Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur les missions de la gendarmerie et son rapprochement avec le ministère de l'intérieur, Evreux le 12 février 2008.

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Circonstance : Intervention devant le groupement de gendarmerie de l'Eure, à Evreux le 12 février 2008

Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Monsieur le député maire d'Evreux, mon cher Jean-Pierre,
Mesdames et messieurs les députés et les sénateurs,
Mon général,
Mesdames et messieurs les officiers, sous-officiers, gendarmes adjoints, et personnels civils,
Mesdames et messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir et un intérêt réel que j'ai participé aujourd'hui à la première visite d'un chef de gouvernement français en gendarmerie depuis 2002.
Ma présence sur le terrain, puis au groupement d'Evreux, marque mon attachement personnel aux forces armées, et tout spécialement à la Gendarmerie nationale.
Ce déplacement dans l'Eure m'offre une occasion unique de contact direct avec les personnels, avec leurs familles. Je connais les servitudes que le métier de gendarmes fait peser sur ces dernières : les contraintes de la vie en caserne, les horaires incertains, l'éloignement des centres-villes, bien souvent...
Je veux leur rendre hommage. Je veux leur rendre hommage de la patience et du dévouement avec lesquels elles les acceptent. Pour le gendarme, lieu de vie et lieu de travail ne se séparent pas. Lors de mes différents passages en province, je constate tous les efforts entrepris pour améliorer les locaux, les installations, les conditions matérielles de votre quotidien.
Et je sais qu'à deux pas d'ici, à Bernay, la nouvelle caserne est une réussite de ce point de vue si j'en crois le maire de Bernay qui ne tarit pas d'éloges à ce sujet. Cette caserne offre un bon exemple de la qualité de conception et de réalisation qui doit prévaloir dans la politique du logement de la Gendarmerie nationale. Les présentations de ce matin m'ont permis d'apprécier le haut niveau de professionnalisme de la gendarmerie, ses capacités d'intervention tout à fait uniques, capacités d'intervention qu'elle a su développer en matière de gestion de crise. Ce professionnalisme n'est pas une révélation pour moi, c'est plutôt une confirmation. Notamment lors de la prise d'otages au collège de Sablé-sur-Sarthe, le 9 mars 2006, j'avais pu constater de façon très directe la compétence du GIGN dans la conception et dans la maîtrise des opérations.
Je veux féliciter encore l'ensemble des militaires qui ont pris part aux démonstrations impressionnantes de ce matin. Je salue l'excellence de leur formation, de leur encadrement. Ils sont dignes d'une profession qui, en s'orientant vers les technologies de plus en plus sophistiquées - l'informatisation, l'investigation scientifique - ne cesse de moderniser ses métiers. La gendarmerie, mesdames et messieurs, est une institution qui change, mais qui change, et c'est très important, sans perdre ses valeurs et sans perdre son identité. Parce qu'elle fait partie du quotidien des Français, tout le monde croit connaître la gendarmerie, mais en réalité, bien peu prennent le temps de lui consacrer une attention véritable. Je lui vois pour ma part trois forces.
La première, c'est d'assurer la présence de l'Etat en tous points du territoire, même dans les endroits les plus reculés.
Je pense notamment ici à l'Outre-mer, et à nos gendarmes de la forêt guyanaise, qui ont l'honneur en ce moment même d'accueillir le président de la République. Nos gendarmes de la forêt guyanaise qui conduisent contre l'orpaillage clandestin une lutte ardue, dans des conditions éprouvantes et dangereuses.
Cette présence sur le terrain donne au gendarme un atout irremplaçable : une connaissance approfondie des lieux et des personnes, une vraie proximité avec le terrain. Elle lui ouvre des succès significatifs. L'arrestation récente de deux terroristes basques, auteurs de l'assassinat de deux gardes civils espagnols, en est l'illustration parfaite.
Le gendarme loge avec sa famille au coeur de sa circonscription. Il entretient avec la population dans laquelle il est immergé des rapports réguliers de respect et de confiance.
L'expérience réussie des communautés de brigades a montré que ce lien local devait rester pour nous la référence en matière de rapport avec la population.
Une condition s'impose pour que cette proximité demeure.
Elle tient au respect scrupuleux de la déontologie professionnelle. Je sais que l'immense majorité des gendarmes se fait un devoir de mériter l'estime de ses concitoyens par une conduite exemplaire.

Je rappelle à tous que le respect des autres s'acquiert avant tout par le respect qu'on leur témoigne. Je compte sur chacun pour démontrer, en actes et en paroles, son respect de la fraternité républicaine.
Enfin la proximité, c'est le lien avec la nation, symbolisé par l'engagement d'une réserve de 25 000 personnes, mais aussi par les préparations militaires organisées par la Gendarmerie au profit des jeunes Français.
Le deuxième atout de la Gendarmerie, c'est la continuité de ses métiers.
La gendarmerie est une composante des forces armées, et il ne fait aucun doute qu'elle a vocation à le rester. Une part significative de son activité repose cependant sur des missions de police. Certains y voient un paradoxe. Je crois au contraire que c'est un atout formidable pour notre nation. La Gendarmerie en tire finalement sa polyvalence.
L'exercice de ce matin l'a démontré : l'évolution des menaces terroristes exige parfois des capacités d'intervention très lourdes. Parmi les crises auxquelles l'Etat doit faire face, certaines appellent ainsi une réponse qui est une réponse proprement militaire. D'autres sont de nature purement policières. D'autres enfin réclament une variété de moyens et de savoir-faire que la double culture de la Gendarmerie nationale lui permet d'apporter - et je crois qu'on peut dire que c'est là son exception. Cette arme est seule à même de traiter de manière autonome un spectre très large de situations. L'engagement de nos gendarmes dans les Balkans, ou en Côte-d'Ivoire, illustre ce potentiel : la Gendarmerie française contribue à la gestion des crises modernes.
Enfin, troisième atout, c'est celui de la complémentarité de la police et de la Gendarmerie.
Elle est pour nous un vrai gage de démocratie et d'efficacité.
Elle offre, cette complémentarité, à l'autorité politique comme aux autorités judiciaires, le choix des moyens. Elle garantit une liberté d'action réelle aux pouvoirs publics.
Ce qui se dessine dans ces trois points, mesdames et messieurs, c'est déjà la gendarmerie du XXIe siècle. Une force militaire, de proximité, originale, hautement qualifiée, avec une vocation interministérielle.
Une force adaptée aux nouveaux défis contemporains : la lutte contre la délinquance sous toutes ses formes, des plus simples aux plus complexes ; le contre-terrorisme ; la gestion des grands évènements ; le contrôle des flux et des espaces ; l'adaptation à la problématique périurbaine et le renseignement.
Ce modèle d'ailleurs fait école. Il fait école en Europe et dans le monde et la création d'une force de gendarmerie européenne le montre.
L'intérêt que portent à la gendarmerie de nombreux pays de l'Europe de l'Est le confirme.
Proximité, diversité des métiers, dualité des forces, la Gendarmerie séduit.
Le bilan remarquable de votre engagement opérationnel l'explique en grande partie, et je voudrais le souligner ce matin.
Pour la cinquième année consécutive, les chiffres de la délinquance sont en nette baisse, en zone de gendarmerie comme au plan national.
C'est le fruit, mesdames et messieurs, de la politique déterminée qui est conduite depuis 2002 par Nicolas Sarkozy, et poursuivie avec résolution par Michèle Alliot-Marie et par Hervé Morin. C'est le résultat de l'engagement total des forces de l'ordre dans la lutte quotidienne contre l'insécurité.
Depuis 2002, en zone de Gendarmerie nationale, les crimes et les délits ont baissé de 15 %.
Le taux d'élucidation des affaires judiciaires traitées par la Gendarmerie est supérieur à 40 %.
Mois après mois, vous donnez les preuves de votre volonté et de votre détermination dans ce qui reste le coeur de votre métier : l'identification et l'arrestation des délinquants.
Les Français vous doivent une sécurité plus grande. Des centaines d'entre eux vous doivent aussi tout simplement la vie.
Parmi vos missions, la sécurité routière est l'une de celles où vous avez obtenu les résultats les plus remarquables et ils sont particulièrement spectaculaires dans ce département de l'Eure, où le nombre des tués a diminué de 60 % et le nombre des accidents de 50 %.
En 2007, l'activité que vous avez déployée dans la lutte contre l'insécurité routière a permis de sauver plus de 100 vies.
Par rapport à 2002, le nombre des tués sur les routes est passé de 6 500 à 3 500 en zone de gendarmerie.
Nous savons tous que ces chiffres ne sont jamais acquis, qu'ils demandent à être confirmés l'année suivante. Mais nous savons aussi quel vrai succès ils traduisent. Et je veux vous dire ce matin qu'à travers moi, ce sont 3 000 familles françaises qui vous expriment leur gratitude et leur reconnaissance.
Votre engagement permet de sauver des vies. Il va parfois, hélas, jusqu'au sacrifice des vôtres.
Je porte dans le coeur le souvenir de plusieurs drames qui ont émaillé votre histoire récente, et qui ont rappelé à la population de notre pays que dans la Gendarmerie, le courage, le dévouement, l'abnégation allaient au-delà des mots.
Rares sont d'ailleurs les mois où, à Matignon, je ne reçois pas la nouvelle d'un décès en service.
Votre corps paie un très lourd tribut à la lutte contre la délinquance et l'insécurité.
A l'approche de la commémoration annuelle du 16 février, je veux partager avec vous une pensée particulière pour les six gendarmes tombés en 2007.
Et je voudrais leur associer le souvenir de vos quatre camarades décédés en service pour le seul mois de janvier 2008. J'ai d'ailleurs voulu me rendre en personne à Neufchâteau, pour exprimer ma compassion, celle du Gouvernement, aux familles, et pour soutenir les personnels de la compagnie.
Je crois qu'on peut dire que des millions de Français se sont révoltés avec moi, et ce sont leurs mots d'encouragement et de sympathie que j'ai portés ce soir là à vos collègues des Vosges.
Oui, mesdames et messieurs, les gendarmes exercent un métier particulièrement difficile et particulièrement exigeant.
Oui, ils ont le droit, eux et leurs familles, parce que leurs familles sont tellement associées à ce métier, à l'estime de la nation.
Les services que vous rendez tous les jours à la République créent au Gouvernement le devoir de vous soutenir. Et je sais que vous êtes particulièrement attentifs au devenir de l'institution.
Comme vous le savez, le 29 novembre dernier, un certain nombre d'orientations concernant l'avenir des forces de sécurité - et en particulier de la Gendarmerie nationale - ont été proposées par le président de la République. Ces orientations ne remettent en question ni l'identité militaire, vieille de huit siècles, ni l'esprit original de la Gendarmerie.
Au début du printemps, nous connaîtrons les conclusions des travaux consacrés à l'élaboration du Livre blanc pour la défense et la sécurité.
Ces conclusions constitueront une référence pour concevoir la future loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Elles guideront également la rédaction de la loi de programmation militaire qui sera portée par Hervé Morin. Comme les armées, comme la Police, je veux vous dire que la Gendarmerie disposera des moyens nécessaires à l'accomplissement de ses missions.
Je sais aussi que vous suivez avec beaucoup d'attention les travaux de la Révision Générale des Politiques Publiques.
Ces travaux, qui concernent toutes les politiques publiques, sont indispensables.
Ils consistent à évaluer chaque politique en fonction de ses résultats et de ses coûts.
Ils nous obligent, et c'est très important de le faire régulièrement, à poser clairement des questions simples. Dans l'action actuelle de l'Etat et des collectivités, qu'est-ce qui marche et qu'est-ce qui ne marche pas ? Quelle politique voulons-nous mener ?
Comment devons-nous y adapter les moyens nécessaires dont nous disposons ?
Ce qui marche, dans la Gendarmerie, c'est la proximité du contact.
L'impératif, c'est de l'adapter intelligemment aux différentes zones du territoire, de l'adapter à leur démographie, aux moyens nouveaux de transports et de communication.
A l'issue de la revue générale des politiques publiques, les orientations qui seront retenues devront naturellement aller dans le sens d'une rationalisation de l'action des services de l'Etat. Mais je veux vous dire qu'elles tiendront compte aussi des logiques capacitaires de votre corps. Elles n'iront pas contre ce qui fait depuis des siècles la force de notre dispositif de sécurité.
Et je me donne dès à présent pour programme de veiller à cette cohérence.
Le positionnement institutionnel de la Gendarmerie entre parmi les logiques dont je veux tenir compte.
Vous le savez, ses futurs statuts particuliers entreront en vigueur, comme pour l'ensemble des armées, au 1er janvier 2009.
Ils illustreront notre souci de préserver votre positionnement institutionnel, comme le fera la prochaine loi qui consacrera les "fondamentaux" du concept de gendarmerie.
Mesdames et messieurs, je suis venu le dire ici, devant le groupement d'Evreux : les évolutions en cours doivent continuer de définir positivement une "Gendarmerie du XXIe siècle", ambitieuse et en même temps totalement fidèle à son histoire.
Nous n'allons pas fragiliser en France une institution performante que nous envient de nombreux pays et de nombreuses organisations à l'étranger !
Nous allons opérer son rapprochement avec le ministère de l'Intérieur dans le respect vigilant des identités. Ce rapprochement aura pour but de mieux valoriser leur caractère complémentaire, qui se confirme régulièrement dans toutes les zones géographiques où la Police et la Gendarmerie sont appelées à collaborer.
Mesdames et messieurs,
La Gendarmerie est "l'un des corps les plus utiles à la nation", disait Napoléon 1er.
Sa pérennité nous est précieuse et je veux vous dire pour finir que la Gendarmerie restera un des piliers de l'Etat et qu'avec le président de la République, je sais que nous pouvons compter sur vous pour être toujours digne de la haute responsabilité qui vous incombe.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 février 2008