernant l'Iran, avec les Russes, signé avec les Etats-Unis, avec les trois pays européens, l'Allemagne, les Britanniques et nous-mêmes, un document commun et nous continuons ensemble. Nous sommes donc au clair pour le moment.
Maintenant, concernant la Birmanie, je vais leur demander ce que je vous ai déjà cité, c'est-à-dire, il faut absolument soutenir la mission de M. Gambari. C'est un peu grâce aux autorités chinoises si elle existe. C'est grâce au Conseil de sécurité d'une certaine façon, mais c'est grâce aux autorités chinoises. Et il faut pérenniser cette mission, il faut lui donner plus de volume et plus de possibilité. Il faut qu'un dialogue national s'installe. Mme Aung San Suu Kyi y est très favorable puisqu'elle a rencontré M. Aung Kyi. J'espère que ce sera le début d'un vrai processus. C'est la solution.
Un dialogue doit être imposé. Et nos amis de l'ASEAN, qui se réunissent, le 20 novembre à Singapour, vont proposer cela au représentant birman de l'ASEAN. Parce qu'ils ont fait ce pari il y a huit ans. "Prenons la Birmanie avec nous. Elle va changer." Pour le moment, ce n'est pas un grand succès, c'est le moins qu'on puisse dire. Il faut les appuyer pour cette détermination.
Q - Pourriez-vous préciser en quoi la politique française envers la Chine, avec la présidence de M. Sarkozy, va changer, comparée à celle de M. Chirac, en particulier dans le domaine du commerce ?
R - Le président Sarkozy visite la Chine dans quelques semaines. Je le connais assez pour savoir qu'il abordera franchement et de façon déterminée le problème des Droits de l'Homme. Il n'y a pas que ce problème-là et puis on pourrait en parler dans bien des endroits. Mais, là, je suis sûr qu'en visitant ce pays, nous aborderons ce problème.
Parlons des différences culturelles. Mais là aussi, il faut aller voir les progrès. Il y a quelques temps, quand, à Vienne, il y a eu la Conférence des Droits de l'Homme, la Chine était résolument contre le "droit-de-l'hommisme". Il y en a chez nous qui sont contre aussi, vous savez. Cela a fait des progrès considérables, pas assez. Je fais confiance au président Sarkozy, à ce niveau, pour apporter, disons, au moins des explications franches. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2007