Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à "LCI" le 17 décembre 2007, sur les mesures sur le pouvoir d'achat, la réforme de l'Etat et les propositions sur les contrats de travail.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
C. Barbier.- Evacuation musclée des tentes de SDF installées par les Don Quichotte à Paris. Etes-vous choqué ?
 
R.- Choqué par les images, oui bien entendu. C'est quand même un problème qui n'est pas nouveau, qui ne concerne pas que la France, bien entendu. C'est vrai, d'abord, c'est choquant dans un pays comme le nôtre, riche, qu'il y ait des SDF. Et je rappelle que y compris dans cette population il y a des gens qui travaillent.
 
Q.- Est-ce qu'il n'y a pas un peu de provocation quand même des Don Quichotte ?
 
R.- C'est le côté médiatisation. Et d'ailleurs cela marche, puisque tout le monde en parle. Mais en même temps, il y a un côté scandaleux que dans un pays aussi riche que le nôtre, - mais c'est valable dans les autres pays autour de nous - il y a des gens qui dorment dehors.
 
Q.- Réunion aujourd'hui entre ministère et syndicats sur le pouvoir d'achat des fonctionnaires. "Aucun fonctionnaire ne perdra de pouvoir d'achat a promis", E. Woerth, hier soir, au Grand jury- RTL-LCI. Vous le croyez ?
 
R.- On va voir quelles sont les propositions du Gouvernement, ce que monsieur Woerth va mettre sur la table aujourd'hui. Je rappelle que ces fédérations de fonctionnaires, dont FO, nous réclamons de traiter l'indice, qu'il y ait des augmentations générales. Alors comment le Gouvernement va répondre à cette revendication ?
 
Q.- Il répond que ce n'est pas la bonne piste l'indice, c'est mécanique, où il faut être plus subtil.
 
R.- Non, ça c'est de la communication. Parce que c'est toujours le vieux débat entre les augmentations en masse, où le patron tient compte de tout - de l'ancienneté, des promotions, etc. -, c'est la vision comptable des choses et la vision individuelle du salarié qui, lui, veut voir son pouvoir d'achat garanti.
 
Q.- Au mérite par exemple ? Sur la performance des fonctionnaires ?
 
R.- On ne peut pas éluder la question de l'augmentation générale. C'est ce qui fait aussi une solidarité entre l'ensemble des salariés les augmentations collectives. Et on le voit très bien d'ailleurs, c'est en train de revenir. Parce que ne pas faire d'augmentation collective, "c'est tuer la culture d'entreprise", entre guillemets. Donc il y a l'augmentation générale, après il peut y avoir d'autres types d'augmentations. Mais l'augmentation générale doit être sur la table aujourd'hui.
 
Q.- 35.000 fonctionnaires de moins par an, à partir de 2009 annonce également E. Woerth. Acceptez-vous ces coupes claires qui semblent nécessaires pour réformer l'Etat ?
 
R.- Non. Parce que cela procède d'une mauvaise méthode. D'abord, 35.000, là aussi, c'est encore une vision budgétaire : il faut supprimer tant de postes pour gagner tant et faire tant d'économies par rapport aux dépenses. Voilà, cela c'est la logique. Nous, ce que nous demandons - et nous avions d'ailleurs eu un accord du président de la République, mais il n'a pas été tenu cet accord -, c'est qu'on ait un vrai débat sur quel le rôle, quelles sont les missions du service public dans notre République. Là, on nous annonce la semaine dernière, par exemple, la Revue générale des politiques publiques...
 
Q.- C'est ça, c'est redéfinir des missions, c'est rapprocher les administrations, faire travailler ensemble...
 
R.- Avec qui en a-t-on a discuté ? Cela s'est traité entre quelques personnes, le secrétaire général de l'Elysée, le directeur de cabinet du Premier ministre, qui ont annoncé toute une série de mesures, qui risquent d'ailleurs d'avoir des conséquences. Est-ce que demain, il est intelligent, par exemple, de vouloir privatiser le service du permis de conduire ?
 
Q.- Vous êtes sûr qu'on va aller dans ce sens-là ?
 
R.- Pour le moment, on dit, - je prends cet exemple mais je pourrais en prendre d'autres - "le permis de conduire doit être confié à un opérateur". Qu'est-ce que cela veut dire cela ? Et sous prétexte que les files sont trop longues - s'il n'y a pas assez de monde, il faut recruter -, donc il n'y a pas assez de reçus. On va le donner à tout le monde le permis, avec les problèmes de sécurité routière ?! Vous voyez ce que je veux dire, c'est annoncé et qui plus est, sans débat, sans concertation, sans rien.
 
Q.- La Revue générale continue, il y a un nouveau train pour avril. Etes-vous candidat pour aller débattre avec les ministres ?
 
R.- Non, ce n'est pas comme cela. Nous, ce que nous avons demandé, - et tant que nous n'aurons pas ça, nous ne discuterons pas - c'est un vrai débat sur quel est le sens, quel est le rôle des missions du service public, d'une manière générale, dans notre République. Tout le monde se dit attacher aux principes républicains, dont l'égalité. Qu'est-ce que cela suppose comme structure d'organisation ? Après, on regarde la réforme, mais au moins qu'il y ait une lisibilité à moyen - long terme. La seule lisibilité qu'on a aujourd'hui à moyen - long terme, c'est "il faut dépenser moins". Ce n'est pas une réponse.
 
Q.- Demain, l'Assemblée nationale débat des mesures sur le pouvoir d'achat. La gauche promet une bataille d'amendements. La gauche a raison de combattre ou, au contraire, vous souhaitez que cela aille vite, que ces mesures soient vite adoptées ?
 
R.- Ces mesures ne répondent pas à ce que nous demandons.
 
Q.- 1.000 euros de prime, par exemple, dans les PME, c'est bien !
 
R.- Attendez ! La dernière fois, il n'y en a pas eu tellement qui l'ont eu. C'est la deuxième fois, le gouvernement de monsieur de Villepin avait fait la même chose, une prime possible de 1.000 euros. On va la demander dans les entreprises, mais beaucoup d'entreprises ne l'auront pas, ne l'accorderont pas cette prime de 1.000 euros. Deuxièmement, le paiement des jours de RTT : on n'est pas contre une monétisation, cela existait déjà...
 
Q.- Pourquoi voulez-vous le limiter ?
 
R.- Parce que. Je vais prendre un exemple : prenez le cas d'un jeune cadre qui est au forfait, qui travaille 218 jours, et qui a des durées de travail journalières qui peuvent aller parfois jusqu'à douze ou treize heures. S'il n'a plus ses jours de RTT, cela veut dire qu'on va porter atteinte à la santé au travail. Donc on ne peut pas, comme ça, tout mettre dans les jours de RTT. Qu'il y ait une partie qui soit vendue, OK mais après, il y a des problèmes de prise en charge des cotisations, puisque ce sont des pertes de recettes pour la Sécurité sociale. Mais ces éléments-là ne répondent pas globalement au problème du pouvoir d'achat. Nous avions émis d'autres revendications sur le pouvoir d'achat et pour le moment, on n'a pas de réponse.
 
Q.- Négociations entre patronats et syndicats sur le marché du travail, ça continue. Est-ce qu'elles seront achevées pour le 31 décembre ou bien déborderez-vous sur 2008 ?
 
R.- C'est déjà décidé d'ailleurs, puisqu'il y a deux dates de prévu, le 9 et le 10 janvier. Cela n'ira pas beaucoup plus loin mais on avait besoin de quelques jours supplémentaires pour finir la négociation. Ce sera le cas, il y a déjà des réunions programmées pour le 9 janvier. Ce n'est pas un drame si cela dure quinze jours ou trois semaines de plus.
 
Q.- Mais pour quoi ce retard ? Cela bloque sur la rapidité de rupture du contrat de travail ?
 
R.- Ce n'est pas facile comme négociation, je l'ai dis dès le départ, pour tout le monde d'ailleurs, syndicats et patronat. Cela avance, je ne sais pas, on ne peut pas préjuger de l'issue de la négociation. FO a émis des propositions, y compris sur le contrat de travail. Donc nous attendons des réponses de la part du patronat. Maintenant, ce n'est pas parce que le Gouvernement avait dit le 31 décembre, si cela prend quinze jours de plus ce n'est pas un drame.
 
Q.- Le patronat propose par exemple un CDI de projet. On est en CDI mais on sait quand cela va se terminer et on aura 10 % de la rémunération totale en indemnité. Cela vous va comme contrat ?
 
R.- Non. On a objecté, FO et trois autres organisations d'ailleurs, que nous étions prêts, à condition de bien l'encadrer, non pas sur un CDI mais à regarder sur un CDD, mais bien encadré. On est plutôt sur une piste CDD que sur une piste CDI.
 
Q.- Et le contrat de transition professionnelle proposé par l'Elysée, c'est-à-dire qu'un salarié qui perd un travail touche 80 % de sa rémunération pendant un an ; c'est bien ?
 
R.- Cela, cela existe !
 
Q.- Mais cela coûte cher !
 
R.- Cela coûte cher, oui, mais cela existe. Cela a été mis en place par monsieur Borloo et monsieur Larcher quand ils étaient au ministère du Travail. C'est un système qui existe, qui coûte cher, mais oui, on avait soutenu ce contrat de transition professionnelle.
 
Q.- En ce moment, continuent également les négociations sur les régimes spéciaux de retraite. Etes-vous satisfait ou bien vous menacez toujours d'une grève dans les transports, par exemple, pour les vacances de Noël ?
 
R.- Non, pour les vacances de Noël, il n'y a pas de menaces de grève dans les transports. La négociation se poursuit, plus ou moins bien selon les entreprises. Ceci étant, quand elle sera terminée, il y aura un point qui sera fait et les syndicats débattront : est-ce qu'on a obtenu suffisamment ou pas ? Et c'est à ce moment-là qu'on saura si le mouvement est vraiment terminé ou pas.
 
Q.- Là, on ne déborde pas sur 2008, le Gouvernement veut prendre les décrets avant le 31 décembre.
 
R.- On va voir. Je ne sais pas, je n'ai pas la date au moment précis, au moment où le Gouvernement prendra ces décrets. J'ajoute en plus que quand les décrets seront prêts, il faudra à peu près trois semaines à un mois de concertation, y compris, par rapport au Conseil d'Etat, etc. Donc une fois que les projets de décrets seront prêts, il faudra trois semaines, un mois, de concertation. Donc je ne sais pas à quel moment précis il va les sortir.
 
Q.- Le travail du dimanche est en voie d'autorisation dans les magasins d'ameublement. FO lance une pétition, une carte pétition contre ce travail. Pourquoi, si les salariés veulent travailler beaucoup plus le dimanche pour gagner beaucoup plus ?
 
R.- Parce que cela relève de plusieurs problèmes. D'abord, le Gouvernement dit qu'il ne veut pas remettre en cause le travail le dimanche, or il n'arrête pas de le remettre en cause progressivement, par exemple avec l'ameublement. La volonté, c'est de banaliser le travail le dimanche. Quand le dimanche sera banalisé, il ne sera pas payé plus qu'un autre jour. Regardez en Italie, c'est comme cela que cela se passe. Le dimanche est banalisé, eh bien c'est payé comme un jour comme les autres. Donc le fait qu'ils soient payés plus, c'est parce que c'est une dérogation ; premier élément. Deuxième élément, il y a des questions qui dépassent le travail : est-ce que l'on doit conserver un jour dans la semaine où on peut vaquer avec ses amis, avec sa famille, enfin faire ce que l'on veut ? Si le dimanche est un jour banalisé, il n'y aura plus cette possibilité.
 
Q.- Le Medef propose de rajouter quelques dimanches, huit ou dix. Avec ceux qui existent déjà, cela ferait une quinzaine ou vingtaine.
 
R.- Déjà la situation, c'est cinq dimanches autorisés aujourd'hui, plus les dérogations sur les zones touristiques, plus d'autres dérogations. C'est déjà pas mal ! Le pouvoir d'achat n'est pas extensible à l'infini. C'est d'abord cela qui guide la consommation et rien d'autre.
 
Q.- Mercredi a lieu la conférence sur les réformes prévues pour 2008, les réformes sociales. Cela se présente bien, c'est une bonne méthode ?
 
R.- On ne va pas discuter sur le fond, si j'ai bien compris mercredi, c'est sur l'agenda. Par définition un agenda ce n'est pas fermé. Les pouvoirs publics, le Gouvernement, le Président vont dire, "nous on voudrait mettre cela à l'ordre du jour". FO va expliquer "sur tel ou tel point, on est en négociation ou on va négocier, laissez nous négocier". Et je n'exclus pas, si certains thèmes ne sont pas abordés, de les mettre sur la table, par exemple, le travail le dimanche ou les conséquences de la Revue générale des politiques publiques.
 
Q.- On aura, à coup sûr en 2008, le régime général des retraites qui viendra sur le calendrier des réformes. Vous battrez-vous contre les 41 ans de cotisations obligatoires pour tout le monde ou bien vous en faites votre deuil, puisque c'était déjà prévu dans la loi de 2000 ?
 
R.- Non ! J'ai même un mandat du congrès de FO, pour exiger ce que j'appelle "le blocage des compteurs à quarante".
 
Q.- En échange, que donnez-vous ?
 
R.- On est en train de finaliser nos revendications, à la fois ce qu'on va demander et comment on peut le financer. Nous considérons qu'on ne peut pas traiter ce dossier en dehors de la situation économique, en dehors des questions de répartition. Il y a le problème de la durée, il y a le problème de la pénibilité, c'est d'ailleurs lié au problème de la durée - dossier qui n'a pas avancé. Il y a le problème de l'emploi des seniors, comment faire travailler des gens plus longtemps, alors qu'on continue à les virer après cinquante ans ? Il y a le problème du niveau des retraites et pensions. On est en train de refabriquer des retraités et des pensionnés pauvres. Donc on veut mettre tout cela sur la table en 2008, au moment du débat avec le Gouvernement.
 
Q.- Au 1er janvier 2008, le service minimum dans les transports est censé s'appliquer. Vous demanderez à vos adhérents de se déclarer grévistes 48 heures à l'avance ?
 
R.- Le meilleur moyen, c'est que tout le monde se déclare gréviste. C'est cela le meilleur moyen, c'est que tout le monde se déclare gréviste ! Dans ce type de situation, quand il y a un conflit, y compris dans les pays où un service minimum existe, si le conflit doit partir, il part qu'il y ait service minimum ou qu'il n'y ait pas service minimum.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 décembre 2007