Interviewde M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur "France 2" le 8 novembre 2007, sur les mesures envisagées par le gouvernement pour lutter contre les conséquences du prix élevé du baril de gasoil pour les pêcheurs, les bénéfices des compagnies pétrolières ainsi que sur les méthodes de gouvernement actuelles.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Hier, vous avez signé un accord avec les représentants des pêcheurs. Aujourd'hui, c'est la base qui doit se prononcer. Est-ce que vous pensez que le travail va reprendre partout ?

R.- C'est leur décision. Les pêcheurs, ils ont envie de travailler. On a, nous, bien travaillé avec leurs représentants hier. Je pense franchement, franchement, que les conditions de la confiance et du travail en commun ont été rétablies après la visite de N. Sarkozy au Guilvinec et un dialogue très direct et très sincère, après un vrai travail de fond, pour mettre en chantier les mesures qu'il a annoncées, parce qu'il y a quelques semaines de travail ; des mesures immédiates, comme l'exonération des charges, pour soutenir le pouvoir d'achat et accompagner les entreprises de pêche et puis un travail qui va nous demander quelques semaines pour ce système de compensation du surcoût du gasoil. Des mesures aussi plus structurelles, parce que moi je voudrais apporter à ces hommes et à ces femmes qui travaillent beaucoup, qui travaillent dur, qui ont un métier dangereux, avec des familles inquiètes, je voudrais apporter des solutions durables, avoir une ligne d'horizon et un espoir dans le long terme.

Q.- Sur le prix du gasoil, l'objectif c'est donc d'arriver à 30 centimes d'euro. Comment vous allez faire ? N. Sarkozy avait dit que ça serait répercuté dans le prix du poisson, ça ne sera pas le cas.

R.- De rester autour de 30 centimes, en moyenne annuelle, c'est l'engagement qu'il a pris et que j'ai confirmé.

Q.- Il avait dit : « ça sera répercuté sur le prix du poisson ». Ça ne sera pas le cas, ça.

R.- Il a évoqué une première option d'une répercussion du surcoût sur le prix payé à l'étal. Il y a peut-être d'autres possibilités dans le cadre du budget de l'Etat. Ce qui est clair, c'est que l'engagement qu'il a pris, de maintenir le litre de gasoil autour de 30 centimes, à 30 centimes en moyenne annuelle, cet engagement sera tenu. J'ai besoin de quelques semaines, pour en travailler avec le ministre du Budget, des Finances, sous l'autorité de F. Fillon, qui suit ça de très près, et puis avec la Commission européenne.

Q.- Est-ce que, une des pistes possibles, c'est de reverser une partie de la TVA sur la pêche, directement aux pêcheurs, quand le litre de gasoil augmente ?

R.- Il y a une possibilité qu'une partie de la TVA actuelle, sans augmenter les prix, puisse être utilisée. Il y a une contribution budgétaire, il y a une répercussion du prix sur le prix payé à l'étal. Toutes ces options ont besoin, j'ai besoin de quelques semaines pour les étudier. Nous voulons trouver une solution et une option, très franchement, qui soient efficaces pour rétablir la viabilité des bateaux, sans pénaliser les consommateurs. Voilà le chemin que je me suis fixé, comme me l'a demandé le président de la République.

Q.- 30 centimes d'euro le litre de gasoil, ça va faire des envieux. Est-ce que vous ne craignez pas que d'autres professions demandent la même chose, à commencer par les agriculteurs, dont vous êtes le ministre ?

R.- Je suis le ministre des agriculteurs et il faut que chacun soit traité équitablement. Il y a des mesures, par exemple, aux agriculteurs, d'allègement de la TIPP, que nous souhaitons préserver, comme elles l'ont été dans les années passées. Il n'y a pas beaucoup de professions, néanmoins, qui sont obligées d'utiliser autant dans leur chiffre d'affaires, dans leur travail, de gasoil. On est passé de 15 % du chiffre d'affaires à 30 % pour les bateaux, et ça plombe, ça ampute complètement l'exploitation de chaque bateau et l'exploitation du salaire, et ça plombe, et ça ampute directement le salaire de chaque marin. C'est ça qui n'est pas équitable.

Q.- Mais, pour les automobilistes qui voient monter le prix à la pompe, est-ce qu'il ne faut pas envisager une baisse des taxes sur l'essence, taxes qui sont très élevées ?

R.- Ecoutez, ce n'est pas une question qui est à l'ordre du jour. La ministre des Finances l'a dit. Je pense aussi qu'il y a des professions où on est obligé d'utiliser du gasoil et peut-être que l'on peut, avec les pêcheurs, comme les agriculteurs, commencer à utiliser d'autres énergies, je pense aux agro et biocarburants, c'est pour ça que dans le travail que je vais commencer avec les pêcheurs, dès ce matin, on va essayer de travailler sur les moteurs, pour qu'ils consomment mieux, qu'ils consomment moins et peut-être qu'ils consomment d'autres carburants que le gasoil. Il va falloir qu'on soit moins dépendant des produits pétroliers, parce que de toute façon, ils vont être très chers dans les années qui viennent, parce qu'il y en a de moins en moins. Donc on a une chance de pouvoir poursuivre la recherche. Sur les bateaux, c'est possible, des marins pêcheurs m'ont dit hier qu'ils consommaient 20 à 30 % d'énergie en moins, avec un travail sur leur consommation et leurs moteurs et utilisaient d'autres énergies.

Q.- On a vu hier que la compagnie Total faisait 9 milliards de bénéfices sur les 9 premiers mois de l'année. Est-ce qu'il ne faut pas taxer les bénéfices des compagnies pétrolières pour diminuer le prix de l'essence ?

R.- On n'est pas dans une économie administrée, ce n'est pas l'état d'esprit. Moi, à titre personnel, je préfère le contrat à la contrainte, mais je vais rencontrer des responsables des grandes compagnies pétrolières, notamment de Total, et je vais essayer de voir comment on peut lisser, pour les pêcheurs et pour d'autres activités, les augmentations, les fluctuations du prix du pétrole.

Q.- Sur ce dossier des pêcheurs, N. Sarkozy est intervenu lui-même, il est allé au Guilvinec avec vous. Est-ce que vous ne vous êtes pas dit : « eh bien, il me dépossède du dossier » ?

R.- Non, je ne me suis pas du tout dit ça. J'ai vu ça dans quelques commentaires. Franchement...

Q.- Parce que vous, vous ne vouliez pas aller, d'abord, au Guilvinec.

R.- Si, moi j'étais prêt à y aller, seulement il faut y aller avec des propositions, des mesures, et parfois certaines de ces mesures, elles ne dépendent pas d'un seul ministre, elles dépendent de plusieurs ministres ou du chef de l'Etat. Donc il faut un arbitrage. Ce qui a été formidable, c'est qu'il soit allé directement, pour marquer le respect de la Nation à l'égard de cette profession, qui mérite du respect, la solidarité nationale, qu'il ait pu arbitrer lui-même, en direct, un certain nombre de mesures, et ça a fait gagner beaucoup de temps, qu'il me demande ensuite de les mettre en oeuvre, comme je les avais préparées, ces mesures. Franchement, vous vous êtes aperçu qu'il y a un nouveau président de la République...

Q.- Oui.

R.- Il y a un nouveau style, il y a un nouveau rythme, nous sommes dans un rythme différent, dans une époque assez différente, avec un Président qui est élu pour 5 ans, sur lequel repose beaucoup d'espoir, qui a une énergie formidable, et on a vraiment besoin de beaucoup d'énergie au sommet pour faire bouger ce pays. Et puis vous avez des ministres, un Premier ministre, qui lui-même coordonne notre travail et qui le fait bien, je vais témoigner de ce travail...

Q.- Mais la gauche dit que les ministres n'ont pas de marge de manoeuvre. Vous, vous dites : « ce n'est pas vrai ».

R.- Mais la gauche se trompe. La gauche se trompe. Vous avez un Président qui décide et des ministres qui travaillent, et moi ça me va très bien parce que c'est ce nouveau rythme de la Vème République, avec N. Sarkozy.

Q.- Sur un dossier tout à fait différent, le Tchad, vous étiez avec N. Sarkozy, quand il a dit qu'il irait chercher lui-même les Français de l'Arche de Zoé. Est-ce que c'est une maladresse ou pas ?

R.- Non, il a simplement voulu dire qu'il était le Président de tous les Français et donc si des Français, des citoyens français sont en difficulté quelque part, il est normal que le Président en parle. Simplement, dans cette affaire, c'est le Tchad, les autorités du Tchad, pays souverain, la justice du Tchad, qui décidera de...

Q.- Donc, il n'y a pas eu de maladresse ?

R.- Je crois qu'il a simplement voulu marquer son attention, comme Président de tous les Français, à tous les citoyens de notre pays.

Q.- Sur le rapprochement franco-américain ?

R.- Ecoutez, j'étais moi-même à Washington jeudi pour travailler avec mes homologues, avec des parlementaires, sur les entraves aux échanges, parce que, entre nos deux pays, il y a beaucoup d'entraves en matière commerciale. Moi, je suis très content que le Président parle comme il faut parler à des alliés, amicalement et franchement. Ça n'empêche pas de dire que l'on n'est pas d'accord, sur la Turquie ou sur d'autres sujets, mais on doit parler avec les Américains, amicalement et franchement, c'est ce qu'a fait N. Sarkozy devant le Congrès, notamment.

Q.- Merci M. Barnier.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 8 novembre 2007