Texte intégral
Il est rare que la commémoration d'un événement de l'histoire de France puisse se produire dans une complète unanimité. Le général de Gaulle stigmatisait la propension des Français à la division, propension dont il plaçait d'ailleurs l'origine chez les gaulois, ces ancêtres que nous ont donnés les manuels d'histoire de la IIIe République. Or, cette propension se nourrit d'une réinterprétation permanente de notre passé. Chaque mouvement politique ou social ne tarde pas à s'approprier tel événement ou tel grand homme pour légitimer ses revendications ou justifier ses prises de position. Tout fait historique, même s'il appartient aux époques les plus reculées, peut ainsi devenir le sujet d'une controverse moderne.
Si l'on jette un regard sur les anniversaires que nous avons célébrés au cours de la décennie passée, on ne peut que vérifier ce propos. Le bicentenaire de la Révolution a déclenché des controverses nourries (même si elles ont sans doute été un peu moins passionnées qu'en 1889), sur le sens et la portée de l'événement. La commémoration du millénaire capétien a pu paraître déplacée aux yeux d'une certaine opinion "républicaine"... Notre histoire manque ainsi cruellement d'événements susceptibles de fonder un consensus national comme peuvent l'être la guerre d'indépendance pour les Américains ou le serment du Rütli pour les Suisses.
Bien entendu, le baptême de Clovis ne fait pas exception à cette règle. À peine avait-il été décidé de créer votre comité que des voix se sont élevées pour mettre en garde contre une remise en cause des principes de laïcité républicains ou pour déplorer, au contraire, que l'on occulte par trop la signification proprement religieuse de l'événement. D'autres encore se sont élevés contre l'annexion par la France de la mémoire de Clovis alors que ce dernier appartient tout autant à l'histoire allemande ou belge.
Au fond, je crois qu'il faut plutôt se réjouir qu'un événement qui s'est produit voici quinze siècles puisse encore susciter de telles réactions chez nos contemporains. Cette relecture du passé à la lumière des enjeux modernes est la meilleure garantie du maintien de notre mémoire historique.
Événement controversé, le baptême de Clovis n'en est pas moins fondateur de l'identité française.
Ce que nous commémorons, d'ailleurs, c'est moins l'événement en lui même que l'utilisation qui en a été faite au cours des siècles pour asseoir la légitimité des rois de France et conforter le sentiment national.
Sur l'événement lui-même, nous avons peu d'informations sûres. Nous ne sommes pas certains de l'année au cours de laquelle il s'est produit, même si sa localisation à REIMS n'est pas sérieusement contestée. Si la critique historique a repoussé ce baptême vers 505 ou 506, il semble que ses acquis les plus récents conduisent à faire remonter cet événement avant l'an 500. La date traditionnelle qui résulte de "l'Historia Francorum" de Grégoire de TOURS reste donc notre meilleure référence.
En revanche, l'évocation de Clovis, fondateur de la première des trois dynasties qui ont régné sur la France, a joué un grand rôle au cours de notre histoire. Je laisse aux historiens plus savants que moi le soin de relever toutes les occurrences de ce thème dans les textes, dans l'iconographie, dans la statuaire, dans la peinture... J'observerai seulement que le nom qui a été porté par le plus grand nombre de rois de France, Louis, provient directement du nom de Clovis.
Je voudrais vous indiquer dans quel esprit nous commémorons aujourd'hui le baptême de Clovis.
Il s'agit, en premier lieu, de marquer notre attachement au substrat historique sur lequel est fondée notre identité nationale. L'inconscient collectif des français est nourri d'un certain nombre d'images qui contribuent à le structurer : Clovis, Charlemagne, Saint Louis, François Ier, Henri IV, le Roi soleil, Napoléon, Gambetta, Clémenceau, de Gaulle... toutes ces grandes figures peuplent notre mémoire. Elles forment un patrimoine commun à tous les Français et sont l'une des composantes du lien social. Il est bon que nous ne laissions pas disparaître ces images. A une époque, où l'on déplore la fragmentation des groupes sociaux, la commémoration de ces grands événements contribue, de manière modeste mais non négligeable, à maintenir l'un de ces nombreux repères qui permettent aux individus de se rattacher à la collectivité.
Bien entendu, cette commémoration ne doit pas négliger de relever la distance parfois importante qui sépare la réalité historique de l'image mythique qui a été véhiculée ultérieurement.
L'un des intérêts des expositions, des colloques et des manifestations qui seront organisées autour de l'anniversaire du baptême de Clovis sera de permettre à chacun de confronter l'image qu'il a gardée de cet événement avec ce qu'en disent les spécialistes. Il apprendra ainsi que le vase de Soissons ne s'est peut être pas brisé car cet objet sacré était probablement en métal précieux...
Mais cette commémoration ne doit pas être tournée exclusivement vers le passé. Ce que nous célébrons, avec le baptême de Clovis, c'est aussi le passage d'une époque à une autre. Nous vivons en cette fin de XXe siècle, à une époque où beaucoup craignent la dissolution de l'identité nationale dans une Europe sans âme. L'alliance heureuse qui s'est nouée au temps de Clovis entre les tribus franques et la civilisation gallo-romaine est là pour nous montrer que l'évolution peut se produire sans faire disparaître les racines historiques d'un peuple. Bien entendu, il ne faut pas pousser trop loin la comparaison. La façon dont les Francs se sont fixés dans l'hexagone a peu de chose à voir avec la construction européenne. Néanmoins, il me semble que, de cet événement lointain, il y a une petite leçon à tirer pour l'époque où nous vivons. Je crois que l'Europe se construira non sur les ruines des différentes nations qui la composent mais grâce à l'alliance des cultures nationales. Il s'agit d'un pari qui n'est pas gagné d'avance mais qui est loin d'être irréalisable.
Enfin, et parce qu'on ne peut occulter la dimension authentiquement religieuse du baptême de Clovis, cette commémoration nous donne l'occasion de réfléchir au rôle de la religion dans l'histoire de notre pays.
Cette réflexion peut aujourd'hui se dérouler dans la sérénité.
Le temps des affrontements de l'État et de l'Église catholique qui ont marqué la naissance de la République est dépassé. L'Église a reconnu, depuis Vatican II, le principe de la liberté religieuse. Quant aux laïcs militants, l'immense majorité, me semble-t-il, a abandonné l'idée d'une victoire définitive de la science sur la religion.
De leur côté, les autres confessions liées à l'histoire de notre pays et représentées dans votre comité n'ont jamais connu de conflit avec l'État depuis que la Révolution a reconnu leurs droits, et le dialogue entre les religions fait que la diversité des croyances n'entraîne aucun ferment de discorde civile.
Les relations sont donc apaisées, et l'on ne peut que s'en réjouir. Peut-on imaginer que, dans le respect des missions de chacun et dans le cadre de nos principes républicains, elles puissent aussi être fécondes ? L'État laïc ne peut ignorer la part essentielle qui revient à la foi religieuse dans la constitution de notre patrimoine national - qu'il soit spirituel, monumental ou artistique - mais il ne peut davantage ignorer le rôle des différentes confessions religieuses dans la vie présente et future de notre société. Dès lors que ce rôle s'exerce dans le respect des consciences et des lois, il doit être reconnu à sa juste place. Je pense, bien sûr, à l'éducation, où l'ère des conflits, je le crois, est définitivement close dans l'esprit de tous, mais aussi à l'action de ceux qui, au nom de leur foi, se préoccupent d'aider les plus démunis et les plus fragiles de notre société.
Bien sûr, les relations entre la puissance publique et les religions sont et resteront toujours complexes, comme l'a montré aussi le récent débat du Parlement sur ces excroissances perverties que sont les sectes.
Je ne prétends pas avoir de formule simple pour définir ces relations. Je souhaite que la célébration du mil cinq centième anniversaire du baptême de Clovis soit l'occasion d'y réfléchir et je suis sûr que votre commission aura à cur d'apporter sa contribution.
Voilà Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'esprit dans lequel je souhaite que se déroulent les manifestations que vous aurez pour tâche de coordonner.
Si l'on jette un regard sur les anniversaires que nous avons célébrés au cours de la décennie passée, on ne peut que vérifier ce propos. Le bicentenaire de la Révolution a déclenché des controverses nourries (même si elles ont sans doute été un peu moins passionnées qu'en 1889), sur le sens et la portée de l'événement. La commémoration du millénaire capétien a pu paraître déplacée aux yeux d'une certaine opinion "républicaine"... Notre histoire manque ainsi cruellement d'événements susceptibles de fonder un consensus national comme peuvent l'être la guerre d'indépendance pour les Américains ou le serment du Rütli pour les Suisses.
Bien entendu, le baptême de Clovis ne fait pas exception à cette règle. À peine avait-il été décidé de créer votre comité que des voix se sont élevées pour mettre en garde contre une remise en cause des principes de laïcité républicains ou pour déplorer, au contraire, que l'on occulte par trop la signification proprement religieuse de l'événement. D'autres encore se sont élevés contre l'annexion par la France de la mémoire de Clovis alors que ce dernier appartient tout autant à l'histoire allemande ou belge.
Au fond, je crois qu'il faut plutôt se réjouir qu'un événement qui s'est produit voici quinze siècles puisse encore susciter de telles réactions chez nos contemporains. Cette relecture du passé à la lumière des enjeux modernes est la meilleure garantie du maintien de notre mémoire historique.
Événement controversé, le baptême de Clovis n'en est pas moins fondateur de l'identité française.
Ce que nous commémorons, d'ailleurs, c'est moins l'événement en lui même que l'utilisation qui en a été faite au cours des siècles pour asseoir la légitimité des rois de France et conforter le sentiment national.
Sur l'événement lui-même, nous avons peu d'informations sûres. Nous ne sommes pas certains de l'année au cours de laquelle il s'est produit, même si sa localisation à REIMS n'est pas sérieusement contestée. Si la critique historique a repoussé ce baptême vers 505 ou 506, il semble que ses acquis les plus récents conduisent à faire remonter cet événement avant l'an 500. La date traditionnelle qui résulte de "l'Historia Francorum" de Grégoire de TOURS reste donc notre meilleure référence.
En revanche, l'évocation de Clovis, fondateur de la première des trois dynasties qui ont régné sur la France, a joué un grand rôle au cours de notre histoire. Je laisse aux historiens plus savants que moi le soin de relever toutes les occurrences de ce thème dans les textes, dans l'iconographie, dans la statuaire, dans la peinture... J'observerai seulement que le nom qui a été porté par le plus grand nombre de rois de France, Louis, provient directement du nom de Clovis.
Je voudrais vous indiquer dans quel esprit nous commémorons aujourd'hui le baptême de Clovis.
Il s'agit, en premier lieu, de marquer notre attachement au substrat historique sur lequel est fondée notre identité nationale. L'inconscient collectif des français est nourri d'un certain nombre d'images qui contribuent à le structurer : Clovis, Charlemagne, Saint Louis, François Ier, Henri IV, le Roi soleil, Napoléon, Gambetta, Clémenceau, de Gaulle... toutes ces grandes figures peuplent notre mémoire. Elles forment un patrimoine commun à tous les Français et sont l'une des composantes du lien social. Il est bon que nous ne laissions pas disparaître ces images. A une époque, où l'on déplore la fragmentation des groupes sociaux, la commémoration de ces grands événements contribue, de manière modeste mais non négligeable, à maintenir l'un de ces nombreux repères qui permettent aux individus de se rattacher à la collectivité.
Bien entendu, cette commémoration ne doit pas négliger de relever la distance parfois importante qui sépare la réalité historique de l'image mythique qui a été véhiculée ultérieurement.
L'un des intérêts des expositions, des colloques et des manifestations qui seront organisées autour de l'anniversaire du baptême de Clovis sera de permettre à chacun de confronter l'image qu'il a gardée de cet événement avec ce qu'en disent les spécialistes. Il apprendra ainsi que le vase de Soissons ne s'est peut être pas brisé car cet objet sacré était probablement en métal précieux...
Mais cette commémoration ne doit pas être tournée exclusivement vers le passé. Ce que nous célébrons, avec le baptême de Clovis, c'est aussi le passage d'une époque à une autre. Nous vivons en cette fin de XXe siècle, à une époque où beaucoup craignent la dissolution de l'identité nationale dans une Europe sans âme. L'alliance heureuse qui s'est nouée au temps de Clovis entre les tribus franques et la civilisation gallo-romaine est là pour nous montrer que l'évolution peut se produire sans faire disparaître les racines historiques d'un peuple. Bien entendu, il ne faut pas pousser trop loin la comparaison. La façon dont les Francs se sont fixés dans l'hexagone a peu de chose à voir avec la construction européenne. Néanmoins, il me semble que, de cet événement lointain, il y a une petite leçon à tirer pour l'époque où nous vivons. Je crois que l'Europe se construira non sur les ruines des différentes nations qui la composent mais grâce à l'alliance des cultures nationales. Il s'agit d'un pari qui n'est pas gagné d'avance mais qui est loin d'être irréalisable.
Enfin, et parce qu'on ne peut occulter la dimension authentiquement religieuse du baptême de Clovis, cette commémoration nous donne l'occasion de réfléchir au rôle de la religion dans l'histoire de notre pays.
Cette réflexion peut aujourd'hui se dérouler dans la sérénité.
Le temps des affrontements de l'État et de l'Église catholique qui ont marqué la naissance de la République est dépassé. L'Église a reconnu, depuis Vatican II, le principe de la liberté religieuse. Quant aux laïcs militants, l'immense majorité, me semble-t-il, a abandonné l'idée d'une victoire définitive de la science sur la religion.
De leur côté, les autres confessions liées à l'histoire de notre pays et représentées dans votre comité n'ont jamais connu de conflit avec l'État depuis que la Révolution a reconnu leurs droits, et le dialogue entre les religions fait que la diversité des croyances n'entraîne aucun ferment de discorde civile.
Les relations sont donc apaisées, et l'on ne peut que s'en réjouir. Peut-on imaginer que, dans le respect des missions de chacun et dans le cadre de nos principes républicains, elles puissent aussi être fécondes ? L'État laïc ne peut ignorer la part essentielle qui revient à la foi religieuse dans la constitution de notre patrimoine national - qu'il soit spirituel, monumental ou artistique - mais il ne peut davantage ignorer le rôle des différentes confessions religieuses dans la vie présente et future de notre société. Dès lors que ce rôle s'exerce dans le respect des consciences et des lois, il doit être reconnu à sa juste place. Je pense, bien sûr, à l'éducation, où l'ère des conflits, je le crois, est définitivement close dans l'esprit de tous, mais aussi à l'action de ceux qui, au nom de leur foi, se préoccupent d'aider les plus démunis et les plus fragiles de notre société.
Bien sûr, les relations entre la puissance publique et les religions sont et resteront toujours complexes, comme l'a montré aussi le récent débat du Parlement sur ces excroissances perverties que sont les sectes.
Je ne prétends pas avoir de formule simple pour définir ces relations. Je souhaite que la célébration du mil cinq centième anniversaire du baptême de Clovis soit l'occasion d'y réfléchir et je suis sûr que votre commission aura à cur d'apporter sa contribution.
Voilà Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'esprit dans lequel je souhaite que se déroulent les manifestations que vous aurez pour tâche de coordonner.