Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, à "LCI" le 13 décembre 2007, sur la modernisation de l'Etat et la Revision générale des politiques publiques.

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Circonstance : 1er Conseil de modernisation des politiques publiques, à Paris le 12 décembre 2007, 4 mois après le lancement de la Révision générale des politiques publiques (RGPP)

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

C. Barbier.-  N. Sarkozy a lancé hier la grande réforme de l'Etat, est-ce que ce  n'est pas un habillage, un maquillage pour des réductions de postes  de fonctionnaires tout simplement ? 
 
R.- Non absolument pas. C'est une démarche systématique. Regardez tous  les grands pays qui ont réussi à la fois à être compétitifs et gardé un  haut niveau de protection sociale, le socle, c'est la réforme de l'Etat. Je  reviens du Canada ; le Canada était en déficit, 6 % du PIB il y a  quelques années, il vient de connaître cinq années d'excédents. Je suis  allé au Danemark pour la TVA sociale ; les Danois m'ont dit, "vous  pouvez faire tout ce que vous voulez en termes de réformes  structurelles, si vous ne commencez pas par une vraie réforme de  l'Etat", qui consiste à rendre un Etat plus léger, plus stratège, un Etat  prévoyance, qui fait faire plus qu'il ne fait et qui n'a qu'une  préoccupation, celle de l'usager. Regardez parmi les annonces du  président de la République. Moi, je suis maire d'une commune de 5.000  habitants dans la Drôme, chez moi, on vient, on dépose des documents,  et puis on les envoie à la sous-préfecture à Nyons, pour le permis de  conduire, pour la carte d'identité, pour le passeport. Désormais, avec ce  qu'a annoncé le président de la République, cela se fera chez moi, sur  ma commune. 
 
Q.- En quoi tout cela va créer 1 point de croissance ? 
 
R.- Cela va surtout permettre d'alléger la charge globale de l'Etat et lui  permettre de se concentrer sur ses principales missions. Parmi les  missions que m'a données le Premier ministre, il y a ce qu'il appelle "le  partenariat public-privé". Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ?  L'Etat doit savoir ce que sont ce qu'on appelle "les missions  régaliennes", ce qui relève de lui - par exemple, doter la France  d'infrastructures - mais il n'est pas mécaniquement là pour faire lui-même.  La délégation de service public, c'est quelque chose qu'on a  inventée en France il y a très longtemps. Cela veut dire que l'on peut  avoir le souci du service public mais le faire faire par des opérateurs  privés. Cela a un avantage : on maîtrise les coûts, on maîtrise les  budgets et on n'embauche pas des fonctionnaires. Ce sont des  opérateurs privés qui le font. 
 
Q.- Qu'attendez-vous des préfets de région qui sont un peu les grands  gagnants de cette réforme ? Ils vont vraiment être les patrons de  tous les préfets des départements sous leur autorité. 
 
R.- Je ne sais pas encore exactement comment cela va être décliné.  Simplement, l'idée c'est qu'on voit bien que l'entité régionale est  devenue une entité majeure, notamment sur le plan du développement  économique et qu'il est normal de faire coordonner l'action des préfets  départementaux par les préfets de régions. 
 
Q.- Puisque la région s'impose, est-ce qu'il ne faut pas aller plus loin et  fusionner les conseils généraux et régionaux, et peut-être, à terme,  supprimer le département ? 
 
R.- C'est une question qui se pose. Vous savez que c'est très contredit.  Vous avez l'idée aussi que le département est une échelle de proximité  très intéressante. Je crois surtout qu'il faut préciser les compétences de  chacune des collectivités locales, et probablement leur affecter des  impôts très liés à leurs compétences. Je crois que c'est le sens de la  démarche générale. 
 
Q.- Le but caché n'est-il pas de faire remplir plus de tâches aux  collectivités locales sans leur donner les financements pour le  faire ? 
 
R.- Je crois qu'il n'y a pas de but caché. Il y a eu des buts explicitement dits  par N. Sarkozy en campagne électorale. Ce que vous avez dit sur la  croissance potentielle, avoir un Etat plus souple, plus réactif, plus  proche des citoyens. Regardez, par exemple, cette affaire : vous voulez  divorcer, vous êtes d'accord avec votre conjoint ou votre conjointe sur  le fait qu'il n'y a pas de problème de finance, il n'y a pas de problème  de garde d'enfant, pourquoi passer par le tribunal et par l'entremise  d'un avocat alors que vous pouvez aller le faire directement chez le  notaire ? Vous pouvez conservez le droit de faire autrement, mais si  vous êtes totalement d'accord, cela va très vite chez le notaire. 
 
Q.- Vous n'allez pas fâcher encore un peu plus les avocats, qui perdent  déjà du travail à cause de la réforme de la carte judicaire, qui vont  perdre encore toute cette activité ? 
 
R.- Il faudra probablement discuter avec les avocats. Mais le but du jeu, ce  n'est pas de faire des chiffres d'affaires pour des professions  intermédiaires, c'est de rendre d'abord des services à nos concitoyens et  de leur rendre de l'argent, si je puis dire, lorsque les tâches sont inutiles.  Nous pensons aux usagers d'abord ! 
 
Q.- Toute cette réforme, ce n'est que 20 % du périmètre de l'Etat. Le  prochain train de réformes en, avril, qu'est-ce qui sera visé ? 
 
R.- La RGPP... 
 
Q.- Revue générale des politiques publiques... 
 
R.- ...La revue générale des politiques publiques et les moyens que le  Premier ministre m'a donnés pour faire de l'évaluation des politiques  publiques, vont permettre d'en faire tout le long du mandat. Ce qui s'est  passé hier, ce n'est pas un coup d'épée dans l'eau, c'est une étape sur  un processus long qui va durer cinq ans. 
 
Q.- La prochaine c'est avril donc vous devez déjà avoir une idée ; C'est quoi ? C'est l'éducation nationale, la diplomatie ?... 
 
R.- Tous les ministères sont passés au crible. Il appartient au président de la  République d'en rendre compte le moment venu. Il a déjà dit hier qu'il  traiterait notamment d'assurance maladie, de prestations familiales, etc. 
 
Q.- Le pouvoir a parlé hier aussi de pouvoir d'achat au Conseil des  ministres. La gauche vous promet une bataille d'amendements sur  ces mesures pouvoir d'achat. La gauche dit que ce sont "des  mesurettes", parce qu'en fait, tout dépend du bon vouloir des  patrons, et si les patrons ne veulent pas payer, ne veulent pas  donner, ne veulent pas racheter de RTT, cela ne servira à rien. 
 
R.- D'abord, la gauche et le Parti socialiste sont dans leur rôle, c'est bien  normal qu'ils disent cela. Regardez l'exemple concret qu'a donné X.  Bertrand hier à l'Assemblée nationale. Il dit que pour quelqu'un au  Smic qui va racheter cinq jours de RTT... 
 
Q.- Si son patron le veut bien ! 
 
R.- Si son patron le veut bien, si c'est en accord - il y a des discussions  aussi pour que le salarié puisse demander de lui-même, donc qu'il ait la  maîtrise de ça, cela va faire partie de la discussion à l'Assemblée  nationale -, ce serait 375 euros pour ces cinq jours. Ce n'est pas tout à  fait rien. Il y a deux blocs dans le pouvoir d'achat : le travail à la fois le  rachat de jours de RTT, la participation, déblocage de la participation,  c'est quelque chose d'important. 
 
Q.- Ca, c'est une fois. Une fois que c'est fait en 2007-2008, on ne pourra  pas commencer l'année prochaine... 
 
R.- Oui, mais jusqu'à 10.000 euros exonérés, ce n'est pas tout à fait rien  pour les personnes concernées. Et de l'autre côté, vous avez un bloc  logement : les loyers seront désormais indexés sur l'inflation et  deuxièmement, vous aurez un systhème de mutualisation des cautions  qui peut changer la vie quotidienne de centaines de milliers de Français. 
 
Q.- Cela peut effrayer les propriétaires, on ne va pas avoir envie de  louer son appartement... 
 
R.- Sauf si le système de mutualisation est bien fait et ne leur porte pas  préjudice, justement. 
 
Q.- La croissance n'atteindra pas 2 % en 2007, reconnaît F. Fillon. Estce  qu'il n'est pas illusoire de maintenir un objectif de 2-2,5 %,  comme l'a fait C. Lagarde, pour 2008 ? 
 
R.- Je ne crois pas. Il y a des risques sur la croissance mondiale que l'on  connaît. Il y a la crise dite des "subprimes" et les conséquences, et puis  le prix du baril de pétrole qui est très élevé. Et d'un autre côté, la  croissance mondiale est forte, elle reste très forte, dopée notamment par  la croissance des "pays émergents", comme on dit, la Chine, l'Inde, le  Brésil et quantité d'autres, qui sont à des taux de croissance parfois à  deux chiffres et qui "boostent" - si vous me permettez l'expression -  l'économie mondiale. 
 
Q.- "Il faut travailler plus". Donnerez-vous la semaine prochaine votre  décision sur le lundi de Pentecôte ? Et est-ce que vous proposez de  travailler vraiment ce jour là ou le rétablirez vous comme jour  férié ? 
 
R.- La décision c'est le Premier ministre et le président de la République. 
 
Q.- Et votre conseil, ce sera quoi ? 
 
R.- Je vais proposer, comme ils me l'ont demandé, trois scenarii possibles : je vais dire que le lundi de Pentecôte, c'est plutôt une réussite sur le  plan financier, et je vais dire en même temps que cela pose des  difficultés d'application et esquisser des pistes de sorties possibles, qui  seront ensuite discutées avec les partenaires sociaux. C'est offrir les  choix du possible au Premier ministre. 
 
Q.- La visite du colonel Kadhafi touche à sa fin. Vous avez été gêné par  cette présence encombrante toute cette semaine ?
 
R.- Il y a le père d'une des victimes qui a dit... 
 
Q.- du DC-10 d'UTA ? 
 
R.- Oui, du DC-10 d'UTA, qui a dit que c'était une visite à la fois  douloureuse et indispensable. Je crois que c'est le résumé le plus fort, et  le plus pudique d'ailleurs, que l'on puisse faire de cette visite. Oui, il  faut encourager le retour de Kadhafi et de la Libye sur la voie dite de la  "respectabilité". Je note une chose dans les critiques : je suis surpris que  tant de chefs d'Etat et de gouvernement aient pu aller en Libye ces  dernières années, passer des contrats et être reçus publiquement par  Kadhafi, sans que les infirmières aient été libérées, et que le président  de la République française avait dit, "je ne mettrai les pieds en Libye  qu'après la libération des infirmières", et que cela fasse l'objet de tant  de critiques. Et puis, il faut arrêter l'hypocrisie ; qu'est-ce que cela veut  dire, qu'on peut aller en Libye mais que ce n'est pas une difficulté, mais  que c'est difficile de le recevoir en France ? 
 
Q.- Le recevoir cinq jours, le laisser multiplier les provocations, on en a  peut-être fait un peu beaucoup non ? 
 
R.- Ou alors, disons que la France désormais ne traitera par sa diplomatie  ou par son commerce qu'avec les pays démocratiques. Je n'ai entendu  aucune voix pour le dire. 
 
Q.- C'est suicidaire économiquement de faire cela ? 
 
R.- Cela serait non seulement suicidaire économiquement, mais cela serait  aussi absurde du point de vue diplomatique. Qu'est-ce que cherche à  faire le président de la République ? De mettre la France au coeur de  toutes les négociations internationales. C'est vrai du Liban, c'est vrai du  conflit israélo-palestinien, c'est vrai de l'Amérique latine, etc. La  France redevient la place où l'on discute de toutes les questions  internationales. N. Sarkozy a une obsession, qu'il nous a dite hier en  Conseil des ministres : éviter ce qu'on appelé "le choc des  civilisations". La France n'est pas mal placée par son histoire pour le  faire. Lui redonner du lustre et de la grandeur, parler avec tout le  monde, aller dire aux Etats-Unis "nous sommes vos amis et vos alliés",  mais en même temps discuter avec ceux qui sont les adversaires des  Etats-Unis, si vous me permettez l'expression, ça a de la gueule ! 
 
Q.- Comment avez-vous trouvé l'attitude de B. Kouchner tout au long  de cette semaine ? Troublé, touché, gêné, absent ? 
 
R.- Non, pas absent, digne, respectable, ne cachant pas une forme de  trouble ou de questionnement sur le sens de cette visite. Et en même  temps, disant ce que je viens de vous dire, il faut encourager la Libye à  revenir dans le concert des nations par la respectabilité, par le  renoncement au terrorisme et par le fait que c'est quand même un cas  assez unique dans l'histoire, de quelqu'un qui avait acquis du plutonium  - c'est-à-dire de l'uranium enrichi - pour faire la bombe militaire ; et qui  est le premier chef de l'Etat à l'avoir rendu à l'Agence internationale  dont c'est la fonction. 
 
Q.- Et R. Yade, elle a eu raison de faire sa sortie lundi ? C'est son rôle,  c'est son honneur ? 
 
R.- Raison ou pas, je ne sais pas. En tout cas, c'est sa personnalité, c'est sa  préoccupation légitime. Le président de la République a dit que cela ne  lui avait pas posé problème qu'elle exprime sa diversité. C'est une  femme de talent et de caractère. La question de la gestion  gouvernementale relève du président de la Répub 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 décembre 2007