Texte intégral
O. Mazerolle Vous dénoncez ce que vous appelez "la République des juges" mais est-il anormal que ceux-ci enquêtent sur le financement des partis politiques ?
- "En aucun cas. C'est tout à fait normal. Il faut que la justice fasse son travail. Je suis tout à fait pour l'indépendance de ce qu'on appelle la magistrature assise. Ce que je conteste naturellement, c'est que les parquets puissent avoir autant de politiques pénales qu'il y a de parquets. Les parquets qui, je le rappelle ... "
Les procureurs ...
- " Les procureurs doivent poursuivre un intérêt public. C'est ce que je veux rappeler, car l'Etat n'est pas un partenaire comme les autres. La société a besoin d'être défendue et il nécessaire que la loi soit la même pour tous. C'est une conception classique que je développe. Les juges jugent au nom du peuple français, ils ne jugent pas en leur nom propre. Pour autant, quand ils sont saisis d'une affaire, ils doivent naturellement, en toute indépendance, aller au fond des choses. Je souhaite qu'ils le fassent dans ces affaires de financement de partis politiques, qui sont d'autant plus graves qu'elles interviennent après qu'a été votée la loi sur le financement des partis politiques, qui permet parfaitement de faire de la politique proprement, dignement. Je prends l'exemple du MDC : nous ne vivons que de nos cotisations, celles de nos élus, et naturellement des financements modestes mais réels que la loi nous accorde."
Autour de cette affaire, on parle régulièrement de l'immunité du Président de la République. Vous, en tant que député, êtes-vous prêt à signer la pétition d'A. Montebourg qui souhaiterait traduire le Président de la République devant la Haute Cour ?
- "Soyons sérieux. Est-ce qu'un juge a convoqué le Président de la République ? Non. Il faudrait donc, avant de signer une motion demandant la traduction du Président de la République en Haute Cour, que celui-ci soit convaincu de haute trahison puisque c'est ainsi que la Constitution s'exprime. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Le Chef d'Etat est protégé par son immunité nécessaire à la démocratie. Bien entendu, il faut qu'il s'explique, le cas échéant, car dans une démocratie il faut que les choses soient aussi claires que possibles. Mais je veux rappeler qu'en démocratie, ce sont les citoyens qui tranchent. Il y aura des élections, naturellement il appartient aux citoyens de savoir si politiquement ils doivent sanctionner tel ou tel."
Le Chef de l'Etat, ce n'est pas un personnage comme les autres ?
- "Evidemment non ! On a vu à quels excès cette conception pouvait conduire aux Etats-Unis avec l'affaire Clinton-Lewinsky. Je pense qu'il est bon qu'il y ait des règles dans l'Etat."
Cette nuit, ou hier soir, les députés MDC ont voté avec le Parti communiste et toute la droite, contre le Gouvernement qui voulait faire passer dans les lois françaises des textes européens. C'était la coalition des contraires ?
- "Intéressez-vous d'abord au fond ! Est-il normal que 50 directives puissent s'appliquer - portant sur les services publics, les concessions d'autoroutes, la mutualité - sans que le Parlement, jamais, n'en ai débattu, alors que ces directives sont prises dans une opacité presque totale ? Je pense qu'il y a un vrai problème de démocratie dans le fonctionnement de l'Europe."
Vous êtes partisan de l'inversion du calendrier électoral, c'est-à-dire rétablissant la primauté de l'élection présidentielle. Cela renforce aussi le rôle du Président et risque d'amoindrir, contrairement à ce que vous venez de dire à l'instant, le rôle du Parlement.
- "Il ne faut pas tout mélanger. Dans une démocratie, les citoyens doivent pouvoir peser sur les décisions. Le quinquennat et l'élection du Président de la République au suffrage universel doivent permettre d'indiquer une direction. Dans une démocratie médiatique où les gouvernants passent plus de temps à déminer qu'à préparer l'avenir, cette élection du Président de la République au suffrage universel, que je considère comme directrice, doit permettre l'expression d'une volonté populaire, d'une volonté des citoyens : c'est cela la démocratie citoyenne. Mais en même temps, c'est vrai, il faut que le Parlement puisse légiférer, contrôler, il faut que l'opposition puisse s'opposer aussi, et on peut penser à des dispositions comme par exemple la désuétude du droit de dissolution..."
"Désuétude", cela veut dire suppression ?
- "Pas suppression, mais obliger le Président de la République à remettre son mandat en cause s'il dissout l'Assemblée nationale, ce qui l'amènera à y regarder à deux fois, renforçant en contrepartie le pouvoir du Parlement. On devrait, à mon sens, rapatrier au niveau du Parlement toutes les compétences aujourd'hui déléguées à des instances administratives indépendantes, de façon à ce que le Parlement français soit vraiment le lieu du contrôle de la démocratie."
Pour en revenir aux ordonnances européennes, certaines dataient d'il y a vingt ans : la France était donc très en retard dans la mise en ordre de sa législation. D'autre part, il y a des choses favorables, d'autres défavorables - chacun pouvant avoir ses appréciations là-dessus - mais n'est-ce pas le propre de la vie en communauté ? Est-ce qu'à travers cela, vous ne remettez pas tout simplement en cause l'appartenance de la France à l'Europe ?
- "En aucune manière nous ne demandons que l'Europe fonctionne plus démocratiquement. Si le Gouvernement a attendu vingt ans - soyons sérieux, cela doit concerner une directive sur cinquante - pour la soumettre au Parlement et pour assurer sa traduction, c'est le Gouvernement qui en porte la responsabilité."
Le sommet de Nice a pour principal sujet à l'ordre du jour la rénovation des institutions européennes et leur mise en ordre, pour permettre d'accueillir de nouveaux pays membres sans que l'Europe ne perde une capacité politique. Cela devrait vous satisfaire, non ?
- "L'Europe aujourd'hui ne fonctionne plus, ou elle fonctionne très mal. Demain, elle fonctionnera encore plus mal avec l'élargissement. A quinze, nous sommes déjà très nombreux - l'Europe était au départ une Europe à six - et quand nous serons 20, 25 ou 27, cela ne fonctionnera plus du tout."
On peut dire "non" aux Polonais, aux Tchèques ?
- "Non, il faut aller vers l'élargissement. Celui-ci est nécessaire et correspond à la situation qui a résulté de la chute du communisme. Il faut aller vers l'élargissement, mais il faut changer de méthode. Ce qui sortira de positif du sommet de Nice, ce sera l'idée de coopération renforcée à géométrie variable, entre huit, neuf ou dix pays. Par exemple, la coopération au sein de l'euro aura un sens, pour la construction de grandes infrastructures de transport, pour une politique scientifique, technologique, industrielle, pour des actions communes de politique étrangère, de défense... Mais au fond, c'est la méthode qu'il faut changer. L'Europe est opaque : on fuit dans la procédure, dans l'institutionnel, on n'y comprend rien ! Il faudrait expliquer aux peuples européens pourquoi l'Europe est faite : l'Europe, pour quoi faire ? Il faudrait dégager un certain nombre d'orientation politique commune, par le débat, par la politique - puisqu'on ne fait plus de politique dans l'Europe, et le vote de cette nuit l'a bien montré, parce que finalement on fuit dans la procédure, mais sans s'occuper du fond. Cela, c'est terminé !"
A propos de politique, qu'est-ce que c'est que ce débat entre les idées claires et ceux qui courent après des coquecigrues ?
- "J'ai lu Rabelais - vous aussi sans doute - qui parle d'animaux un peu bizarroïdes auxquels un tas de gens, à son époque déjà, s'intéressaient, plutôt que de s'intéresser à l'essentiel, de parler de politique, de parler du fond... Ils inventent des machines, des repondérations, des formatages, des chartes bizarroïdes. Rabelais parlait des coquecigrues - du catoblépas aussi - qui passaient à haute altitude, animaux ailés avec mille pattes auxquels on s'intéressaient beaucoup. En fait, c'était des choses qui n'existaient pas ! En politique, on parle beaucoup de choses qui n'existent pas, et on ne parle pas assez de l'essentiel."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 6 décembre 2000)
- "En aucun cas. C'est tout à fait normal. Il faut que la justice fasse son travail. Je suis tout à fait pour l'indépendance de ce qu'on appelle la magistrature assise. Ce que je conteste naturellement, c'est que les parquets puissent avoir autant de politiques pénales qu'il y a de parquets. Les parquets qui, je le rappelle ... "
Les procureurs ...
- " Les procureurs doivent poursuivre un intérêt public. C'est ce que je veux rappeler, car l'Etat n'est pas un partenaire comme les autres. La société a besoin d'être défendue et il nécessaire que la loi soit la même pour tous. C'est une conception classique que je développe. Les juges jugent au nom du peuple français, ils ne jugent pas en leur nom propre. Pour autant, quand ils sont saisis d'une affaire, ils doivent naturellement, en toute indépendance, aller au fond des choses. Je souhaite qu'ils le fassent dans ces affaires de financement de partis politiques, qui sont d'autant plus graves qu'elles interviennent après qu'a été votée la loi sur le financement des partis politiques, qui permet parfaitement de faire de la politique proprement, dignement. Je prends l'exemple du MDC : nous ne vivons que de nos cotisations, celles de nos élus, et naturellement des financements modestes mais réels que la loi nous accorde."
Autour de cette affaire, on parle régulièrement de l'immunité du Président de la République. Vous, en tant que député, êtes-vous prêt à signer la pétition d'A. Montebourg qui souhaiterait traduire le Président de la République devant la Haute Cour ?
- "Soyons sérieux. Est-ce qu'un juge a convoqué le Président de la République ? Non. Il faudrait donc, avant de signer une motion demandant la traduction du Président de la République en Haute Cour, que celui-ci soit convaincu de haute trahison puisque c'est ainsi que la Constitution s'exprime. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Le Chef d'Etat est protégé par son immunité nécessaire à la démocratie. Bien entendu, il faut qu'il s'explique, le cas échéant, car dans une démocratie il faut que les choses soient aussi claires que possibles. Mais je veux rappeler qu'en démocratie, ce sont les citoyens qui tranchent. Il y aura des élections, naturellement il appartient aux citoyens de savoir si politiquement ils doivent sanctionner tel ou tel."
Le Chef de l'Etat, ce n'est pas un personnage comme les autres ?
- "Evidemment non ! On a vu à quels excès cette conception pouvait conduire aux Etats-Unis avec l'affaire Clinton-Lewinsky. Je pense qu'il est bon qu'il y ait des règles dans l'Etat."
Cette nuit, ou hier soir, les députés MDC ont voté avec le Parti communiste et toute la droite, contre le Gouvernement qui voulait faire passer dans les lois françaises des textes européens. C'était la coalition des contraires ?
- "Intéressez-vous d'abord au fond ! Est-il normal que 50 directives puissent s'appliquer - portant sur les services publics, les concessions d'autoroutes, la mutualité - sans que le Parlement, jamais, n'en ai débattu, alors que ces directives sont prises dans une opacité presque totale ? Je pense qu'il y a un vrai problème de démocratie dans le fonctionnement de l'Europe."
Vous êtes partisan de l'inversion du calendrier électoral, c'est-à-dire rétablissant la primauté de l'élection présidentielle. Cela renforce aussi le rôle du Président et risque d'amoindrir, contrairement à ce que vous venez de dire à l'instant, le rôle du Parlement.
- "Il ne faut pas tout mélanger. Dans une démocratie, les citoyens doivent pouvoir peser sur les décisions. Le quinquennat et l'élection du Président de la République au suffrage universel doivent permettre d'indiquer une direction. Dans une démocratie médiatique où les gouvernants passent plus de temps à déminer qu'à préparer l'avenir, cette élection du Président de la République au suffrage universel, que je considère comme directrice, doit permettre l'expression d'une volonté populaire, d'une volonté des citoyens : c'est cela la démocratie citoyenne. Mais en même temps, c'est vrai, il faut que le Parlement puisse légiférer, contrôler, il faut que l'opposition puisse s'opposer aussi, et on peut penser à des dispositions comme par exemple la désuétude du droit de dissolution..."
"Désuétude", cela veut dire suppression ?
- "Pas suppression, mais obliger le Président de la République à remettre son mandat en cause s'il dissout l'Assemblée nationale, ce qui l'amènera à y regarder à deux fois, renforçant en contrepartie le pouvoir du Parlement. On devrait, à mon sens, rapatrier au niveau du Parlement toutes les compétences aujourd'hui déléguées à des instances administratives indépendantes, de façon à ce que le Parlement français soit vraiment le lieu du contrôle de la démocratie."
Pour en revenir aux ordonnances européennes, certaines dataient d'il y a vingt ans : la France était donc très en retard dans la mise en ordre de sa législation. D'autre part, il y a des choses favorables, d'autres défavorables - chacun pouvant avoir ses appréciations là-dessus - mais n'est-ce pas le propre de la vie en communauté ? Est-ce qu'à travers cela, vous ne remettez pas tout simplement en cause l'appartenance de la France à l'Europe ?
- "En aucune manière nous ne demandons que l'Europe fonctionne plus démocratiquement. Si le Gouvernement a attendu vingt ans - soyons sérieux, cela doit concerner une directive sur cinquante - pour la soumettre au Parlement et pour assurer sa traduction, c'est le Gouvernement qui en porte la responsabilité."
Le sommet de Nice a pour principal sujet à l'ordre du jour la rénovation des institutions européennes et leur mise en ordre, pour permettre d'accueillir de nouveaux pays membres sans que l'Europe ne perde une capacité politique. Cela devrait vous satisfaire, non ?
- "L'Europe aujourd'hui ne fonctionne plus, ou elle fonctionne très mal. Demain, elle fonctionnera encore plus mal avec l'élargissement. A quinze, nous sommes déjà très nombreux - l'Europe était au départ une Europe à six - et quand nous serons 20, 25 ou 27, cela ne fonctionnera plus du tout."
On peut dire "non" aux Polonais, aux Tchèques ?
- "Non, il faut aller vers l'élargissement. Celui-ci est nécessaire et correspond à la situation qui a résulté de la chute du communisme. Il faut aller vers l'élargissement, mais il faut changer de méthode. Ce qui sortira de positif du sommet de Nice, ce sera l'idée de coopération renforcée à géométrie variable, entre huit, neuf ou dix pays. Par exemple, la coopération au sein de l'euro aura un sens, pour la construction de grandes infrastructures de transport, pour une politique scientifique, technologique, industrielle, pour des actions communes de politique étrangère, de défense... Mais au fond, c'est la méthode qu'il faut changer. L'Europe est opaque : on fuit dans la procédure, dans l'institutionnel, on n'y comprend rien ! Il faudrait expliquer aux peuples européens pourquoi l'Europe est faite : l'Europe, pour quoi faire ? Il faudrait dégager un certain nombre d'orientation politique commune, par le débat, par la politique - puisqu'on ne fait plus de politique dans l'Europe, et le vote de cette nuit l'a bien montré, parce que finalement on fuit dans la procédure, mais sans s'occuper du fond. Cela, c'est terminé !"
A propos de politique, qu'est-ce que c'est que ce débat entre les idées claires et ceux qui courent après des coquecigrues ?
- "J'ai lu Rabelais - vous aussi sans doute - qui parle d'animaux un peu bizarroïdes auxquels un tas de gens, à son époque déjà, s'intéressaient, plutôt que de s'intéresser à l'essentiel, de parler de politique, de parler du fond... Ils inventent des machines, des repondérations, des formatages, des chartes bizarroïdes. Rabelais parlait des coquecigrues - du catoblépas aussi - qui passaient à haute altitude, animaux ailés avec mille pattes auxquels on s'intéressaient beaucoup. En fait, c'était des choses qui n'existaient pas ! En politique, on parle beaucoup de choses qui n'existent pas, et on ne parle pas assez de l'essentiel."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 6 décembre 2000)