Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, sur le projet de réforme de la loi de sauvegarde des entreprises, Paris le 29 novembre 2007.

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Circonstance : Entretien au Tribunal de commerce de Paris le 29 novembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Jean-Jacques Hyest,
Monsieur le Procureur Général,
Madame le Président du tribunal de commerce de Paris,
Monsieur le Procureur de la République,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureuse de me trouver parmi vous ce soir, pour clore ces entretiens que Rachida Dati a ouvert tout à l'heure. Nos deux ministères se sont engagés, vous le savez, à mettre en oeuvre conjointement les réformes annoncées par le Président de la République dans son discours du 6 septembre dernier, en ces mêmes lieux. Le temps de célébrer le Bicentenaire du code de commerce, vous aurez donc assisté à la fois à des annonces nouvelles, et aux premières déclinaisons concrètes de ces annonces. Je me réjouis que le rythme de la politique dans notre pays soit désormais aussi rapide.
Cette célérité, nous la devons aussi à vous tous. J'aimerais particulièrement saluer Perrette Rey pour son dynamisme et sa créativité à la présidence du tribunal de commerce de Paris. Je sais, Madame, que vous quittez ces fonctions, et je tenais à vous remercier pour le professionnalisme et le dévouement avec lequel vous les avez remplies. Je n'oublie pas non plus le rôle déterminant de Jean-Jacques Hyest, avec qui j'ai souvent l'occasion de débattre au Sénat où il préside la Commission des Lois, et qui a beaucoup oeuvré pour la modernité de la Justice française.
L'année dernière, à l'occasion des troisièmes Entretiens du tribunal de commerce de Paris, vous vous demandiez : qui a peur de la justice économique ? La réforme de la loi de sauvegarde des entreprises, qui nous occupe tous aujourd'hui, répond finalement assez bien à cette question. La justice économique n'a plus pour vocation principale de faire peur, car elle n'est pas là pour sanctionner, mais au contraire pour aider les entreprises à se remettre sur pied. Comme l'a dit Nicolas Sarkozy devant vous, la justice commerciale « doit être d'abord au service du dynamisme de l'économie française ».
J'aimerais rappeler en guise d'introduction que le droit des procédures collectives a pour objet d'aider les entreprises et les chefs d'entreprises à trouver les moyens de surmonter leurs difficultés. Il a pour tâche de concilier les droits des créanciers d'une part et les droits du débiteur et de ses actionnaires d'autre part ; il a pour but le redressement de l'entreprise et la pérennité des emplois. S'il ne respecte pas les droits des créanciers en se désintéressant de leur remboursement, il peut conduire à une crise du crédit aux entreprises. S'il ne préserve pas les droits du débiteur, il dissuade les chefs d'entreprise d'y avoir recours.
Je sais que Rachida Dati vous a présenté plus tôt cet après midi les premières pistes que nous envisageons pour la réforme de la loi de sauvegarde, telles qu'elles se dégagent de nos travaux communs. Le texte de loi est toujours en cours d'élaboration, et vos contributions nous sont donc plus que jamais utiles. J'aimerais donc ce soir (I) replacer cette réforme dans le cadre plus général de notre politique économique en faveur des entreprises, avant (II) de revenir sur quelques aspects précis de la réforme de la loi de sauvegarde.
(I) D'une manière générale, nous voulons encourager les entrepreneurs à innover et à prendre des risques.
Je ne vous parlerai pas ici des entreprises pour qui tout va bien - et, heureusement, c'est la grande majorité des entreprises en France. Je vous parlerai de celles, le plus souvent des PME, qui se cherchent encore. Il faut aider les entrepreneurs (1) à décoller, (2) à atterrir en douceur si les choses se passent mal, et (3) à repartir si leur première tentative a échoué. Je crois important de considérer l'échec comme une partie normale, et parfois inévitable, du destin d'une entreprise ou d'un entrepreneur. C'est en osant que l'on réussit ; c'est en échouant qu'on apprend. Chacun a droit à un joker, à une deuxième chance. Une économie sans échecs est une économie morte.
(1) Aider les entreprises à décoller, c'est tout l'objet de notre politique en faveur du financement. La loi du 21 août sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat permet déjà de flécher une partie de l'ISF sur le capital des PME, afin d'augmenter leurs liquidités. Surtout, nous proposons dans le projet de loi de finances pour 2008, actuellement en débat au Sénat, de tripler le taux du crédit impôt-recherche, qui passera de 10 % à 30 % jusqu'à 100 M euros d'investissements en R&D, et de 0 à 5 % au-delà. Les entreprises sont ainsi fortement incitées à faire des investissements de long terme dans la R&D. Miser sur l'innovation, c'est miser sur l'avenir.
De même, la fusion de l'agence de l'innovation industrielle (AII) avec le groupe Oseo, qui sera effective le 1er janvier prochain, permettra de doubler les moyens d'Oseo en faveur des PME et des entreprises moyennes innovantes, qui s'adresseront désormais à un interlocuteur unique. L'État va mettre la main à la poche : les nouveaux financements en faveur des entreprises moyennes seront de 300 M euros en 2008, ce qui permettra d'apporter 3 à 10 M euros d'aide par projet.
(2) Permettre aux entreprises d'atterrir en douceur, c'est bien entendu le rôle de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, sur le modèle du Chapter 11 du Bankruptcy Code américain. Je me félicite que cette loi ait déjà facilité le sauvetage de certaines entreprises en difficulté. La faillite ne doit plus être inéluctable, à condition d'ouvrir les yeux à temps.
Les premières statistiques de recours à la procédure de sauvegarde sont encourageantes. Comme vous l'a indiqué le Garde des Sceaux, 30 % des procédures de sauvegarde concernent les entreprises de moins de 5 salariés, et 90 % des entreprises de moins de 50 salariés. En 2006, déjà 1 300 entreprises ont bénéficié de procédures de sauvegarde ou de conciliation. C'est déjà beaucoup, mais c'est encore trop peu : nous devons donc améliorer le dispositif pour le rendre plus simple, et plus attractif. J'y reviendrai.
(3) Quand la sauvegarde a échoué et qu'un chef d'entreprise a dû déposer son bilan, il faut lui donner une deuxième chance. Nous ne pouvons pas valoriser la réussite et l'esprit d'entreprise si nous continuons à stigmatiser l'échec. C'est pourquoi, pour ne citer qu'un exemple, je souhaite qu'Oseo mette en place pour les chefs d'entreprise un produit financier d'aide au rebond, complémentaire du parcours de formation spécifique prévu par la loi.
(II) J'en viens maintenant au point qui nous préoccupe le plus aujourd'hui : comment améliorer la loi de sauvegarde et le fonctionnement des procédures collectives ?
Nous voulons rendre le dispositif (1) plus attractif pour les chefs d'entreprise, (2) plus efficace dans l'anticipation, et (3) plus simple pour tous.
(1) Il faut d'abord donner davantage envie aux chefs d'entreprise de recourir à la sauvegarde. Le grand mérite de la sauvegarde, lorsqu'une entreprise en bénéficie, est d'être présentée non pas comme un dépôt de bilan, mais comme une chance de rebond. Cela modifie dans un sens positif la perception des tribunaux de commerce, et je m'en félicite. La sauvegarde permet d'assurer le « retournement » d'entreprises dont les difficultés ne trouveraient pas de solution dans le cadre amiable du mandat ad hoc.
Ce capital de confiance doit être préservé. Il ne peut l'être que si la sauvegarde reste une procédure préventive. C'est pour le Garde des Sceaux comme pour moi une ligne directrice de la réforme que nous allons engager. Il me semble toutefois que nous pouvons faire preuve de plus de souplesse pour faciliter l'accès en amont à la procédure de sauvegarde, tout en évitant qu'elle ne devienne un moyen pour l'entreprise d'échapper à bon compte à ses créanciers.
Il me paraît également nécessaire de renforcer la représentativité, la transparence et la discipline collective des comités de créanciers. En 2005, le législateur avait prévu des règles de caractère général. Il est temps aujourd'hui, après deux ans de pratique, de les préciser. Faut-il intégrer dans les comités les cessionnaires et les subrogés de créance, pour éviter qu'échappent à la discipline du comité des cessionnaires de créance tels que les « hedge funds » ? Devons-nous permettre à ces comités d'adopter des conversions de créances en capital ? Comment rendre plus efficace le régime de consultation des obligataires ? Voilà des questions importantes, auxquelles nous sommes en train de réfléchir.
Enfin, il me semble souhaitable de supprimer en sauvegarde la cession forcée des titres du chef d'entreprise actionnaire, ainsi que celles qui l'écartent de la gestion de son entreprise. Le chef d'entreprise ne doit pas craindre d'être mis sur le côté.
(2) Pour mieux anticiper, nous devons aussi miser sur la conciliation. Conciliation et sauvegarde doivent en effet être des outils complémentaires. Les créanciers publics pourraient ainsi avoir la faculté, en conciliation, de procéder à des mainlevées ou à des substitutions de garantie. Autre exemple, nous pourrions réfléchir aux moyens de favoriser le maintien du crédit fournisseur pendant la mesure préventive.
(3) Enfin, la simplification concerne surtout le régime de liquidation pour les petites entreprises. Le régime dit « simplifié » de la liquidation pourrait être encore bien simplifié !
Il nous faut donc, Mesdames et Messieurs, rendre toutes ces procédures plus attractives et plus simples, mais sans bouleverser les grands équilibres de notre droit des procédures collectives. Ne décourageons pas les professionnels dans leur effort « d'apprivoisement » de nos mesures, pour reprendre les termes heureux de Mme le Président Perrette Rey.
Le texte de loi que nous soumettrons au Parlement tiendra compte de tous ces aspects. Il poursuivra le changement de mentalités déjà en cours, qui fait du tribunal de commerce un allié plus qu'un ennemi.
Nous devons introduire en France la culture de la deuxième chance, condition sine qua non de l'esprit d'entreprise.
Quand un entrepreneur a perdu une bataille, il faut l'aider à gagner la guerre.
Je vous remercie.
Source http://www.minefe.gouv.fr, le 3 décembre 2007