Interview de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, à RMC le 4 février 2008, sur la situation au Tchad et sur la ratification du Traité de Lisbonne par le Parlement.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Je vous accueille pour la première fois, j'en suis très heureux. Regardons la situation internationale. Le Tchad, c'est la confusion à N'Djamena. Dans la nuit, la France a essuyé un revers à l'ONU. Pourquoi ? Parce que nous avions demandé le vote d'une résolution soutenant le régime d'I. Deby au Tchad, et puis, les Russes ont opposé leur veto.
 
R.- Oui, ce qui est clair, c'est que nous ne pouvons pas soutenir une prise de pouvoir par la force, c'est le premier point, c'est un principe constant de notre diplomatie et de notre action. La seconde chose c'est que nous faisons tout pour aider la médiation, notamment de l'Union africaine, et de faire en sorte que les tentatives de médiations puissent...
 
Q.- Médiation conduite par Kadhafi et N'Guesso...
 
R.- Oui, ce qui montre que, parfois, le rôle du Colonel Kadhafi n'est pas négligeable et peut être utile dans ce type de conflit et, de par également, de M. N'Guesso. Et la troisième chose, c'est que nous faisons, et que tous nos efforts sont tendus pour faire en sorte que les citoyens français qui se trouvent à N'Djamena, mais également les citoyens européens, les citoyens étrangers, puissent être rapatriés, être à l'abri des violences.
 
Q.- Nous avons là-bas une position quand même difficilement tenable, parce que, parallèlement, les rebelles, qui sont entrés dans N'Djamena sont arrivés du Soudan ; parallèlement, nous avons cette Force européenne, voulue par la France, qui doit être déployée pour protéger, pour sécuriser les réfugiés du Darfour. Où en est-elle d'ailleurs cette Force européenne ?
 
R.- La Force européenne est en place, c'est plus de 3.700 hommes qui viennent de 14 pays européens, qui sont dirigés par le général irlandais, et cette force a pour but de protéger l'ensemble de populations et de réfugiés se situant à l'est du Tchad et venant du Soudan. Il est évident que la mission de l'Eufor n'est pas remise en cause, qu'elle est suspendue, compte tenu des événements actuels...
 
Q.- Elle est suspendue, là, pour l'instant ?
 
R.- Elle est suspendue pour l'instant, mais la mission n'est pas remise en cause.
 
Q.- Mais pensez-vous que les rebelles ont quitté le Soudan, à l'initiative du régime soudanais, et se sont précipités vers N'Djamena, justement, pour contrecarrer les efforts de cette Force européenne ?
 
R.- Ce n'est pas impossible, parce que, il est vrai que cette force de stabilisation, qui est européenne, sur une initiative française, mais approuvée par l'ensemble de l'Europe et reposant sur une résolution du Conseil de sécurité, pour le coup votée à l'unanimité, a pour but essentiellement de protéger un certain nombre de réfugiés, dont je rappelle qu'ils sont 3 à 400.000 personnes qui souffrent de faim. Vous vous rappelez la dernière campagne électorale, l'ensemble des candidats avait dit que la situation au Darfour était absolument impossible en regard de ce que sont nos critères de conscience humaine. Et c'est pour cela que ces initiatives ont été prises, pour protéger des populations civiles qui étaient effectivement prises sous le feu, déjà, de rebelles au Sud Soudan, et à l'Est du Tchad. Donc, cette mission, compte tenu des événements, comme je l'ai dit, est suspendue, elle doit pouvoir se poursuivre dès que la situation sera stabilisée, parce qu'il s'agit véritablement d'un enjeu humanitaire grave.
 
Q.- A condition que le Soudan le veuille bien, à condition que la médiation...parce qu'on dit que le Colonel Kadhafi n'y est pas très favorable aussi ?
 
R.- Mais ce qui est vrai c'est qu'en Afrique, cela avait été négocié aussi avec l'Union Africaine, comme vous le savez, ça avait mis un certain nombre de temps à se mettre en place, et finalement, B. Kouchner, grâce à des efforts extrêmement importants, était arrivé à convaincre les partenaires africains. Ce n'était pas non plus...Le Président Deby n'y est pas non plus favorable au départ. Mais, je crois que, là, il s'agit véritablement de savoir ce que nous voulons en tant qu'exercice d'une responsabilité internationale, que ce soit l'Europe, que ce soit les Nations unies. Cela a été fait, cela doit pouvoir se poursuivre, et j'espère que les efforts de l'Eufor ne vont pas être compromis par ce coup de force. Ce qui se joue aussi à l'heure actuelle au Tchad, il faut bien le voir, c'est que vous avez des rivalités qui sont ethniques, de tribus, vous avez même des gens, comme vous le savez, de la famille de Deby, vous avez des rivalités frontalières avec le Soudan, et le rôle du Soudan n'est pas négligeable. Vous avez des rivalités religieuses, puisque vous avez aussi des groupes qui sont des groupes islamiques face à d'autres groupes. Il ne faut jamais oublier que le Tchad est un enjeu qui est extrêmement important parce que, c'est ce qui fait la limite entre le monde musulman et le monde africain.
 
Q.- Parlons de la Constitution, enfin...pardon...
 
R.- Non, ce n'est pas "la Constitution"...
 
Q.- J'ai fait exprès, le Traité de Lisbonne...
 
R.- Vous allez voir, vous avez testé mon pouvoir de réaction...
 
Q.- Députés et sénateurs se réunissent à Versailles afin de modifier notre Constitution pour pouvoir ratifier le Traité de Lisbonne, le nouveau Traité européen de Lisbonne. Pas de référendum. Est-ce que cela veut dire que l'Europe n'est qu'une affaire d'initiés supposés compétents, franchement ?
 
R.- Non, l'Europe n'est pas une affaire d'initiés, c'est encore moins un déni de démocratie. Il y a trois raisons pour...
 
Q.- Pourquoi pas de référendum ?
 
R.-...Trois raisons simples pour avoir choisi cette procédure de ratification. La première, c'est que le président de la République s'est engagé très clairement durant la campagne électorale pour dire qu'il y aurait un nouveau Traité, qui ne serait pas une Constitution, et qui serait soumis à procédure parlementaire. La campagne électorale, à la différence de ce qui s'est produit en 2005, n'est quand même pas si loin. Elle a moins d'un an, les engagements ont été pris il y a moins d'un an, ils ont été répétés à quatre reprises, durant l'élection présidentielle et les élections législatives. Deuxième raison, c'est que, vous avez sur les 27 membres de l'Union européenne, 26 membres ont choisi la procédure parlementaire. Cela voudrait donc dire...
 
Q.- L'Irlande...
 
R.- Il n'y a que l'Irlande, parce qu'elle y est obligée de par sa Constitution. Tous les autres, y compris des pays qui avaient voté "non", je pense aux Pays-Bas, y compris des pays qui, comme le Danemark ont des traditions référendaires. Aux Pays-Bas, ce qui est intéressant c'est que, également, la plus haute instance des Pays-Bas qui est le Conseil d'Etat, a indiqué qu'il n'y avait pas lieu de soumettre ce Traité à référendum parce que, justement, ce n'était pas une constitution, et que c'était un Traité normal modifiant les traités existants. C'est une sorte de règlement intérieur qui ne porte que sur les institutions, ce n'est pas un Traité avec de grandes options idéologiques. Troisième élément, c'est que, dans les procédures référendaires, vous avez toujours un risque qu'on ne réponde pas à la question posée. Cela s'est vu en 2005, où c'est quand même sur l'attitude à l'égard du pouvoir politique que là, s'était posé la véritable question...
 
Q.- Cela veut dire que vous n'acceptez pas un résultat de 2005 ?
 
R.- Non, on l'accepte puisque la Constitution n'est pas entrée en vigueur, mais cela nous a mis quand même dans une situation qui était extrêmement difficile. Il faut bien voir d'où nous venons. Souvenez-vous, il y a un an à peu près, nous étions fin janvier 2007, je ne veux pas dire de bêtise, nous étions fin janvier 2007, il y avait 20 pays qui s'étaient réunis à Madrid sans la France, et qui envisageaient de poursuivre la construction européenne sans que la France puisse en être membre, nous étions véritablement dans une impasse et la France était marginalisée. Donc, j'accepte ce qui a été dit assez largement en 2005. C'était...
 
Q.- 55 %, oui...
 
R.-...c'était sur un projet de Constitution. Nous n'avons pas aujourd'hui affaire à un projet de Constitution, et ...
 
Q.- Le texte est le même ou pratiquement le même, franchement !
 
R.- Non, il est différent ! Non, parce que, c'est, comme je l'ai indiqué, c'est quand même le traité qui est aujourd'hui le plus démocratique et le plus social. Je vais prendre trois exemples : le premier, ce qui n'existait pas en 2005, le rôle des Parlements nationaux, c'est-à-dire ce qui est l'expression quand même de notre souveraineté, est considérablement renforcé dans ce Traité. C'est-à-dire que les Parlements nationaux pourront s'opposer aujourd'hui à des actes qui sont émis par Bruxelles, que ce soient des directives, des...
 
Q.- Concrètement, prenons un exemple.
 
R.- Je prends un exemple : la directive Bolkenstein, qui a quand même causé pas mal de mal lors du référendum de 2005. Dans le cadre de ce Traité, si la moitié des Parlements européens s'était mise d'accord pour dire que cette directive devait être révisée, la Commission aurait eu l'obligation de retirer cette directive ou de faire en sorte qu'elle soit considérablement modifiée. Deuxièmement, le rôle du Parlement européen est considérablement renforcé également. Donc, vous avez un espace qui est beaucoup plus démocratique. Je prends un troisième exemple : il y a un Parlement national... Aujourd'hui il suffit qu'il y ait un Parlement national sur un sujet aussi sensible que "le droit de la famille", qui décide qu'il y a un acte européen qui touche au droit de la famille, qui touche à ce qui est l'adoption, ce qui touche à ce qui est un régime matrimonial, et il peut s'opposer à ce qu'il y ait une réglementation qui soit prise par Bruxelles sur le droit de la famille.
 
Q.- Donc, en France, on peut s'opposer à l'adoption d'enfant par des couples homosexuels ?
 
R.- Je veux dire que si c'est la volonté du Parlement, ce n'est pas ce que je dis, mais si c'était la volonté du Parlement, et s'il y avait une proposition qui était faite en la matière dans le cadre de l'extension des pouvoirs judiciaires au niveau européen, ça pourrait être le cas, oui.
 
Q.- Les adversaires de cette ratification à Versailles par le Parlement disent : on perd, par exemple, notre droit de veto sur la négociation sur les tarifs douaniers.
 
R.- Non, on ne perd pas de droit de veto sur...
 
Q.- Est-ce qu'on perd un peu de souveraineté ou pas ?
 
R.- Mais non. Dès lors que vous étendez la majorité qualifiée, je vous répondrais très clairement, étendre la majorité qualifiée, cela signifie pour clairement informer nos concitoyens que vous avez un certain nombre de décisions qui seront prises par 55 % des Etats-membres représentant les deux tiers de la population. C'est le premier point. 55 % des Etats membres et les deux tiers de la population, vous pouvez penser que les grands pays européens, notamment la France, seront membres de la plupart des majorités qui seront constituées. Donc, la France ne sera pas exclue des grandes décisions européennes. Pour répondre très clairement à votre question, il n'y a pas de droit de veto sauf lorsque les intérêts vitaux sont menacés, cela ne change pas, c'est ce qui résulte d'un compromis de Luxembourg, qui reste en vigueur dans le cadre européen, c'est le premier point. Et le second c'est que, lorsque vous parlez, par exemple, de négociations commerciales, il n'y a jamais eu à proprement parler de droit de veto, il y a simplement que la France a dit : lorsque vous touchez aux intérêts fondamentaux en matière de politique agricole, en matière de politique industrielle, je peux évoquer ce compromis. Cela reste toujours. Ce n'est pas parce que vous allez passer à la majorité qualifiée, qui existe d'ailleurs dans un certain nombre de négociations, que vous perdrez le pouvoir de défendre vos intérêts. Et je crois même, qu'en étant dans la majorité qualifiée, je ne vais pas être trop long, vous défendez mieux vos intérêts et l'Europe défend mieux surtout ses intérêts, parce qu'elle décide mieux. Le grand avantage de ce Traité, c'est que l'Europe décide mieux. Ce serait un paradoxe que de dire, que les clubs de boules, que les clubs de football puissent avoir un règlement intérieur et que l'Europe serait la seule institution à ne pas pouvoir disposer d'un règlement intérieur.
 
Q.- On parlera [dans la deuxième partie] de la présidence de cette Europe et puis budget, parce que Bruxelles gronde devant les déficits français. Et d'autres sujets. Je sais que vous allez voter B. Delanoë aussi aux municipales, à Paris. Pour un membre du Gouvernement, c'est...bon...
 
R.- J'ai dit que j'avais beaucoup de sympathie pour B. Delanoë, ce qui est vrai, je ne m'en cache pas, j'en ai également pour F. de Panafieu que je connais. J'estime que le bilan de B. Delanoë n'est pas mauvais.
 
Q.- Il est bon à vos yeux, donc, vous voterez pour lui ?
 
R.- Il y a de grandes chances, oui, que je vote pour B. Delanoë.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 février 2008