Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports, sur la loi sur le droit des malades, la santé publique et l'accès aux soins, Paris le 28 février 2008.

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Circonstance : Ouverture des 2èmes rencontres nationales du collectif interassociatif sur la santé à Paris le 28 février 2008

Texte intégral


Monsieur le Président, cher Christian Saout,
Mesdames et messieurs,
La politique de santé en France a longtemps reposé sur un dialogue entre deux pouvoirs. Je pourrais dire aussi bien deux savoirs, pour paraphraser Michel Foucault dont les travaux ne sont pas étrangers au mouvement de fond qui a contribué depuis à ouvrir le champ de ces responsabilités.
Aujourd'hui, les deux pouvoirs que sont l'Etat et les professionnels de la santé, ne sont plus les seuls à prendre les décisions en matière de santé publique. En se regroupant, en prenant des responsabilités croissantes dans les décisions qui les concernent, en faisant entendre leur voix, les patients ont réussi à faire mentir l'étymologie du terme qui les désigne. Loin d'être passifs, ils assument désormais un rôle déterminant dans la marche de notre système de santé.
Cher Christian Saout, nous nous retrouvons deux semaines après la réunion plénière de la Conférence Nationale de la Santé que vous présidez : quelle meilleure illustration du nouveau pouvoir des patients, que la double fonction que vous assumez ? Je vous remercie chaleureusement de votre invitation, et me réjouis de prendre la parole devant vous tous, à l'occasion de ces deuxièmes journées nationales du CISS.
Témoins de son succès, le CISS regroupe désormais 27 associations d'usagers de la santé, parmi les plus influentes en France. En deux années d'existence, votre collectif a su s'imposer comme un acteur majeur de l'évolution de notre système de santé vers une meilleure prise en charge des malades, et une attention nouvelle à leurs droits.
Si vous avez joué un rôle actif dans l'élaboration de la loi du 4 mars 2002, qui a inscrit dans les faits et dans la loi les droits des malades, je voudrais surtout souligner la qualité des liens de travail que vous avez tissés, dès l'origine, avec les services du ministère de la santé.
La convention pluriannuelle d'objectifs qui nous lie depuis 2005 témoigne du dialogue fécond qui s'est instauré entre nous. Votre expérience, votre connaissance transversale du monde de la santé, et votre volonté de former les représentants des malades à l'action publique, sont exemplaires de cette démocratie sanitaire que j'appelle de mes voeux. Une démocratie qui n'engage plus seulement deux acteurs : l'Etat et les professionnels de la santé, ni même trois, en leur ajoutant les patients, mais une agora multiple où chacun aura les moyens de convaincre et de se faire entendre. Viendra enfin l'heure des choix.
Cette année sera, en effet, pour nous une année de réformes. Devant l'ampleur de la tâche qui nous attend je tiens à fixer trois règles majeures à notre action : la concertation, la concertation, la concertation. Seules aboutissent les réformes qui reposent sur le consensus le plus large possible.
Je ne vous apprendrai rien des difficultés que connaît aujourd'hui notre système de soins. Vous les connaissez comme moi. Comme moi vous savez que nous ne pouvons pas rester sourds plus longtemps aux attentes des usagers.
Ces difficultés, entendons-nous bien, ne sont pas passagères. Les dysfonctionnements qu'elles trahissent viennent de loin, et chacun, les professionnels de santé comme les patients, en éprouvent aujourd'hui douloureusement les effets.
A l'hôpital, le malaise est palpable. Nos dépenses hospitalières ont beau être supérieures à celles de tous les autres pays de l'OCDE, les personnels n'en sont pas moins sous pression. Chaque fois que j'ai visité un hôpital, chaque fois que j'ai pu parler avec celles et ceux qui le font vivre, la même image m'en est restée : celui d'un extraordinaire dévouement mêlé de lassitude, l'impression d'un grand découragement. Insuffisance de bras ? Problème d'organisation et de gestion ? La question se pose.
En dépit du fait que notre tissu hospitalier soit un des plus denses, les usagers se plaignent de ne pas toujours disposer à proximité des structures hospitalières nécessaires. Pouvons-nous sérieusement nous contenter de statistiques flatteuses, quand la réalité nous dit autre chose ? Comment répondre aux attentes qu'expriment les Français ?
S'agissant du nombre de médecins à proximité, les données chiffrées révèlent, là encore d'éloquents paradoxes.
La densité de médecins dans notre pays est une des plus élevées de l'OCDE, densité par habitant jamais encore atteinte en France. Pourtant, des zones entières du territoire révèlent une cruelle carence de médecins. Dans les campagnes et dans les quartiers défavorisés, les médecins se font non seulement de plus en plus rares, mais les disparités continuent à se creuser. Comment résoudre ces problèmes de répartition ?
Considéré sous l'angle financier, l'accès aux soins est paradoxalement plus coûteux qu'il n'y paraît. En dépit de dispositifs très protecteurs (CMU, AME), en dépit d'un taux de prise en charge publique parmi les plus élevés au monde (80 %), il faut encore parfois payer 200 euros de sa poche pour accoucher. Les dépassements tarifaires sont nombreux. Certains médecins refusent de prodiguer leurs soins aux bénéficiaires de la CMU. Comment subir plus longtemps de telles contradictions ?
Reste enfin le fameux « gouffre de la sécu » qui, depuis vingt ans, ponctue comme un refrain les discours de tous les ministres de la santé. A force d'être entonné, il a fini par ne plus être entendu.
Mais enfin, les faits sont têtus : depuis près de vingt ans, l'équilibre des comptes n'est pas assuré. Cela fait une génération de déficit. Les objectifs de dépense fixés par le Parlement n'ont été respectés qu'une seule fois au cours des dix dernières années. D'un point de vue strictement financier, ce n'est pas sérieux. Le moment est venu pour nous de faire face à toutes les échéances qui ont été jusque- là ajournées. Car contrairement à l'adage, le temps travaille sans nous. De lourdes hypothèques pèsent déjà sur notre action, n'en laissons pas de nouvelles s'accumuler !
Aucune réforme n'aboutira sans une concertation préalable engageant tous les acteurs du monde de la santé, je vous l'ai dit. Pour parvenir à une compréhension réelle des enjeux qui se posent à nous, nous devons nous donner les moyens d'établir un dialogue durable. Le succès de la loi de modernisation des soins que je présenterai cet été devant le parlement impliquera autre chose qu'un tête-à-tête entre les pouvoirs publics et les professionnels de la santé. Le pouvoir que les patients ont pris ces dernières années dans nos grandes instances de décision leur confère donc une grande responsabilité.
Nous avons, en effet, à bâtir ensemble une société de la confiance. Il ne s'agit pas d'une société dont les citoyens se contenteraient de signer sans regarder, passivement, les décisions prises pour eux d'en haut. Il ne s'agit pas non plus d'une société où les dirigeants engageraient dans des choix majeurs, en se disant « l'intendance suivra ». La confiance dont je parle est un dialogue sans cesse renouvelé, sur le fondement d'une responsabilité librement assumée, librement partagée par tous.
Je tiens à saluer, en particulier, la qualité de votre réflexion sur les droits des malades. Pour vous, il n'est pas d'organisation de santé qui puisse se passer d'une réflexion sur la qualité des soins qu'elle dispense. Vous le savez, je partage entièrement ce point de vue. C'est pourquoi je souhaiterai évoquer avec vous les orientations que nous devrons prendre à l'avenir.
Quels sont, en effet, les gains qualitatifs, que nous pouvons escompter de la rénovation de notre système de soins ? Une répartition plus harmonieuse de l'offre de soins sur tout le territoire. Une permanence des soins mieux assurée. Des urgences moins saturées par endroits. A l'hôpital, des plateaux techniques plus performants et mieux sécurisés. Dans les villes et dans les campagnes, des médecins à proximité, des pharmacies. Mais aussi, une meilleure coordination entre la ville, l'hôpital et le médico-social.
Quelques différents que paraissent ces objectifs, ils appellent, ne nous y trompons pas, une réponse globale et cohérente. L'heure n'est plus aux mesurettes prises à la hâte, aux comités pour la montre. Il serait insensé aussi de se contenter de privilégier un secteur plutôt qu'un autre.
L'accessibilité, la qualité, et la continuité des soins font en effet un tout indissociable. Améliorer la qualité du système de santé et la prise en charge des malades, c'est rapprocher la santé de nos concitoyens.
A cet égard, le rôle d'accompagnement, d'information, et de soutien que vous jouez auprès des malades et de leurs familles vous a permis d'acquérir une connaissance précise de tous ces enjeux. Vous êtes les premiers à éprouver les effets pernicieux du cloisonnement qui subsiste encore entre la médecine de ville et l'hôpital. A l'heure où nous souhaitons établir une véritable continuité dans le parcours de soins, nous attendons beaucoup de vos propositions.
Dans le rapport qu'il vient de me remettre sur les Agences régionales de santé, le préfet Philippe Ritter conforte la conviction qui était déjà la mienne en soulignant l'importance de la participation de vos associations dans le pilotage du système régional de santé.
Les expériences menées au sein des réseaux ont permis de montrer qu'une meilleure articulation des soins entre les différents lieux où se pratique la médecine de ville permettait non seulement des économies, mais aussi une meilleure prise en charge des patients.
L'extension de cette médecine « horizontale » et décloisonnée, est possible aujourd'hui, grâce à tous les dispositifs qui l'ont préparée. Je pense notamment à la loi sur le médecin traitant qui a permis de mettre en place un filière de soins coordonnée, ainsi qu'à la loi de financement de la sécurité sociale de 2002 qui prévoit les moyens de réunir les structures et les acteurs des soins primaires de la santé.
Enfin, je voudrais porter un accent particulier sur ce qui à mes yeux doit orienter toute entreprise d'amélioration de la qualité des soins : la transparence. Transparence de l'action des pouvoirs publics dans la réorganisation de l'offre de soins, transparence des pratiques hospitalières, transparence des relations entre le patient et le médecin, entre le patient et sa propre maladie.
La réforme de l'offre de soins ne se fera pas contre vous. Elle ne se fera pas sans vous. Elle n'aboutira qu'avec vous. Nul texte n'est préparé en sous-main dans le secret du ministère de la santé, nulle réforme n'est concoctée, prête à vous être administrée à votre insu comme quelque remède du Docteur Caligari. Le ministère de la Santé n'a rien à vous cacher, que la chose soit entendue une fois pour toutes. Les contacts très réguliers que vous avez avec les services du ministère de la santé, les entretiens que je souhaite avoir de nouveau avec vous, achèveront de vous en convaincre. Aucune disposition ne sera prise dont nous n'aurons pas parlé ensemble au préalable.
Le dossier médical personnel fait partie de ces questions dont nous devons débattre ensemble. Vous le savez, et j'ai eu l'occasion de le réaffirmer en décembre dernier devant les parlementaires, le DMP personnel représente à mes yeux une avancée majeure, non seulement pour les droits des patients, mais aussi pour le travail des professionnels de santé. Je souhaite ouvrir le plus largement possible la concertation, notamment, autour des modalités de masquage des données par le patient. Loin de représenter un brouillage des échanges avec les professionnels de santé, le droit donné aux patients de s'approprier leur dossier, et d'y porter en toute confiance leurs données personnelles, leur permettra de prendre une part active à leur traitement. Le colloque singulier entre les patients et ceux qui les suivent en sortira renforcé. Aucune des décisions visant à instituer ce nouveau droit pour les patients ne saurait être prise sans eux. C'est pourquoi je vous invite d'emblée à réfléchir avec nous, sans tabou, sur ces sujets.
J'attends des hôpitaux et des professionnels du monde de la santé un effort de transparence dans leur entreprise d'amélioration de la qualité des soins. Pour cela, l'hôpital doit communiquer. De nombreux marqueurs sont déjà en place : je pourrai citer l'exemple, que beaucoup d'entre vous connaissent, du tableau de bord des infections nosocomiales qui rend compte explicitement des efforts engagés par les établissements de santé pour lutter, à tous les échelons, contre cette menace sur la vie des patients. Ces indicateurs sont essentiels pour permettre à tous les acteurs de la démocratie sanitaire de faire des choix éclairés.
Enfin, le dernier aspect de cette transparence indispensable, c'est l'éducation thérapeutique qu'il nous revient à tous, pouvoirs publics, médecins, représentants des malades, de promouvoir instamment. Donner à un malade atteint d'une maladie chronique le moyen de comprendre son affection et son traitement, c'est lui donner les moyens d'aider son médecin à améliorer la qualité des soins qu'il lui dispense.
Je souhaite en particulier que les patients puissent avoir connaissance de toutes les modalités possibles de traitement, et choisir celle qui leur convient le mieux. La Haute Autorité de Santé, qui accomplit, vous le savez, un travail remarquable en toute indépendance, a désormais la possibilité de s'exprimer aussi sur les questions médico-économiques. Ses avis nous éclaireront. C'est en effet dans l'unique intérêt des patients, en toute objectivité et sans influence extérieure, que nous devons prendre, les uns et les autres, les décisions qui nous incombent. Je tiens à être claire : La ministre de la qualité des soins, que je veux être ne saurait être la ministre d'aucun lobby, à commencer par celui des laboratoires.
Il y a cinquante ans encore en France, les patients étaient encore malgré eux les objets d'un savoir et d'un pouvoir qui les dépassait. Ce temps est révolu aujourd'hui. Améliorer la qualité des soins, en dernier lieu, c'est faire du patient le premier acteur de sa prise en charge, dans tous les sens du terme.
Si j'ai souhaité ici vous exposer ma vision des choses, c'est parce qu'une politique de santé, pour pouvoir modifier au long cours un système aussi complexe que le nôtre, doit s'adosser fermement à quelques grands principes d'action.
Défense de la qualité des soins, principes de responsabilité, impératif de solidarité, telles sont les exigences qui président à notre politique de santé pour demain. Je ne doute pas que vous les partagez.
Je vous remercie.Source http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr, le 29 février 2008