Déclaration de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur le financement actuel de la dépendance et sur l'articulation envisageable entre financement public et prévoyance individuelle pour faire face aux besoins supplémentaires des prochaines années, Paris, le 15 novembre 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Premières rencontres parlementaires sur la dépendance "Quelles réponses pour couvrir et financer la dépendance ?", Paris, Maison de la chimie, 15 novembre 2007

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'intervenir devant vous pour ouvrir la discussion de cet après-midi, consacrée à la problématique des financements de la dépendance. Je voudrais remercier les organisateurs de ces « rencontres parlementaires » et notamment, Marie-Anne Montchamp qui s'investit avec talent et conviction dans ces sujets. « Quelles réponses pour couvrir et financer la dépendance ? ». Le pluriel utilisé dans le titre de cette table-ronde n'est pas neutre, il traduit deux idées qui seront au coeur des discussions de cet après-midi :
- La première est que la dépendance a plusieurs dimensions : la perte d'autonomie, les soins, l'hébergement. Aujourd'hui, ces trois familles de prestations qui sont fournies aux personnes dépendantes ne relèvent pas des mêmes modes de financement.
- La seconde raison d'utiliser le pluriel tient à la réflexion que nous devons mener sur le juste partage entre solidarité nationale et solidarité familiale, entre financement public et financement privé pour la prise en charge de la dépendance.
Le président de la République a souhaité que la mise en place du 5ème risque s'accompagne d'un investissement plus important des organismes de prévoyance et que l'on tienne mieux compte des capacités contributives et du patrimoine des bénéficiaires
Le sujet, on le voit, est tout sauf simple. Ce sera le grand intérêt des travaux de cet après-midi de confronter les avis, proposer des pistes, mettre en avant les points qui font consensus et ceux qui sont sujets à discussion.
Mon ambition, en ouvrant cette table-ronde, n'est pas d'annoncer le plan de financement de la politique de la dépendance dans les cinq ans qui viennent mais de profiter des échanges de cet après-midi pour éclairer les choix que nous serons amenés à prendre dans les prochains mois.
L'enjeu est d'apporter une réponse adaptée aux personnes dépendantes et à leur famille. Il s'agit en effet d'assurer un accès de chacun aux prestations dont il a besoin, donner à chacun la possibilité de choisir le mode de prise en charge qui lui semble le plus adapté.
Cet objectif guide notre politique de la dépendance. Mais il est confronté aujourd'hui à une progression importante des besoins :
- Le nombre de personnes dépendantes va augmenter significativement dans les prochaines décennies. Les bénéficiaires de l'APA ont dépassé 1 million fin 2006 ; ils seront entre 150 000 et 300 000 de plus en 2012 ;
- Les structures de prises en charge seront appelées à évoluer pour répondre aux attentes des personnes, les personnes dépendantes mais également leur famille.
Les moyens financiers qui seront utilisés pour couvrir ces besoins, vont croître, tous financeurs confondus. La question de la prise en charge des coûts, mais aussi celle de la soutenabilité de leur évolution sont au coeur du débat de cet après-midi.
Pour lancer les débats de cet après-midi sur les modes de financement de demain, je vous proposerai de suivre la démarche suivante :
1/ L'analyse de l'organisation actuelle du financement avec ses qualités, ses points forts, mais aussi ses limites est un préalable obligatoire,
2/ Il nous faut ensuite estimer les besoins à venir, avoir une analyse des prestations qu'il faudrait délivrer aux personnes dépendantes. La situation actuelle est-elle satisfaisante ? Quelles sont nos ambitions ?
3/ Enfin, une fois ces deux questions résolues, la question des financements de la dépendance pourra être posée. Elle est complexe parce que ce qui est en jeu, ce n'est pas une prestation mais un « panier » : des soins, des services ménagers, de l'hébergement, du soutien ... Les réponses à apporter ne sont pas forcément les mêmes selon les prestations à couvrir.
I/ Tout d'abord, le financement aujourd'hui.
En matière de couverture du risque « dépendance », nous devons déjà constater l'effort public que nous consacrons aux personnes âgées dépendantes. Cet effort s'est d'ores et déjà considérablement accru et représentait, en 2006 près de 16 milliards d'euros.
Ils financent des prestations de santé, des services associées à la dépendance et des services d'hébergement qui reçoivent des financements différents.
Les prestations de santé sont prises en charge très majoritairement par l'assurance maladie, une fraction étant financée par la contribution sociale pour l'autonomie. L'enveloppe de soins spécifiques pour les personnes âgées, de l'ordre de 6 milliards d'euros, a évolué de plus de 10 % par an sur les cinq dernières années et va encore progresser en 2008 de plus de 11%.
Mais il ne faut pas oublier que les dépenses de santé des personnes dépendantes ne sont pas toutes prises en charge par le médico-social. Beaucoup des dépenses relèvent des soins de ville mais également des dépenses des établissements de santé. On peut estimer que cela représente de 4 à 5 milliards d'euros supplémentaires.
La contribution des usagers est plus faible que dans la plupart des autres pays puisque beaucoup de personnes relèvent de fait du régime des affections de longue durée.
Le financement des services associés à la dépendance est assuré par l'Allocation Personnalisée pour l'Autonomie pour les personnes les plus dépendantes. L'APA est financée aux 2/3 par les départements et pour le 1/3 restant par la solidarité nationale via la CNSA. Le montant atteint aujourd'hui 4,5 milliards d'euros. La participation de l'usager est variable selon les revenus des personnes : elle atteint en moyenne 30 % des coûts des prestations dépendance. L'action sociale des caisses vieillesse complète les aides pour les moins dépendants.
Et il ne faut pas oublier les aides fiscales et sociales au travers des exonérations de charges patronales, qui représentent des montants très élevés, notamment pour ce qui concerne l'aide à l'emploi d'un salarié à domicile.
Le financement des services d'hébergement dans les établissement hébergeant des personnes âgées dépendants (EHPAD) repose essentiellement sur les usagers. L'aide sociale à l'hébergement attribuée par les départements, les aides au logement comme l'APL peuvent diminuer le reste à charge des personnes les plus modestes. Plus de 80 % des charges d'hébergement sont assumées par les ménages.
Pour autant, cette architecture donne-t-elle toute satisfaction ?
Sur l'architecture globale, je crois qu'elle est globalement pertinente.
Elle est conforme au principe d'universalité de l'assurance maladie, auquel je suis très attaché, et je sais que les associations et les partenaires sociaux le sont aussi : il ne saurait être question de créer une assurance maladie pour les personnes âgées dépendantes.
Ensuite, elle permet de bien identifier les enjeux : la solidarité publique n'a pas vocation à tout prendre en charge, et le curseur entre responsabilité et solidarité ne se place pas au même endroit selon la nature exacte du risque couvert.
En revanche, deux questions se posent dès aujourd'hui :
- celle du financement de l'hébergement est souvent citée aujourd'hui comme une des plus importantes, compte tenu du reste à charge pour certains ménages.
- La deuxième concerne l'offre de places et services avec des besoins non satisfaits qui demeurent malgré les efforts réalisés ces dernières années.
On le voit, les réponses apportées à ces questions d'aujourd'hui sont centrales pour ce que nous mettrons en place à l'avenir. Le diagnostic de la situation actuelle aura forcément un impact important sur l'organisation du financement de demain.
II/ Il nous faut ensuite déterminer les besoins supplémentaires dans les prochaines années.
Ils sont liés essentiellement à deux variables, une qui s'impose à nous - les évolutions démographiques - et une sur laquelle un choix collectif est nécessaire - le niveau et la qualité des services.
Les prévisions démographiques font état d'une progression rapide des personnes de plus de 85 ans. Les estimations concernant le nombre de personnes âgées dépendantes sont plus incertaines : elles dépendent de l'évolution de l'espérance de vie des personnes dépendantes mais aussi de l'évolution de la prévalence de la dépendance chez les personnes âgés. On vit plus longtemps mais en meilleure santé. Les différentes études convergent sur une croissance de l'ordre de 1% par an en moyenne, avec une accélération maintenant, entre 2005 et 2020, puis entre 2030 et 2040.
Au-delà des évolutions démographiques, les choix sur la qualité des prestations offertes aux personnes dépendantes auront un fort impact sur les besoins de financement. Est ce que le volume de soins, de services est suffisant ? Quelle devrait être le niveau de prestations à fournir ?
La réponse à cette question influencera fortement le coût de notre politique, induira des choix en matière de financement. Nous connaissons les difficultés soulevées par les maladies neurodégénératives, maladie d'Alzheimer principalement. Ces personnes nécessitent un niveau d'assistance particulièrement élevé, et nous devons réfléchir à une prise en compte plus juste de ces besoins spécifiques.
C'est pourquoi, je considère vraiment que le droit à compensation doit être un droit personnalisé et l'éligibilité à ce droit, basée non sur l'âge ou sur un taux d'incapacité mais sur la réalité des difficultés de la personne à accomplir les actes du quotidien.
III / Dans ce contexte, la part de la richesse nationale consacrée à la dépendance va progresser. Comment financera-t-on ces besoins ?
Plusieurs rapports ont permis de faire le point sur ces enjeux et d'esquisser des scénarii : le rapport du Centre d'analyse stratégique, le rapport de Mme Gisserot que j'ai déjà cité, le rapport de la MECSS, et enfin le rapport que le Conseil de la CNSA a adopté le 16 octobre dernier et qui vient d'être remis à Xavier Bertrand et Valérie Létard.
Deux principes doivent guider nos réflexions :
- la solidarité, car il faut veiller à affecter les aides à ceux qui en ont le plus besoin, veiller aussi au niveau du reste à charge des personnes.
- la responsabilité, car nous devons assurer la soutenabilité financière de ce « 5ème risque » et ne pas reporter les charges de financement sur nos enfants. Il nous faut définir un équilibre qui soit compatible avec nos enjeux de maîtrise des finances publiques, avec nos engagements de retour à l'équilibre et notre volonté de ne pas augmenter le taux de prélèvements obligatoires.
Il me semble d'ailleurs que nous devons réfléchir à la manière de tenir compte des capacités contributives, du patrimoine des personnes dans l'intervention de la solidarité collective.
A ce stade, je poserai quelques jalons qui seront discutés cet après-midi.
1/ Quelle est notre capacité de redéployer des dépenses publiques pour faire face aux besoins nouveaux ?
Avant d'envisager de nouveaux prélèvements obligatoires, il est nécessaire d'examiner les possibilités de redéploiement des dépenses, y compris dépenses fiscales.
Peut-on notamment transformer des places en hôpitaux en places pour personnes âgées dépendantes : nous savons que nous avons des capacités excédentaires dans certains secteurs à l'hôpital, en lits de chirurgie par exemple, alors que les besoins sont croissants dans le secteur médico-social. Peut-on et comment organiser cette reconversion ? Ces questions ne sont pas neutres quand on calculera les coûts de notre politique.
En matière de dépenses fiscales, la question se pose d'un meilleur ciblage des aides fiscales sur le financement de la dépendance.. Dans son rapport en 2005 sur les personnes âgées dépendantes, la Cour des comptes relevait que les allègements fiscaux consentis aux personnes âgées de plus de 60 ans s'élevaient à plus de 6,5 milliards d'euros, sur lesquels seuls 273 Meuros étaient spécifiquement consacrés à la dépendance.
2/ Quelle doit être la place des financements publics et comment mieux les articuler ?
Sécurité sociale et CNSA Conseils généraux, Etat contribuent aujourd'hui au financement public de la dépendance.
On peut s'interroger sur le partage des rôles entre niveau local et niveau national. Aujourd'hui, un tiers des dépenses d'APA sont financées par un concours de la part de la solidarité nationale. Ce concours est réparti par la CNSA afin de garantir le plus grand niveau d'équité territoriale. Cette organisation me semble être la bonne. Evidemment, on peut débattre de la clé de répartition exacte. Je crois néanmoins nécessaire de concilier équité et responsabilité, dans la mesure où ce sont les départements qui sont, et devraient rester, les prescripteurs de la dépense.
3/ Quel doit être le rôle de la prévoyance individuelle et collective
Je crois d'abord nécessaire d'insister sur la spécificité du risque de perte d'autonomie liée à l'âge : par définition, c'est un risque qui intervient tard dans la vie ; c'est également un risque qui peut être anticipé individuellement - je crois que les Français en ont de plus en plus conscience, ce qui va favoriser les comportements de prévoyance personnelle et collective. Mais c'est aussi un risque coûteux, en raison de l'intensité de l'aide qui peut être nécessaire. Il s'agira en conséquence d'identifier les bons curseurs pour déterminer la part dévolue respectivement à la responsabilité et à la solidarité.
Le secteur assurantiel s'est d'ores et déjà bien développé en France sur ce segment de marché. La France est même le 2ème marché après les Etats-Unis et plus de 2 millions de personnes bénéficient d'une assurance dépendance. Il faut tirer avantage de cette expérience et favoriser le développement de la prévoyance dans ce domaine. Sous quelle forme, cela reste à déterminer. Il faut bien identifier les éventuels obstacles au développement de la prévoyance individuelle ou collective pour déterminer les meilleurs leviers d'action, et éviter les effets d'aubaine coûteux pour les finances publiques. Comme en matière de santé, le développement éventuel des complémentaires ne devra pas se faire au détriment des ménages les plus modestes, pour lesquels des aides spécifiques pourront le cas échéant être conçues.
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs,
Je suis sûr que les débats de cet après-midi permettront d'avancer des éléments de réponse aux diverses questions que je viens de poser en guise d'introduction. Il s'agit d'enjeux majeurs, et nous avons donc besoin que le débat et la concertation soient nourris de contributions de tous les horizons.
Je vous remercie.Source http://www.localtis.info, le 20 décembre 2007