Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à LCI le 15 février 2008, notamment sur l'action de la France au Tchad et sur Le Nouveau Centre dans les élections municipales.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


C. Barbier.- Etat d'urgence décrété cette nuit au Tchad. Etes-vous inquiet, combien de civils français sont encore sur place, et à combien allez-vous porter les effectifs militaires français ?

R.- Il n'est pas question d'augmenter les effectifs militaires. Nous avons assuré, comme le savez, d'une façon remarquable - et permettez-moi une nouvelle fois, de saluer l'engagement des Forces armées françaises qui ont fait un travail absolument extraordinaire, souvent au péril de leur vie - on a assuré la sécurité des ressortissants français, des ressortissants étrangers. Le dispositif qui est en place permet, a priori, d'assurer la sécurité sans aucun problème majeur à N'Djamena.

Q.- L'armée française a acheminé des munitions libyennes vers l'armée tchadienne légale, vers l'armée d'I. Deby. Est-ce qu'on pas trop engagés à ses côtés dans cette affaire tchado-tchadienne ?

R.- Nous avons appliqué nos accords de coopération militaire.

Q.- Pas au-delà ?

R.- Non, pas au-delà. Les Forces armées françaises n'ont absolument pas participé directement aux affrontements.

Q.- On a tiré des coups de feu, éventuellement pour se protéger ?

R.- Bien sûr qu'on a tiré des coups de feu pour se protéger, pour protéger les ressortissants français lorsque nous les avons exfiltrés. Nous avons protégé ce qui était la sécurité absolue du dispositif, c'est-à-dire, protégé l'aéroport et assuré le contrôle de l'aéroport. Mais c'était, j'allais dire, dans le cadre de l'autodéfense ou de la légitime défense. Nous n'avons absolument pas participé militairement au conflit avec les Forces armées tchadiennes.

Q.- Durant cet épisode, vous-même, B. Kouchner, ou N. Sarkozy, avez-vous négocié avec I. Deby la grâce des membres de "l'Arche de Zoé" contre l'aide française ?

R.- Absolument pas. Je n'ai jamais évoqué cette question avec I. Deby, c'est une initiative qu'il a prise, et c'est une initiative qu'on peut saluer.

Q.- Le Chancelier autrichien est clair dans ses propos : "Si un pays ce l'EUFOR - la Force Internationale qui doit se déployer au Darfour - prend part au combat, l'EUFOR sera remise en question. Alors, est-ce que vous, est-ce que l'armée française met en péril la neutralité et la présence de l'EUFOR par son attitude ?

R.- Permettez-moi de vous dire qu'heureusement que l'armée française est présente au Tchad, parce que qui aurait assuré la sécurité des ressortissants français, européens, et j'allais dire, même, étrangers ! Puisqu'on a de mémoire permis d'évacuer près de 40 ou 49 nationalités. Et ces Forces armées françaises ont été là pour sauver les Allemands, les Américains, les Autrichiens, bref, l'ensemble des nationalités présentes. Et heureusement que nous avons ce dispositif pré-positionné. Une des grandes leçons de cette affaire, c'est que le dispositif des Forces pré-positionnées, françaises, en Afrique, est un atout extraordinaire pour assurer nos intérêts stratégiques, pour assurer la sécurité de nos ressortissants, et pour faire en sorte que nous le fassions aussi, au nom des Européens. Et quant à EUFOR, s'il y a bien une leçon qu'on doit tirer des affrontements entres les Forces rebelles et les Forces tchadiennes, c'est qu'il y a besoin de stabilité au Tchad, notamment pour faire en sorte que, les réfugiés et les déplacés, qui sont près de 450.000 à vivre dans des camps à l'Est et au Sud du Tchad, puissent par la sécurité qu'on leur apporte rentrer dans leurs villages.

Q.- Vous avez déclaré qu'en Afghanistan, la France s'engagerait plus si les Occidentaux décidaient d'un engagement collectif plus important. Mais le souhaitez-vous ? Souhaitez-vous une offensive massive des Occidentaux contre les talibans qui progressent ?

R.- Ce qui est certain c'est que, un, notre place est en Afghanistan. Il s'agit à travers cela, de faire en sorte que l'Afghanistan ne devienne pas un des creusets majeurs du terrorisme mondial.

Q.- Pour longtemps ?

R.- C'est évident que c'est une opération sur laquelle on doit avoir une perspective. Et cette perspective doit s'inscrire non pas simplement dans le cadre d'une opération militaire, mais aussi, dans le cadre d'une opération plus globale, qui concerne la gouvernance, qui concerne les institutions comme la police et la justice, qui concerne le développement économique, qui concerne une alternative à la culture de la drogue. Si nous n'avons qu'une opération militaire, on voit très bien qu'on risque d'y rester, j'allais dire, 10 ans, 15 ans. Ce qu'il faut c'est que nous soyons en mesure d'avoir une politique globale, un ; qu'il faut avoir la garantie que l'ensemble des 49 pays qui sont présents en Afghanistan maintiennent leurs dispositifs. La France ne saurait être celle qui complèterait les départs des uns ou des autres. Il doit y avoir un engagement total de la communauté internationale...

Q.- Vous en doutez ?

R.- ...Et troisièmement...Voilà. Et troisièmement, nous devons avoir aussi la certitude que, progressivement, les efforts que nous effectuons, notamment sur la formation de l'Armée nationale afghane, sur les institutions afghanes, que ces efforts-là permettent, j'allais dire, "d'afghaniser" la sécurité du pays.

Q.- Parce que le groupe occidental se délite un petit peu ?

R.- Non. Ce qu'il faut, vous savez qu'il y a des débats extrêmement importants au Canada, qu'il y a eu des débats il y a quelques semaines aussi aux Pays-Bas. Et donc, chacun doit prendre sa part de responsabilité.

Q.- Débat aussi en France sur les moyens de l'Armée. Vous attendez un libre blanc sur la Défense. Vous l'attendez pour la fin mars. On dit qu'il pourrait n'être remis que fin mai ou fin juin. Vous confirmez ?

R.- Non, l'objectif est toujours le même, c'est de faire en sorte que nous soyons en mesure de présenter une loi de programmation militaire avant la fin de la session de printemps, c'est-à-dire, au mois de juin. Et donc l'idée, c'est que les arbitrages soient rendus pour la fin mars, avec une publication dans la foulée.

Q.- Arbitrage sur les second porte-avions, son coût est revu à la hausse. Alors, est-ce qu'on y renonce parce que c'est trop cher, ou est-ce que vous trouvez les 500 millions d'euros supplémentaires qu'il faut ?

R.- Ce n'est pas une information nouvelle. On savait que le porte-avions était aux alentours de 3,5 milliards plutôt que de 3 milliards, ce n'est pas nouveau.

Q.- C'est trop cher pour nous ?

R.- Ce qu'il faudra, c'est que nous aurons des arbitrages à effectuer.

Q.- Et votre pensée, c'est qu'on a vraiment besoin de ce porte-avions, ou... ?

R.- Je voudrais simplement que vous preniez conscience que nous consacrons à peu près 16 milliards d'euros chaque année à l'équipement de nos Forces, et que les perspectives budgétaires qui sont les nôtres, font qu'il nous faudrait entre 20 et 21 milliards d'euros par an pour financer ce qui a été lancé sous la précédente loi de programmation, ou du moins, sous la précédente mandature. Et donc, on voit bien que cet effort de 5 milliards d'euros, personne, pas même les militaires, ne peuvent penser que le pays est dans une situation budgétaire nous permettant de consacrer 5 milliards d'euros de plus à l'équipement de ces Forces. Et donc, nous aurons des arbitrages à effectuer. Et nous avons besoin de faire des efforts de rationalisation pour dégager ces marges de manoeuvre, pour l'équipement des forces mais aussi pour l'amélioration de la condition des militaires.

Q.- Justement, le patron de l'armée de terre, a envoyé une lettre à son chef d'état-major, une lettre alarmiste, en disant que la paupérisation pouvait mettre à terme en danger la vie des hommes sur le terrain". C'est vrai ?

R.- C'était un courrier du mois de décembre, dans le cadre des échanges réguliers que les chefs d'états-majors peuvent avoir avec le chef d'état-major des Armées. Je pense qu'il y avait probablement un peu d'exaspération liée à des conversations qu'il venait d'avoir.

Q.- Les critiques pleuvent depuis hier sur l'idée de N. Sarkozy : confier la mémoire d'un enfant mort en déportation à chaque élève de CM2. Approuvez-vous cette idée, ou conseillez-vous son retrait, au vu de la polémique ?

R.- Je ne comprends pas bien le sens de la polémique. Je pense qu'une collectivité se porte bien quand elle a, à la fois, le devoir de mémoire inscrit dans sa politique. Et deuxièmement, j'allais dire, le devoir de vigilance, c'est-à-dire le fait de faire connaître aux enfants que ce genre de chose, l'extrémisme, l'antisémitisme, la xénophobie, sont des mots qui peuvent toujours atteindre une société. Et qu'on permette aux enfants à travers cette démarche d'appréhender cette question, il me semble que cela mérite autre chose que la polémique vaine.

Q.- Le Nouveau Centre, votre parti, tient aujourd'hui sa convention sur les élections municipales et cantonales. Alors, allez-vous protester contre le sort que vous inflige l'UMP, vous n'avez pas beaucoup de bonnes places ; à Paris, vous n'avez pas de places éligibles pour le Conseil de Paris ? Vous êtes maltraités ?

R.- Non, non, nous aurons un groupe Nouveau Centre à la Mairie de Paris. Nous aurions aimé en effet avoir plus de membres au Conseil de Paris, mais c'est, j'allais dire, le jeu normal de la vie politique. Nous allons, grâce aux élections municipales, constituer le tissu conjonctif, le maillage dont notre formation politique a besoin. Et donc, nous allons avoir, grâce à ces élections municipales, des hommes et des femmes qui peuvent gagner des élections municipales - je pense à Agen, je pense à Castres, je pense à Chinon - nous allons avoir des hommes et des femmes en situation de responsabilité, et qui vont permettre de faire en sorte que nous reprenions le flambeau de l'UDF. Je veux que le Nouveau Centre ce soit le parti qui incarne la liberté, la modernité, qui incarne l'idée que la liberté ne se sépare pas, qu'elle est globale, qu'elle est économique, qu'elle est liée aux libertés individuelles, qu'elle est liée à des libertés collectives. Et que cette liberté, ce mouvement que nous voulons incarner de la liberté, il va avec le sens de la responsabilité.

Q.- L'hériter de l'UDF, le vrai Centre, qui n'est pas aligné sur un camp, c'est le MoDem ?

R.- Le MoDem a fait un autre choix, qui est désormais d'être l'opposant majeur à N. Sarkozy et à la famille politique à laquelle appartient l'UDF, c'est-à-dire, le Centre droit.

Q.- Alors, vous allez contre l'UMP quand même dans certaines villes : Annecy, Caen, Bordeaux, je crois aussi. Pourquoi ? C'est-à-dire, que vous pourriez aller au second tour avec la gauche contre l'UMP ?

R.- Non, ce sont des primaires qui ont lieu, et avec des engagements de désistements au second tour.

Q.- Alors, M. de Sarnez, du MoDem, raconte dans son livre qu'entre les deux tours de la présidentielle, vous avez dit à F. Bayrou : "Rapproche-toi du Parti socialiste, je ne pourrais pas aller avec toi, mais vas-y, fonce !""

R.- Oui, oui, bien sûr.

Q.- Pourquoi ?

R.- Je lui ai dit : "va jusqu'au bout de ta démarche. Tu as décidé de faire en sorte de t'inscrire comme l'opposant majeur de celui qui va être élu président de la République. Va jusqu'au bout de ta démarche. Et cette démarche, c'est d'aller avec le Parti socialiste, puisque de toute façon c'est là où tu finiras !". Et d'ailleurs, neuf mois plus tard, je veux dire, j'avais raison.

Q.- Bayrou, leader du Parti socialiste par carence de candidats en 2012, comme Mitterrand en 71, cela vous semble crédible ?

R.- Oui, parce qu'on voit très bien que, la démarche de F. Bayrou est celle d'incarner une partie de la gauche face, d'une part, à l'UMP et au Nouveau Centre, et d'autre part, à un PS qui se serait délité, c'est cela le pari de F. Bayrou.

Q.- N. Sarkozy, vous a-t-il confirmé, vous a-t-il promis, que vous ne serez pas remplacé lors du remaniement post-municipal ?

R.- Je n'ai jamais évoqué cette question avec lui.

Q.- Vous avez peur ?

R.- Non, je n'ai pas peur, je fais mon travail, je suis engagé dans une réforme majeure du ministère, et je fais mon travail tranquillement, sans me préoccuper des rumeurs, diverses et variées du lendemain des municipales.

Q.- Vous réclamez un poste supplémentaire pour le Nouveau Centre au Gouvernement ?

R.- Je vous dis, je n'ai jamais évoqué cette question.

Q.- Et A. Santini, qui est mis en examen, qui a eu des problèmes de santé, doit-il quitter le Gouvernement, à l'occasion de ce remaniement ?

R.- Pourquoi voudriez-vous qu'il quitte le Gouvernement à cette occasion ?!!

Q.- S'occuper d'Issy-Les-Moulineaux et se reposer ?

R.- Voilà.

Q.- Vous allez devoir organiser, quand le moment viendra, les obsèques nationales pour le dernier Poilu, L. Ponticceli. Avez-vous déjà travaillé sur le scénario ? Qu'est-ce que les Français pourront voir comme hommage ?

R.- Nous examinons cette question, et permettez-moi de nous laisser un peu de temps de réflexion.

Q.- Il avait dit "non", il a dit "oui". C'est une mémoire qu'il faut porter ?

R.- Je crois qu'il faut porter cette mémoire-là, oui, en effet. Voilà.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 15 février 2008