Interview de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, à "LCI" le 27 novembre 2007, sur la violence en banlieue suite aux décès de deux jeunes à Villiers-le-Bel, l'égalité salariale homme-femme et les négociations sur la réforme des régimes spéciaux.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier .- La banlieue est en train de revivre le scénario de 2005 ?
 
R.- Personne n'a envie de revivre le scénario de 2005, bien évidemment. Mais c'est vrai que la violence qu'on a pu constater, elle n'enlèvera rien, rien du tout à la douleur des familles. Et surtout la violence elle empêchera de construire et de reconstruire justement dans ces banlieues. Quand vous voyez ce qui c'est passé avec ce drame, ces deux jeunes morts ; et puis là, 60 policiers, 5 policiers grièvement blessés, ça ne mènera à rien cette violence, à rien du tout.
 
Q.- C'est devenu cela l'objet des émeutes : c'est plus piller, c'est plus brûler, c'est se faire un policier ?
 
R.- Je ne sais pas exactement. Comment comprendre les motivations ? Regardez ce matin, des enfants qui ne vont pas pouvoir aller à l'école, parce que les écoles ont brûlé. Que peuvent dire les parents ? Il n'y a pas d'explications à donner. Elle ne mène à rien, c'est une impasse cette violence.
 
Q.- Que peut-on attendre du plan Marshall des banlieues qui est annoncé pour janvier ? Qui pour l'instant est un mot creux ?
 
R.- Non. Ce qui est en train de se préparer, c'est quelque chose de solide et vraiment de construit. On peut faire confiance à F. Amara. Elle connaît bien. Elle connaît bien les banlieues. Elle a la confiance des acteurs et ce qu'elle est entrain de préparer, c'est justement quelque chose qui est vraiment bien pensée. Et en plus, elle a l'énergie après pour suivre les choses. Je suis adjoint au maire chez moi. Chez moi, à Saint-Quentin, on a justement l'habitude de travailler dans des quartiers, dans des quartiers qu'on dit parfois sensibles.
 
Q.- Saint-Quentin dans l'Aisne, pas Yvelines. St Quentin dans l'Aisne.
 
R.- Il n'y a qu'un seul Saint-Quentin : dans l'Aisne. Saint-Quentin-en- Yvelines : l'autre Saint-Quentin dont vous parlez. C'est qu'on essaye de prendre les bonnes décisions avec les acteurs de terrain, les associations, et surtout, on suit ses décisions, on veille à l'application. Parce que la politique, de plus en plus, c'est un art d'exécution pas seulement de conception. Et il faut donc suivre dans le détail les choses et aller jusqu'au bout des choses. Et cela vous pouvez faire confiance à F. Amara. Elle a la confiance du Président, du Premier ministre et elle ira jusqu'au bout.
 
Q.- Est-ce que le Président, ancien ministre de l'Intérieur qui s'est beaucoup engagé ces dernières années sur le terrain des banlieues devra dès son retour de Chine se rendre sur le terrain ? Est-ce qu'il doit faire comme avec les autres dossiers, c'est-à-dire prendre cela en main lui-même ?
 
R.- Le président de la République là aujourd'hui, il est en Chine. Vous savez aussi sur quel dossier je suis. Je ne sais pas ce qu'il a l'intention de faire. Sur ces dossiers, même s'il est loin, il est très attentif. Et je suis persuadé qu'il se tient informé régulièrement, comme il le fait à chaque fois qu'il y a un dossier qui requiert son attention.
 
Q.- On a l'impression que M. Alliot-Marie peine à trouver ses marques de ministre de l'Intérieur. Ce n'est pas forcément facile après N. Sarkozy. Qu'en est-il ?
 
R.- Non. Je crois qu'elle est justement dans ce dossier qui est un dossier difficile, on le voit bien, et aussi un dossier émotionnel : il y a des violences, des violences physiques, des personnes qui sont blessés ; il y a deux jeunes qui sont morts. Ce sont des dossiers sur lesquels il faut aussi beaucoup de doigté, beaucoup de mesure. Elle a l'expérience des ministères, qui sont aussi des ministères sensibles avec le ministère de la Défense, dans des périodes qui n'ont pas été en plus des périodes simples.
 
Q.- Vous avez annoncé hier des sanctions en 2010 pour les entreprises qui seraient laxistes en matière d'égalité salariale homme-femme. Comment cette police de la parité va-t-elle détecter et réprimer les infractions ?
 
R.- La police de la parité, ce n'est pas une fatalité. Parce que si les entreprises, enfin, respectent le principe "à travail égal, salaire égal", il n'y aura aucune sanction. Mais cela fait 35 ans que l'on dit : "à travail égal, salaire égal". Depuis 1972, la loi le dit et cela n'est toujours pas respecté. Le compte n'y est toujours pas. L'idée maintenant, c'est de changer de registre. C'est de tourner justement une page et de rentrer maintenant dans les faits. Que les faits correspondent exactement aux droits. Comment vous pouvez justifier aujourd'hui qu'une femme qui est dans le même bureau qu'un homme, avec une même ancienneté, une même qualification et à un même poste, touche moins que lui ? Cela n'est pas justifiable. Et si ce n'est pas justifiable, on arrête les grands discours, et dans ces cas là, on change de registre en sanctionnant les entreprises, en les sanctionnant financièrement, celles qui ne jouent pas le jeu du salaire égal.
 
Q.- Pendant cette phase de rattrapage, on bloque le salaire des hommes, le temps que les femmes se remettent à niveau ?
 
R.- Certainement pas ! Certainement pas ! Là, ce serait passer à côté de la bonne solution. Non. L'idée, c'est que les évolutions de salaire continuent, mais qu'il y ait un rattrapage salarial au bénéfice de qui ? Au bénéfice des femmes. Que tout le monde puisse être gagnant. Mais qu'enfin sur ce sujet-là, on ait l'égalité salariale au rendez-vous au 31 décembre 2009 -31 décembre 2009. Et qu'en même temps, on trouve les bonnes réponses sur la question de l'égalité professionnelle. Parce qu'il faut voir aussi pourquoi les femmes vont moins que les hommes dans des filières très qualifiantes, dans des filières de formation qui seront moins rémunératrices. C'est se posé aussi la question du congé parental. Une des questions importantes - il n'est pas facile d'apporter les réponses mais quand même - : le partage des tâches domestiques. Tant qu'on n'aura pas abordé cette question en France, alors que d'autres pays ont su le faire, on aura beau jeu de dire qu'il faut que les femmes puissent avoir un déroulement de carrière comme les hommes. C'est la question du congé parental. Des pistes m'intéressent : en Suède ou en Allemagne, ils ont trouvé des idées pour que les hommes puissent également prendre une partie de ce congé parental. Le jour où les hommes prendront vraiment du congé parental, là on aura franchi un sacré pas et fait évoluer les mentalités.
 
Q.- Les négociations sur les régimes spéciaux de retraite ont commencé dans les entreprises concernées. On entend déjà des critiques : les syndicats disent : "l'Etat ne fait pas de propositions concrètes. L'Etat est un partenaire dormant". Est-ce que c'est vrai ?
 
R.- Vous avez regardé les déclarations avant la réunion d'hier à la RATP ou après la réunion d'hier ?
 
Q.- Après la réunion de la RATP, c'était un ton assez glaçant quand même.
 
R.- Pas du tout. Alors là, pas du tout. Les déclarations hier à la sortie de la part des syndicats, tous ont reconnu qu'il y avait eu des avancées. Vous savez, c'est une réforme qui n'est pas une réforme facile. Les négociations d'entreprise elles marquent une étape importante. Il faut justement regarder les choses avec lucidité et en disant les choses telles qu'elles sont.
 
Q.- Sud dit : "Bouffonnerie, marché de dupes". Les choses telles qu'elles sont, pour Sud c'est ça.
 
R.- Et la CGT ? Et FO ? Et la CFTC ? Et la CGC ? Qu'est-ce qu'elles ont dit ?
 
Q.- La CGT dit : on va peut-être dépasser Noël. On est parti pour du très, très longtemps...
 
R.- Non, non, non. Soyons précis : sur les questions de la RATP, hier, elles ont toutes reconnu qu'il y avait eu des avancées et des avancées importantes. Pourquoi ? Parce que si on demande aux syndicats de venir s'asseoir à la table des négociations, avec les directions d'entreprise, avec l'Etat, c'est pour qu'à la sortie de ces négociations, il y ait des choses concrètes. Les négociations d'entreprise elles ne seront pas là pour annuler la réforme et le passage aux 40 ans. Mais elles seront là aussi pour apporter des solutions. Si on demande aux agents de travailler un peu plus longtemps, il faut leur proposer aussi une fin de carrière différente, aménagée, améliorée. Cela veut dire aussi prendre en compte la pénibilité. C'est dans les entreprises qu'on peut en discuter, et les organisations syndicales, hier, toutes ont reconnu qu'il y avait eu des avancées et que ce qui se discutait dans les négociations d'entreprise, c'était du sérieux.
 
Q.- Alors du sérieux, du concret, c'est peut-être, par exemple, étaler le non paiement des jours de grève, parce que tout sur la feuille de paie de novembre ça va faire mal. Vous êtes prêt à accepter de la part des entreprises cet étalement sur plusieurs mois ?
 
R.- Il y a des règles qui existent, ces règles seront respectées, elles ne seront pas modifiées.
 
Q.- Pas d'étalement, donc ?
 
R.- C. Barbier, quand vous avez un principe, vous le respectez. Si on fait grève, on ne travaille pas, si on ne travaille pas, on n'est pas payé.
 
Q.- Pas payé sur le mois en question ?
 
R.- Vous avez des règles qui sont celles... par exemple, à la SNCF, vous avez le non paiement, je crois, de cinq jours - je ne suis pas en train de me transformer en directeur de la SNCF, mais j'ai voulu aussi savoir exactement comment ça allait se passer - ; ces règles existent, elles ne seront pas modifiées, il n'y a pas de raison qu'elles soient modifiées.
 
Q.- Une des règles que vous avez édictées, c'est qu'au 31 décembre, les décrets doivent être pris, on doit avoir franchi cette étape. Mais déjà, on entend dire que plutôt que de refaire des grèves à Noël, on pourrait peut-être continuer les négociations en janvier. Est-ce que vous êtes prêt à redonner quelques semaines ?
 
R.- Ce n'est pas ce que j'entends. Ce que j'entends de la part des syndicats, c'est qu'ils disent qu'il y a eu un conflit, il y a eu neuf jours de grèves qui ont été synonymes de neuf jours de galère pour l'ensemble des usagers, pour des millions de Français, qui sont sortis épuisés de ce conflit, et que, je pense qu'aujourd'hui, chacun comprend, en étant face à ses responsabilités, et je l'entends de la part de responsables syndicaux, que personne n' envie de refaire un conflit, encore moins un conflit au moment des fêtes. Alors, moi je salue l'esprit de responsabilité de chacun, et ce que j'aimerais, c'est qu'à l'avenir, on n'ait pas même besoin d'un seul jour de conflit pour venir s'asseoir à la table des négociations.
 
Q.- Alors, si on n'a pas conclu le 18 décembre, qu'est-ce qu'on fait ?
 
R.- Et pourquoi on n'aurait pas conclu le 18 décembre ? Qu'est-ce que c'est que cette question !
 
Q.- Parce que c'est compliqué et que c'est long ?
 
R.- Nous avons aujourd'hui un calendrier, nous avons une méthode et chacun reconnaît que ces négociations ne seront pas des négociations bidons. Voilà aujourd'hui quelle est notre logique. Et il faut aussi faire le pari, le pari de l'esprit de responsabilité, que chacun va y mettre du sien. L'Etat le fait, les syndicats le font et la direction d'entreprise doit également le faire de bout en bout.
 
Q.- Engagerez-vous la réforme du régime général des retraites avant que soit conclue la réforme des régimes spéciaux, qui servira peut-être de catalyseur ?
 
R.- Il est prévu que le Gouvernement... que je remettrai avant la fin de l'année, avant le 31 décembre, un rapport qui va servir de base de discussions pour le rendez-vous des retraites de 2008, car nous allons avoir à l'occasion de ce rendez-vous 2008, plusieurs questions qui seront sur la table : la question de la durée de la cotisation, de la pénibilité... Je tiens vraiment à ce que le dossier de la pénibilité soit un dossier qui soit au coeur du rendez-vous 2008.
 
Q.- Et votre rapport sera remis avant Noël ?
 
R.- Avant la fin de l'année, ce qui a toujours été inscrit d'ailleurs dans les textes de 2003. Il y a aussi la question des petites pensions de retraite. Là aussi, le président de la République l'avait dit pendant la campagne, nous serons au rendez-vous de cet engagement, en remontant justement les petites retraites.
 
Q.- Les négociations sur le marché du travail piétinent. Le Premier ministre évoque un passage par la loi. Est-ce vraiment envisagé - c'est un rêve de Bercy - mais est-ce vraiment envisagé ?
 
R.- Cela ne relève pas de Bercy. Cela relève de Grenelle, du ministère du Travail. Je suis avec attention ce qui est en train de se passer entre le patronat et les syndicats. Les négociations sont engagées depuis plusieurs semaines. Cela se déroule tous les vendredis. J'ai vu que certains disaient qu'un palier était marqué la semaine dernière. Je vais vous dire une chose : moi je fais confiance aux partenaires sociaux, et je souhaite qu'il y ait dans le contrat de travail, dont ils discutent, qu'il y ait justement des garanties pour les salariés, parce que si l'ont veut donner confiance dans le marché du travail et dans le monde du travail, il ne faut pas que ce soit un cheval, une alouette. Il faut vraiment qu'il y ait des garanties pour les salariés. Je crois profondément à la "flexi- sécurité".
 
Q.- Les patrons ne font pas assez d'efforts dans ce domaine ?
 
R.- Moi je souhaite qu'il y ait des efforts pour les uns et pour les autres. Si on veut que ça marche, il faut vraiment que les entrepreneurs puissent se sentir en confiance mais aussi que les salariés se sentent en confiance.
 
Q.- On a trop de "flexi" et pas assez de "sécurité" aujourd'hui ?
 
R.- Moi je veux les deux. D'ailleurs, pour que le Gouvernement puisse être satisfait d'un accord, il faut vraiment qu'il y ait l'un et l'autre, et la sécurité c'est bien pour les entreprises, c'est très bien aussi pour les salariés. "
 
Avec N. Sarkozy, gagner moins et payer plus" : c'est le prochain slogan du PS, qui réclame une hausse du Smic pour les défis du pouvoir d'achat. Réaction ?
 
R.- Le PS c'est ?
 
Q.- Parti socialiste : l'opposition.
 
R.- Ah d'accord. J'entends parfois : où en est le Parti socialiste ? Je serais tenté de dire : où est le Parti socialiste ? Et d'ailleurs, quand le Parti socialiste parle du Smic, honnêtement où est leur crédibilité ? Quand ils ont parlé du Smic pendant la campagne avec S. Royal, ça a été pour dire aussitôt après la campagne que Mme Royal ne croyait pas aux idées qu'elle défendait. Je crois aussi qu'il faut être solide, mais je crois qu'on aurait aussi besoin d'un Parti socialiste qui soit plus dans une opposition faisant des propositions, et un peu moins dans une entreprise de démolition, comme ils le font aujourd'hui. Cela ne renforcera pas leur crédibilité.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 novembre 2007