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Le secrétaire général de la CFDT s'exprime sur les retraits d'argent suspects de l'UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie). Il nie tout financement pour la CFDT, dénonce le silence des grands patrons et s'interroge sur des enveloppes à destination de députés.
Le Parisien. Étiez-vous au courant de ces pratiques ?
François Chérèque. Le seul système que l'on soupçonnait, c'est l'existence d'une caisse noire de soutien aux entreprises face à d'éventuels mouvements de grève. Mais nous n'avions pas de preuve. Cela se disait dans les milieux patronaux de la métallurgie. La deuxième chose que nous savions quasiment avec certitude concerne les années 70 et 80. Une partie du patronat de la métallurgie finançait des syndicats jaunes, notamment dans l'automobile.
Qui ?
La Confédération des syndicats libres (CSL) et la Confédération française du travail (CFT). Des syndicats de nervis, fascisants. Ils avaient pour objectif de casser physiquement les salariés qui voulaient monter des sections syndicales, en particulier CFDT. Certains de nos militants savent bien ce qu'il en coûtait physiquement d'aller distribuer des tracts aux portes des usines Talbot ou Citroën. Cela se passait à l'époque d'Yvon Gattaz, l'ancien président du CNPF qui s'est exprimé cette semaine pour justifier les pratiques de l'Union des industries et métiers de la métallurgie. Il ne l'a jamais dénoncé.
Et depuis les années 80 ?
Ces syndicats ont disparu. Et depuis, les relations sociales se sont normalisées, notamment chez Peugeot avec Jean-Martin Folz. On sait que la répression syndicale est rude dans certains secteurs professionnels. Mais je n'ai pas de témoignage sur des interventions financières du patronat pour acheter le silence d'une organisation syndicale.
Et vos prédécesseurs...
Non plus.
Dans les milieux patronaux on évoque pourtant l'existence d'un système qui permettait de choisir ses interlocuteurs syndicaux et d'acheter leurs signatures au bas des accords...
Personne n'a de preuve que les organisations syndicales sont corruptibles et achetables ! Ce qui me révolte, c'est la ligne de défense du président de l'UIMM. Il est pris la main dans le sac et aussitôt il braque les soupçons sur les syndicats. Tout le monde se précipite sur cette piste et personne ne va en chercher d'autres.
Quelles sont, selon vous, les autres pistes inexplorées ?
Depuis des années l'UIMM a réussi à faire passer des amendements à l'Assemblée nationale ou au Sénat. Comment font-ils pour trouver des députés qui les soutiennent, et des majorités parlementaires, y compris contre l'avis du gouvernement ? Un exemple, lors de la réforme des retraites de 2003, le patronat - notamment l'actuel dirigeant de l'UIMM - s'était engagé à mettre fin aux mises en retraite d'office des salariés qui ont atteint l'âge de la retraite. Lorsque la loi est passée à l'Assemblée nationale, son organisation a trouvé des députés pour faire voter un amendement contraire à l'engagement qu'ils avaient pris. Cela s'est reproduit en 2006.
Vous sous-entendez qu'il y aurait eu des enveloppes versées à certains députés...
Je me pose la question. Pourquoi ne cherche-t-on pas d'autres pistes ? On cache quoi, on protège qui ?
Le flou demeure néanmoins sur le financement des syndicats. Comment est financée la CFDT ?
Nos recettes sont constituées à 73 % par des ressources internes, dont 46 % proviennent des cotisations, 27 % des ventes de livres, de publications mais aussi de produits financiers. Le reste, ce sont des subventions publiques et des fonds liés à notre gestion des organismes paritaires. À l'inverse des pratiques de l'UIMM qui détruit ses comptes tous les ans, nous gardons trace de tous nos financements depuis la création de la CFDT. Ils sont expertisés. Et nous les rendons publics depuis 2000 (consulter la rubrique Nos comptes), ce que n'oblige pas la loi de 1884. Nous le faisons par respect pour nos adhérents qui consacrent 0,75 % de leur salaire annuel à la CFDT. Au passage, je m'étonne que pas un grand patron de la métallurgie ne demande publiquement de comptes sur les pratiques financières de l'UIMM. Ce silence résonne comme une complicité.
L'ancien patron de la CFE-CGC, Jean-Luc Cazettes, qui ne se cachait pas d'avoir eu un emploi fictif chez Elf, dénonçait déjà l'hypocrisie qui règne en France sur le financement...
Il y a des permanents, toutes organisations syndicales confondues, qui sont des salariés des entreprises privées mis à disposition pour assumer leurs responsabilités syndicales dans les fédérations ou parfois dans les confédérations. Nous en avons eu à la CFDT. Mais nous avons mis fin récemment à cette pratique. Nous ne l'avons jamais caché.
Nicolas Sarkozy est prêt à mettre la question du financement sur la table. Que proposez-vous ?
Que les cotisations des adhérents restent l'essentiel du financement des organisations syndicales. Nous nous sommes battus pour exister face au patronat. Ce n'est pas pour vivre maintenant aux crochets de l'État. Par ailleurs, les comptes des organisations syndicales et patronales doivent être certifiés, ce qui n'est pas une obligation aujourd'hui.
Faut-il aussi revoir les règles de la représentativité des syndicats ?
Les critères datent d'il y a quarante ans. Ils sont dépassés. Peut-être que certains syndicats ont peur de faire la démonstration de leur non-représentativité. Mais si l'on veut aller vers un système démocratique clair, il faudra bien donner aux salariés la possibilité de voter pour les syndicalistes qui les représentent vraiment dans les entreprises. Et cela permettra de lever la suspicion de non-représentativité qui plane sur nous.
Pourquoi les gouvernements précédents, gauche et droite confondus, n'ont-ils rien fait ?
Par peur de déplaire. Et parce qu'ils sont conservateurs. La modernisation de la démocratie sociale fait peur à certains politiques, qui ne souhaitent pas partager le pouvoir. Certains, aussi, s'enferment dans les alliances syndicales qui les arrangent. Aujourd'hui, cette affaire éclabousse les syndicats, le patronat et peut-être les politiques. Elle fait le jeu des adeptes du « tous pourris », de l'extrême droite. Il faut changer tout çà, et surtout d'époque. La présidente du Medef et les syndicats ont dit qu'ils étaient prêts à faire la démonstration qu'il est possible de moderniser le dialogue social. C'est l'enjeu !Source http://www.cfdt.fr, le 23 octobre 2007