Texte intégral
Q - Le week-end a été marqué à la fois par les frappes sur l'Iraq et l'arrivée de 900 réfugiés kurdes. Quel sera le sort des réfugiés ?
R - Comme le ministre de l'Intérieur l'a indiqué, leur cas sera examiné de façon individuelle. La France a une grande tradition du droit d'asile qu'elle préserve contre toutes les remises en cause, mais le droit d'asile doit être respecté dans sa vérité et dans sa réalité. C'est-à-dire que l'on ne peut pas accorder le droit d'asile si les gens n'entrent pas dans le cadre de ce qui est défini par les conventions internationales. Il faut également que ce soit lié à la persécution. Pour tout ce qui est immigration, comme lorsque l'on se trouve devant des cas concrets comme ce qui s'est passé durant ce week-end qui a été extrêmement bouleversant, il faut traiter les gens avec beaucoup d'humanité mais il ne faut pas prendre des mesures qui alimentent la pompe si je puis dire. Partout dans le monde, il y a des trafiquants d'êtres humains. Il y a des gens qui font de la traite de main d'oeuvre et qui attendent des signaux pour voir quels sont les endroits d'Europe où on peut le plus facilement monter des opérations et ils s'enrichissent au passage. Ils privent les gens de toutes leurs économies : ils ont vendu leurs champs, leur ferme, leur bétail, ils sont partis à l'aventure et nous ne pouvons pas alimenter cela.
Il faut être très humain dans ce cas particulier mais il faut faire attention aux signaux que l'on va envoyer d'où l'examen au cas par cas.
Q - Peut-on imaginer que l'on renverra ces gens chez eux dans leur détresse ?
R - Les renvoyer chez eux, en Syrie ou en Iraq, je ne pense pas que ce soit faisable et personne n'y pense. Mais nous ne pouvons pas laisser miroiter une perspective d'intégration en France uniquement parce qu'il y a un certain nombre de trafiquants malins qui ont fait cette opération jusqu'à venir s'échouer là. De toute façon, il faut prendre ces problèmes sur une base européenne. C'est une question tellement aiguë maintenant qu'il y a deux ans environ, pendant la présidence finlandaise de l'Europe, lors d'un Conseil européen spécial à Tempere, nous avons décidé d'harmoniser toutes les politiques d'immigration en préservant l'asile auquel il ne faut pas toucher. Il y a également tout un travail à faire avec les pays d'où partent ces gens, soit de façon individuelle soit de façon exploitée ce qui est le cas aujourd'hui pour arriver à une approche générale du phénomène. Sur ce plan, l'Europe doit faire de gros progrès.
Q - Comment peut-on travailler comme vous le dites avec l'Iraq ?
R - Travailler avec l'Iraq, c'est notre problème, nous ne pouvons pas entrer dans le détail. Il y a des mesures qui sont prises depuis des années pour qu'il y ait une certaine protection de la partie kurde de l'Iraq, contre les représailles du régime; Et par ailleurs, c'est une question de développement. Ces grands mouvements migratoires qui se développent et qui vont se développer partout dans le monde - c'est pour cela qu'il faut une politique européenne très harmonisée - sont le résultat du contraste entre l'extrême richesse et l'extrême misère ou des conditions difficiles de vie.
Q - L'Iraq a été la cible de bombardements vendredi dernier, des bombardements américano-britanniques, la France a protesté, elle n'a pas été informée, elle ne s'associe pas.
R - Nous n'avons pas protesté parce que nous n'étions pas informés, nous avons fait remarquer que nous n'avions été ni informés ni consultés. Pour le reste, nous avons fait part des interrogations que cela nous inspirait.
Q - Ces interrogations sont une forme de protestation, comment interprétez-vous ces bombardements ? Est-ce un message de M. Bush à Saddam Hussein ?
R - Les actions anglo-américaines sous forme de bombardements n'ont jamais cessé en fait, et il y a longtemps que nous nous en sommes distanciés.
Q - Pourquoi cette fois ?
R - Parce que nous jugions depuis longtemps qu'il n'y avait pas de base en terme de légalité internationale pour ce type de bombardements même si les Américains et les Anglais prétendaient que leurs avions devaient réagir parce qu'ils étaient comme l'on dit en terme technique allumé par des radars adverses. Chaque fois qu'il y a des frappes, il y a des victimes civiles, et toute cette politique ne remonte pas à la nouvelle administration américaine, elle est plus ancienne et nous nous en sommes distanciés. Je ferai remarquer que dans le cas d'espèce, ces actions, à ma connaissance, n'ont été quasiment approuvées par personne, seul le Canada et la Pologne l'ont fait. Tous les autres ont manifesté soit de la réprobation, soit de la critique, soit des interrogations et un malaise comme nous, car nous ne voyons pas le sens de cette action.
Q - Vous n'en faites pas l'interprétation d'un message comme certains ?
R - Je ne sais pas. C'est sans doute une démonstration de force. Mais, ce que nous attendons de la nouvelle administration américaine, c'est une redéfinition de la politique vis-à-vis de l'Iraq puisque, manifestement, quelque chose ne va pas. Il y a des mesures de sécurité qui doivent être prises par rapport aux projets de réarmement de ce régime qui continue à inquiéter ses voisins et on peut comprendre qu'ils soient inquiets. Mais nous sommes embarqués depuis des années dans une politique des sanctions qui a eu un sens au début et qui ensuite a été dévoyée et qui prend, en réalité, la population iraquienne en otage en lui faisant subir les contrecoups de l'embargo pétrolier. Il y a aussi les tracasseries sans fin qui existent pour faire fonctionner le système "pétrole contre nourriture". Bref, comme d'habitude, cet embargo ne fonctionne pas dans le sens où c'est la population qui en souffre et nous demandons que l'on sorte de cette situation. La nouvelle administration nous a dit qu'elle réfléchissait à une politique plus ciblée sur la sécurité, qui soit plus douce pour la population et ce qu'ils viennent de faire, ce n'est ni l'un ni l'autre. Nous attendons donc toujours, nous allons tenter d'en parler avec eux.
Q - Vous avez rencontré Joschka Fischer la semaine dernière à Stuttgart. Vous vous voyez souvent et cette rencontre a été présentée comme un événement car cette entente franco-allemande qu'on n'en finit pas de relancer, cette fois-ci, on dirait que c'est pour de bon. Est-ce que cela allait si mal que cela ?
R - Après la présidence française, il était normal que nous reprenions les choses sur un plan plus bilatéral. Lorsque vous avez la présidence, vous ne pouvez pas soigner de la même façon vos relations bilatérales privilégiées. Vous vous devez à tous et vous devez faire émerger dans des difficultés importantes.
Q - Mais le problème date d'avant ?
R - Oui, parce que les choses changent, les pays aussi, et les problèmes ne sont pas les mêmes. Aujourd'hui, il nous faut par exemple nous harmoniser sur l'élargissement de l'Europe, c'est une question qui ne se posait pas il y a quelques années. Il faut donc reprendre les choses sur une base nouvelle. Nous devons réfléchir à nouveau à l'avenir de la PAC et à la sécurité alimentaire, le problème ne se posait pas ainsi il y a quelques années. Il faut bien que la France et l'Allemagne redéfinissent, pour employer les mots du chancelier Schroeder, leurs relations. Il y a quelques jours en Alsace, il y a eu un dîner avec le président Chirac, le chancelier Schröder, Joschka Fischer, Lionel Jospin et moi-même, il a été décidé de tout mettre sur la table, tous les grands sujets du moment et de voir sur chaque point où nous en sommes et ce que l'on peut faire pour harmoniser nos positions lorsqu'elles sont différentes. Joschka Fischer et moi avons été chargé de ce travail. Nous nous sommes vus à Stuttgart durant plusieurs heures, nous nous reverrons en France avant qu'il y ait un nouveau dîner à cinq dans le genre de celui dont je viens de parler pour que l'on avance.
Q - Allons-nous avancer ?
R - Oui, j'en suis sûr.
Q - Sans axe franco-allemand, il n'y a pas d'Europe ?
R - Sans entente franco-allemande, les choses ne fonctionnent pas bien et c'est pour cela qu'il faut à tout prix redéfinir cette relation aujourd'hui. Mais, il n'y a aucune volonté de monopole, la France et l'Allemagne savent qu'elles ont un rôle à jouer par rapport aux autres, mais cela ne suffit pas car il faut que tous les autres soient dans le coup./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2001)
R - Comme le ministre de l'Intérieur l'a indiqué, leur cas sera examiné de façon individuelle. La France a une grande tradition du droit d'asile qu'elle préserve contre toutes les remises en cause, mais le droit d'asile doit être respecté dans sa vérité et dans sa réalité. C'est-à-dire que l'on ne peut pas accorder le droit d'asile si les gens n'entrent pas dans le cadre de ce qui est défini par les conventions internationales. Il faut également que ce soit lié à la persécution. Pour tout ce qui est immigration, comme lorsque l'on se trouve devant des cas concrets comme ce qui s'est passé durant ce week-end qui a été extrêmement bouleversant, il faut traiter les gens avec beaucoup d'humanité mais il ne faut pas prendre des mesures qui alimentent la pompe si je puis dire. Partout dans le monde, il y a des trafiquants d'êtres humains. Il y a des gens qui font de la traite de main d'oeuvre et qui attendent des signaux pour voir quels sont les endroits d'Europe où on peut le plus facilement monter des opérations et ils s'enrichissent au passage. Ils privent les gens de toutes leurs économies : ils ont vendu leurs champs, leur ferme, leur bétail, ils sont partis à l'aventure et nous ne pouvons pas alimenter cela.
Il faut être très humain dans ce cas particulier mais il faut faire attention aux signaux que l'on va envoyer d'où l'examen au cas par cas.
Q - Peut-on imaginer que l'on renverra ces gens chez eux dans leur détresse ?
R - Les renvoyer chez eux, en Syrie ou en Iraq, je ne pense pas que ce soit faisable et personne n'y pense. Mais nous ne pouvons pas laisser miroiter une perspective d'intégration en France uniquement parce qu'il y a un certain nombre de trafiquants malins qui ont fait cette opération jusqu'à venir s'échouer là. De toute façon, il faut prendre ces problèmes sur une base européenne. C'est une question tellement aiguë maintenant qu'il y a deux ans environ, pendant la présidence finlandaise de l'Europe, lors d'un Conseil européen spécial à Tempere, nous avons décidé d'harmoniser toutes les politiques d'immigration en préservant l'asile auquel il ne faut pas toucher. Il y a également tout un travail à faire avec les pays d'où partent ces gens, soit de façon individuelle soit de façon exploitée ce qui est le cas aujourd'hui pour arriver à une approche générale du phénomène. Sur ce plan, l'Europe doit faire de gros progrès.
Q - Comment peut-on travailler comme vous le dites avec l'Iraq ?
R - Travailler avec l'Iraq, c'est notre problème, nous ne pouvons pas entrer dans le détail. Il y a des mesures qui sont prises depuis des années pour qu'il y ait une certaine protection de la partie kurde de l'Iraq, contre les représailles du régime; Et par ailleurs, c'est une question de développement. Ces grands mouvements migratoires qui se développent et qui vont se développer partout dans le monde - c'est pour cela qu'il faut une politique européenne très harmonisée - sont le résultat du contraste entre l'extrême richesse et l'extrême misère ou des conditions difficiles de vie.
Q - L'Iraq a été la cible de bombardements vendredi dernier, des bombardements américano-britanniques, la France a protesté, elle n'a pas été informée, elle ne s'associe pas.
R - Nous n'avons pas protesté parce que nous n'étions pas informés, nous avons fait remarquer que nous n'avions été ni informés ni consultés. Pour le reste, nous avons fait part des interrogations que cela nous inspirait.
Q - Ces interrogations sont une forme de protestation, comment interprétez-vous ces bombardements ? Est-ce un message de M. Bush à Saddam Hussein ?
R - Les actions anglo-américaines sous forme de bombardements n'ont jamais cessé en fait, et il y a longtemps que nous nous en sommes distanciés.
Q - Pourquoi cette fois ?
R - Parce que nous jugions depuis longtemps qu'il n'y avait pas de base en terme de légalité internationale pour ce type de bombardements même si les Américains et les Anglais prétendaient que leurs avions devaient réagir parce qu'ils étaient comme l'on dit en terme technique allumé par des radars adverses. Chaque fois qu'il y a des frappes, il y a des victimes civiles, et toute cette politique ne remonte pas à la nouvelle administration américaine, elle est plus ancienne et nous nous en sommes distanciés. Je ferai remarquer que dans le cas d'espèce, ces actions, à ma connaissance, n'ont été quasiment approuvées par personne, seul le Canada et la Pologne l'ont fait. Tous les autres ont manifesté soit de la réprobation, soit de la critique, soit des interrogations et un malaise comme nous, car nous ne voyons pas le sens de cette action.
Q - Vous n'en faites pas l'interprétation d'un message comme certains ?
R - Je ne sais pas. C'est sans doute une démonstration de force. Mais, ce que nous attendons de la nouvelle administration américaine, c'est une redéfinition de la politique vis-à-vis de l'Iraq puisque, manifestement, quelque chose ne va pas. Il y a des mesures de sécurité qui doivent être prises par rapport aux projets de réarmement de ce régime qui continue à inquiéter ses voisins et on peut comprendre qu'ils soient inquiets. Mais nous sommes embarqués depuis des années dans une politique des sanctions qui a eu un sens au début et qui ensuite a été dévoyée et qui prend, en réalité, la population iraquienne en otage en lui faisant subir les contrecoups de l'embargo pétrolier. Il y a aussi les tracasseries sans fin qui existent pour faire fonctionner le système "pétrole contre nourriture". Bref, comme d'habitude, cet embargo ne fonctionne pas dans le sens où c'est la population qui en souffre et nous demandons que l'on sorte de cette situation. La nouvelle administration nous a dit qu'elle réfléchissait à une politique plus ciblée sur la sécurité, qui soit plus douce pour la population et ce qu'ils viennent de faire, ce n'est ni l'un ni l'autre. Nous attendons donc toujours, nous allons tenter d'en parler avec eux.
Q - Vous avez rencontré Joschka Fischer la semaine dernière à Stuttgart. Vous vous voyez souvent et cette rencontre a été présentée comme un événement car cette entente franco-allemande qu'on n'en finit pas de relancer, cette fois-ci, on dirait que c'est pour de bon. Est-ce que cela allait si mal que cela ?
R - Après la présidence française, il était normal que nous reprenions les choses sur un plan plus bilatéral. Lorsque vous avez la présidence, vous ne pouvez pas soigner de la même façon vos relations bilatérales privilégiées. Vous vous devez à tous et vous devez faire émerger dans des difficultés importantes.
Q - Mais le problème date d'avant ?
R - Oui, parce que les choses changent, les pays aussi, et les problèmes ne sont pas les mêmes. Aujourd'hui, il nous faut par exemple nous harmoniser sur l'élargissement de l'Europe, c'est une question qui ne se posait pas il y a quelques années. Il faut donc reprendre les choses sur une base nouvelle. Nous devons réfléchir à nouveau à l'avenir de la PAC et à la sécurité alimentaire, le problème ne se posait pas ainsi il y a quelques années. Il faut bien que la France et l'Allemagne redéfinissent, pour employer les mots du chancelier Schroeder, leurs relations. Il y a quelques jours en Alsace, il y a eu un dîner avec le président Chirac, le chancelier Schröder, Joschka Fischer, Lionel Jospin et moi-même, il a été décidé de tout mettre sur la table, tous les grands sujets du moment et de voir sur chaque point où nous en sommes et ce que l'on peut faire pour harmoniser nos positions lorsqu'elles sont différentes. Joschka Fischer et moi avons été chargé de ce travail. Nous nous sommes vus à Stuttgart durant plusieurs heures, nous nous reverrons en France avant qu'il y ait un nouveau dîner à cinq dans le genre de celui dont je viens de parler pour que l'on avance.
Q - Allons-nous avancer ?
R - Oui, j'en suis sûr.
Q - Sans axe franco-allemand, il n'y a pas d'Europe ?
R - Sans entente franco-allemande, les choses ne fonctionnent pas bien et c'est pour cela qu'il faut à tout prix redéfinir cette relation aujourd'hui. Mais, il n'y a aucune volonté de monopole, la France et l'Allemagne savent qu'elles ont un rôle à jouer par rapport aux autres, mais cela ne suffit pas car il faut que tous les autres soient dans le coup./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2001)