Texte intégral
C. Barbier.- Le Salon de l'agriculture ouvre ses portes demain, grand rendez-vous, toujours. N'êtes-vous pas déçu que N. Sarkozy fasse une inauguration un peu a minima ; il va rester peu de temps surtout en comparaison de ce que faisait J. Chirac ?
R.- Mais ce n'est pas la durée qui compte. Au contraire, le président de la République pour la première fois va faire une intervention publique, va dire ce qu'il pense et de l'agriculture et des agriculteurs. Il va le leur dire en face, à l'occasion de cette inauguration. C'est la première fois que le chef de l'Etat non seulement visite le salon - ce n'est pas encore une fois la durée qui compte, c'est l'intensité, l'attention - et en même temps, va parler et dire sa vision de la nouvelle politique agricole commune en particulier.
Q.- Il y a un enjeu pas rapport aux municipales aussi ? 36.000 communes en France, beaucoup de communes rurales.
R.- Oui, mais ce n'est pas parce qu'il y a des municipales qu'on a mis le salon à ce moment là. Il a toujours eu lieu à cet endroit-là.
Q.- Le discours va peut-être être remarqué ?
R.- Je ne crois pas. Je crois que le Président fixera l'horizon de l'agriculture là où il doit l'être, c'est-à-dire au-delà des quinze jours qui viennent. Evidemment, les élections municipales sont importantes, quelles que soient les sensibilités, parce que c'est l'animation démocratique du terrain, et notamment d'un terrain rural où les agriculteurs sont au premier rang.
Q.- J. Chirac se rendra au salon mardi aussi. Vous l'accueillerez mais pas plus. Etes-vous toujours fâché ?
R.- Non, mais la question n'est pas là. J'ai tourné la page. Le président de la République dont j'ai été le ministre, J. Chirac, vient visiter le salon. C'est un attachement, qu'on connaît bien, qu'il a à l'agriculture. Et, naturellement, je l'accueillerai voilà.
Q.- Alors, N. Sarkozy, vous le disiez, veut accélérer la réforme de la politique agricole commune. On aurait pu attendre 2013. On va s'en occuper tout de suite. Vous avez lancé une grande consultation du terrain, des chambres d'agriculture. Les conclusions seront rendues fin février mais quelle est l'humeur déjà ?
R.- Pas seulement des chambres d'agriculture. Les chambres d'agriculture ont plutôt été le cadre, mais le syndicalisme agricole qui est très responsable, les syndicalismes agricoles ont participé à ce débat, les associations de consommateurs, les parlementaires, les élus, les organisations de protection de l'environnement aussi. Ce qui est clair c'est que dans un cadre budgétaire qui est maintenant stable jusqu'en 2013 - donc nous sommes clairement sur un budget qui est stable - nous pouvons faire bouger les lignes et rendre cette politique agricole plus équitable et plus préventive. Créer par exemple des outils qui nous manquent pour mieux gérer les crises climatiques, les crises sanitaires, la fièvre (inaud.), des crises économiques comme celle qui touche les éleveurs de porcs. On n'a pas les outils pour mutualiser, pour faire de la précaution et de la prévention. Deuxièmement, je pense qu'on peut rendre cette PAC plus équitable. Certaines aides sont trop élevées pas rapport aux revenus des agriculteurs qui ont de meilleurs prix, je pense aux grandes cultures. Et dans le même temps, d'autres filières doivent être mieux aidées : la filière ovine, le lait en montagne, l'agriculture bio, les fruits et légumes. Donc, je voudrais que cette PAC, dans le cadre de ce débat, devienne un peu équitable et en même temps qu'on continue ce grand changement en profondeur - je vous jure qu'il existe - vers l'agriculture durable.
Q.- Est-ce que le problème, ce n'est pas de voir l'économie agricole basculer dans la financiarisation, dans la spéculation et vous échapper complètement ?
R.- Précisément, pour cette raison, il faut préserver une politique agricole commune. Je suis le ministre d'une politique qui est totalement européenne, totalement mutualisée. C'est même la première et la seule grande politique économique européenne depuis cinquante ans. Et qu'est-ce que c'est l'Europe ? C'est bien sûr de l'argent qui soutient, qui finance et qui rémunère le service que rendent les agriculteurs en maintenant le paysage et les territoires. C'est aussi des protections, c'est aussi des régulations, c'est aussi une parole commune vis-à-vis du reste du monde, notamment, dans cette négociation difficile de l'OMC. En effet, le risque existe si on ne prend pas garde, si on devait détricoter cette politique agricole, que ce soit la loi de la spéculation. Je ne suis pas prêt, pas du tout prêt, ni le président de la République, à laisser l'alimentation des gens, de ceux qui nous écoutent, à la merci de la grande spéculation internationale ou à la merci de la seule loi des marchés. Il n'en n'est pas question !
Q.- Justement, vous évoquiez l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce. Lundi, vous avez tenu des propos très virulents contre l'OMC que dirige un Français, P. Lamy. Est-ce que vous voulez précipiter un échec, parce que vous préférez un échec de négociation OMC à un mauvais accord ?
R.- Je préfère qu'il n'y ait pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord.
Q.- Vous en prenez la responsabilité ?
R.- Je préfère qu'il n'y ait pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord dans lequel l'agriculture, c'est-à-dire des millions d'hommes et de femmes - je ne parle pas de la France, je parle de l'Europe - l'agriculture soit la variable d'ajustement. Il ne faut pas être naïf. Je vous jure que ni le Brésil, ni les grandes puissances émergentes ne sont naïves. Et encore moins les Américains. Nous parlons, là, de la sécurité alimentaire, de la manière dont on importe des produits. Est-ce qu'ils sont sûrs ? Est-ce qu'ils sont traçables ? Nous parlons là de millions d'emplois qui érigent et qui font vivre les territoires. Personne n'est naïf dans cette négociation. Nous sommes prêts à un accord, à condition qu'il soit équilibré.
Q.- Le commissaire européen Mandelson, il est naïf ou il est dans la main des Américains ?
R.- Non, le commissaire Mandelson a un mandat très clair qui a été fixé par le Conseil européen. Ce que j'ai mis en cause, ce n'est pas Monsieur Mandelson, même si nous sommes vigilants, c'est le document de ce Monsieur Falconer qui négocie au nom de l'OMC, et qui, lui, va beaucoup plus loin et nous paraît inacceptable. Parce que cet accord tel qu'il est préparé à l'OMC, n'est pas équilibré, n'est pas acceptable.
Q.- Bonne exemple de crise économique : le porc. Le porc n'est plus rentable, à cause des prix de l'alimentation animale qui ont flambé. Vous avez négocié hier avec les éleveurs. Qu'en est-il sorti concrètement ? Que leur proposez-vous ?
R.- Nous travaillons pour les aider dans cette conjoncture très difficile. Il y a toujours eu des crises du porc tous les quatre ou cinq ans. Donc, nous travaillons sur des aides financières pour alléger les prêts, les trésoreries. Nous travaillons avec l'Europe, encore une fois, C. Barbier, tous nos problèmes ne sont pas européens mais beaucoup de nos solutions sont européennes et à niveau européen. Nous avons tenu de la Commission des aides au stockage pendant cette période difficile, des aides à l'exportation. Et puis je pense aussi - je reviens à la proposition de tout à l'heure - qu'il faut créer des outils de gestion de crise. C'est-à-dire quand cela va bien, mettre de l'argent de côté, trouver des systèmes d'assurance pour faire face aux situations difficiles quand elles arrivent.
Q.- Si on utilisait les farines animales ! C'est moins cher que les farines végétales ou que le produit de l'agriculture de céréale. Donc, autorisons l'alimentation animale par des farines animales !
R.- Ce n'est pas parce que c'est moins cher qu'il faut le faire. Nous avons, là, un vrai problème d'acceptabilité sociale auprès des scientifiques. Pour l'instant, je suis extrêmement réservé sur cette hypothèse.
Q.- Autre crise : dans l'apiculture. Après le Gaucho et le Regent finalement retirés du marché, les apiculteurs dénoncent l'arrivée du Cruiser. Vous l'avez autorisé récemment pour encore un an. N'avez-vous pas été imprudent ? En Italie, il y a eu des ravages.
R.- Non, je ne l'ai pas autorisé encore pour un an. Nous l'avons autorisé pour un an. Et seulement, ce produit-là, après un accord extrêmement clair de l'AFSSA - l'Agence de la sécurité sanitaire - que j'ai consulté, qui a donné clairement un accord sur ce produit, qui est un produit qui protège les semences. Et je l'ai entouré de précautions absolument inhabituelles : un an seulement, une période où on l'utilisera de manière très limitée, et puis une observation contradictoire avec les apiculteurs que j'ai rencontrés hier, qui ont raison d'exprimer leurs inquiétudes. Vous savez, quand on regarde les raisons de la mortalité des abeilles - c'est un sujet qui peut paraître secondaire mais qui est très important, celui de la pollinisation, c'est un sujet majeur pour la biodiversité, moi je suis extrêmement soucieux de cette question - donc j'ai pris cette décision avec beaucoup de réflexion. Et je l'ai entouré avec beaucoup de précautions. Et nous évaluerons. Et si j'ai le moindre doute, je reviendrais en arrière sur cette décision.
Q.- Reprendra-t-on en France prochainement la culture du maïs OGM Mon-810 interdite, suspendue ?
R.- Elle a été suspendue pour un an par une décision du Chef de l'Etat, dans l'esprit du Grenelle que nous avons voulu préserver. Parce qu'il y a des interrogations, notamment, sur les risques de dissémination. Il y a aussi d'ailleurs l'agence provisoire, la haute autorité a dit qu'il y avait aussi des avantages à ce maïs par rapport aux pesticides. Donc, un an qu'il faut utiliser pour aller au bout des évaluations scientifiques, au bout du débat, au bout de la discussion avec nos partenaires. Après, cette annéelà, on aura une nouvelle loi, qui est cours de discussion au Parlement. C'est très bien que le Parlement fasse son travail et établisse une loi, pour dire les choses et sécuriser les cultures OGM et celles qui ne sont pas OGM. Nous serons allés au bout de la négociation européenne. Nous aurons une évaluation de ce maïs transgénique par les autorités européennes. On verra si on peut reprendre cette culture.
Q.- Mais dès le 12 mars, le Conseil d'Etat va se prononcer en référé. Si votre arrêté est cassé, vous en prendrez un autre pour respecter cet AG ?
R.- Oui, parce que le président de la République a demandé qu'on se donne une année. Il a indiqué qu'on utiliserait cette clause de sauvegarde. Prenons le temps d'aller au bout de la négociation, au bout de l'évaluation scientifique, au bout du débat. Je veux dire simplement que dans cette affaire, il faut que la raison l'emporte sur la passion, qu'on continue la recherche qui d'ailleurs est en cours - il y a des recherches, quelques recherches en plein champ - ou la recherche en laboratoire. Ne baissons pas la garde sur cette question des biotechnologies. Parce que sinon, pour le coup dans ce domaine comme dans d'autres, nous seront sous-traitants et sous influence de l'économie ou de la recherche chinoise ou américaine. Et cela il n'en n'ai pas question non plus !
Q.- "C'est au Président de gérer ses collaborateurs", a expliqué hier F. Fillon, après les propos contestés d'E. Mignon, directrice de Cabinet à l'Elysée, propos sur les sectes. Trouvez-vous que les collaborateurs du Président parlent trop ?
R.- Moi je ne le pense pas. Naturellement, chacun doit assumer la responsabilité de ce qu'il dit. E. Mignon a mis au point les choses clairement. Je trouve que ce procès qu'on fait aux collaborateurs du chef de l'Etat n'est pas très digne. Et on n'est pas dans le temps où nous sommes vraiment. Nous sommes dans le temps du quinquennat, d'un régime un peu plus présidentiel, un temps beaucoup plus court que le septennat. Et moi je trouve plutôt sain que les conseillers, le secrétaire général C. Guéant et d'autres, H. Guaino, s'expriment. Je préfère des conseillers qui s'expriment à des conseillers qui intriguent. Voilà ce que je pense. Je pense que c'est beaucoup plus clair qu'à d'autres époques. C'est pour cela que et Monsieur de Villepin et Madame Royal devraient avoir un peu plus de mémoire quand ils donnent des leçons.
Q.- L'appel républicain.
R.- Oui. Ils devraient faire attention à ce qui s'est passé dans le passé où on avait vu des conseillers - et ils les connaissent bien - intriguer, défaire et faire des gouvernements, défaire et faire des Premiers ministres dans le secret des cabinets. Je préfère cette transparence. N. Sarkozy, je le dis comme je le pense, comme un de ses ministre, a une gestion beaucoup plus moderne, beaucoup plus transparente avec ses conseillers. Je trouve que c'est plutôt cela.
Q.- Etes-vous officiellement intéressé par le poste de ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne que le Traité de Lisbonne doit créer à terme et rendre puissant ?
R.- La seule chose qui m'intéresse aujourd'hui, pour les temps qui sont devant nous, c'est de faire bien, le mieux possible, mon travail de ministre de l'Agriculture.
Q.- L'Europe est votre passion !
R.- Mais, le ministre de l'Agriculture doit être un ministre européen, donc cela va bien.
Q.- Vous serez candidat aux européennes, dans votre grande région, tête de liste UMP ? Vous en avez reçu l'engagement écrit, dit-on.
R.- J'ai dit depuis plusieurs mois, et même avant de redevenir ministre de l'Agriculture, que je souhaitais avoir dans mon parcours public un nouveau temps d'action européenne à partir de 2009. Voilà pourquoi je serai en effet candidat aux élections européennes dans la grande région du Sud-est qui regroupe ma région Rhône-Alpes, la région Paca, la région de Corse.
Q.- Et en un mot, vous prônerez l'intégration rapide des Balkans à l'Union européenne pour sortir de cet état de crise qu'on voit encore entre le Kosovo et la Serbie ?
R.- Je crois que l'indépendance du Kosovo était inéluctable. La crise aurait été beaucoup plus sérieuse. Maintenant, comment on fait pour réduire les nationalismes ? F. Mitterrand disait un jour que c'était la guerre. On les réduit en ne laissant pas ces nationalismes les uns en face des autres tout seuls. Il faut mettre au-dessus une perspective. Et cela c'est la perspective européenne pour le Kosovo, pour la Bosnie, pour l'Albanie et naturellement pour la Serbie à laquelle il faut faire très attention.
Q.- M. Barnier, merci et bonne journée.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 février 2008
R.- Mais ce n'est pas la durée qui compte. Au contraire, le président de la République pour la première fois va faire une intervention publique, va dire ce qu'il pense et de l'agriculture et des agriculteurs. Il va le leur dire en face, à l'occasion de cette inauguration. C'est la première fois que le chef de l'Etat non seulement visite le salon - ce n'est pas encore une fois la durée qui compte, c'est l'intensité, l'attention - et en même temps, va parler et dire sa vision de la nouvelle politique agricole commune en particulier.
Q.- Il y a un enjeu pas rapport aux municipales aussi ? 36.000 communes en France, beaucoup de communes rurales.
R.- Oui, mais ce n'est pas parce qu'il y a des municipales qu'on a mis le salon à ce moment là. Il a toujours eu lieu à cet endroit-là.
Q.- Le discours va peut-être être remarqué ?
R.- Je ne crois pas. Je crois que le Président fixera l'horizon de l'agriculture là où il doit l'être, c'est-à-dire au-delà des quinze jours qui viennent. Evidemment, les élections municipales sont importantes, quelles que soient les sensibilités, parce que c'est l'animation démocratique du terrain, et notamment d'un terrain rural où les agriculteurs sont au premier rang.
Q.- J. Chirac se rendra au salon mardi aussi. Vous l'accueillerez mais pas plus. Etes-vous toujours fâché ?
R.- Non, mais la question n'est pas là. J'ai tourné la page. Le président de la République dont j'ai été le ministre, J. Chirac, vient visiter le salon. C'est un attachement, qu'on connaît bien, qu'il a à l'agriculture. Et, naturellement, je l'accueillerai voilà.
Q.- Alors, N. Sarkozy, vous le disiez, veut accélérer la réforme de la politique agricole commune. On aurait pu attendre 2013. On va s'en occuper tout de suite. Vous avez lancé une grande consultation du terrain, des chambres d'agriculture. Les conclusions seront rendues fin février mais quelle est l'humeur déjà ?
R.- Pas seulement des chambres d'agriculture. Les chambres d'agriculture ont plutôt été le cadre, mais le syndicalisme agricole qui est très responsable, les syndicalismes agricoles ont participé à ce débat, les associations de consommateurs, les parlementaires, les élus, les organisations de protection de l'environnement aussi. Ce qui est clair c'est que dans un cadre budgétaire qui est maintenant stable jusqu'en 2013 - donc nous sommes clairement sur un budget qui est stable - nous pouvons faire bouger les lignes et rendre cette politique agricole plus équitable et plus préventive. Créer par exemple des outils qui nous manquent pour mieux gérer les crises climatiques, les crises sanitaires, la fièvre (inaud.), des crises économiques comme celle qui touche les éleveurs de porcs. On n'a pas les outils pour mutualiser, pour faire de la précaution et de la prévention. Deuxièmement, je pense qu'on peut rendre cette PAC plus équitable. Certaines aides sont trop élevées pas rapport aux revenus des agriculteurs qui ont de meilleurs prix, je pense aux grandes cultures. Et dans le même temps, d'autres filières doivent être mieux aidées : la filière ovine, le lait en montagne, l'agriculture bio, les fruits et légumes. Donc, je voudrais que cette PAC, dans le cadre de ce débat, devienne un peu équitable et en même temps qu'on continue ce grand changement en profondeur - je vous jure qu'il existe - vers l'agriculture durable.
Q.- Est-ce que le problème, ce n'est pas de voir l'économie agricole basculer dans la financiarisation, dans la spéculation et vous échapper complètement ?
R.- Précisément, pour cette raison, il faut préserver une politique agricole commune. Je suis le ministre d'une politique qui est totalement européenne, totalement mutualisée. C'est même la première et la seule grande politique économique européenne depuis cinquante ans. Et qu'est-ce que c'est l'Europe ? C'est bien sûr de l'argent qui soutient, qui finance et qui rémunère le service que rendent les agriculteurs en maintenant le paysage et les territoires. C'est aussi des protections, c'est aussi des régulations, c'est aussi une parole commune vis-à-vis du reste du monde, notamment, dans cette négociation difficile de l'OMC. En effet, le risque existe si on ne prend pas garde, si on devait détricoter cette politique agricole, que ce soit la loi de la spéculation. Je ne suis pas prêt, pas du tout prêt, ni le président de la République, à laisser l'alimentation des gens, de ceux qui nous écoutent, à la merci de la grande spéculation internationale ou à la merci de la seule loi des marchés. Il n'en n'est pas question !
Q.- Justement, vous évoquiez l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce. Lundi, vous avez tenu des propos très virulents contre l'OMC que dirige un Français, P. Lamy. Est-ce que vous voulez précipiter un échec, parce que vous préférez un échec de négociation OMC à un mauvais accord ?
R.- Je préfère qu'il n'y ait pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord.
Q.- Vous en prenez la responsabilité ?
R.- Je préfère qu'il n'y ait pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord dans lequel l'agriculture, c'est-à-dire des millions d'hommes et de femmes - je ne parle pas de la France, je parle de l'Europe - l'agriculture soit la variable d'ajustement. Il ne faut pas être naïf. Je vous jure que ni le Brésil, ni les grandes puissances émergentes ne sont naïves. Et encore moins les Américains. Nous parlons, là, de la sécurité alimentaire, de la manière dont on importe des produits. Est-ce qu'ils sont sûrs ? Est-ce qu'ils sont traçables ? Nous parlons là de millions d'emplois qui érigent et qui font vivre les territoires. Personne n'est naïf dans cette négociation. Nous sommes prêts à un accord, à condition qu'il soit équilibré.
Q.- Le commissaire européen Mandelson, il est naïf ou il est dans la main des Américains ?
R.- Non, le commissaire Mandelson a un mandat très clair qui a été fixé par le Conseil européen. Ce que j'ai mis en cause, ce n'est pas Monsieur Mandelson, même si nous sommes vigilants, c'est le document de ce Monsieur Falconer qui négocie au nom de l'OMC, et qui, lui, va beaucoup plus loin et nous paraît inacceptable. Parce que cet accord tel qu'il est préparé à l'OMC, n'est pas équilibré, n'est pas acceptable.
Q.- Bonne exemple de crise économique : le porc. Le porc n'est plus rentable, à cause des prix de l'alimentation animale qui ont flambé. Vous avez négocié hier avec les éleveurs. Qu'en est-il sorti concrètement ? Que leur proposez-vous ?
R.- Nous travaillons pour les aider dans cette conjoncture très difficile. Il y a toujours eu des crises du porc tous les quatre ou cinq ans. Donc, nous travaillons sur des aides financières pour alléger les prêts, les trésoreries. Nous travaillons avec l'Europe, encore une fois, C. Barbier, tous nos problèmes ne sont pas européens mais beaucoup de nos solutions sont européennes et à niveau européen. Nous avons tenu de la Commission des aides au stockage pendant cette période difficile, des aides à l'exportation. Et puis je pense aussi - je reviens à la proposition de tout à l'heure - qu'il faut créer des outils de gestion de crise. C'est-à-dire quand cela va bien, mettre de l'argent de côté, trouver des systèmes d'assurance pour faire face aux situations difficiles quand elles arrivent.
Q.- Si on utilisait les farines animales ! C'est moins cher que les farines végétales ou que le produit de l'agriculture de céréale. Donc, autorisons l'alimentation animale par des farines animales !
R.- Ce n'est pas parce que c'est moins cher qu'il faut le faire. Nous avons, là, un vrai problème d'acceptabilité sociale auprès des scientifiques. Pour l'instant, je suis extrêmement réservé sur cette hypothèse.
Q.- Autre crise : dans l'apiculture. Après le Gaucho et le Regent finalement retirés du marché, les apiculteurs dénoncent l'arrivée du Cruiser. Vous l'avez autorisé récemment pour encore un an. N'avez-vous pas été imprudent ? En Italie, il y a eu des ravages.
R.- Non, je ne l'ai pas autorisé encore pour un an. Nous l'avons autorisé pour un an. Et seulement, ce produit-là, après un accord extrêmement clair de l'AFSSA - l'Agence de la sécurité sanitaire - que j'ai consulté, qui a donné clairement un accord sur ce produit, qui est un produit qui protège les semences. Et je l'ai entouré de précautions absolument inhabituelles : un an seulement, une période où on l'utilisera de manière très limitée, et puis une observation contradictoire avec les apiculteurs que j'ai rencontrés hier, qui ont raison d'exprimer leurs inquiétudes. Vous savez, quand on regarde les raisons de la mortalité des abeilles - c'est un sujet qui peut paraître secondaire mais qui est très important, celui de la pollinisation, c'est un sujet majeur pour la biodiversité, moi je suis extrêmement soucieux de cette question - donc j'ai pris cette décision avec beaucoup de réflexion. Et je l'ai entouré avec beaucoup de précautions. Et nous évaluerons. Et si j'ai le moindre doute, je reviendrais en arrière sur cette décision.
Q.- Reprendra-t-on en France prochainement la culture du maïs OGM Mon-810 interdite, suspendue ?
R.- Elle a été suspendue pour un an par une décision du Chef de l'Etat, dans l'esprit du Grenelle que nous avons voulu préserver. Parce qu'il y a des interrogations, notamment, sur les risques de dissémination. Il y a aussi d'ailleurs l'agence provisoire, la haute autorité a dit qu'il y avait aussi des avantages à ce maïs par rapport aux pesticides. Donc, un an qu'il faut utiliser pour aller au bout des évaluations scientifiques, au bout du débat, au bout de la discussion avec nos partenaires. Après, cette annéelà, on aura une nouvelle loi, qui est cours de discussion au Parlement. C'est très bien que le Parlement fasse son travail et établisse une loi, pour dire les choses et sécuriser les cultures OGM et celles qui ne sont pas OGM. Nous serons allés au bout de la négociation européenne. Nous aurons une évaluation de ce maïs transgénique par les autorités européennes. On verra si on peut reprendre cette culture.
Q.- Mais dès le 12 mars, le Conseil d'Etat va se prononcer en référé. Si votre arrêté est cassé, vous en prendrez un autre pour respecter cet AG ?
R.- Oui, parce que le président de la République a demandé qu'on se donne une année. Il a indiqué qu'on utiliserait cette clause de sauvegarde. Prenons le temps d'aller au bout de la négociation, au bout de l'évaluation scientifique, au bout du débat. Je veux dire simplement que dans cette affaire, il faut que la raison l'emporte sur la passion, qu'on continue la recherche qui d'ailleurs est en cours - il y a des recherches, quelques recherches en plein champ - ou la recherche en laboratoire. Ne baissons pas la garde sur cette question des biotechnologies. Parce que sinon, pour le coup dans ce domaine comme dans d'autres, nous seront sous-traitants et sous influence de l'économie ou de la recherche chinoise ou américaine. Et cela il n'en n'ai pas question non plus !
Q.- "C'est au Président de gérer ses collaborateurs", a expliqué hier F. Fillon, après les propos contestés d'E. Mignon, directrice de Cabinet à l'Elysée, propos sur les sectes. Trouvez-vous que les collaborateurs du Président parlent trop ?
R.- Moi je ne le pense pas. Naturellement, chacun doit assumer la responsabilité de ce qu'il dit. E. Mignon a mis au point les choses clairement. Je trouve que ce procès qu'on fait aux collaborateurs du chef de l'Etat n'est pas très digne. Et on n'est pas dans le temps où nous sommes vraiment. Nous sommes dans le temps du quinquennat, d'un régime un peu plus présidentiel, un temps beaucoup plus court que le septennat. Et moi je trouve plutôt sain que les conseillers, le secrétaire général C. Guéant et d'autres, H. Guaino, s'expriment. Je préfère des conseillers qui s'expriment à des conseillers qui intriguent. Voilà ce que je pense. Je pense que c'est beaucoup plus clair qu'à d'autres époques. C'est pour cela que et Monsieur de Villepin et Madame Royal devraient avoir un peu plus de mémoire quand ils donnent des leçons.
Q.- L'appel républicain.
R.- Oui. Ils devraient faire attention à ce qui s'est passé dans le passé où on avait vu des conseillers - et ils les connaissent bien - intriguer, défaire et faire des gouvernements, défaire et faire des Premiers ministres dans le secret des cabinets. Je préfère cette transparence. N. Sarkozy, je le dis comme je le pense, comme un de ses ministre, a une gestion beaucoup plus moderne, beaucoup plus transparente avec ses conseillers. Je trouve que c'est plutôt cela.
Q.- Etes-vous officiellement intéressé par le poste de ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne que le Traité de Lisbonne doit créer à terme et rendre puissant ?
R.- La seule chose qui m'intéresse aujourd'hui, pour les temps qui sont devant nous, c'est de faire bien, le mieux possible, mon travail de ministre de l'Agriculture.
Q.- L'Europe est votre passion !
R.- Mais, le ministre de l'Agriculture doit être un ministre européen, donc cela va bien.
Q.- Vous serez candidat aux européennes, dans votre grande région, tête de liste UMP ? Vous en avez reçu l'engagement écrit, dit-on.
R.- J'ai dit depuis plusieurs mois, et même avant de redevenir ministre de l'Agriculture, que je souhaitais avoir dans mon parcours public un nouveau temps d'action européenne à partir de 2009. Voilà pourquoi je serai en effet candidat aux élections européennes dans la grande région du Sud-est qui regroupe ma région Rhône-Alpes, la région Paca, la région de Corse.
Q.- Et en un mot, vous prônerez l'intégration rapide des Balkans à l'Union européenne pour sortir de cet état de crise qu'on voit encore entre le Kosovo et la Serbie ?
R.- Je crois que l'indépendance du Kosovo était inéluctable. La crise aurait été beaucoup plus sérieuse. Maintenant, comment on fait pour réduire les nationalismes ? F. Mitterrand disait un jour que c'était la guerre. On les réduit en ne laissant pas ces nationalismes les uns en face des autres tout seuls. Il faut mettre au-dessus une perspective. Et cela c'est la perspective européenne pour le Kosovo, pour la Bosnie, pour l'Albanie et naturellement pour la Serbie à laquelle il faut faire très attention.
Q.- M. Barnier, merci et bonne journée.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 février 2008