Déclaration de M. Jacques Voisin, président de la CFTC, sur l'égalité des chances, les 90 ans de la CFTC, le syndicalisme chrétien et l'unité syndicale au sein de la CFTC, Paris le 5 décembre 2007

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Circonstance : Forum CFTC de l'égalité des chances à Paris les 4 et 5 décembre 2007

Texte intégral

D'emblée, je tiens à vous remercier du fond du coeur pour la réussite de ces deux journées de travail et plus particulièrement de celle que nous venons de vivre aujourd'hui. Merci à toi José, à toi, à toi ... Merci à chacun de vous pris individuellement, car vous êtes « uniques » comme personne. Merci à vous tous, collectivement, « unis » dans un même combat au service des salariés, des demandeurs d'emploi, des retraités et de leur famille. Merci à vous individuellement et collectivement pour cette CFTC que vous animez et que vous construisez.
Ensemble, au cours de ces deux journées de travail, nous avons révisé les lois des mathématiques : 1 + 1, ne font plus 2, 1 + 1 font beaucoup plus que 2. Ensemble, nous avons démontré que le slogan présenté ce matin - « tous uniques, tous unis » - est bien plus qu'un slogan de campagne, il est le reflet de ce que nous sommes, de notre conception du syndicalisme. Un militant fidèle me disait récemment dans un cri du coeur : « dis-moi que tu as besoin de moi ! » Sa supplique sonnait comme un reproche de ne pas être suffisamment aux côtés de ces militants qui, chaque jour, sur le terrain, accomplissent un travail de titans sans autre récompense que la satisfaction du travail accompli. Confidence pour confidence, je suis le premier à regretter de ne pas pouvoir aller suffisamment sur le terrain, pour soutenir votre action. Et puisqu'il est dans la salle j'ai envie de lui redire ma réponse : « non, ce n'est pas moi tout seul ai besoin de toi, c'est nous tous qui avons besoin de toi ».
Après ces deux journées, Jacky, Philippe, Gabrielle, Pascale, moi-même et tous les membres du Bureau confédéral, nous repartons revigorés, ressourcés, confiants dans votre engagement dans la campagne prud'homale qui s'ouvre, sûrs de la victoire qui s'annonce ; fiers de la CFTC. De cette CFTC que certains voudraient voir se fondre dans un magma informe, sans cohérence, sans logique d'un pôle syndical réformiste. L'éditorialiste d'un hebdomadaire, ancien militant de la CFDT, écrivait récemment : « La division CFDT-CFTC n'a plus de raison d'être, l'action de la seconde n'étant pas plus chrétienne que celle de la première ». Et vous qui êtes sur le terrain, avez-vous envie de rejoindre la CFDT ?
Non, bien sûr, vous ne le souhaitez pas ; vous ne pouvez même pas l'envisager tant nos motivations sont différentes. Certes, cette confédération partage des valeurs communes avec la CFTC : la solidarité, la liberté, la responsabilité, la justice sociale, la paix, la participation démocratique, l'exigence d'un développement durable... autant de valeurs qui sont largement partagées dans notre société parce qu'elles sont le fondement même d'une société démocratique. Mais, ce qui rend la CFTC incontournable et irremplaçable dans le paysage syndical français, ce qui lui confère sa légitimité, ce qui donne un éclairage particulier et un sens profond à ces valeurs, c'est son exigence de respect de la dignité des personnes, son appel à la fraternité, en particulier vis-à-vis des plus fragiles. Par l'inspiration sociale chrétienne qui anime la CFTC, ces valeurs traduisent une vision de la personne et de son avenir et s'inscrivent dans des principes d'action : souci du bien commun et volonté de permettre à chacun de jouer pleinement son rôle dans la société. Une autre illustration du « tous uniques, tous unis ».
Le projet de Statut du Travailleur montre qu'il s'agit d'une inspiration concrète, non théorique. C'est parce que la CFTC souhaite que soit respectée la dignité de la personne qu'elle entend mettre en place les dispositifs rassemblés dans le Statut du Travailleur pour sécuriser les parcours de vie. Le travailleur n'est pas uniquement un producteur de biens ou de services, il peut, aussi, être père de famille, militant associatif ou syndicaliste ; il peut, également, être en formation ou demandeur d'emploi. Le Statut du Travailleur prend en compte ces différentes dimensions en proposant des dispositifs qui assurent des garanties dans la vie professionnelle, permet l'accomplissement des personnes, et offrent la possibilité de vivre tous les temps de vie.
Cette inspiration qui guide la CFTC crée des comportements syndicaux spécifiques de la part des militants de la CFTC :
- la proximité et la disponibilité pour être en situation d'écoute et de service,
- l'ouverture aux autres,
- la capacité de mener des actions en commun,
- l'esprit d'indépendance pour être fidèle aux intérêts des travailleurs que nous représentons,
- une attitude positive dans la négociation pour construire des accords durables,
- la contribution à la formation des travailleurs pour favoriser leur épanouissement...
L'inspiration sociale chrétienne permet donc à la CFTC de développer une action qui répond aux besoins et aux défis de notre temps, en restant fidèle à elle-même et en s'inscrivant dans la continuité de ses fondateurs. Cette continuité et cette capacité d'adaptation sont une source d'espérance d'autant plus forte qu'elle n'est pas porteuse d'intérêts catégoriels ou particuliers, mais qu'elle est au service du bien commun. C'est ce qui lui donne sa force et l'assurance qu'elle est au service de chacun.
La CFTC fêtera bientôt ses 90 printemps. En quatre-vingt dix ans, que de chemin parcouru. Les conquêtes sociales auxquelles elle a contribué et dont, pour nombre d'entre elles, elle a été à l'origine ne se comptent plus : le salaire minimum, c'est la CFTC, les allocations familiales, c'est la CFTC, les conventions collectives, et plus près de nous, les conventions de conversion, l'allocation parentale d'éducation l'alarme sociale ...
Bravo ! Encore une illustration du « Tous uniques, tous unis » !!!
Certes, l'époque a changé, les mots pour exprimer nos revendications ont évolué, nos revendications elles-mêmes ont évolué pour s'adapter aux bouleversements qui se sont produits dans la sphère économique et sociale, mais les principes qui guident notre action demeurent. Qui osera prétendre que ces conquêtes, fruit de la négociation et de la volonté de construire une société plus juste, plus humaine, plus à l'écoute de la personne, ne sont rien ? Qui osera prétendre que, demain, tout cela n'existera plus au nom du réalisme économique, de la concurrence mondiale, de la compétitivité des entreprises et de la guerre économique ? Aux « trente glorieuses » ont succédé « les trente honteuses ». Trente ans de dégradation des conditions de travail, trente ans de recul de la protection sociale, trente ans d'austérité salariale, trente ans de restructurations, de délocalisation, de désindustrialisation, trente ans d'augmentation du chômage, trente ans d'accroissement de la pauvreté.
Et que nous propose-t-on pour y remédier ? Une revalorisation du travail par des augmentations de salaires ? Non ! Une relance l'investissement productif ? Non ! Un blocage des loyers ? Le chèque transports ? Une diminution des prix de l'essence à la pompe ? Non ! Faute de marges de manoeuvre, on nous propose des « réformes structurelles » qui devraient consister, à condition que la théorie économique qui les fondent, à revenir un peu plus encore sur les conquêtes sociales, à instaurer plus de flexibilité, de concurrence, de compétitivité ; on créent des franchises médicales, on consent une augmentation des revenus de substitution, on accroît le contingent d'heures supplémentaires, et, cerise sur le gâteau, on réécrit le code du travail...
Dans ce contexte, la défense des salariés doit s'affirmer comme une urgence de notre part. Nous sommes armés pour relever ce défi : d'abord, par notre présence sur le terrain, dans les entreprises et les administrations ; ensuite, par notre conception du syndicalisme qui consiste en une prise en compte du caractère unique de chaque salarié et de la spécificité de ses demandes ; enfin, par notre approche des relations sociales qui consiste à placer l'homme au centre de l'économie.
Pour la CFTC, l'économie dans toutes ses composantes - investissement, production, distribution, consommation - est faite pour l'homme ; et non pas l'homme pour l'économie. L'économie est un moyen d'améliorer ses conditions de vie, de s'épanouir, et ne saurait être une fin en soi. L'économie doit permettre à l'homme d'atteindre le bonheur et non de l'asservir à la machine ou au marché. L'homme n'est pas une charge - un boulet, comme on dit aujourd'hui - pour l'entreprise ; il n'est pas non plus un investissement, encore moins une ressource, il est la raison d'être de notre système économique et social. L'entreprise qui le malmène a tendance à l'oublier.
La CFTC, comme l'ensemble du mouvement social, est à un tournant de son histoire. Après le gouvernement (qui souhaite fonder la représentativité sur l'audience aux élections professionnelles dans les entreprises), le patronat a enfoncé le clou, en proposant de fixer à 12,5 % des suffrages des salariés le seuil qui fonderait la représentativité des organisations syndicales. Aujourd'hui, Jacques Attali propose de fixer ce seuil à 15 %... On délire... Cette réforme aurait pour effet de réduire le nombre des organisations syndicales représentatives. Sous couvert de vouloir « renforcer le syndicalisme », si elle voit le jour, elle aura pour effet d'affaiblir la négociation sociale, de précipiter le recul des droits des salariés sans contrepartie. Le fait de réduire à deux, voire trois, le nombre d'organisations syndicales n'est pas conforme à la culture de notre pays. Dans la vie politique comme dans la vie syndicale, les Français refusent les simplifications excessives.
Le syndicalisme d'inspiration chrétienne peut continuer à attirer ceux qui ne se satisfont pas du caractère par trop revendicatif de certaines organisations, ou de la stratégie d'accompagnement de certaines autres. Le syndicalisme d'inspiration chrétienne peut attirer les salariés qui partagent notre conception des rapports sociaux, fondée sur la négociation et la volonté de construire des relations sur la confiance et non sur le rapport de force. Le choix d'un syndicalisme constructif se traduit, en effet, pour la CFTC par la priorité donnée, à travers la négociation, à la recherche des accords les plus solides et les plus durables possibles. La négociation, qui découle directement des principes d'action sociaux-chrétiens, vise à rechercher, dans le souci du bien commun, une position durable acceptée par ceux-là même qui, au départ, s'opposaient. Elle permet, dans les entreprises, dans les branches professionnelles, dans les territoires comme au niveau national, de faire se rencontrer les hommes, d'organiser entre eux le progrès social. Cette approche novatrice, au point d'être copiée par d'autres, démontre la nécessité de la CFTC.
L'accord auquel aboutit la négociation est un engagement réciproque que l'on espère le plus durable possible, comme une sorte « d'accord à vivre » et non pas comme la sanction du rapport de forces. Pour la CFTC, le fait de signer un accord, ce n'est pas se renier, ce n'est pas renoncer à ses valeurs, ce n'est pas s'abaisser ; signer un accord, c'est prendre ses responsabilités. On comprend mieux pourquoi certaines organisations qui passent leur temps à dénigrer, n'ont jamais souhaité signer, y compris des avancées sociales qu'elles se sont attribuées par la suite.
Malgré tout ce que nous avons fait, malgré tout ce que nous faisons, la CFTC souffre d'un déficit de notoriété. Pour y remédier, je vous propose de communiquer sur ce que vous entreprenez, et sur les réussites de vos actions. Car ce que vous faites est remarquable. Des progrès ont été faits en la matière : quand nous nous déplaçons en région à l'occasion des congrès, il est rare que nous ne passions pas au journal de France 3 ou que nous ne bénéficiions pas d'un article dans la presse quotidienne régionale. Il faut aller au-delà : nous en avons les moyens : des référents com' ont été mis en place dans chacune de nos structures, un observatoire du Statut du Travailleur existe qui recense toutes nos réussites. Il faut s'appuyer sur ces deux outils comme d'un levier. Un mathématicien grec de l'Antiquité disait : « donnez-moi un point d'appui et je soulève la terre ». Je m'engage à vous donner tous les points d'appui dont vous avez besoin pour élever la CFTC, la rendre plus solide, toujours plus forte au service des plus démunis, au service des salariés, des demandeurs d'emploi, des retraités et de leur famille qui réclament justice et que personne n'entend pour faire connaître leurs souffrances, leurs attentes, leurs aspirations mais aussi leurs espoirs.
Notre slogan de campagne, vous l'avez compris sera : « tous uniques, tous unis ». Toutes les études que nous avons fait réaliser montre que ce qui différencie la CFTC, ce qui fait sa spécificité dans le paysage syndical français repose sur l'attention porté au salarié en tant que personne. Pour la CFTC, chaque salarié est plus qu'un salarié, c'est une personne à part entière avec une vie professionnelle, certes, mais aussi avec une vie personnelle, familiale, associative, spirituelle... Cela implique que nous soyons à ses côtés pour défendre ses différences, sa liberté, pour favoriser son autonomie et sa responsabilité. Chaque homme est important, nécessaire, irremplaçable. La CFTC, dans ses combats, est la seule organisation syndicale à prendre en compte toutes ces dimensions. Pour autant, cette personne vit dans une société et s'inscrit dans un collectif ; le développement de ses talents s'appuie sur le collectif. Nous sommes, donc, confrontés à un double défi : mettre en avant la personne tout en valorisant le collectif. Il est développé dans le Statut du Travailleur fondé sur les droits et les devoirs de chacun. La voie qu'il trace est ambitieuse, elle est à la hauteur des espérances de la CFTC pour construire une société meilleure fondée sur l'épanouissement des personnes. Grâce à vous, à votre travail, à vos engagements, nous atteindrons cet objectif.
Pendant trop longtemps, la CFTC a eu peur de gagner !
Il faut abandonner cette attitude mortifère !
Il faut lever la tête !
Il faut être fier de ce que nous sommes, car nous sommes en phase avec la société française de ce début de XXIe siècle qui est en attente d'un projet de société porteur de valeurs et d'espérances.Source http://www.cftc.fr, le 14 décembre 2007