Texte intégral
Monsieur le conseiller,
Je veux remercier le Conseil constitutionnel et son président d'avoir donné droit à notre demande d'audition. Nous avons souhaité défendre notre recours devant vous au regard de l'importance juridique et philosophique des articles incriminés sur les tests ADN et sur les statistiques ethniques.
Ce qui est en cause dans l'article sur le recours aux tests ADN, ce n'est plus seulement le droit applicable aux étrangers qui veulent séjourner sur notre sol et sur lequel le Conseil s'est de nombreuses fois prononcé. Ce n'est même plus le problème des limites apportées au regroupement familial. Ce qui est en cause, c'est l'utilisation de la biologie et de la génétique dans notre législation. C'est l'instrumentalisation de la science à des fins politiques et administratives hors de proportion avec l'objet de la loi qui a été conçue. Nous touchons là à une dimension éthique fondamentale qui met en équation l'essence humaniste de notre droit.
C'est pourquoi votre décision aura une importance considérable qui dépasse l'objet même de ce recours. Elle posera les limites, elle établira les garde-fous, elle protégera les citoyens d'une exploitation abusive de leur patrimoine génétique. Les récentes divagations d'un Prix Nobel théorisant une hiérarchie raciale par l'ADN démontrent combien il est important que le juge constitutionnel délimite le cercle de ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas au regard d'un double principe de notre République : les droits de la personne, la liberté de la recherche scientifique.
Les lois bioéthiques -et la jurisprudence qui les a entourées- ont tracé l'esquisse de ce cercle. L'utilisation des tests ADN est soit un droit réservé à la personne dans une recherche de paternité, soit un instrument de coercition mis à la disposition de l'autorité judiciaire et policière pour retrouver l'auteur d'un crime. Dans chacune de ces dimensions, le cadre juridique est strictement établi et soumis à contrôle.
Dans le cas qui nous occupe, le recours au test ADN est un être juridiquement hybride. Il a été tour à tour présenté par le gouvernement comme une restriction au droit d'entrée sur notre territoire puis comme un droit nouveau octroyé à l'arrivant pour établir une filiation. Si une telle catégorie existait, on pourrait parler d'un OVNI législatif qui au regard de notre droit constitutionnel rend son application impossible.
Mes collègues reviendront plus précisément sur ce caractère impraticable de cet article de loi ainsi que sur les autres motifs d'inconstitutionnalité que nous avons soulevés : la rupture d'égalité entre homme et femme, entre parents naturels et parents adoptifs, entre familles composées et familles recomposées ; la remise en cause de notre droit familial fondé sur la reconnaissance et non sur le lien biologique, la violation du droit au regroupement familial, ou encore l'atteinte à la dignité des personnes. Quant à l'article sur les statistiques ethniques, il est sans aucun rapport avec l'objet de la loi qui nous a été soumise et tombe de ce fait, au regard de votre jurisprudence, sous le coup de l'inconstitutionnalité.
Mais au-delà de tous ces considérants, ce qui est pour nous en jeu, c'est l'impérieuse nécessité d'établir les barrières constitutionnelles aux dérives scientistes ou statistiques qui envahissent de plus en plus souvent notre législation. C'est de mettre constamment à jour notre droit face aux découvertes toujours plus rapides de la recherche scientifique. C'est d'empêcher que la science serve l'arbitraire plutôt que le progrès. Dans notre Constitution, cette démarche a une dénomination : le principe de précaution.
Je vous remercie.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 13 novembre 2007
Je veux remercier le Conseil constitutionnel et son président d'avoir donné droit à notre demande d'audition. Nous avons souhaité défendre notre recours devant vous au regard de l'importance juridique et philosophique des articles incriminés sur les tests ADN et sur les statistiques ethniques.
Ce qui est en cause dans l'article sur le recours aux tests ADN, ce n'est plus seulement le droit applicable aux étrangers qui veulent séjourner sur notre sol et sur lequel le Conseil s'est de nombreuses fois prononcé. Ce n'est même plus le problème des limites apportées au regroupement familial. Ce qui est en cause, c'est l'utilisation de la biologie et de la génétique dans notre législation. C'est l'instrumentalisation de la science à des fins politiques et administratives hors de proportion avec l'objet de la loi qui a été conçue. Nous touchons là à une dimension éthique fondamentale qui met en équation l'essence humaniste de notre droit.
C'est pourquoi votre décision aura une importance considérable qui dépasse l'objet même de ce recours. Elle posera les limites, elle établira les garde-fous, elle protégera les citoyens d'une exploitation abusive de leur patrimoine génétique. Les récentes divagations d'un Prix Nobel théorisant une hiérarchie raciale par l'ADN démontrent combien il est important que le juge constitutionnel délimite le cercle de ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas au regard d'un double principe de notre République : les droits de la personne, la liberté de la recherche scientifique.
Les lois bioéthiques -et la jurisprudence qui les a entourées- ont tracé l'esquisse de ce cercle. L'utilisation des tests ADN est soit un droit réservé à la personne dans une recherche de paternité, soit un instrument de coercition mis à la disposition de l'autorité judiciaire et policière pour retrouver l'auteur d'un crime. Dans chacune de ces dimensions, le cadre juridique est strictement établi et soumis à contrôle.
Dans le cas qui nous occupe, le recours au test ADN est un être juridiquement hybride. Il a été tour à tour présenté par le gouvernement comme une restriction au droit d'entrée sur notre territoire puis comme un droit nouveau octroyé à l'arrivant pour établir une filiation. Si une telle catégorie existait, on pourrait parler d'un OVNI législatif qui au regard de notre droit constitutionnel rend son application impossible.
Mes collègues reviendront plus précisément sur ce caractère impraticable de cet article de loi ainsi que sur les autres motifs d'inconstitutionnalité que nous avons soulevés : la rupture d'égalité entre homme et femme, entre parents naturels et parents adoptifs, entre familles composées et familles recomposées ; la remise en cause de notre droit familial fondé sur la reconnaissance et non sur le lien biologique, la violation du droit au regroupement familial, ou encore l'atteinte à la dignité des personnes. Quant à l'article sur les statistiques ethniques, il est sans aucun rapport avec l'objet de la loi qui nous a été soumise et tombe de ce fait, au regard de votre jurisprudence, sous le coup de l'inconstitutionnalité.
Mais au-delà de tous ces considérants, ce qui est pour nous en jeu, c'est l'impérieuse nécessité d'établir les barrières constitutionnelles aux dérives scientistes ou statistiques qui envahissent de plus en plus souvent notre législation. C'est de mettre constamment à jour notre droit face aux découvertes toujours plus rapides de la recherche scientifique. C'est d'empêcher que la science serve l'arbitraire plutôt que le progrès. Dans notre Constitution, cette démarche a une dénomination : le principe de précaution.
Je vous remercie.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 13 novembre 2007