Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, sur les évolutions récentes du monde mutualiste et coopératif et sur les défis à venir dans le cadre de la politique économique gouvernementale, Angers le 13 décembre 2007.

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Circonstance : Assises du mutualisme à Angers le 13 décembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je tenais à venir parmi vous aujourd'hui pour marquer toute l'importance que le gouvernement accorde au mutualisme, à la coopération, et à tous ceux qui le font vivre. Je suis particulièrement heureuse que vos Assises se déroulent à Angers. La devise de la ville, qui nous vient du Moyen Âge, se décline sous forme d'acronyme : le A de Angers devient ainsi « l'Antique clef de France ». Je vous épargne le N et le G pour arriver directement au E : « Étape d'assurance », au R : « Recours de secourance », et au S : « Sécurité d'amis ». Étape d'assurance, recours de secourance, et sécurité d'amis : n'est-ce pas là le coeur même du mutualisme, une assurance qui est aussi une sécurité ; des associés qui sont aussi des amis ; des échanges qui sont aussi un secours mutuel ?
Le monde mutualiste et coopératif gagne à être davantage présent dans le débat public. Erik Orsenna vous demandait l'année dernière, à l'occasion de votre colloque de Pau : « pourquoi refusez-vous la notoriété ? » Je crois que cette notoriété, vous l'avez, mais vous hésitez à la montrer. Le mutualisme est bien éloigné aujourd'hui des abstractions de Proudhon, son père fondateur. Il s'adapte, évolue et les économistes comme les politiques commencent à le reconnaître comme un modèle viable, efficace, moderne.
Le mutualisme n'est pas une alternative au mode capitaliste d'organisation des échanges. C'est une manière différente de réguler le marché, en établissant les règles de la redistribution plus en amont. L'entreprise mutualiste ou coopérative est toujours une « société de personnes », comme on dit une société par actions. Au même titre que la société par actions ne perd jamais de vue son profit, la société de personnes ne doit jamais perdre de vue l'intérêt collectif. Ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l'oeuvre, mais régulés selon des points de vue différents : le nombre d'actions détenues dans un cas, le nombre de voix personnelles obtenues dans l'autre.
Je voudrais vous dire que pour nous, être libéral, cela ne signifie pas être obnubilé par les cotations boursières. Bien au contraire : être libéral, c'est reconnaître les mérites de toute forme d'organisation qui n'entrave pas la liberté des individus, et qui parvient à trouver de soi-même un certain équilibre. En cela, le mutualisme s'inscrit aujourd'hui pleinement dans le paysage du libéralisme français. Le gouvernement ne peut que vous encourager à poursuivre ces évolutions et à les faire mieux connaître.
J'aimerais aujourd'hui (I) revenir sur les évolutions récentes du mutualisme et sur les défis qui l'attendent, avant (II) avant de vous indiquer comment votre mouvement peut s'inscrire dans la politique économique du gouvernement.
(I) Le succès du mutualisme durant les deux dernières décennies est une évidence.
Quand je parle du mutualisme, je n'oublie naturellement pas les groupes coopératifs. Tous se sont considérablement transformés durant cette période, par restructuration et croissance externe. Contrairement à certaines idées reçues, ce n''est pas en jouant contre la concurrence, mais au contraire en en tirant parti, que les entreprises mutualistes se sont développées en France.
Les exemples de réussite ne manquent pas. On pourrait citer la coopération agricole, où les entrepreneurs individuels concilient indépendance et bénéfices de la solidarité dans le cadre d'un marché régulé ; l''augmentation du nombre des sociétés coopératives de production (SCOP), qui préservent la dynamique des petites structures ; la couverture des dépenses de santé par les mutuelles, synonymes pour nos concitoyens de sécurité et de qualité ; ou enfin une bonne partie du secteur bancaire, qui concilie performance et universalité des services.
De plus, l''évolution du cadre réglementaire et fiscal a permis le développement des fondations, et la diffusion des pratiques philanthropiques dans les milieux économiques, au-delà même du secteur mutualiste.
Ce succès des entreprises coopératives contribue à la fois à la croissance de notre économie, et à la protection de nos concitoyens. Il concilie efficacité et solidarité, performance économique et équilibre social. Quoi de plus moderne ?
Il est certain que certaines pratiques liées au mutualisme suscitent encore l'étonnement, voire l'irritation, de nombreux acteurs économiques. L'absence de rémunération du capital ou le caractère non OPAble de l'entreprise font la réputation de pragmatisme qui est la vôtre. Ainsi, dans le secteur des services à la personne, l'économie sociale a toléré et même encouragé, depuis deux ans, l'entrée de nouveaux acteurs de nature plus capitalistiques.
De même, là où les opérateurs mutualistes rencontrent la concurrence, ils doivent faire preuve de la réactivité nécessaire. On voit ainsi se développer, au sein même de votre univers, des comportements plus commerciaux, tels que le recours aux sociétés anonymes ou aux véhicules cotés.
La tradition du mutualisme est assez forte pour supporter sans dommages ce type de transformations. Vous êtes des praticiens de la sphère économique et sociale, pas des idéologues. C'est pour cela que vous avez le courage de réformer vos pratiques quand cela est nécessaire. Car vous avez bien conscience que, pour démontrer sa validité, votre modèle doit, toujours et encore, produire des résultats à la hauteur de ceux des sociétés par actions.
Pour poursuivre cette adaptation, les mutualistes doivent impérativement se conformer davantage aux exigences de la bonne gouvernance, en faisant preuve d'une transparence accrue. Il leur faut également trouver un meilleur équilibre entre le principe de décentralisation et le pilotage centralisé de fonctions de plus en plus nombreuses, telles que la stratégie, la gestion des risques, le marketing...
En même temps, vos groupes ont tout intérêt à renforcer leurs spécificités les plus remarquables, telles que la prise en compte de l'intérêt collectif et du long terme ; l''attachement à un territoire ; ou le partage équitable de la valeur entre le sociétaire, dirigeants, salariés et clients. Perdre cette spécificité qui est votre richesse reviendrait à perdre votre âme.
C'est dans cet équilibre délicat entre adaptation aux exigences d'une économie concurrentielle, et fidélité à vos valeurs, que se joue l'avenir du mutualisme et de la coopération. J'ai confiance dans votre capacité à nous prouver toute la modernité du modèle mutualiste de développement, d'autant que la transposition en cours des textes européens sur le statut de la société coopérative européenne ouvre la perspective de groupements coopératifs européens par rapprochement d''acteurs nationaux, qui devraient donner un nouveau souffle au mutualisme.
(II) J'en viens à présent à l'articulation entre votre action et les priorités du gouvernement.
Mon objectif, c'est un point de croissance en plus et 900 000 chômeurs en moins, pour parvenir au plein-emploi d'ici 2012. Je veux gagner de la croissance et perdre des chômeurs.
Je suis heureuse de constater qu'aujourd'hui le chômage baisse : pour la première fois depuis 5 ans nous sommes passés au troisième trimestre en dessous de la barre des 8 % de chômeurs. Sur le troisième trimestre, ce sont près de 300 000 créations d'emplois qui ont été constatés. Nous devons encore amplifier ce mouvement et ce tout le sens des mesures que nous mettons en place.
Je voudrais aborder rapidement trois priorités de l'action du gouvernement : la réhabilitation du travail, la préparation de l'avenir et la compétitivité de notre économie.
La réhabilitation du travail, c'est notre première priorité : nous voulons que la travail paye et paye mieux. Cette priorité s'est matérialisée par notre mesure sur la défiscalisation des heures supplémentaires, en vigueur depuis le 1er octobre. La dernière enquête menée pour mon ministère par le CSA montre que 94 % des chefs d'entreprise en ont entendu parler, 70 % estimant que cela va dans le bon sens, et plus de la moitié ayant l'intention de l'utiliser. J'espère que vous faites partie de ceux-là !
C'est par la revalorisation du travail que nous allons aussi améliorer le pouvoir d'achat des Français. J'ai présenté hier en conseil des ministres un projet de loi qui sera examiné dès la semaine prochaine par l'Assemblée nationale qui permettra à chacun de mieux profiter des fruits de son travail par le rachat des heures de RTT, le déblocage de la participation, la mise en place dans les entreprises de moins de 50 salariés d'une prime de 1 000 euros exonérée de cotisations sociales, l'indexation des loyers sur l'indice es prix et la réduction à un mois de loyer du dépôt de garantie des locataires.
Je sais que le déblocage de la participation peut constituer une difficulté pour les sociétés coopératives et plus globalement pour les entreprises qui ont mis en place des dispositifs d'actionnariat salarié. J'ai bien noté les craintes exprimées par M. Patrick LENANCKER, président de la Confédération générale des Scop. Ces préoccupations ont été entendues. Le projet de loi présenté par le gouvernement soumet le déblocage des fonds investis dans l'entreprise à un l'exigence d'un accord d'entreprise. J'ajoute qu'il en est de même pour la participation dérogatoire qui va au-delà de la participation obligatoire. C'est mesure constitue donc une réponse ponctuelle au problème de pouvoir d'achat : il ne s'agit pas de remettre en cause le principe de la participation auquel je le sais le monde coopératif est très attaché. Vous montrez l'exemple puisque 98 % des SCOP disposent d'un accord de participation.
La préparation de l'avenir constitue ma deuxième priorité et je sais à quel point, dans le monde mutualiste, vous êtes attachés au temps long.
Nous allons tout d'abord engager un effort massif en faveur de l'enseignement supérieur dans une acre rénovée pour les universités qui disposeront d'une plus grande autonomie. Nous avons procédé à la vente d'actions EDF pour financer un effort sans précédent de rénovation des campus universitaires. Et dès le budget 2008, nous mobilisons des ressources supplémentaires en faveur de l'enseignement et de la recherche avec 1,8 Md euros de crédits supplémentaires.
Nous voulons aussi encourager la recherche privée. Nous avons proposé, dans le projet de loi de finances pour 2008, d'alléger la fiscalité sur les brevets, et surtout de tripler le taux du crédit d'impôt-recherche, qui passe de 10 % à 50 % la première année, puis 40 % la deuxième, et enfin 30 % en régime de croisière, dans la limite 100 M euros d'investissements dans la R&D. Je sais que, pour certaines de vos entreprises, l'augmentation du CIR permettra de lancer des investissements majeurs en R&D. De plus, cette réforme fera de la France un des pays les plus attractifs du monde pour les investissements de R&D.
Troisième priorité, la compétitivité de notre économie. Elle viendra de nos entreprises et en particulier des PME, qu'elles soient sociétés par actions ou coopératives.
Aujourd'hui, la création d'entreprise se porte bien dans notre pays : elle a augmenté de moitié en six ans, avec la naissance en 2007 de 100 000 entreprises de plus qu'en 2001. Aujourd'hui, c'est donc le développement, la croissance des entreprises, et particulièrement des PME, qui sont en jeu.
Vous avez un rôle de premier plan à y jouer, vous qui connaissez mieux que personne toutes les facettes de notre territoire, vous qui avez un contact direct avec d'innombrables chefs d'entreprise.
Le gouvernement a déjà pris un certain nombre de mesures fortes en faveur du financement des PME, comme l'a rappelé le président de la République la semaine dernière à Lyon. Elles permettront à la fois (a) de réorienter l'argent privé vers les PME, (b) et d'injecter de l'argent public dans les PME les plus innovantes. (c) Nous voulons également alléger les charges financières qui pèsent sur les PME, à travers une fiscalité trop forte, ou des délais de paiement trop longs.
(a) Réorienter l'argent privé vers les PME, c'est bien sûr tout le sens de notre mesure permettant de flécher l'ISF vers les PME. Les particuliers qui souscrivent au capital d'une PME, y compris sous forme de titres participatifs, bénéficieront ainsi d'une réduction d'ISF de 75 % du montant de leur investissement, plafonnée à 50 000 euros. S'ils agissent par l'intermédiaire d'un Fonds d'investissement de proximité, la réduction sera de 50 %, plafonnée à 10 000 euros. C'est ainsi que pourront naître de véritables relations de confiance entre des entrepreneurs locaux, qui ont besoin d'argent frais, et des personnes privées, qui découvriront les charmes de l'investissement direct. Nous avons d'ailleurs élargi ce dispositif en loi de finances rectificative pour 2007, en l'ouvrant aux fonds communs de placement.
(b) Mieux aider les PME les plus innovantes,
Au-delà de la réforme du CIR, j'ai également l'intention de simplifier les guichets publics d'aide au financement des PME innovantes, à travers la fusion de l'Agence de l'innovation industrielle avec Oseo Innovation, qui interviendra dans quelques jours, le 1er janvier prochain.
(c) Enfin, il faut alléger les charges qui pèsent sur les PME.
La France possède une particularité en Europe, celle d'avoir des impôts qui pèsent sur les entreprises même lorsqu'elles sont en déficit, à savoir l'imposition forfaitaire annuelle et la taxe professionnelle. Comme vient de l'annoncer le président de la République, l'IFA sera donc supprimée en 2009, tandis que la taxe professionnelle sera réformée à l'issue de la revue générale des prélèvements obligatoires engagée par le gouvernement, ce qui devrait se concrétiser dans le projet de loi de finances pour 2009.
Les charges financières peuvent également prendre l'aspect d'un fonds de roulement massif, que nos PME sont dans l'obligation de se constituer pour faire face à des délais de paiement supérieurs de 10 jours à la moyenne européenne. Aussi le président de la République a-t- il annoncé l'élaboration prochaine, dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie, d'une disposition destinée à limiter à 60 jours le délai maximal de paiement à compter de la réception de la facture, sous peine d'intérêts de retard dissuasifs. Pour montrer l'exemple, nous réduirons le délai de paiement maximum de 45 jours à 30 jours pour les marchés publics d'État, et ce dès 2008.
Vous le voyez, ce n'est pas en opposant les entreprises mutualistes aux sociétés par actions, ou les banques au gouvernement, que nous pourrons faire avancer notre économie. Mais c'est tous ensemble, chacun à sa manière, selon sa méthode et en fonction de ses moyens, que nous allons relever les défis communs qui se présentent à nous.
Je vous remercie.
Source http://www.minefe.gouv.fr, le 14 décembre 2007