Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique sur "France Inter" le 20 novembre 2007, sur la grève des fonctionnaires, le pouvoir d'achat ainsi que sur les heures supplémentaires dans la fonction publique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Cheminots, étudiants, maintenant donc les fonctionnaires. Pas brillant le climat social en France aujourd'hui ?

R.- Le climat social est un peu agité, mais c'est bien normal, il y a beaucoup de réformes qui se font, cela crée ici ou là des inquiétudes, ce qui est toujours légitime. Quand on ne sait pas exactement comment les choses vont se faire, on est à la fois un peu inquiets et en même temps, on est désireux de réformes. Je remarque ce paradoxe dans tous les sondages, je le vois pour les fonctionnaires : 70 % des fonctionnaires disent "on a envie que ça change, on a envie d'évoluer, on ne peut pas rester comme on est". Et en même temps, la moitié des fonctionnaires est très inquiète.

Q.- Donc, le fait que le mouvement des cheminots ait fait jonction avec celui des fonctionnaires ne vous inquiète pas ?

R.- C'est plutôt une conjonction qu'une jonction, en réalité. C'est parce que le mouvement des fonctionnaires avait été annoncé il y a maintenant plus d'un mois, bien avant que les régimes spéciaux ou que les grèves à cause des régimes spéciaux ne montent en puissance. Donc, c'est plutôt une conjonction.

Q.- Que dites-vous précisément aux fonctionnaires qui manifestent aujourd'hui, notamment pour leur pouvoir d'achat ?

R.- Je leur dis qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir. Chacun peut faire grève ou décider de... c'est la loi et c'est la démocratie. C'est un moyen d'expression que je respecte évidemment. Et en même temps, je me dis que les Français en ont un peu marre des grèves, suffisamment assez, on le voit dans tous vos micro-trottoirs, on le voit bien évidemment un peu partout. Et ont une véritable envie que les choses changent. Les fonctionnaires dans ce moment de changement ont beaucoup de choses d'autre à dire que de faire grève. Ils ont à participer au changement, à être des acteurs de ce changement. La fonction publique ne peut plus rester comme elle est actuellement.

Q.- Comment est-elle ?

R.- Elle est encadrée par un statut aujourd'hui qui ne laisse plus libre d'avoir un parcours professionnel suffisamment épanouissant pour les uns et pour les autres. C'est vrai, les fonctionnaires ne gagnent pas très bien leur vie, il y a une échelle de salaires qui est très courte. Mais en même temps, pour gagner mieux leur vie, il faut accepter de prendre plus de responsabilités, il faut accepter de faire plus d'heures supplémentaires, on en parlera peut-être, il faut changer, bref, les choses. Il faut aussi accepter qu'il y ait moins de fonctionnaires...

Q.- Il y en a trop aujourd'hui ?

R.- Oui, il y a probablement trop de fonctionnaires dans la fonction publique d'Etat, c'est pour cela qu'on souhaite ne pas remplacer tous ceux qui partent en retraite, et en même temps, avoir une vraie réflexion sur le contenu du service public, ce sont les deux. Et ce ne sont pas des sujets tabous, et ce ne sont pas des sujets agressifs. C'est le contraire des sujets dans lesquels chacun va trouver son intérêt, à la fois, l'Etat, l'intérêt général, les services publics, les fonctionnaires aussi qui seront mieux rémunérés in fine.

Q.- Donc, il n'y aura pas de coup de pouce salarial ?

R.- Ecoutez, l'Etat n'a pas à rougir de ce qu'il a fait en 2007. Parce que, parfois, j'entends des trucs qui, me semble-t-il, sont vraiment très en deçà de la réalité, qui n'ont rien à voir avec la réalité. La moyenne, c'est + de 3 % aujourd'hui qui a été donnée aux fonctionnaires sur l'année 2007. Alors, je sais bien que les syndicats le contestent, mais à tort. C'est une moyenne. Il y a des gens qui vont vous appeler pour vous dire : je n'ai pas eu cela ! Parce que c'est une moyenne. Mais il y a, à la fois, des mesures générales au travers du fameux point d'indice, il y a des mesures catégorielles, beaucoup de mesures catégorielles qui ont été prises, catégorie de fonctionnaires par catégorie de fonctionnaires. Et puis, il y aussi des mesures d'ancienneté, de "glissement de vieillesse et technicité" comme on dit, qui couvrent beaucoup d'augmentations. Donc, ce n'est pas vrai que le pouvoir d'achat aujourd'hui des fonctionnaires s'est amenuisé en 2007. Je sais bien qu'il y a un débat global sur le pouvoir d'achat, et que chacun a le sentiment que son pouvoir d'achat n'augmente pas, et il y a...

Q.- Alors, que dites-vous aux gens qui ont ce sentiment : qu'ils ont tort ?

R.- Non, je ne dis pas cela. Je dis que, quand on a un sentiment on n'a pas tort, par principe. On ne combat pas un sentiment...

Q.- C'est un sentiment qui est étayé sur l'augmentation du prix de la baguette de pain, l'augmentation du prix de l'essence, etc.

R.- Ce n'est pas de cela dont je veux parler !

Q.- Mais c'est pourtant cela le problème !

R.- Non, ce n'est pas de cela dont je veux parler ! Je veux parler des mesures d'augmentation des fonctionnaires. Après, si on le rapproche d'augmentation des prix, c'est très difficile... tous les Français, on partage tous le même sentiment qu'on a le logement, l'alimentaire, que tout cela augmente beaucoup et que c'est au coeur du dispositif d'Etat.

Q.- Mais alors précisément, qu'est-ce que vous dites à tous les Français ? Le président de la République s'est présenté comme le Président du pouvoir d'achat, donc, le Président de tous les Français du pouvoir d'achat ! Que dites-vous aujourd'hui aux gens qui voient leur pouvoir d'achat s'éroder et les salaires ne pas augmenter ?

R.- C'est au coeur de nos préoccupations, c'est ce qu'on fait tous les jours. Quand on a lancé l'idée qu'on pouvait faire des heures supplémentaires sans impôt et sans cotisations sociales, c'est bien dans l'idée qu'on relie l'augmentation du pouvoir d'achat au volume de travail. Aujourd'hui, en France - il n'y a pas de mystère, c'est comme cela que ça se passera - c'est parce qu'on travaillera plus qu'au bout du compte on gagnera plus. Ce n'est pas un slogan, c'est une réalité. Et ce qu'on permet aujourd'hui dans les entreprises...

Q.- Pouvez-vous la chiffrer cette réalité, ou pas ? Les heures supplémentaires fonctionnent, là, maintenant, déjà ?

R.- Oui, elles fonctionnent depuis le 1er octobre, on est le 10 novembre ou le 15 novembre, on est le 20 novembre, donc c'est...

Q.- Sur le premier mois, vous avez un comptage j'imagine ?

R.- Non, pas encore, pas encore. Mais dans quelques mois, on aura un comptage très précis, et je pense qu'on va plutôt accélérer dans cet esprit-là, c'est-à-dire, favoriser le travail. Il n'y a rien...On ne travaille pas assez, on rentre trop tard, on sort trop tôt du marché du travail, etc. On vient d'empêcher, ou en tout cas de rendre plus difficile les préretraites, parce que quand on a 55 ans, on a souvent beaucoup de choses à faire dans son propre travail, on a beaucoup à dire, on a son expérience à mettre sur la table. Et si on a envie de travailler, on doit pouvoir continuer à travailler. Les fonctionnaires, cela doit être pareil, ils doivent être traités de la même manière que l'ensemble de la population, à la fois en termes d'heures supplémentaires, pouvoir faire plus d'heures supplémentaires, et à la fois pouvoir rester plus longtemps dans son emploi si on le souhaite, et d'être plus mobile dans son emploi, c'est ce que nous voulons pour les fonctionnaires.

Q.- N. Sarkozy va-t-il s'exprimer sur ce sujet cette semaine ?

R.- Je n'ai pas d'information particulière. On nous dit, ici ou là, qu'il s'exprimera ; je ne sais pas, il s'exprimera quand il l'estimera utile, et puis, j'imagine aussi quand les choses seront un petit peu dégagées pour pouvoir rebondir, relancer. Il faut systématiquement, après des réformes, redonner des perspectives. Et cela, c'est très, très important...

Q.- Donc, c'est plutôt oui, la réponse ?

R.-...Et les perspectives pour les fonctionnaires ce sont des perspectives qui sont franchement, je trouve, très optimistes. Le fait qu'on puisse mieux gérer sa carrière quand on est fonctionnaire, avoir plus de perspective d'avenir, passer du public au privé à un certain moment, et être mieux payé parce que moins de fonctionnaires égale aussi des fonctionnaires mieux payés, je pense que ce sont des perspectives favorables qui peuvent s'ouvrir.

Q.- Combien a coûté la grève qui dure dans les transports depuis sept jours maintenant ? Vous, le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique ?

R.- Elle a été chiffrée, d'une manière générale pour l'économie nationale, par C. Lagarde aux alentours de 3 à 400 millions d'euros, et c'est certainement le chiffre. On affinera au fur et à mesure du temps, mais c'est à peu près cela, les chiffres de perte en réalité, de substance et de richesse. C'est tout à fait considérable.

Q.- Cela va-t-il se ressentir dans la croissance ou pas ?

R.- Sur quelques jours, non, mais si cela durait plus longtemps, cela pourrait évidemment avoir des conséquences. Quand on décide de ne pas travailler, quand on enchaîne, d'une certaine manière, ou on empêche la marchandise de circuler, quand on empêche les gens de se déplacer, évidemment, à un moment donné, c'est problématique.

Q.- Dernière question, il y a bataille de chiffres sur le montant exact de l'augmentation de salaire du président de la République : + 140 %, plus 172 %, ou plus 206 % ? J'ai lu les trois, monsieur le ministre du Budget ?

R.- Je n'en sais rien !

Q.- Vous n'en savez rien ?

R.- Non, non, mais écoutez, je ne sais pas si c'est 106 ou 200 % ? Tout ce que je sais, c'est que c'est un salaire qui a été revu par le Parlement, et qu'il a été fixé à la hauteur de celui du Premier ministre. Donc, voilà. Ecoutez, le Président était moins payé qu'un secrétaire d'Etat. Donc, aujourd'hui, il est payé de la même manière que le Premier ministre, ce qui, me semble-t-il, est naturel. En plus, on a ce débat-là, et donc cela veut dire que tout cela est fait en toute transparence.

Q.- Mais on ne sait toujours pas quel est le chiffre exact ?

R.- Mais on sait quel est le chiffre, je ne l'ai plus en tête, mais le chiffre c'est le même...

Q.- C'est plutôt 206, hein ?

R.- Mais qu'importe ! Comme il partait de très bas, qu'il était moins payé que son dernier secrétaire d'Etat, c'est quand même assez curieux pour le président de la République, eh bien il va être payé de la même façon que le Premier ministre, et en plus en toute transparence, c'est-à-dire, devant les Français.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 novembre 2007