Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la crise politique au Liban et la future conférence d'Annapolis de relance du processus de paix israélo-palestinien, Beyrouth le 22 novembre 2007.

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Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Pardon de vous avoir fait attendre. Des évènements prévus pour les uns, imprévus pour les autres, qui modifient un peu nos jugements et qui vont modifier nos propos, se déroulaient pendant que nous vous faisions attendre. Mes amis, Massimo d'Alema, Miguel Moratinos et moi-même, nous nous étions jurés, que nous ne lâcherions pas le Liban dans cette période de crise. Massimo, Miguel et moi, nous nous étions promis de demeurer ensemble accrochés à cette espérance d'une élection présidentielle au Liban, à la date prévue par la Constitution.
Nous sommes venus très souvent, les uns et les autres. Nous sommes venus ensemble, nous sommes venus séparément, et nous avons abordé, chacun d'entre nous, avec nos amis européens, le problème posé par cette élection au Liban. C'est une démarche que les 27 pays de l'Union européenne ont approuvée, ont soutenu et nous ont demandé de poursuivre.
Il y a eu des hauts et des bas comme toujours dans ces circonstances. Il y a eu beaucoup de bas, nous avons été un peu malheureux pour le Liban. Mais nous ne sommes pas Libanais, malgré notre attachement, et nous avons toujours su que c'était aux Libanais de décider. Nous avons toujours voulu respecter la volonté des Libanais et nous étions à leurs côtés pour qu'un Liban uni, intègre sur son territoire, démocratique, puisse voir le jour. Demain, le 23 novembre. Nous ne sommes pas sûrs que demain il y aura une réunion qui nous permettra de hurler de joie, d'être contents avec tous les Libanais qui ont besoin de cette stabilité, qui ont besoin de cette élection, qui n'est pas la fin de la politique, qui n'est qu'une étape ensuite pour qu'un programme de prise en charge de la dette et un programme démocratique pour toutes les communautés se développe.
Ce que nous avons affirmé tous les trois, mais c'est toute l'Union européenne qui l'affirmait, c'est que nous n'étions pas les amis d'une fraction, d'une communauté ou d'une religion. Nous étions les amis de toutes les communautés, de tous les Libanais, de toutes les religions. C'est cette diversité, cette diversité essentielle au Moyen-Orient qui nous soutenait. Ce sont trois pays méditerranéens qui vous parlent par notre voix. Ce sont l'Italie, l'Espagne et la France, trois pays importants face au Liban, de l'autre côté de la Méditerranée.
Alors que s'est-il passé ? Nous nous sommes assurés, les uns et les autres, que tout ce qui était en notre pouvoir soit fait pour que l'élection se déroule normalement. Nous avons fait tout cela et nous pouvons vous en répondre. Et puis on nous a demandé, à un moment donné - tout le monde, toutes les communautés, tous les partis libanais nous ont demandé, parce qu'il y avait 30 candidats, parce qu'on ne s'y retrouvait pas très bien -, qu'une liste de candidats soit dressée par l'homme le plus intègre dans le camp chrétien, par Sa Béatitude, Mgr. Sfeir. C'est un saint homme. C'est un homme très respectable et que j'aime beaucoup, que nous aimons beaucoup. Il a accepté de faire cette liste et c'est dans cette liste que devait se trouver le candidat que le chef de la majorité et le responsable de l'opposition pourraient proposer au Parlement après s'être mis d'accord.
Nous avons beaucoup espéré que cela pourrait être fait. Mais jusqu'à preuve du contraire, c'est à dire demain, cela n'a pas été possible. Un miracle est encore possible demain. Mais je crois que ce sera un peu compliqué. Voilà. Ce qui était important pour nous, c'était le dialogue et que l'on trouve un candidat. Il faut parler pour trouver un homme dans le camp maronite puisque c'est la coutume pour qu'il puisse être élu président de la République libanaise. Dialogue, entente sur un candidat, c'est ce qu'on a appelé le candidat de consensus.
Nous devions, le Patriarche ayant donné sa liste, faire parvenir cette liste à la majorité et à l'opposition. Nous n'avons pas choisi les noms. Je n'ai rencontré aucun de ces candidats. Je crois que c'est le cas de mes deux amis. Cela n'a pas pu être possible, et nous en sommes là. Nous allions vous annoncer ce soir, des choses fortement pessimistes et, pendant que nous vous faisions attendre, il y a eu une conférence de presse du général Aoun, lequel était un des noms sur cette liste. Le général Aoun a fait des annonces que nous n'avons pas à juger. Nous n'avons pas à juger des démarches politiques des uns et des autres. Nous cherchons comme pays amis, comme pays frères du Liban, à ce qu'un candidat se détache, soit proposé par la majorité et l'opposition et soit élu.
Nous avons vu le président du Parlement cinq ou six fois. Nous avons vu M. Saad Hariri cinq ou six fois. Nous avons vu le général Aoun. Nous avons vu le Premier ministre, M. Fouad Siniora. Nous avons vu tout le monde et ce soir, il y a de nouvelles propositions. En tout cas, ce que nous avons retenu d'une conférence de presse très rapide, c'est que le général Aoun acceptait de retirer sa candidature et qu'il proposait, avec une détermination dont je le laisse seul juge, une série de démarches politiques qu'il conviendra que la majorité et M. Saad Hariri, en particulier, prennent en compte avant de répondre au général Aoun. Est-ce que cela se fera ce soir ou demain, je ne le crois pas. Cela me paraît difficile de répondre à une telle demande, fortement exprimée, et à de telles exigences pour demain.
Voilà où nous en sommes. Ce qui serait intéressant, si nous avions un peu le temps de faire autre chose qu'une politique hachée, séparée, toujours un peu brutale, sans vrai dialogue, ce serait de raconter comment cela s'est passé pour Miguel, pour Massimo et pour moi. Avec quelle alchimie, quel contact, quelle rudesse, quelle tendresse en même temps, cela s'est passé avec nos amis libanais, comme cela se passe au Liban. Il y a beaucoup de gens qui veulent intervenir, qui sont autour du Liban et qui ne comprennent pas ce pays. Nous vous raconterons cela un jour. C'était d'une certaine façon une leçon de politique. Pour le reste, nous devons attendre demain, sans grand espoir, plus tard sans doute et d'autres propositions. En tout cas si d'autres noms venaient à venir qui ne sont pas venus pour le moment, nous, de notre côté, nous demanderions son avis au Patriarche. Je termine en renouvelant à Sa Béatitude mon respect, et si j'ose dire ma grande amitié. Il nous a été un soutien constant dans les moments les plus difficiles et dans les moments de doute. C'est peut-être aussi sa fonction.
Q - Qui va diriger le pays, au cas où il n'y aura pas d'élection ?
R - Ce n'est pas à moi de dire qui va diriger le pays. Comme vous le savez, à partir du moment où il n'y a plus de président, c'est selon la Constitution, le gouvernement de M. Fouad Siniora qui dirige le pays.
Q - (Inaudible)
R - Le message de Miguel est un message d'espoir. Nous sommes sûrs que nous y arriverons. Nous y arriverons ! Les Libanais y arriveront. Nous sommes à leurs côtés s'ils ont besoin de nous, nous l'avons décidé, nous l'avons dit, les uns et les autres. Nous n'avons pas exactement le même emploi du temps, les uns et les autres, pas les mêmes gouvernements, pas les mêmes exigences, pas les mêmes travaux, il y a autre chose à faire que le Liban. Tout le monde se demande pourquoi je suis parti depuis 4 jours. Nous sommes à la disposition des Libanais et nous reviendrons si c'est utile. Pas simplement pour la figuration, je suis très content de vous voir mais nous continuons notre mission et je vais vous dire, nous y parviendrons. Nous, les Libanais.
Q - (Inaudible)
R - Je crois que la situation n'est pas la même qu'il y a quelques années. Je pense que l'armée est plus solide, elle est installée comme vous l'avez vu dans toute la ville, à des endroits très précis et je pense que la stabilité pour l'heure me semble assurée, mais les dangers existent. C'est bien d'ailleurs ce qui nous a motivé car, dans cette région, et puis dans ce pays particulier, où les communautés, à la fois se parlent et refusent le dialogue pendant très longtemps, et puis se parlent à nouveau, avec des réconciliations après des altercations, tout est possible, on peut craindre cela. Je ne le crains pas particulièrement en ce moment, mais je peux me tromper complètement. Nous sommes attentifs, nous sommes déterminés, et nous nous obstinons. Si vous n'aviez qu'un seul mot à retenir de notre attitude à tous les trois, c'est une espèce de gang, de ces trois pays obstinés.
Q - Est-ce que vous pensez que la Syrie va participer à la conférence d'Annapolis ?
R - Je pense qu'elle y participera et je souhaite infiniment que le Liban y participe. J'approuve absolument ce qui a été dit par Massimo sur le cadre régional. Pourquoi nous nous acharnions au Liban. Parce qu'il nous semblait qu'une élection démocratique ici, ouvrait un meilleur chemin vers la conférence d'Annapolis, vers le dialogue et la création d'un Etat palestinien tant espéré. Nous pensions que cela faisait partie de ce mouvement d'espoir dans le Moyen-Orient. Je pense que le Liban doit y participer, il faut qu'il y ait une réunion du ministère pour désigner, étant donné la démission du ministre des Affaires étrangères, quelqu'un qui puisse le remplacer à la conférence d'Annapolis. Je suis persuadé, comme l'a dit Massimo, que c'est un cadre. C'est dans ce cadre du Moyen-Orient qu'il faut réfléchir, et en y participant, je pense que la situation ici pourrait évoluer un peu différemment.
Q - (Inaudible)
R - Cela ne signifie pas que la liste du Patriarche et les efforts que nous avons faits pour l'obtenir, la fournir à l'opposition et à la majorité n'existe plus. Elle existe en tout cas jusqu'à demain soir minuit. Nous avons vu Nabih Berry, il est tout à fait disposé, sur n'importe quel candidat accepté par l'opposition et la majorité, à faire voter le Parlement demain. Je ne souhaiterai pas que l'on prenne la proposition du général Aoun comme une proposition qui vient tuer l'initiative dite française, qui est en fait une initiative collective. Ce serait une très mauvaise interprétation. J'espère que ce n'est pas celle que les partisans du général Aoun voulaient faire croire.
Q - (Inaudible)
R - Mme Condoleezza Rice est venue dans la région plusieurs fois, mais elle prépare actuellement la conférence d'Annapolis. Nous avons été en contact en permanence avec nos amis américains.
Q - (Inaudible)
R - Il faut parler à chacun des trois pays, parce que nous avons eu des contacts différents. J'ai demandé aux Syriens de ne pas intervenir dans le processus électoral libanais. Je disais avec espoir que ce serait la seule façon pour que les relations entre la France et la Syrie s'améliorent et redeviennent normales. C'est ce que j'ai exigé et ce que mes amis ont exigé lorsqu'ils sont allés à Damas.
Q - (Inaudible)
R - Non, c'est aux Libanais de le faire. Je vous laisse la responsabilité du qualificatif que vous avez employé pour le président. Pour moi il ne sera pas fantoche, il sera le bienvenu. Il sera espéré et utile. Je ne suis pas libanais, je ne suis pas chargé de la politique libanaise. Je suis ministre des Affaires étrangères de la France, Miguel est ministre des Affaires étrangères d'Espagne et Massimo d'Alema est ministre des Affaires étrangères d'Italie, ils nous trouvent ensemble ces Libanais à penser que ces affaires ne nous sont pas très étrangères, elles nous sont proches. Je n'ai pas du tout l'intention de m'immiscer dans les affaires libanaises, sauf s'ils nous le demandent techniquement. Nous sommes très proches, nous avons travaillé ensemble. Il y a nos soldats au Sud qui sont dans des situations difficiles et qui le seraient plus encore s'il n'y avait pas de gouvernement et s'il n'y avait pas de président de la République. Nous avons une responsabilité précise, sentimentale, historique de la France en particulier. Mais nous avons surtout une responsabilité plus que psychologique, politique et nationale ici pour nos soldats. Le reste bien entendu est l'affaire des Libanais. Lorsqu'on peut les aider, nous les aidons, mais nous n'avons pas fait cela sans qu'ils nous le demandent. Nous ne nous sommes pas imposés. Il n'y a pas de véritable ingérence sans un appel de quelqu'un. S'il n'y a pas d'appel, il n'y a pas d'intervention. Nos amis nous ont demandé d'être avec vous.
Q - (Inaudible)
R - Ne donnez pas de qualificatif de ma part à tout cela, c'est l'imbroglio et la difficulté du Liban. Nous avons, avec nos amis, connu un week-end formidable à La Celle Saint-Cloud, d'où est né un esprit, l'esprit de La Celle Saint-Cloud, où tous les partis, les 14 partis se parlaient, avec amitié, alors que, quand on arrive ici, il y a des insultes qui sont proférées par médias interposés.
Que voulez-vous ? Je crois que cela ne représente pas bien cette acrimonie, ces disputes très violentes et ces accusations. Cela ne représente pas bien le Liban dont Miguel a parlé comme d'un rayon de soleil. Je n'ai pas vu que l'initiative du président Aoun se limitait à demain soir mais en tout cas, je ne pense pas que ce soit la meilleure façon en créant comme cela des limites qui ressemblent à des ultimatums. Je ne crois pas que ce soit la meilleure façon. Je n'ai pas encore recueilli les remarques et les réponses apportées par la majorité. Je pense que cela ne peut pas être une fin. Que cela ne peut pas être une façon de détruire ce que nous avons fait. Nous avons vu le général Aoun ce matin, et nous sommes avec lui dans les termes les plus amicaux et les plus attentifs.
Q - (Inaudible)
R - Nous avons eu une rencontre avec le Hezbollah très intéressante où nous avons cru comprendre que leur attitude n'était pas figée. Le Hezbollah, que nous avons invité en France, a accepté ce qu'on a appelé l'initiative française, notre initiative commune. Il a accepté la démarche de la liste. Il a accepté que l'on essaie de faciliter l'obtention d'un candidat de consensus. Le Hezbollah fait partie maintenant des partis politiques et de la démarche politique des Libanais. Certes cette situation ne facilitera pas les choses, mais c'est ainsi.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2007