Interview de M. Luc Chatel, secrétaire d'Etat chargé de la consommation et du tourisme, sur "RMC Info" le 12 novembre 2007, sur le pouvoir d'achat première préocupation des Français, la difficile mise en oeuvre des heures supplémentaires détaxées ainsi que sur le projet de loi sur la consommation.

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Texte intégral

G. Cahour.- Bienvenue à ceux qui nous rejoignent, vous êtes sur RMC et BFM TV pour notre interview jusqu'à 9 heures. Ce matin, nous sommes avec L. Chatel, le secrétaire d'Etat chargé de la Consommation et du Tourisme. Bonjour L. Chatel.

R.- Bonjour.

Q.- Bienvenue sur le plateau de RMC et de BFM TV avec ce sondage que nous avons découvert vendredi, sondage CSA pour Le Parisien, à propos du pouvoir d'achat, nous allons beaucoup en parler avec vous, évidemment, ce matin, pouvoir d'achat qui passe en tête des préoccupations des Français, et pour 71 % des Français, les réformes apportées par le Gouvernement pour améliorer notre pouvoir d'achat ne suffiront pas. C'est un sacré désaveu de la politique du Gouvernement et des promesses de campagne ?

R.- Je vais essayer de leur démontrer l'inverse. Oui. D'abord, c'est vrai, le sujet du pouvoir d'achat c'est le sujet de préoccupation majeur de nos concitoyens, et ce n'est pas nouveau. Vous savez, j'ai regardé sur une longue période les enquêtes d'opinion, sur une vingtaine d'années, et je me suis rendu compte que systématiquement le pouvoir d'achat était dans les deux ou trois préoccupations majeures des Français, et surtout que ça restait quelle que soit la période, même s'il progressait, une insatisfaction majeure.

Q.- Que le pouvoir d'achat reste une priorité, ça on peut le comprendre, mais que les Français à 71 % - ce qui est quand même considérable - estiment que tout ce que vous avez mis en place depuis six mois ne suffira pas ou ne sera pas efficace, c'est quand même un coup de bambou, non ?

R.- Non mais ce n'est pas anormal, parce que, si vous voulez, tout ce qu'on a mis en place depuis six mois n'est pas encore mis en oeuvre ou vient de démarrer. Je prends par exemple... j'entends beaucoup de critiques sur les heures supplémentaires. Cela fait un mois que le dispositif est en place, donc en attendant un peu de voir comment tout cela va fonctionner et je crois que ça, par exemple, c'est une vraie réponse à l'inquiétude de nos concitoyens, parce que n'oublions pas que le problème du pouvoir d'achat - et ça a été remarqué, constaté, validé par les organisations syndicales et par les représentants des entreprises - c'est d'abord un problème de travail dans notre pays. S'il n'y a pas de pouvoir d'achat aujourd'hui c'est parce qu'il n'y a pas assez de Français, il y a trop de Français au chômage, et que ceux qui ont un emploi ils ne gagent pas assez. Donc, notre objectif au niveau du Gouvernement, c'est d'abord de s'attaquer sur le long terme au problème du chômage, parce que si on atteint 5 % de chômeurs à la fin de la législature, eh bien c'est en gros 800.000 Français qui auront retrouvé un emploi et qui auront donc vu leur pouvoir d'achat augmenter. Et puis, deuxièmement, ce qu'on veut c'est que ceux qui ont un emploi aujourd'hui ils gagnent davantage. Et ça, c'est la réponse sur les heures supplémentaires. Je rappelle que depuis un mois...

Q.-... oui, mais là les heures supplémentaires, justement, L. Chatel, vous m'y amenez, on ressent chez les chefs d'entreprise - plusieurs études d'opinion le démontrent - qu'ils sont complètement perdus face à cette nouvelle technique des heures supplémentaires détaxées.

R.- Alors, d'abord deux réponses...

Q.-... il n'y a pas un problème d'explication ?

R.- D'abord, les chefs d'entreprise, moi, si vous voulez, j'en ai encore vu dans ma circonscription, ce week-end...

Q.-... oui, et ce n'est pas le cas ?

R.- Ils sont plutôt en train de libérer l'énergie et d'actionner le dispositif. Que ce soit un peu compliqué à mettre en oeuvre, sans doute, on aurait pu faire simple, et d'ailleurs C. Lagarde a annoncé vendredi qu'elle confiait une mission à monsieur A. Tapie, ancien directeur adjoint de l'UNEDIC, d'être un peu « Monsieur heures supplémentaires » pour suivre la mise en oeuvre du dispositif.

Q.- Et pour aller expliquer sur le terrain ?

R.- Oui, pour aller expliquer, faciliter l'accès aux heures supplémentaires, faire en sorte que ça marche. Mais ça commence à marcher déjà, si vous voulez. Moi, j'ai vu de feuilles de paie à la fin du mois d'octobre d'un salarié au niveau du SMIC qui gagne 1 000 euros/mois, qui a fait 4 heures supplémentaires en octobre, 4 h/semaine, qui est repassé de 35 à 39 h. Eh bien, à la fin du mois, sur la fiche de paie, net, 182 euros supplémentaires. Eh bien, ça c'est une réponse au pouvoir d'achat parce que ce salarié à la fin de l'année ça lui fera deux mois de salaire en plus net d'impôt et net de charges. C'est une réponse au pouvoir d'achat.

Q.- Dans les postes de dépenses très, très lourds en ce moment, il y a notamment l'essence pour beaucoup de Français qui ont une automobile, et puis aussi pour des entreprises qui ont des commerciaux, des routiers sur la route, les marins pêcheurs dont on a beaucoup parlé ces derniers temps. Et le Gouvernement refuse de baisser la fiscalité sur l'essence et demande aux pétroliers de s'engager à lisser dans le temps les hausses et à être plus rapides à baisser les prix lorsque le prix du baril baisse.

R.- D'abord, je voudrais modérer votre premier propos. C'est vrai que l'essence augmente, bien sûr je l'ai constaté moi-même en faisant le plein ce week-end. En même temps, si vous voulez, depuis le début de l'année, le prix du baril a augmenté de 80 %, le prix à la pompe a augmenté de 15 %. Pourquoi ? Parce que l'euro nous a aidés, elle a joué un peu le rôle d'amortisseur, et puis parce que la part des taxes est importante et là elle a un rôle amortisseur. Deuxième élément, c'est vrai que c'est une part importante du budget des ménages, c'est 3,5 %, ce n'est pas négligeable. Il y a vingt ans, c'était 4,5 %. Donc, ça veut dire que sur une longue période, on a quand même réussi avec les économies d'énergies, avec les nouvelles technologies et avec l'euro qui nous protège aujourd'hui d'une hausse du pétrole, on a quand même réussi à amortir tout cela. Est-ce que c'est suffisant ? La réponse est non, et c'est la raison pour laquelle C. Lagarde, H. Novelli et moi-même nous avons réuni les pétroliers samedi. Je crois qu'il en est sorti un certain nombre de choses, en particulier l'engagement des pétroliers à lisser les hausses.

Q.- Ça je l'ai dit mais ma question était : « pourquoi ne pas baisser les taxes », pourquoi vous aussi ne pas faire un effort pour aider les Français puisque finalement vous êtes le Gouvernement du pouvoir d'achat et que c'est un poste important ?

R.- Mais tout simplement parce qu'on ne peut pas - il faut être un petit peu responsable dans la vie politique - on ne peut pas une semaine réunir presque le monde entier en expliquant que le pétrole a vocation durable à augmenter et qu'il faudra apprendre à s'en passer, et la semaine suivante, annoncer qu'on va baisser artificiellement, si je puis dire, en baissant les taxes le prix du pétrole. Je crois qu'il faut que nous ayons une vision sur le long terme qui est qu'on va avoir à faire des économies et c'est la raison pour laquelle le Gouvernement lance une prime à la casse qui sera effective à la fin de l'année, qui a pour objectif d'aider nos concitoyens qui ont des véhicules qui polluent aujourd'hui, de les aider à changer de véhicule et ils baisseront leur consommation de carburant. Et puis, il y a d'autres mesures qu'on a mises en oeuvre : la prime à la cuve qui a été doublée, qu'a annoncée C. Lagarde. Et puis il y a également une disposition qui n'est pas négligeable, vous savez, aujourd'hui, il y a environ 15 à 20 % d'écart du prix du carburant entre deux stations de carburant sur l'ensemble du territoire. Il y a des écarts importants. Donc, moi, j'encourage nos concitoyens à faire jouer la concurrence, à aller sur le site "prix-carburant.gouv.fr" parce que là ils ont la liste de toutes les stations de France et en choisissant bien leur arrêt station essence, eh bien ils peuvent faire une économie jusqu'à 10 à 15 euros sur un plein. Ce n'est pas négligeable !

Q.- Et pourquoi ne pas transférer une partie des recettes que vous percevez sur l'essence, les recettes fiscales, sur le développement d'énergies propres, sur le développement de transport en commun ?

R.- C'est le sujet qui a été évoqué au cours du "Grenelle de l'environnement". Effectivement, le Président de la République a souhaité qu'on creuse cette piste, c'est la fameuse idée du développement de la taxe carbone, donc ceux qui seront...

Q.-... ça sera un gros manque à gagner quand même pour les caisses de l'Etat, pour le budget de l'Etat.

R.- On a toujours dit que nous souhaitions agir dans le domaine de l'environnement à fiscalité constante, c'est-à-dire qu'on ne veut pas que l'environnement ce soit une punition pour les Français, on veut au contraire qu'il y ait une adhésion à une politique ambitieuse et nous, nous pensons que la France doit être exemplaire en la matière.

Q.- Le projet de loi que vous défendez, projet de loi sur la consommation, sera débattu dans quelques jours à l'Assemblée nationale, au Parlement. Il a déjà été adopté en Conseil des ministres. Il y a notamment la réforme de la loi Galland avec la suppression partielle des marges arrière. Les marges arrière ce sont ces sommes qui sont versées par les fournisseurs, par les industriels, en échange de promotion de leurs produits dans les magasins, dans les supermarchés, les hypermarchés. Absolument. Qu'est-ce que ça va changer concrètement pour les consommateurs, pour les clients de ces magasins ?

R.- Ça va changer parce que jusqu'à présent, le consommateur était tenu à l'écart des négociations qui avaient lieu entre grands industriels et grands distributeurs, et en gros c'était lui qui payait la facture, c'est-à-dire qu'on a laissé dans un coin - c'était la fameuse loi Galland - grands industriels/grands distributeurs négocier, faire leurs affaires entre eux, et au total, les uns, les industriels, augmentaient leurs tarifs, le prix auquel ils vendent leurs produits aux distributeurs, les distributeurs augmentaient leurs marges arrière, ce que vous venez d'indiquer, et puis c'était le consommateur qui payait. Et au début des années 2000, je rappelle que la France était en moyenne 15 % plus chère que les grands pays développés autour de nous.

Q.-...et aujourd'hui ?

R.- Alors, qu'est-ce que ça a changé depuis deux ans ? On a rebasculé une partie de ces marges arrière aux consommateurs et il y a déjà eu une baisse de 3,4 % des produits de grandes marques dans les hypers. Au 1er janvier, nous allons remettre dans les prix cette deuxième moitié. Eh bien donc, ça va se traduire sur une période de quelques mois par une nouvelle concurrence, une nouvelle transparence sur les prix et nous nous en attendons une baisse de prix sur les produits de grandes marques.

Q.- La commission Attali qui a été lancée par N. Sarkozy propose une sorte de libéralisation, justement, de la grande distribution avec notamment la possibilité de revendre à perte, ce qui n'est pas possible aujourd'hui. Est-ce que c'est une bonne idée ou est-ce que ça vous paraît risqué pour le commerce, pour les petits commerces ?

R.- La commission Attali a fait du bon travail. Pourquoi elle a fait du bon travail ? Parce qu'elle a été voir comment la France se situait par rapport à d'autres pays en matière de distribution, de commerce, de relations industrie/commerce. Et elle a fait le constat, que je partage, qui est que les législations qui ont été mises en place au milieu des années 90 en France, à la fois sur les relations industrie/commerce, la loi Galland, et sur l'implantation de nouveaux magasins, la loi Royer, eh bien ces deux lois conjuguées ont eu un effet pervers pour l'économie. Parce que finalement on n'a pas empêché l'ouverture de grandes surfaces - il y a eu 3,5 millions de m² supplémentaires l'année dernière - on n'a pas empêché que le commerce alimentaire de centre ville petit à petit ferme ses portes ; et inversement, on a empêché...

Q.- ... on a peut-être limité les dégâts quand même, non ?

R.- Peut-être qu'on a limité les dégâts mais est-ce bien raisonnable de vouloir limiter les dégâts ? Nous, nous pensons qu'il y a des réserves d'emplois, de croissance, dans l'économie et l'économie du commerce, pas uniquement la grande distribution alimentaire - on a déjà beaucoup de m² en France - mais dans de nouveaux modes de distribution, de commerce. Et donc nous souhaitons remettre tout cela à plat. Nous le faisons tout de suite pour la réforme des relations commerciales, la loi Galland, en maintenant l'interdiction de vente à perte, c'est peut-être le point de désaccord que j'ai vis-à-vis de la commission Attali. Je pense qu'on doit maintenir le principe d'une interdiction de vente à perte pour ne pas tomber dans des prix prédateurs qui auraient un effet pervers sur l'ensemble de la chaîne, c'est-à-dire qu'on aurait peut-être une promotion attractive pour un consommateur en hypermarché, mais cela se traduirait par des négociations très difficiles, notamment vis-à-vis des PME. Donc, sur ce point-là, on va maintenir l'interdiction de vente à perte. Par contre, on va travailler sur le reste des propositions de la commission Attali. L'objectif c'est de la croissance et de l'emploi dans le commerce.

Q.- Avec la revente à perte, on parle bien évidemment donc des prix, des prix plus attractifs pour les consommateurs. Est-ce que vous pensez que le hard discount, que l'industrie aussi du low cost est suffisamment développée en France ou il y a encore de la marge pour ce type d'industries, de prestataires de services aussi ?

R.- C'est précisément parce que je pense qu'il y a de la marge de progression du low cost de manière générale dans l'économie que j'ai demandé à C. Beigbeder, qui est le patron de Poweo mais qui a beaucoup travaillé...

Q.-... qui est un fournisseur d'électricité.

R.-... un fournisseur d'électricité alternatif, mais qui a aussi travaillé sur les services financiers et low cost il y a quelques années, eh bien je lui ai demandé de travailler sur cette question et avant la fin de l'année, il va me faire des propositions parce que effectivement l'économie du low cost s'est développée dans les transports aériens, ça a beaucoup apporté. Le Président de la République était... nous étions avec lui en Corse il y a quelque jours et il a annoncé qu'il souhaitait ouvrir la Corse au low cost, je crois que ça permettrait...

Q.-... ça s'est mal passé d'ailleurs.

R.- Ca s'est mal passé vis-à-vis de qui ?

Q.- Enfin, vis-à-vis, oui, vis-à-vis...

R.-... de ceux qui tiennent le marché aujourd'hui, évidemment, mais...

Q.-... vous avez des salariés aussi qui ont bloqué l'aéroport.

R.- Mais par contre, je peux vous dire que vis-à-vis des consommateurs finaux, c'est très bien passé. J'ai encore vu des Corses ce week-end, des amis, et je peux dire que c'est très bien passé parce qu'aujourd'hui, ils souffrent quelque part d'une certaine discrimination, où le prix de la destination corse est trop élevé par rapport à d'autres destinations. Et puis, si on veut développer- je suis aussi secrétaire d'Etat au Tourisme - le tourisme en Corse, qui est un joyau, eh bien on aura besoin de ce type de vols.

Q.- L. Chatel, secrétaire d'Etat chargé de la Consommation et du Tourisme est notre invité sur RMC et sur BFM TV jusqu'à 9 h.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 12 novembre 2007