Interview de M. Jean-François Copé, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à "Europe 1" le 10 décembre 2007, sur la visite en France du Colonel Kadhafi et sur l'éventuelle délocalisation d'EADS.

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Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Le colonel Kadhafi sera à Paris à 14 heures ; vendredi, en marge du sommet Europe-Afrique, à Lisbonne, il a déclaré : "Puisque les super puissances ne respectent pas le droit International, il est normal que les plus faibles aient recours au terrorisme". Que pensez-vous de cette justification du terrorisme ?
 
R.- D'abord, elle est injustifiable. Mais surtout, elle illustre ce dilemme éternel auquel sont confrontés les grands responsables politiques de toutes les grandes démocraties. La visite du colonel Kadhafi ne doit, en aucun cas, conduire à faire table rase du passé, évidemment. Il n'est pas question d'oublier le passé, il n'est pas question non plus d'oublier la douleur et la souffrance des familles des victimes des attentats, en particulier de l'attentat du DC 10. En même temps, je crois qu'il faut, là aussi, voir les choses avec le maximum de lucidité. Il y a encore d'énormes problèmes. Vous parlez du terrorisme, et puis, il faut parler aussi bien sûr des droits de l'homme. Mais enfin, il faut dire aussi les choses jusqu'au bout : la Libye d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier. Je crois qu'il faut quand même le dire parce que vous savez, les décideurs politiques, les chefs d'Etat, ne font pas les choses comme cela, sans regarder. N. Sarkozy a, je crois, beaucoup pesé tout cela et il l'a dit longuement à de nombreuses reprises. Je veux donner un exemple : dans la lutte contre le terrorisme, qui est aujourd'hui l'une des priorités majeures des grandes démocraties, il faut savoir que la Libye et les services libyens coopèrent très activement contre les terroristes, au côté des services occidentaux. Il faut savoir, de la même manière, que la démarche qui a été celle de la Libye, depuis quelques années, 4-5 ans, 6 ans, a été une démarche résolument tournée vers un certain nombre de grandes options que nous prenons, nous. Ce n'est pas tout à fait un hasard si la communauté internationale, l'ONU, en 2003, a levé les sanctions contre la Libye, à la suite...
 
Q.- Mais pourquoi on est les seuls à le recevoir ? Il n'est pas reçu en Angleterre, il n'est pas reçu en Allemagne, il n'est pas reçu en Espagne. Pourquoi est-ce qu'on est les premiers ? On est des défricheurs ?
 
R.- J'arrive... Je signale au passage qu'un certain nombre de chefs d'Etat se sont rendus d'ores et déjà en Libye. Nous ne sommes pas les premiers, la France n'est pas isolée dans ce domaine. Les États-Unis, la Grande- Bretagne, l'Italie, l'Allemagne ont enclenché, parfois au plus haut niveau, ce type de démarches et d'échanges avant même, par exemple, que les infirmières bulgares ne soient libérées. Ce qui n'est pas le cas de N. Sarkoy dont je rappelle qu'il a clairement dit, puisqu'il a même évoqué le jour de son discours d'investiture, qu'il n'entreprendrait rien de cette nature, avant que celles-ci ne soient libérées. Elles l'ont été.
 
Q.- Mais on est les premiers à le recevoir...
 
R.- Effectivement.
 
Q.- Vous ferez partie des parlementaires qui recevront le colonel Kadhafi à l'Assemblée nationale demain matin ?
 
R.- En l'occurrence, il s'agit d'une invitation qui est faite par le président de l'Assemblée nationale. Je ne sais pas encore vous dire si j'y serais pour des raisons qui tiennent au fait que au moment même où je réunis l'ensemble du groupe de l'UMP, et donc, en l'occurrence, je ne suis pas certain d'y être pour cette raison.
 
Q.- Cela vous arrangera ?
 
R.- Non, je ne suis pas dans cette logique. Je vous dis les choses très directement...
 
Q.- Vous êtes président du groupe UMP, il serait naturel que vous soyez parmi ceux qui recevront le colonel Kadhafi dans ce symbole de la démocratie qu'est l'Assemblée nationale, et peut-être vous n'y serez pas...
 
R.- Peut-être que je n'y serais pas mais pour les raisons que je viens de vous dire. Mais cela dit, ne vous y trompez pas. Ce que je viens de dire est le coeur même de mes convictions ; je crois que le dilemme auquel nous sommes confrontés, qui est un dilemme éternel, la manière dont il est appréhendé aujourd'hui par le président de la République me paraît être la bonne. Je veux juste vous donner une autre illustration de cela - désolé de le dire, mais vous avez des questions tellement essentielles -, une autre explication de cela : c'est que si nous ne prenons pas acte de la démarche qui est engagée par un pays comme la Libye, alors dans ce cas, que faisons-nous d'autres qui n'ont pas cette démarche, comme la Corée du Nord ou l'Iran ? Comment imaginer une politique de l'immigration courageuse si, dans le même temps, on n'y associe pas, par rapport à la Méditerranée, la Libye ? Voilà des questions essentielles.
 
Q.- Vous en parlez, justement, à noter - c'est passé un peu inaperçu - cette interview du fils du colonel Kadhafi, Saïf Kadhafi, dans Le Figaro, samedi. A la question "Êtes-vous intéressé par la proposition d'Union méditerranéenne du Président Sarkozy ", Saïf Kadhafi répond : "Oui, tant qu'elle n'inclut pas Israël".
 
R.- J'ai lu, et bien entendu, cela m'a choqué et montre qu'il faut continuer sur ces sujets de ne rien laisser et de ne pas reculer. Le Président...
 
Q.- Le fils du colonel Kadhafi parle presque comme le Président iranien Ahmadinejad.
 
R.- Mais je l'ai lue. C'est bien pour cela que là-dessus, le président de la République française a dit que c'était tous les pays et qu'en le faisant, il met les pieds dans le plat, je parle de N. Sarkozy, en disant que cela devait inclure tous les pays, l'Union méditerranéenne. Et donc, c'est bien des sujets dont il faut qu'on parle avec le colonel Kadhafi, et sans concessions.
 
Q.- Sans concession ? On va suivre ça attentivement...
 
R.- Mais il vaut mieux parler que de s'envoyer simplement des invectives alors même que nous sommes dans la démarche que je viens de dire.
 
Q.- A. Lagardère était l'invité du Grand Jury, hier. Il a confirmé le fait qu'Airbus procéderait à des délocalisations et il a dit : "l'Etat ne peut pas aller contre les intérêts à moyen et long terme d'EADS". Comment réagissez-vous ?
 
R.- Comme on doit réagir dans ces cas-là, c'est-à-dire de dire que la mobilisation doit être totale pour faire en sorte que notre économie ne soit plus une économie qui génère ce type de délocalisations. D'où le combat que l'on mène pour alléger les charges, pour faire en sorte de créer les conditions de la compétitivité en France. Que voulez-vous que je vous dise ! Parmi les grands boulets, il y a les 35 heures de notre économie, on le sait très bien. Qu'a fait N. Sarkozy ? Il a mis les pieds dans le plat. Je le dis d'autant plus que sur ces sujets, je suis moi-même, depuis longtemps, militant de toutes les formes d'assouplissement. L'intérêt de la démarche de politique économique qu'on mène aujourd'hui, c'est de dire aux Français : "voilà, la rupture, elle est là. On va vous libérer, si vous le voulez, du boulet des 35 heures, pour ce qui concerne pour votre pouvoir d'achat et en même temps, la compétitivité de nos entreprises. Vous allez pouvoir travailler plus pour gagner plus". Et vous savez, nous, les députés, on a qu'une idée par rapport au discours qu'a été celui de N. Sarkozy il y a quelques jours sur le pouvoir d'achat, c'est d'accompagner au maximum, d'être en initiative au maximum sur ce sujet. C'est vrai pour le logement de manière très concrète, on l'a vu ; c'est vrai aussi pour travailler plus, le rachat des RTT. Jeudi matin, j'ai souhaité organiser un débat très important sur ce sujet à l'Assemblée où chacun de nos députés va se spécialiser, dès jeudi et dans les mois qui viennent, sur les différents thèmes pour que notre contribution sur le pouvoir d'achat, de manière très concrète, soit effective.
 
Q.- L'Etat, actionnaire d'EADS, doit-il s'opposer aux délocalisations que prévoit EADS ?
 
R.- Moi, je rejoins volontiers ce qui a été dit par le Premier ministre. Il faut tout faire pour convaincre EADS qu'il y a des raisons de continuer à se développer en France mais il ne faut pas s'y tromper. Par rapport à cela, les raisons de convaincre, elles doivent être objectives. Allégeons les charges, allégeons les procédures, faisons en sorte qu'en ayant des conditions de travail assouplies, ce soit à la fois dans l'intérêt des salariés pour leur pouvoir d'achat et dans l'intérêt des entreprises pour qu'elles ne se délocalisent pas.
 
Q.- Donc il ne faut pas automatiquement s'opposer à la délocalisation d'EADS ?
 
R.- Non. Il faut tout faire, en revanche, pour que les grandes entreprises, que ce soit EADS ou une autre, n'aient pas de raisons de se délocaliser. Et ce, pour une raison simple, parce qu'il ne s'agit pas de couler EADS non plus.
 
Q.- Plus anecdotique, mais la politique est faite de symboles : R. Dati pose en robe de haute couture dans Paris-Match, cela suscite beaucoup de commentaires. En avez-vous un ?
 
R.- Strictement aucun.
 
Q.- Cela ne vous intéresse pas ?
 
R.- Si ce n'est que je l'ai trouvée photogénique, mais qu'elle est surtout talentueuse.
 
Q.- Mais on est d'accord : la politique, c'est affaire de symboles souvent ?
 
R.- C'est vrai. Mais il n'y a pas que la politique qui est affaire de symboles, c'est la vie tout court, surtout dans un monde où les médias sont si présents. Même vous, il m'arrive de vous voir en photo.
 
Q.- Oui, mais pas en robe de haute couture !
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 décembre 2007